La lettre juridique n°916 du 15 septembre 2022 : (N)TIC

[Pratique professionnelle] Informations figurant sur le réseau social professionnel du salarié : la prudence est de mise !

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par Mélanie Tastevin, Avocate associée, cabinet Delgado Meyer & Associés

le 14 Septembre 2022

Mots-clés : réseau social professionnel • LinkedIn • preuve • loyauté • charte • actualisation • mise à jour

Outil de recrutement, de développement ou de recherche d’informations, les réseaux sociaux professionnels ouvrent de nouveaux horizons pour les entreprises. Ils sont également un lieu d’expression pour le salarié via son profil, ses commentaires, ses publications, qui peut entrer en conflit avec les intérêts de l’entreprise.


Avec plus de 24 millions d’utilisateurs de LinkedIn en France, le développement des réseaux sociaux professionnels conduit inévitablement à l’émergence de problématiques juridiques nouvelles.

Si les arrêts relatifs aux propos diffusés par un salarié sur son compte Facebook, réseau social personnel, sont régulièrement commentés, les décisions relatives aux informations figurant sur les réseaux sociaux professionnels - tels que LinkedIn ou Viadeo - ne sont pas encore très répandues.

C’est tout l’intérêt des arrêts rendus récemment par les cours d’appel de Paris [1] et Rouen [2] les 23 et 24 février 2022, et par la Cour de cassation le 30 mars 2022 [3], sur l’utilisation des profils professionnels comme mode de preuve (I.) et sur les demandes d’actualisation de ces profils à la suite de la rupture du contrat de travail (II.).

I. Sur l’utilisation du profil professionnel comme mode de preuve

A. Sur la loyauté dans l’administration de la preuve

À la lecture des arrêts précités, la question de la licéité de la preuve, à savoir la production en justice d’un extrait du profil professionnel d’un salarié, n’a, étonnamment, fait l’objet d’aucun débat.

On rappellera qu’en matière prud’homale, si la preuve d’un fait juridique est libre, elle demeure soumise au principe de loyauté dans son administration.

Selon l’article 9 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1123H4D, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

L’arrêt du 20 novembre 1991 de la Chambre sociale de la Cour de cassation [4] pose le principe de loyauté probatoire.

En d’autres termes, il est interdit pour l'employeur d’avoir recours à un stratagème ou un procédé clandestin pour recueillir une preuve.

Si le juge constate que la preuve présentée par l’employeur a été obtenue grâce à un procédé déloyal, il devra l’écarter des débats [5].

La question de la licéité de la preuve devrait donc se poser à chaque fois que le profil professionnel d’un salarié est utilisé comme mode preuve dans le cadre d’un litige prud’homal.

S’agissant du réseau professionnel LinkedIn, il faut rappeler à cet égard que les profils sont visibles par tous les membres de LinkedIn identifiés, à moins d’avoir adopté un paramétrage différent :

« La visibilité des posts et de l’activité des interactions qui apparaissent dans le fil d’actualité principal et le profil peut varier en fonction de l’option de visibilité choisie par l’auteur du post.

Les options de visibilité sont les suivantes :

  • Tout le monde : visible de tous, sur LinkedIn et ailleurs, y compris de votre réseau étendu.
  • Tout le monde + Twitter : visible à la fois sur LinkedIn et Twitter.
  • Relations uniquement : visible uniquement des relations de 1er niveau de l’auteur du post.
  • Membres du groupe : visible uniquement pour les membres du groupe dans lequel le post a été partagé.

Une fois que vous avez sélectionné une option de visibilité, elle est enregistrée comme option de visibilité par défaut. En revanche, vous pouvez la modifier avant de publier du contenu la prochaine fois [6] ».

En pratique, la licéité de la preuve pourrait donc être débattue selon les options de visibilité définies par le salarié.

B. Sur l’utilisation du profil professionnel pour motiver le licenciement ou pour l’évaluation de l’indemnisation

Les conversations et publications sur les réseaux sociaux sont propices à un échange parfois plus direct et spontané. Celles-ci ne sont cependant pas sans conséquences pour le salarié qui manquerait de prudence et de précaution.

L’affaire soumise à la cour d’appel de Paris en est une parfaite illustration : un salarié a été licencié pour avoir publié sur LinkedIn des images provenant de documents internes à l’entreprise caractérisant un non-respect du secret professionnel et de l’obligation de confidentialité figurant dans le contrat de travail du salarié [7].

La motivation de l’arrêt nous éclaire sur la façon dont l'employeur a obtenu cette preuve : un autre salarié a consulté les publications LinkedIn et en a référé à l’employeur. La Cour de cassation a déjà considéré que ce procédé d’obtention de preuve n’est pas déloyal [8].

Les juges d’appel ont conclu au bien-fondé du licenciement au regard de la mention des règles de confidentialité inhérentes à l’entreprise dans le contrat de travail et dans le règlement intérieur.

La cour en déduit que le salarié n’a pas agi avec la précaution nécessaire en publiant des images appartenant à l’entreprise sur son compte LinkedIn - en l’espèce des images de coupes et géométries de moteur classées confidentielles par la société - quand bien même les images étaient librement accessibles et non susceptibles d’être exploitées « compte tenu de leur caractère succinct, de l’absence de paramètres ou d’échelle indiqués et dont la publication sur son compte n’a pu occasionner aucun préjudice à l’entreprise ».

Focus sur les clauses de confidentialité :

De nombreuses entreprises ont adopté des chartes sur l’utilisation des réseaux sociaux afin d’informer et sensibiliser les salariés sur les conséquences de l’utilisation de ces réseaux.

En principe, la Charte a une valeur informative.

Elle peut avoir une valeur contraignante à condition d’être annexée au règlement intérieur de l’entreprise.

Le formalisme lié à la modification du règlement intérieur doit avoir été strictement suivi conformément à l’article L. 1321-4 du Code du travail N° Lexbase : L8649LGG qui prévoit :

  • la soumission de la modification du règlement intérieur à l’avis du comité social et économique ;
  • le dépôt du règlement intérieur au greffe du Conseil de prud’hommes du ressort de l’entreprise ou de l’établissement ;
  • l’affichage du règlement sur le lieu de travail ;
  • sa communication à l’inspecteur du travail.

Si ces modalités ne sont pas respectées, la Charte ne produira aucun effet et n’aura donc qu’une valeur informative.

L’entreprise peut également insérer une clause de confidentialité directement dans le contrat de travail, ce qui a pour effet de rendre obligatoire le respect de cette obligation.

Dans un arrêt du 30 mars 2022, la Cour de cassation se prononce sur un autre cas où le profil LinkedIn a été utilisé, à tort, comme mode de preuve pour réduire l’indemnisation d’une salariée au titre de son licenciement injustifié [9].

La Haute juridiction était saisie d’un arrêt de la cour d’appel de Versailles ayant réduit le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d’une salariée en considérant qu’elle avait retrouvé un emploi. La cour s’est appuyée sur un extrait de son profil LinkedIn, versé aux débats par l’employeur, faisant état, sur une période d’un an et demi après son licenciement, de différentes démarches en vue de la reprise d'une entreprise.

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la cour d’appel en relevant qu’il y a eu dénaturation des termes clairs et précis de l’extrait du profil LinkedIn qui n’indiquait pas que la salariée avait retrouvé un emploi.

Bien qu’insuffisant pour réduire l’indemnisation de la salariée dans ce cas précis, la Cour de cassation admet implicitement que le profil LinkedIn peut constituer un élément de preuve recevable.

La recherche de preuves par l’employeur, que ce soit pour réduire une indemnisation, ou pour justifier d’un fait fautif, d’une concurrence déloyale, de la violation d’une obligation de non-concurrence [10], doit conduire les salariés à faire preuve de précaution et discernement lorsqu’ils publient sur les réseaux sociaux professionnels.

II. Sur l’actualisation du profil professionnel à la rupture du contrat de travail

A. Sur la demande de mise à jour du profil professionnel en dehors de tout contentieux

Lors la rupture du contrat de travail, le salarié n’actualise pas toujours les informations figurant sur son profil professionnel.

Cet attentisme peut parfois gêner l’employeur et l’amener à demander une modification du profil du salarié ayant quitté l’entreprise afin d’éviter, notamment, tout malentendu vis-à-vis de ses clients.

Cette demande se heurte principalement au fait que le profil professionnel, en l’occurrence LinkedIn, appartient exclusivement au salarié : ce dernier est seul responsable de son utilisation et de son contenu, quand bien même il aurait bénéficié de services achetés par l’employeur [11].

Il est donc opportun de régler cette question en amont.

La Charte sur l’utilisation des réseaux sociaux peut ainsi prévoir des dispositions relatives à l’actualisation des réseaux sociaux professionnels lors de la conclusion et de la rupture du contrat de travail, et notamment le fait qu’au terme du contrat de travail, le salarié devra, dans un délai raisonnable, mette à jour son profil professionnel.

À défaut de dispositions - informatives ou contraignantes - réglant cette question, l’employeur peut adresser une demande au salarié ayant quitté l’entreprise afin qu’il actualise son profil, demande à laquelle le salarié décidera d’accéder ou non.

S’il ne s’exécute pas, l’employeur pourra engager différents recours :

  • Saisir le réseau social d’un signalement. C’est le cas de LinkedIn qui permet, via un formulaire, de signaler les informations inexactes sur le profil d’un membre : « Signaler des informations qui sont inexactes sur le profil d’un autre membre » comprenant notamment « les fausses déclarations relatives à un emploi ».
  • Saisir le juge prud’homal pour demander sa mise à jour.

B. Sur la demande judiciaire de mise à jour du profil professionnel  

Comme voie ultime, l’employeur peut demander au juge l’actualisation du profil professionnel de son ancien salarié après son départ de l’entreprise.

Les rares décisions de justice rendues en la matière nous apportent quelques enseignements.

Tout d’abord, la cour d’appel de Rouen, dans un arrêt du 24 février 2022, considère que les mentions figurant sur le réseau social professionnel n’ont « qu’une valeur déclarative ». En d’autres termes, ces mentions n’ont que peu de valeur probante [12].

La cour d’appel de Rouen, dans l’arrêt précité, et celle de Toulouse, dans un arrêt du 28 juin 2019 [13], juge que l’actualisation ou la suppression du profil professionnel - en l’occurrence LinkedIn - ne peut être ordonnée que si l’employeur rapporte la preuve d’un préjudice.

Il s’agit de l’application stricte des conditions d’engagement de la responsabilité civile : une faute, un préjudice et un lien de causalité.

Dans les deux arrêts précités, l’employeur ne parvenait pas à démontrer l’existence d’un préjudice subi du fait de l’absence de mise à jour du profil LinkedIn, ce qui a été relevé par les juges d’appel.

Pour conduire le juge à ordonner une modification du profil professionnel de l’ancien salarié, la société demanderesse doit donc être en mesure de rapporter la preuve certaine d’une perte de clients ou d’un détournement de clientèle en raison du défaut d’actualisation du profil, ce qui, en pratique, semble difficile à démontrer. 

Néanmoins, la demande en justice de l’employeur, qu’elle soit initiale ou reconventionnelle, devrait inciter l’ancien salarié à mettre à jour son profil professionnel afin de ne pas s’exposer inutilement à une condamnation.


[1] CA Paris, Pôle 6, 10ème ch., 23 février 2022, n° 19/07192 N° Lexbase : A77367NT.

[2] CA Rouen, 24 février 2022, n° 19/03112 N° Lexbase : A85917NI.

[3] Cass. soc., 30 mars 2022, n° 20-21.665, F-D N° Lexbase : A07797SN.

[4] Cass. soc., 20 novembre 1991, n° 88-43.120 N° Lexbase : A9301AAQ.

[5] Cass. soc., 20 décembre 2017, n° 16-19.609, F-D N° Lexbase : A0682W97.

[6] Site LinkedIn [en ligne].

[7] CA Paris, 23 février 2022, préc..

[8] Cass. soc., 30 septembre 2020, n° 19-12.058, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A41383W8.

[9] Cass. soc., 30 mars 2022, n° 20-21.665, F-D N° Lexbase : A07797SN.

[10] CA Paris, Pôle 1, 3ème ch., 28 mai 2013, n° 13/06055 N° Lexbase : A0259KEC.

[11] Conditions Générales d’Utilisation de LinkedIn, art. 2.2. [en ligne].

[12] CA Rouen, 24 février 2022, n° 19/03112 N° Lexbase : A85917NI.

[13] CA Toulouse, 28 juin 2019, n° 17/05107 N° Lexbase : A0889ZHE.

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