Le Quotidien du 19 septembre 2022 : Bancaire

[Brèves] Prêts en devise : confirmation des dernières évolutions jurisprudentielles

Réf. : Cass. civ., 1, 7 septembre 2022, n° 20-20.826 N° Lexbase : A18858HB

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N2562BZW

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par Jérôme Lasserre-Capdeville

le 16 Septembre 2022

► Prive sa décision de base légale au regard de l’article L. 132-1 du Code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301, du 14 mars 2016 N° Lexbase : L0300K7A, la cour d’appel qui, pour rejeter la demande tendant à faire déclarer abusives des clauses d'un contrat de prêt multidevise, retient que celles-ci, relatives au montant du prêt, à la devise choisie par l’emprunteur, au taux d'intérêt, aux modalités de remboursement et au coût du crédit, portent sur l’objet du contrat et sont rédigées de manière claire et compréhensible, sans rechercher si la banque avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l’hypothèse d’une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte.

À partir du milieu des années 2000, quelques établissements de crédit se sont mis à proposer à leurs clients des crédits en devise (monnaie de compte), et notamment en franc suisse, remboursables en euros (monnaie de paiement). La caractéristique de ce type de crédit est alors évidente : l’évolution des deux monnaies choisies influe sur le montant du remboursement du prêt ; celui-ci augmente si l'euro se déprécie et, à l'inverse, diminue lorsque l’euro s’apprécie face à la devise.

Or, les prêts indexés sur le franc suisse se sont finalement révélés préjudiciables à un grand nombre d’emprunteurs. Sans surprise, les actions en justice se sont multipliées contre les établissements prêteurs. Ces derniers étaient principalement fondés sur le devoir de mise en garde du banquier dispensateur de crédit, une obligation d’information pesant sur le même professionnel ou encore le droit des clauses abusives.

Pendant longtemps, la première chambre civile de la Cour de cassation s’est clairement montrée hostile à ces actions. Toutefois, la jurisprudence a récemment évolué à la suite de deux décisions remarquées de la CJUE du 10 juin 2021 (CJUE, 10 juin 2021, deux arrêts, aff. C-609/19 N° Lexbase : A00894W9 et aff. C-776/19 à C-782/19 N° Lexbase : A00904WA, J. Lasserre-Capdeville, Lexbase Affaires, juin 2021, n° 680 N° Lexbase : N7922BY3).

En effet, depuis lors, plusieurs arrêts du 30 mars 2022 (Cass. civ., 1, 30 mars 2022, n° 19-17.996 FS-B N° Lexbase : A64737R8, J. Lasserre-Capdeville, Lexbase Affaires, avril 2022, n° 712 N° Lexbase : N1010BZG ; v. également, Cass. civ., 1, 30 mars 2022, six arrêts, n° 19-20.574, F-D N° Lexbase : A06207SR, n° 19-18.998, FS-D N° Lexbase : A06697SL, n° 19-22.074, F-D N° Lexbase : A07067SX, n° 19-18.997, FS-D N° Lexbase : A07137S9, n° 19-12.947, F-D N° Lexbase : A07567SS, n° 19-20.717, F-D N° Lexbase : A08087SQ et Cass. civ., 1, 20 avril 2022, n° 19-11.599, FS-B N° Lexbase : A08927UL, J. Lasserre-Capdeville, Lexbase Affaires, 12 mai 2022, n° 716 N° Lexbase : N1425BZS ; Cass. civ., 1, 20 avril 2022, n° 20-16.316, FS-B N° Lexbase : A08787U3, J. Lasserre-Capdeville, Lexbase Affaires, mai 2022, n° 716 N° Lexbase : N1304BZC) sont apparus nettement plus favorables aux emprunteurs.

La décision sélectionnée va dans le même sens.

Faits et procédure. Le 20 juin 2007, la société Jyske Bank (la banque) avait consenti à Mme [H] (l’emprunteur) un prêt multidevise d'un montant de 500 000 euros ou « l'équivalent, à la date de tirage du prêt, dans l'une des principales devises européennes, dollars américains ou yens japonais ». Le prêt avait alors été tiré pour un montant de 834 750 francs suisses. Le 16 juin 2011, la banque avait procédé à la conversion en euros.

Cependant, invoquant l’irrégularité d’une telle conversion et le manquement de la banque à ses obligations d’information et de mise en garde, l’emprunteur l’avait assignée en annulation de la conversion, en déchéance du droit aux intérêts pour l'avenir et en paiement de dommages-intérêts.

La cour d’appel d’Aix-en-Provence n’ayant pas donné raison à l’emprunteur, par une décision du 6 février 2020 (CA Aix-en-Provence, 6 février 2020, n° 17/05622 N° Lexbase : A51833DC), celui-ci avait formé un pourvoi en cassation.

Décision. Deux moyens y étaient invoqués.

En premier lieu, l’emprunteur faisait grief à l’arrêt d’avoir déclaré que l’offre de prêt ne comportait pas de clauses abusives et d’avoir rejeté sa demande tendant à ce qu’il soit condamné à rembourser le prêt sur la base du capital originellement emprunté en euros soit la somme de 500 000 euros. L’intéressée considérait ainsi qu’en se bornant à affirmer que les articles 2 et 4 du contrat de prêt étaient clairs et compréhensibles, sans constater que le contrat informait l’emprunteuse du risque de dépréciation de l’euro et des conséquences potentiellement significatives que les clauses litigieuses pouvaient avoir sur le montant des remboursements, la cour d’appel aurait statué par des motifs impropres à justifier sa décision et aurait privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 132-1, devenu L. 212-1, du Code de la consommation N° Lexbase : L3278K9B.

La Haute juridiction se montre sensible à ce moyen. Après avoir rappelé le contenu de l’ancien article L. 132-1 du Code de la consommation, la Cour de cassation reprend une importante précision dégagée par l’un des arrêts du 10 juin 2021 (C-776/19 à C- 782/19, préc.) : « l'article 4, 2, de la Directive 93/13 du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs N° Lexbase : L7468AU7 doit être interprété en ce sens que, lorsqu'il s'agit d'un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l'exigence de transparence des clauses de ce contrat qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l'emprunteur, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat ».

Or, pour rejeter la demande tendant à faire déclarer abusifs les articles 2 et 4 du contrat, l’arrêt de la cour d’appel avait retenu que ces clauses, relatives au montant du prêt, à la devise choisie par l’emprunteur, au taux d'intérêt, aux modalités de remboursement et au coût du crédit, portaient sur l’objet du contrat et sont rédigées de manière claire et compréhensible.

Dès lors, en se déterminant ainsi, sans rechercher si la banque avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l’hypothèse d'une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte, la cour d’appel n’avait pas donné de base légale à sa décision.

Une recherche plus active est ainsi attendue de la part des juges du fond. Cette solution ne surprendra pas le lecteur. Elle va dans le sens des décisions du 20 avril 2022 (préc.) ayant également eu à se prononcer sur le droit des clauses abusives en la matière.

En second lieu, l’emprunteur faisait grief à l’arrêt de la cour d’appel d’avoir dit que la banque n’avait pas manqué à son obligation d'information et d’avoir rejeté sa demande en paiement de dommages-intérêts. Il considérait que la cour ne pouvait se prononcer ainsi sans rechercher, comme elle y était invitée, si l’établissement bancaire avait informé l'emprunteur du risque de dépréciation de l’euro et de ses conséquences précises et concrètes sur ses obligations financières, en lui présentant des données prospectives à titre indicatif, notamment les moins favorables. À défaut d’avoir fait cela, les magistrats aixois auraient privé leur décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil N° Lexbase : L1248ABT, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.

La Cour de cassation est également convaincue par ce second moyen. Elle considère ainsi, en se fondant sur ce dernier article, que lorsqu’elle consent un prêt libellé en devise étrangère, stipulant que celle-ci est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et ayant pour effet de faire peser le risque de change sur l’emprunteur, la banque est tenue de fournir à celui-ci des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, d’une telle clause sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat, notamment en cas de dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l’État où celui-ci est domicilié et d’une hausse du taux d’intérêt étranger.

Or, pour écarter tout manquement de la banque à son obligation d'information, l’arrêt de la cour d’appel avait retenu que la variation possible du taux de change euro/franc suisse et ses conséquences sur le prêt étaient connus par tout investisseur normalement avisé, que l’emprunteur avait pris connaissance de l'article 11 du contrat prévoyant les mesures pouvant être prises par la banque en cas d'augmentation du capital à rembourser au-delà d'un certain montant en livres sterling et que celle-ci avait adressé à l'emprunteur, avant la signature de l'offre, une lettre l'informant des possibles variations du marché, du risque de dépréciation de la devise choisie se traduisant par une augmentation du coût des échéances de remboursement et précisant que la souscription d'un prêt en devise étrangère pouvait en conséquence être considérée comme « à haut risque ».

Dès lors, en se déterminant ainsi, « sans rechercher si la banque avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l'hypothèse d'une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte », la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Cette seconde solution est également convaincante. Elle ne surprend pas pour autant : elle reprend, au mot près, un entendu figurant dans plusieurs décisions récentes de la Cour de cassation (Cass. civ., 1, 30 mars 2022, n° 19-17.996, préc. ; Cass. civ., 1, 20 avril 2022, n° 19-11.599, préc.).

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