La lettre juridique n°914 du 14 juillet 2022 : Procédure prud'homale

[Actes de colloques] Évaluation de la réforme de l’appel en matière prud’homale après cinq années de pratique

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par Gaël Balavoine, Avocat au barreau de Caen, ancien Bâtonnier de l’Ordre et Delphine Mardon, Maître de conférences en droit privé, Université Rouen Normandie

le 13 Juillet 2022

Mots-clés : procédure prud’homale • appel • réforme • délais • défenseur syndical • déclaration d’appel • conclusions d’appel • formalisme

Cet article est issu d’un dossier spécial consacré à la publication des actes du colloque intitulé « La réception de la nouvelle procédure prud'homale par les acteurs du procès du travail », qui s’est tenu le 13 mai 2022 à Caen, et qui était organisé sous l'égide de l’Université Caen Normandie et par la Faculté de droit et l'Institut caennais de recherche juridique (UR 967), sous la coordination scientifique de Véronique Mikalef-Toudic et Vincent Orif.

Le sommaire de ce dossier est à retrouver en intégralité ici N° Lexbase : N2200BZI.


Notre contribution au colloque de ce jour comporte un aspect temporel, à savoir « les 5 années de pratique » du nouvel appel en matière prud’homale. Pour bien comprendre la situation actuelle, il faut remonter un peu plus loin dans le temps, précisément au 1er janvier 2011, et l’entrée en vigueur du décret « Magendie » N° Lexbase : L0292IGW [1]. Prônant une accélération de la procédure d’appel, ce décret instaurait des délais couperets pour toutes les procédures d’appel avec représentation obligatoire : conclusions et significations dans des délais brefs, à peine de sanctions automatiques, caducité de la déclaration d’appel ou irrecevabilité des conclusions.

Un temps à l’abri, car soumis à la procédure orale sans représentation obligatoire [2], l’appel prud’homal s’est fait rattraper par la procédure avec représentation obligatoire par le décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 N° Lexbase : L2693K8A [3] applicable aux appels formés à compter du 1er août 2016. Ce changement a entraîné de grands bouleversements : d’une procédure très souple, on est passé aux sanctions particulièrement sévères du socle Magendie ; les demandes nouvelles ne sont plus recevables en tout état de cause ; et la péremption d’instance n’est plus soumise aux diligences mises expressément à la charge des parties.

La procédure avec représentation obligatoire correspond à une procédure écrite et instruite, en principe, sous le contrôle du conseiller de la mise en état. Ce type de procédure offre un cadre au déroulement de la procédure d’appel qui faisait défaut avec la procédure orale. La réforme avait pour objectif d’améliorer la situation : une protection du principe du contradictoire favorisée par l’échange des conclusions et des pièces avant la clôture de l’instruction ; des délais maîtrisés avec la fin des renvois successifs des audiences de plaidoirie et la diminution du risque de violation du délai raisonnable. Mais pour que les bénéfices se concrétisent, encore faut-il que les exigences formelles attachées à la procédure écrite ne se retournent pas contre le justiciable. La forme doit être mise au service de la justice, prendre en considération l’intérêt des justiciables et non se concentrer seulement sur la gestion des stocks d’affaires. En effet, le formalisme procédural à défendre est celui qui offre « la forme de la liberté guidant les justiciables et les préservant de l’arbitraire » [4] ; et non pas celui qui, poussé à l’extrême, limite l’accès à la justice d’appel.

L’exhaustivité n’étant pas permise dans le temps imparti, nos échanges et certaines positions récentes de la Cour de cassation, nous ont orientés vers 4 « thèmes » illustrant la nouvelle procédure d’appel prud’homale, à savoir :

  • les singularités liées à la présence du défenseur syndical en procédure d’appel (I.) ;
  • le cadre temporel exigeant de la procédure d’appel (II.) ;
  • le contenu de la déclaration d’appel appréhendé par la communication par voie électronique (III.) ;
  • le modelage jurisprudentiel du formalisme des conclusions d’appel (IV.).

Il sera ensuite possible de dresser un bilan avantages/inconvénients de ce nouvel appel prud’homal.

I. Les singularités liées à la présence du défenseur syndical en procédure d’appel

Malgré l’application de la procédure d’appel de droit commun, la matière prud’homale a conservé une spécificité en la personne du défenseur syndical. L’article R. 1461-1 du Code du travail N° Lexbase : L2663K87 offre aux parties la possibilité d’être représentées par un défenseur syndical, et, à défaut, les oblige à constituer avocat. Ce maintien du défenseur syndical - sorte d’acte de résistance politique - a été envisagé comme facilitant l’accès au juge d’appel pour les salariés.

Surtout, cette présence du défenseur syndical a conduit à un aménagement de la procédure d’appel. Elle a d’abord influencé l’absence de territorialité pour l’avocat, comme cela nous a été clairement exposé ce matin [5]. Elle oblige également à une adaptation des règles relatives à la communication par voie électronique. En effet, dans la procédure d’appel de droit commun, la communication s’effectue par voie électronique, à peine d’irrecevabilité des actes de procédure [6]. Cette communication électronique passe par le Réseau Privé Virtuel des Avocats (RPVA) du côté des avocats et par le Réseau Privé Virtuel de la Justice (RPVJ) du côté du greffe. N’étant pas avocat, le défenseur syndical n’a pas accès au RPVA. Un cadre juridique différent lui a alors été réservé : il rédige les actes en version papier [7].

Dans ses rapports avec le greffe, il peut soit lui remettre directement les actes, soit les envoyer par lettre recommandée avec accusé de réception. La jurisprudence sociale a récemment admis que, dans la mesure où il n’existe pas un autre formalisme plus précis, la remise de l’acte peut être effectuée au greffe au nom du défenseur syndical, par toute personne qu’il a mandatée à cette fin [8]. En l’espèce, l’acte en question était des conclusions que la cour d’appel a pu estimer régulièrement remises au greffe par la salariée représentée puisqu’elles étaient signées par le défenseur syndical et accompagnées d’un courrier de transmission à son entête et revêtu de sa signature.

Pour la communication entre les différents représentants des parties, si au moins l’un d’eux est un défenseur syndical, l’alinéa 3 de l’article 930-3 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6642LEQ prévoit deux modalités de notification des actes de procédure : soit par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, soit par voie de signification.

En pratique, le maintien du défenseur syndical a compliqué encore plus une procédure déjà emplie de chausse-trappes. Certains défenseurs syndicaux ont continué à intervenir en cause d’appel sans prendre la mesure de la réforme et des sanctions attachées au non-respect des règles de notification des actes de procédure ou des délais Magendie. De ce fait, certains procès d’appel s’en sont trouvés affectés, généralement au détriment du justiciable, les sanctions appliquées ayant un caractère automatique. Une véritable inégalité des armes est apparue dans un premier temps. Par la suite, les défenseurs syndicaux - comme les avocats d’ailleurs - ont dû soit se former à la nouvelle procédure d’appel, soit demander à un avocat de se constituer pour suivre la procédure à leur côté, soit renoncer à suivre le dossier en appel et orienter le justiciable vers un avocat ou un autre défenseur syndical.

Du côté des avocats ainsi que des greffes, la constitution sur la procédure d’un défenseur syndical qui n’a pas accès au RPVA rend les échanges plus difficiles. Les transmissions par voie postale n’étant pas sécurisées, beaucoup d’avocats ont pris le parti par prudence, même si cela a un coût, de privilégier la signification par huissier de justice à la notification par lettre recommandée avec accusé de réception. L’acte de signification à date certaine. L’intervention de l’officier public et ministériel garantit par ailleurs les modalités de remise de l’acte.

II. Le cadre temporel exigeant de la procédure d’appel

Si le délai d’appel n’a pas été modifié par la réforme (1 mois à compter de la notification du jugement [9] et 15 jours en matière de référé [10]), l’appel prud’homal doit dorénavant respecter de nombreux délais imposés aux parties. Ces délais s’enchaînent et donnent un rythme soutenu à la procédure, à tout le moins dans les premiers mois du procès.

Au-delà du rythme imposé, naissent des contraintes nouvelles en lien avec les sanctions prononcées en cas de non-respect des délais procéduraux. Ces sanctions sont lourdes : caducité de la déclaration d’appel ou irrecevabilité des conclusions, chacune devant être relevée d’office. S’agissant de la caducité, la contrainte est renforcée puisque le Code de procédure civile prévoit que la partie n’est plus recevable à former un appel principal contre le même jugement et à l’égard de la même partie [11]. Le cas de force majeure mis à part, les sanctions apparaissent imparables et aux conséquences terribles.

Pour envisager rapidement le rythme imposé, sous réserve de la fixation à bref délai [12] et du jour fixe [13], l’enchaînement des actes est le suivant :

  • l’intimé dispose d’un mois, à compter de la notification de la déclaration d’appel par le greffe, pour constituer avocat ou défenseur syndical. Ce délai n’est pas assorti d’une sanction ;
  • l’appelant dispose d’un délai de 3 mois à compter de la déclaration d’appel - sa remise au greffe [14] - pour remettre ses conclusions au greffe et les notifier à la partie adverse [15]. La Cour de cassation a précisé que lorsque l’appel a été interjeté par lettre recommandée, le point de départ de ce délai de 3 mois est le jour de l’expédition du courrier, et non celui de la réception par le greffe de la déclaration d’appel [16]. Si l’intimé n’a pas constitué, l’appelant dispose d’un mois supplémentaire pour lui signifier ses écritures [17]. Le respect de ces délais est sanctionné par la caducité de l’appel ;
  • un délai identique est octroyé à l’intimé, 3 mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant [18] pour remettre ses conclusions au greffe et former, le cas échéant, un appel incident [19]. La sanction encourue est l’irrecevabilité non seulement de ses conclusions, mais aussi de ses pièces [20] ;
  • enfin, l’appelant dispose d’un nouveau délai de 3 mois pour conclure en réponse à l’appel incident de l’intimé [21]. Là encore, la sanction encourue est l’irrecevabilité des conclusions en réponse et des pièces versées à l’appui.

Ces différents délais ont été examinés par chacune des Hautes juridictions qui ont relevé les objectifs vertueux défendus. Pour le Conseil d’État, leur présence répond à « l’exigence de célérité de la justice et [à] la nécessité de garantir le droit à un jugement dans un délai raisonnable » [22]. Quant à la Cour de cassation, elle reconnaît « un but, conforme à l’intérêt général, d’accélérer le déroulement des procédures, ce qui n’est en contradiction ni avec le droit au procès équitable, ni avec le principe de proportionnalité, l’automaticité des sanctions étant la condition nécessaire de l’effectivité de la réforme » [23].

Cette analyse participe à leur application maximale avec l’absence de distinction selon la qualité du représentant de la partie. Autrement dit, ces délais doivent être respectés que la partie soit représentée par un défenseur syndical ou un avocat. Pour la Chambre sociale de la Cour de cassation, lorsque l’intimé a constitué un défenseur syndical pour le représenter, et que cette constitution a été portée à la connaissance de l’avocat de l’appelant avant qu’il ne remette ses conclusions au greffe de la cour d’appel, l’appelant doit notifier ses conclusions au défenseur syndical, dans le délai de remise au greffe, sans pouvoir profiter du délai supplémentaire d’un mois de l’article 911 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7242LEX [24]. En l’espèce, l’appelant ayant notifié ses conclusions passé le délai de trois mois de sa déclaration d’appel, la caducité de cette dernière devait être prononcée quand bien même les conclusions avaient effectivement été notifiées au défenseur syndical dans le délai supplémentaire de l’article 911. Au titre des délais, il n’y a pas lieu de faire de distinction entre le défenseur syndical et l’avocat.

En pratique, les délais pour conclure imposés en matière d’appel avec représentation obligatoire apparaissent totalement inadaptés. En effet, ils s’appliquent sans distinction de la complexité du dossier. Par ailleurs, les sanctions de leur non-respect sont implacables et manifestement déconnectées de « l’exigence de célérité de la justice », du but « d’accélérer le déroulement des procédures » mis en avant par les promoteurs de la réforme ou les juridictions qui l’ont validée. La célérité recherchée supposerait que les cours d’appel puissent statuer dans l’année du recours. Tel n’est malheureusement pas le cas, les délais de traitement des dossiers d’appel étant rarement inférieurs à deux années et pouvant même dans certaines des plus grosses cours d’appel, excéder trois voire quatre années. Ces délais de traitement anormalement longs exposent les parties à un autre risque procédural : celui de la péremption d’instance.

N’en déplaise au Conseil d’État et à la Cour de cassation, la rigidité des délais de la procédure d’appel conjuguée à l’instauration de sanctions graves et, pour beaucoup, irréversibles portent d’évidence atteinte au droit au procès équitable, et aussi au principe de proportionnalité. Comment expliquer au justiciable qui a porté appel en juin 2022 que son délai impératif pour conclure arrivera à expiration en septembre 2022, que le délai, lui aussi impératif, pour conclure en réponse de l’intimé arrivera à expiration en décembre 2022 et que le dossier sera in fine plaidé en 2025, 2026 voire 2027 ? Quel est le sens de cette précipitation dans les mois qui suivent l’appel avant d’entrer dans une période de grand silence, la réponse juridictionnelle ne pouvant intervenir que plusieurs mois après ?

Au surplus, plutôt que d’accélérer le rythme des procédures d’appel, le contentieux né de l’application du seul décret Magendie le ralentit dans bien des cas. Ainsi, les incidents de caducité d’appel ou d’irrecevabilité des conclusions se multiplient. Les décisions rendues dans ce cadre sont susceptibles de déférer devant la cour d’appel qui doit se prononcer sur l’incident de procédure. Dans certaines situations, ce n’est que plusieurs mois après l’introduction de l’appel, à l’issue d’un véritable parcours du combattant, que les parties pourront plaider leur dossier au fond devant la juridiction du second degré.

Enfin, les réformes de la procédure d’appel, qui ont donné à l’avocat un rôle prépondérant, ont une incidence significative sur la sinistralité relative à la responsabilité civile professionnelle, s’agissant du nombre de déclarations de sinistres consécutives à la commission d’un manquement dans le cadre d’une procédure d’appel. De 9,4 % des sinistres déclarés représentant la 4ème cause de sinistralité en 2015, les pièges de la procédure d’appel sont passés à 25,9 % des sinistres devenant la 1ère cause de sinistralité en 2019 ; ils se sont même maintenus à 23,6 % en 2020, alors que les cours d’appel ont connu plusieurs semaines d’inactivité et que des prorogations de délais spécifiques ont été instaurées pour tenir compte de la pandémie liée à la covid-19 [25].

III. Le contenu de la déclaration d’appel appréhendé par la communication par voie électronique

A. La précision du contenu de la déclaration d’appel

Lorsque la procédure d’appel est avec représentation obligatoire, l’appel est fait, soit par déclaration, soit par requête conjointe au greffe de la cour. Le contenu de la déclaration d’appel est fixé par l’article 901 du Code de procédure civile N° Lexbase : L5914MBN. Notamment, la déclaration doit contenir l’objet de la demande, l’indication de la décision attaquée, ou encore les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité. Ces différentes mentions sont prévues à peine de nullité. Il s’agit d’une nullité de forme qui ne sera admise que si celui qui l’invoque rapporte la preuve d’un grief causé par l’irrégularité [26].

Chaque mention de la déclaration d’appel est, en pratique, susceptible d’être mal renseignée par l’avocat ou le défenseur syndical. Mais la mention des « chefs du jugement expressément critiqués » mérite une attention particulière ; cette même attention lui sera d’ailleurs portée au moment de la rédaction des conclusions [27].

Cette mention doit être mise en lien avec l’effet dévolutif ; cet effet de l’appel remet en question le jugement de première instance et conduit la cour à statuer à nouveau en fait et en droit sur les points critiqués. En effet, le décret du 6 mai 2017 a eu pour objectif de centrer l’appel sur la critique du jugement. Le texte a mis fin à la pratique de l’appel général et a orienté la procédure vers un appel voie d’achèvement maîtrisé. Dès lors, il n’est plus admis de faire comme si le jugement de première instance n’avait pas d’existence. Il faut une véritable critique de la décision entreprise formulée dans les conclusions ; d’ailleurs les conclusions d’appel ne peuvent pas reprendre à l’identique celles présentées en première instance [28]. Le litige étant mieux délimité, son traitement serait alors facilité et accéléré.

Issu de ce décret, l’article 562 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7233LEM définit le contour de l’effet dévolutif de l’appel. Désormais, la dévolution ne peut s’opérer pour le tout que dans deux cas : lorsque l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible. Dans les autres cas, il revient à l’appelant de préciser expressément les éléments de la décision précédente qu’il entend contester. Le recours à la formule « appel total » ou « appel général » n’est plus admis. Si la précision des chefs de jugement expressément critiqués est manquante, la sanction est nette : la cour d’appel n’est pas saisie, car la déclaration d’appel est dépourvue d’effet dévolutif [29]. Autrement dit, la cour ne peut pas statuer ; elle ne peut pas même confirmer le jugement, sous peine d’excès de pouvoir. Plus précisément, elle n’est pas saisie de ce qui a été jugé en première instance et qui n’a pas été critiqué dans l’acte d’appel, sauf appel incident de l’intimé.

À ce stade, on note la cohabitation de deux sanctions : nullité pour vice de forme et absence d’effet dévolutif.

En pratique, les avocats s’abstiennent de soulever la nullité de l’appel qui suppose l’existence d’un grief et permettrait la régularisation d’un nouvel appel. En effet, une déclaration d’appel, même entachée d’un vice de procédure (forme ou fond), interrompt le délai de recours au visa de l’article 2241 du Code civil N° Lexbase : L7181IA9 ; la décision d’annulation de la déclaration d’appel fait courir un nouveau délai d’un mois pour réitérer l’appel [30]. Quant à la régularisation de la déclaration d’appel, certes elle est admise, mais encore faut-il qu’elle intervienne par le biais d’une nouvelle déclaration d’appel ; la mention des chefs de jugement critiqués dans les conclusions au fond est insuffisante. L’autre contrainte est temporelle : la régularisation doit intervenir dans le délai imparti à l’appelant pour déposer les conclusions au fond [31].

Confronté à un appel général, l’intimé a plus intérêt de conclure à l’absence d’effet dévolutif produit par la déclaration d’appel. Car si dans le même temps, il fait signifier le jugement, l’appelant fera face à une forclusion l’empêchant de réitérer son appel après que la cour d’appel ait constaté qu’elle n’avait pas été saisie par la première déclaration. Se pose même la question de savoir si un second appel est possible… ce qui n’apparaît pas être le cas si la cour a été régulièrement saisie d’un appel incident qui produirait alors son propre effet dévolutif.

B. La communication par voie électronique de la déclaration d’appel

Identifier le contenu de la déclaration d’appel est insuffisant, il faut encore être en mesure de l’élaborer de manière effective. Comme tous les actes de procédure, la déclaration d’appel doit, en principe, être transmise par voie électronique sous peine d’irrecevabilité soulevée d’office [32] et prononcée par le conseiller de la mise en état [33]. Toutefois, comme dit précédemment, cette communication électronique ne va pas être utilisée quand la partie est représentée par un défenseur syndical. Ce qui, au regard des exigences qui vont être présentées et de leurs conséquences, n’est pas un mal pour lui et la partie qu’il représente. L’hypothèse qui nous intéresse est donc celle dans laquelle une partie, voire toutes, ont constitué avocat.

Mais même dans cette hypothèse, l’absence d’utilisation de la voie électronique n’est pas sanctionnée lorsque survient un cas de cause étrangère à celui qui accomplit l’acte. Dans ce cas-là, l’avocat peut valablement réaliser les actes de procédure en format papier. La cause étrangère a été admise par la Cour de cassation dans une hypothèse où l’avocat avait dû faire face à une panne informatique de 3 jours en raison de la défectuosité de la live box rendant impossible l’accès à Internet [34]. Elle a encore pu être retenue lorsque le poids des fichiers a empêché le message de passer, en raison de l’interface [35]. Avec la cause étrangère, il semble plus facile d’échapper à la sanction que lorsque le problème tient au respect des délais. C’est alors un cas de « force majeure » qui est exigé par l’article 910-3 N° Lexbase : L7043LEL. En procédure civile, la force majeure correspond à « la circonstance non imputable au fait de la partie et qui revêt pour elle un caractère insurmontable » [36].

La communication par voie électronique est de rigueur. Pour en connaître les modalités techniques, il faut étudier l’arrêté du 20 mai 2020, relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d’appel [37]. Cet arrêté prévoit notamment pour l’élaboration de l’acte, l’utilisation d’un fichier au format XML faisant l’objet d’un traitement automatisé par une application informatique du destinataire, ainsi que l’obligation d’utiliser un format PDF quand un document est joint à l’acte.

Au début de l’année 2022, certaines difficultés ont fait couler beaucoup d’encre et même placé dans une situation impossible les justiciables dont la déclaration d’appel avait été portée à compter du 1er septembre 2017 [38]. Elles sont nées de la combinaison de la mention des « chefs de jugement expressément critiqués » avec la communication par voie électronique.

La difficulté de départ provient d’une limite technique imposée au RPVA par le RPVJ : la « case » relative à l’objet de l’appel dans laquelle sont précisés les chefs du jugement expressément critiqués était limitée à 4 080 caractères jusque très récemment (elle est passée depuis à 8 000 caractères). Au-delà, l’acte d’appel ne pouvait pas être adressé. Une simple circulaire semblait admettre qu’une annexe puisse être jointe à la déclaration d’appel [39] ; le recours à l’utilisation de cette annexe rendait possible des appels avec une longue liste de chefs critiqués.

La souplesse offerte par l’annexe a été balayée d’un revers de main par la Cour de cassation dans un arrêt du 13 janvier 2022 N° Lexbase : A14867IU [40]. En effet, la Cour a décidé que la déclaration d’appel est un acte de procédure qui se suffit à lui seul et dans lequel doivent figurer les mentions des chefs de jugement critiqués. En l’occurrence, l’appelant n’avait rien indiqué dans sa déclaration d’appel, mais il lui avait joint un document intitulé « motif déclaration d’appel » contenant les chefs du jugement critiqués. Pour les juges de cassation, ce document joint ne vaut pas déclaration d’appel. Dès lors, la « vraie » déclaration (le fichier XML) qui ne contenait pas les chefs du jugement critiqués ne pouvait pas produire d’effet dévolutif.

La Cour a toutefois formulé une atténuation en cas d’empêchement technique. L’appelant est alors admis à compléter sa déclaration d’appel avec un document auquel elle renvoie et qui fait corps avec elle. Cette atténuation est strictement attachée à l’existence d’un empêchement technique. À bien y regarder, cet empêchement correspond à la limite des 4 080 caractères (maintenant 8 000) évoquée ci-dessus : ce n’est que si ces caractères sont insuffisants pour contenir l’ensemble des chefs de jugement critiqués que l’avocat peut utiliser une annexe, en n’oubliant pas de procéder à un renvoi dans la déclaration. Ce renvoi contribue à l’information du greffe et de l’intimé, participant au respect des droits de la défense pour ce dernier.

Si cette décision a entraîné de nombreuses réactions [41], c’est que cette approche stricte du formalisme va être catastrophique pour un certain nombre d’appels. En effet, les conditions de régularisation de la déclaration d’appel incomplète sont très encadrées par la Cour de cassation [42]. Au surplus, cette dernière n’a pas prévu de moduler dans le temps les effets de sa jurisprudence ; ce qui, à l’opposé, et au nom de la sécurité juridique, peut apparaître positif.

La réaction du pouvoir réglementaire ne s’est pas fait attendre. Dès le 25 février 2022, un décret et un arrêté [43] sont venus modifier, pour le premier, l’article 901 du Code de procédure civile en ajoutant que la déclaration d’appel comprend, le cas échéant, une annexe, et pour le second, les articles 3 et 4 de l’arrêté du 20 mai 2020 N° Lexbase : L1630LXN pour préciser les conditions d’utilisation de l’annexe en cas de communication électronique. Les deux articles sont applicables aux instances en cours.

En pratique, la limite du nombre de caractères cause rarement difficulté. À l’exception de certains contentieux très spécifiques (dossiers de construction, dossiers multipartites avec de nombreuses demandes…), et dans la plupart des dossiers, le nombre de caractères est suffisant pour renseigner la déclaration d’appel dans le fichier XML et sans qu’il soit nécessaire de recourir par renvoi à une annexe PDF jointe.

Nonobstant son apparente sévérité, la solution retenue par la Cour de cassation dans son arrêt du 13 janvier 2022 est apparue pour beaucoup comme parfaitement logique. Elle respecte les textes et l’esprit de la communication électronique. Contrairement à ce que semblent considérer certains professionnels ou auteurs, il n’est pas certain que le décret N° Lexbase : L5564MBP et l’arrêté de réaction N° Lexbase : L5628MB3 pris en date du 25 février 2022 conduiront la Cour de cassation à modifier sa jurisprudence.

Il convient donc pour l’avocat d’agir avec la plus grande prudence et de n’utiliser l’annexe qu’en cas d’impossibilité technique liée au nombre de caractères des chefs de jugement critiqués, tout en respectant les exigences résultant de l’arrêté du 25 février 2022, le fichier XML devant renvoyer expressément au document joint.

IV. Le modelage jurisprudentiel du formalisme des conclusions d’appel

Le formalisme atteint également la rédaction des conclusions avec de nouvelles exigences imposées aux parties. Tout d’abord, la tenue d’une mise en état devant le conseiller de la mise en état oblige les parties à une attention particulière : elles doivent rédiger des conclusions d’incident pour saisir le magistrat instructeur de conclusions spécifiques afin de lui soumettre les éléments du litige qui relèvent de sa compétence. La Cour de cassation impose que ces conclusions soient « spécialement adressées au conseiller de la mise en état » [44].

Ensuite, concernant les conclusions au fond, c’est-à-dire celles qui seront soumises à la cour d’appel, les parties doivent respecter un principe de concentration des prétentions dès les premières conclusions d’appelant ou d’intimé, sous peine d’irrecevabilité [45]. Autrement dit, toutes les demandes doivent figurer dans les conclusions déposées dans le premier délai pour conclure. Par exception, sont recevables les demandes nouvelles destinées à « répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l’intervention d’un tiers ou de la survenance ou de la révélation d’un fait » [46].

Enfin, et c’est sur ce point que nous focalisons nos propos, les conclusions sont soumises à un formalisme strict. Ce formalisme est censé améliorer leur lisibilité et leur compréhension par la partie adverse dans un premier temps, puis par le juge dans un second temps. Concrètement, les conclusions d’appel doivent être qualificatives [47] et assorties d’un bordereau ; cela renforce la transparence, la qualité et la loyauté du procès. Et les dernières conclusions communiquées sont récapitulatives [48]. Surtout, leur structure est très encadrée : on trouve successivement un exposé des faits et de la procédure, l’énoncé des chefs de jugement critiqués, la discussion récapitulant les prétentions et les moyens, et pour finir le dispositif « par ces motifs » ; et le cas échéant, mention des modifications apportées à de précédentes conclusions.

Depuis un peu plus de 3 ans, on assiste à une véritable saga judiciaire autour de la rédaction du dispositif, dernière étape des conclusions. Issu du décret Magendie de 2009, ce dispositif doit à la fois être synthétique et récapitulatif des prétentions. À défaut, la cour d’appel ne répondra pas aux prétentions uniquement développées dans le corps des conclusions.

Cette saga a débuté avec un arrêt non publié de la deuxième chambre civile en date du 31 janvier 2019 N° Lexbase : A9839YUX [49], suivi d’un arrêt rendu le 17 septembre 2020 N° Lexbase : A88313TA [50], puis d’un autre le 4 février 2021 [51]. De ces décisions, il ressort la règle suivante : si le dispositif omet de formuler les prétentions, qu’il s’agisse de celle relative à l’infirmation ou à l’annulation du jugement (prétention de procédure) ou de celle rejetée par le premier juge (prétention de droit substantiel), la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement déféré. Autrement dit, la cour d’appel ne peut pas statuer sur une prétention non énoncée dans le dispositif des conclusions, quand bien même l’appel est régulier en la forme et a produit son effet dévolutif. Dans l’affaire de 2021, l’appelant avait bien indiqué demander l’infirmation du jugement, mais sans réitérer sa prétention contestant la validité de la signification du jugement. Tout ce que le justiciable entend obtenir de la cour, il doit expressément le demander dans le dispositif de ses conclusions. Ainsi, on ne peut pas déduire de la formulation d’une prétention au fond déjà rejetée par le juge précédent que l’appelant souhaite avant tout la réformation du jugement. L’arrêt de 2020 en est l’illustration avec un dispositif dans lequel l’appelant se bornait à conclure à l’annulation d’une saisie, annulation que le premier juge lui avait refusée. Pas plus, n’est-il possible de procéder par simple renvoi au corps des conclusions ou aux écritures de première instance.

Cette nouvelle exigence a surpris une partie des praticiens, notamment parce que l’infirmation ou la réformation de la décision contestée est l’objet même de la déclaration d’appel et l’objectif des conclusions. Le séisme attendu était l’augmentation exponentielle des décisions de confirmation par les cours d’appel. Afin de limiter les retombées de cette décision, la Cour de cassation a circonscrit son application aux seules déclarations d’appel postérieures au 17 septembre 2020. En effet, elle a étonnamment retenu que « l’application immédiate de cette règle de procédure, qui résulte de l’interprétation nouvelle d’une disposition au regard de la réforme de la procédure d’appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 N° Lexbase : L2696LEL et qui n’a jamais été affirmée par la Cour de cassation dans un arrêt publié, dans les instances introduites par une déclaration d’appel antérieure à la date de sa décision, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable » [52]. L’étonnement provient de l’absence de prise en considération de l’arrêt non publié du 31 janvier 2019 qui avait déjà énoncé la règle. Par la suite, la Cour de cassation a dû sanctionner certaines cours d’appel qui avaient fait application de la règle à des déclarations antérieures, renforçant l’indifférence à l’égard de cet arrêt non publié.

Dans ces différentes affaires, l’appel concerné était l’appel principal. D’où pendant un temps, la question de savoir si l’intimé doit aussi respecter cette exigence formelle, lorsque l’appel est un appel incident. La Cour de cassation a logiquement répondu par l’affirmative [53]. L’absence de différence de nature ou d’objet entre l’appel principal et l’appel incident justifie un traitement identique pour les deux. La formulation de la sanction est plus délicate. Est-elle strictement identique ? Si l’appel incident cherchait à étendre l’effet dévolutif, la cour d’appel ne sera pas valablement saisie de ces chefs de jugement non critiqués par l’appel principal, et n’aura donc pas à statuer sur l’appel incident. En revanche, si l’intimé demandait la réformation d’un même chef de jugement que l’appelant, en tenant compte du seul appel principal, la cour d’appel peut réformer le jugement. Étant entendu qu’elle ne pourra statuer que dans les limites de l’appel principal : l’absence d’appel incident limite l’effet dévolutif à celui de l’appel principal. La cour d’appel ne peut en effet pas aggraver le sort de l’appelant sur son seul appel [54].

En pratique, l’intimé doit formuler de manière claire et précise ses prétentions. S’il souhaite former un appel incident, il doit expressément mentionner dans le dispositif de ses conclusions les chefs de jugement critiqués dont il recherche l’anéantissement. De la même manière, les chefs de jugement dont il sollicite la confirmation doivent être précisés.

La suite de la saga jurisprudentielle intéresse la mise en œuvre de la sanction de caducité. Un arrêt du 9 septembre 2021 [55], rendu sur le fondement des articles 908 N° Lexbase : L7239LET et 954 N° Lexbase : L7253LED du Code de procédure civile, énonce que la caducité de la déclaration d’appel peut être prononcée si l’appelant ne mentionne pas ses prétentions au dispositif de ses conclusions en vue de l’infirmation ou de l’annulation du jugement frappé d’appel. Cette caducité peut encore être soulevée d’office par la cour d’appel sur le fondement de l’article 914 N° Lexbase : L7247LE7 [56].

En pratique, les parties n’invoquent la caducité devant le conseiller de la mise en état que si elles sont certaines d’obtenir gain de cause. Elles risquent, dans l’hypothèse où leur demande serait rejetée, d’être exposées au paiement des dépens de l’incident et aussi d’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile N° Lexbase : L5913MBM. Dans le doute de l’issue de l’incident, les plaideurs préféreront invoquer l’absence d’effet dévolutif.

Quant au dernier épisode en date, il s’agit d’un arrêt du 3 mars 2022 LXB=A24677P3] [57] : le détail des chefs de jugement critiqués par l’appelant n’a pas à apparaître dans le dispositif. Le formalisme n’a - fort heureusement - pas franchi ce seuil d’exigence. Solliciter la réformation du jugement sur les chefs de la décision critiqués est suffisant, ainsi qu’exprimer les prétentions au fond. Dans cet arrêt, l’appelant a effectivement sollicité au dispositif de ses conclusions la réformation du jugement sur les chefs du dispositif critiqués (« infirmer la décision dont appel sur les chefs du dispositif critiqués ») et a formulé ses prétentions. Dès lors, la cour d’appel ne peut pas confirmer la décision au motif que le dispositif ne détaille pas les chefs de jugement critiqués.

Cette exclusion du détail des chefs de jugement critiqués s’admet si l’on songe au fait qu’ils sont déjà présents dans la déclaration d’appel [58], ainsi que dans le corps des conclusions d’appel [59]. Dans la même optique, l’office du juge d’appel impose qu’il statue sur les prétentions reprises dans le dispositif ; sans que l’alinéa 3 de l’article 954 du Code de procédure civile pose comme condition l’indication des chefs du jugement critiqués. On pourrait même saluer cette dispense qui limite les répétitions depuis la déclaration d’appel jusqu’au point final des conclusions d’appel et présente le mérite de ne pas rallonger les écritures au-delà du raisonnable et de l’utile.

La décision s’apprécie notamment en adoptant le point de vue des différents acteurs intéressés au contenu des conclusions d’appel. D’un côté, il faut se placer du point de vue de l’intimé et du juge en leur qualité de destinataire des conclusions. Ne faut-il pas se réjouir que l’intimé et le juge ne subissent pas le même sort que le consommateur qui contracte un crédit, à qui l’on ne cesse de répéter les mêmes choses pour être sûr qu’il les a bien comprises ? Une telle répétition aurait-elle vraiment œuvre de pédagogie ? Participerait-elle à une meilleure justice ? De l’autre côté, il faut se placer du point de vue de l’appelant, en sa qualité de rédacteur. Même si la technique du copier/coller offre une aide indéniable, la répétition n’est-elle pas source d’erreurs ?

Enfin, cette saga n’est sans doute pas achevée, certaines questions restant en suspens. La première concerne l’appelant incident. Va-t-il bénéficier de la solution de l’arrêt du 3 mars 2022 ou, au contraire, sera-t-il tenu d’indiquer les chefs de jugement critiqués dans le dispositif ? La réponse peut être envisagée en prenant appui sur l’arrêt précité du 1er juillet 2021 [60] qui refuse d’opérer une distinction entre l’appel principal et l’appel incident quand il s’agit d’examiner les conclusions déterminant l’objet du litige en appel. Or, seul le dispositif des conclusions de l’appelant incident peut étendre l’effet dévolutif résultant de la déclaration d’appel formée par l’appelant principal. De ce fait, il apparaît plus prudent, pour ne pas dire impératif, que l’appelant incident mentionne dans le dispositif de ses conclusions les chefs de jugement dont il cherche l’anéantissement. Une deuxième question intéresse la possibilité pour l’appelant de se prévaloir de l’irrecevabilité de l’appel incident en application de l’article 909 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7240LEU. Deux lectures de l’arrêt de juillet 2021 sont concevables. Soit on admet cette sanction en estimant qu’elle constitue le pendant de la caducité qui peut être opposée à l’appelant. Soit on l’écarte en considérant que la cour d’appel n’est pas valablement saisie de l’appel incident, ce qui empêche directement le jeu de l’effet dévolutif.

Pour conclure, le bilan de la réforme de l’appel en matière prud’homale laisse apparaître plus d’inconvénients que d’avantages. Certes, le formalisme développé avec la réforme constitue un garant non seulement de l’effectivité des droits de la défense en assurant une information loyale des parties, mais aussi d’une transparence participant à l’amélioration de la qualité de la justice. En cela, il contribue à une bonne administration de la justice. Mais l’excès de formalisme place le fond du droit au second plan. Qu’il s’agisse des nouvelles règles élaborées par le législateur ou encore de l’interprétation stricte de la Cour de cassation, le résultat n’est bénéfique ni aux justiciables, ni aux professionnels du droit. La complexité de la procédure d’appel représente une charge importante pour les professionnels ; pour l’assumer, il est pertinent de demander l’assistance d’un spécialiste, mais c’est alors au justiciable d’assumer le coût financier de la démarche. La décision même d’interjeter appel peut en être affectée. Dès lors, la procédure qui doit être au service du droit, ne finit-elle pas par produire un effet dissuasif à l’exercice de cette voie de recours ?

La spécificité de la procédure prud’homale d’appel - l’intervention du défenseur syndical - ne peut pas être ignorée de ce bilan. En effet, les formalités procédurales telles que les interprète la Cour de cassation se comprennent dès lors que l’on admet qu’il s’agit de charges pesant sur des professionnels à l’adresse d’autres professionnels [61]. Cependant, avec la possibilité offerte de se faire représenter par un défenseur syndical, cette approche interroge sur l’exigence d’égalité des armes selon le défenseur auquel la partie confie ses intérêts. Et si l’on ose aller plus loin, cela interroge sur le maintien de cette particularité si l’avantage qu’en retirent les justiciables n’est pas supérieur aux risques qu’ils encourent. Dans sa décision du 7 avril 2017, le Conseil constitutionnel affirmait que « sont assurées aux parties, qu’elles soient représentées par un avocat ou par un défenseur syndical, des garanties équivalentes quant au respect des droits de la défense et de l’équilibre des droits des parties »  [62]. Après cinq années d’application du nouvel appel prud’homal, cette affirmation s’est-elle vérifiée ? Rien n’est moins sûr…


[1] Décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009, relatif à la procédure d’appel avec représentation obligatoire en matière civile N° Lexbase : L0292IGW. Puis le décret n° 2010-1647 du 28 décembre 2010, modifiant la procédure d’appel avec représentation obligatoire en matière civile N° Lexbase : L9934INA.

[2] Elle est maintenue devant le conseil de prud’hommes (C. trav., art. R. 1453-3 N° Lexbase : L0919IAB).

[3] Décret n° 2016-660 du 20 mai 2016, relatif à la justice prud’homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail N° Lexbase : L2693K8A. V. R. Laffly, La réforme de la procédure devant la Chambre sociale de la cour d’appel, JCP G, 2016, p. 838 ; V. Orif, L’appel prud’homal en plein effervescence, Droit ouvrier, 2017, p. 14 ; D. Van Der Vlist, Quand la justice ne répond plus à l’appel : guide de la procédure d’appel, Droit ouvrier, 2019, p. 214.

[4] N. Cayrol, obs. sous Cass. civ. 2, 17 septembre 2020, n° 19-17.360, F-P+B+I N° Lexbase : A88363TG et Cass. civ. 2, 4 février 2021, n° 19-21.070, F-D N° Lexbase : A02014GK, RTD civ., 2021, p. 479.

[5] Sur ce point, nous renvoyons à l’intervention de E. Tamion, L'assistance et la représentation devant le juge judiciaire du contentieux de la Sécurité sociale et de l'admission à l'aide sociale, Lexbase Social, juillet 2022, n° 914 N° Lexbase : N2170BZE.

[6] CPC, art. 930-1 N° Lexbase : L7249LE9.

[7] CPC, art. 930-2 N° Lexbase : L6687LEE.

[8] Cass. soc., 2 février 2022, n° 19-21.810, F-B N° Lexbase : A14057LM, JCP S, 2022, p. 1069, note S. Brissy.

[11] CPC, art. 911-1, al. 3 N° Lexbase : L7243LEY.

[14] Cass. civ. 2, 6 décembre 2018, n° 17-27.206, F-P+B N° Lexbase : A7887YPS. Le point de départ n’est pas l’édition du fichier récapitulatif reprenant les données du message de l’appelant.

[16] Cass. civ. 2, 9 janvier 2020, n° 18-24.107, F-P N° Lexbase : A47393AR.

[18] Ce délai ne court pas en cas de nullité de la signification des conclusions de l’appelant (Cass. civ. 2, 1er février 2018, n° 16-27.322, F-P+B N° Lexbase : A4731XC9).

[20] Ass. plén., 5 décembre 2014, n° 13-27.501, publié N° Lexbase : A8235M4R. Cette solution jurisprudentielle a été codifiée : CPC, art. 906, al. 3 N° Lexbase : L7238LES.

[22] CE, 1e-6e ch. réunies, 13 juillet 2011, n° 336360 N° Lexbase : A0276HW7.

[23] Cass. civ. 2, 22 mars 2018, n° 17-12.049, F-D N° Lexbase : A8023XHM. V. aussi : Cass. civ. 2, 24 septembre 2015, n° 13-28.017, F-P+B N° Lexbase : A8173NPE.

[24] Cass. soc., 8 décembre 2021, n° 19-22.810, FS-B N° Lexbase : A46117EI, JCP S, 2022, p. 1008, note Y. Pagnerre ; RDT, 2022, p. 116, note S. Mraouahi.

[25] En 2016 : 15,5 % (248 déclarations), 3ème cause de sinistralité ; en 2017 : 20,4 % (370 déclarations), 2ème cause de sinistralité ; en 2018, 25 % (chiffres issus de la société de courtage des barreaux).

[26] L’intimé peut invoquer une atteinte aux droits de la défense, car il n’est pas en mesure d’appréhender les critiques de l’appelant.

[27] Cf. infra IV.

[28] CPC, art. 954, al. 5 N° Lexbase : L7253LED.

[29] Cass. civ. 2, 30 janvier 2020, n° 18-22.528, FS-P+B+I [LXB=89403C4], D., 2020, p. 1065, obs. S. Lemoine et E. de Leiris.

[30] Cass. civ. 2, 16 octobre 2014, n° 13-22.088, F-P+B N° Lexbase : A6522MY9 ; Cass. civ. 2, 1er juin 2017, n° 16-14.300, FS-P+B+I N° Lexbase : A8538WEX.

[31] Cass. civ. 2, 19 novembre 2020, n° 19-13.642, F-P+B+I N° Lexbase : A944934Q, Procédures, 2022, comm. 1, note R. Laffly. V. aussi : Cass. civ. 2, 25 mars 2021, n° 20-12.037, F-P N° Lexbase : A68084M4.

[33] CPC, art. 914 N° Lexbase : L7247LE7. À partir de sa désignation et jusqu’à la clôture de l’instruction, le CME est seul compétent pour prononcer la caducité de l’appel, déclarer l’appel irrecevable, déclarer irrecevables les conclusions du fait du non-respect des délais, statuer sur le non-respect de l’obligation d’avoir recours au RPVA.

[34] Cass. civ. 2, 10 juin 2021, n° 20-10.522, F-P N° Lexbase : A54664UY, Procédures, 2021, comm. 317, note S. Amrani Mekki. La cour d’appel censurée avait prononcé l’irrecevabilité de la déclaration de saisine remise au greffe en version papier en relevant qu’aucune panne n’affectait la clé RPVA de l’avocat, ce qui lui permettait de l’utiliser via un autre ordinateur connecté à Internet, comme celui de l’ordre ou d’un confrère.

[35] Cass. civ. 2, 16 novembre 2017, n° 16-24.864, FS-P+B+I N° Lexbase : A1935WZP : « aucune disposition n’impose aux parties de limiter la taille de leurs envois à la juridiction ou de transmettre un acte de procédure en plusieurs envois scindés ».

[36] Cass. civ. 2, 25 mars 2021, n° 20-10.654, F-P N° Lexbase : A67324MB.

[37] Arrêté du 20 mai 2020, relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d’appel N° Lexbase : L1630LXN.

[38] Cette date correspond à l’entrée en vigueur des nouveaux articles 562 N° Lexbase : L7233LEM et 901 N° Lexbase : L5914MBN du Code du procédure civile, issus du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile N° Lexbase : L2696LEL.

[39] Circulaire du 4 août 2017, interprétant le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 N° Lexbase : L6244LGD : « dans la mesure où le RPVA ne permet l’envoi que de 4 080 caractères, il pourra être annexé à la déclaration d’appel une pièce jointe la complétant afin de lister l’ensemble des points critiqués du jugement. Cette pièce jointe, établie sous forme de copie numérique, fera ainsi corps avec la déclaration d’appel. L’attention du greffe et de la partie adverse sur l’existence de la pièce jointe pourra opportunément être attirée par la mention de son existence dans la déclaration d’appel ».

[40] Cass. civ. 2, 13 janvier 2022, n° 20-17.516, FS-B N° Lexbase : A14867IU, D., 2022 p. 325, note M. Barba ; Dalloz actualité, 20 janvier 2022, obs. R. Laffly ; Procédures, 2022, repère 4, obs. H. Croze ; Procédures, 2022, comm. 53, note. S. Amrani Mekki.

[41] Cf. not. le courrier du CNB adressé au Ministère le 18 janvier 2022 pour demander la suppression de la limitation du nombre de 4 080 caractères dans la déclaration d’appel du RPVA et à défaut de pouvoir y faire droit, de modifier l’article 901 du Code de procédure civile afin d’autoriser l’annexion d’un document listant les chefs de jugement attaqués.

[42] La déclaration d’appel, nulle, erronée ou incomplète, peut être régularisée par une nouvelle déclaration d’appel, dans le délai pour conclure (Cass. civ. 2, 19 novembre 2020, n° 19-13.642, F-P+B+I N° Lexbase : A944934Q).

[43] Décret n° 2022-245 du 25 février 2022, favorisant le recours à la médiation, portant application de la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire et modifiant diverses dispositions N° Lexbase : L5564MBP ; arrêté du 25 février 2022, modifiant l’arrêté du 20 mai 2020, relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d’appel N° Lexbase : L5628MB3, Dalloz actualité, 3 mars 2022, obs. Ch. Lhermitte ; Dalloz actualité, 8 mars 2022, obs. N. Fricéro.

[44] Cass. civ. 2, 12 mai 2016, n° 14-25.054, FS-P+B N° Lexbase : A0787RPT ; Cass. civ. 2, 10 décembre 2020, n° 19-22.609 F-P+B+I N° Lexbase : A5892394.

[46] CPC, art. 910-4, al. 2.

[47] Elles formulent expressément les prétentions des parties, ainsi que les moyens de fait et de droit sur lesquelles chacune de ces prétentions est fondée.

[48] CPC, art. 954 N° Lexbase : L7253LED. Elles reprennent les prétentions et moyens contenus dans les précédentes conclusions, faute de quoi ils sont réputés abandonnés.

[49] Cass. civ. 2, 31 janvier 2019, n° 18-10.983, F-D N° Lexbase : A9839YUX : les conclusions d’appel qui ne précisent pas dans leurs dispositifs qu’elles demandent l’infirmation ou l’annulation du jugement ne remplissent pas les conditions de l’article 954 du Code procédure civile et ne peuvent dès lors pas remplir les exigences de l’article 908 du même Code N° Lexbase : L7239LET (lire A. Guyonnet, Objet du litige ou objet de l’appel ?, Gaz. Pal., 5 novembre 2019, p. 40).

[50] Cass. civ. 2, 17 septembre 2020, n° 18-23.626, FS-P+B+I N° Lexbase : A88313TA, Procédures 2020, comm. 190, note R. Laffly ; D., 2020, p. 2046, comm. M. Barba ; RTD civ., 2021, p. 479, obs. N. Cayrol. V. aussi Cass. civ. 2, 20 mai 2021, 2 arrêts, n° 19-22.316 N° Lexbase : A25334SM et n° 20-13.210 N° Lexbase : A25324SL, F-P, D., 2021, p. 1217, obs. M. Barba ; Procédures, 2021, comm. 186, note R. Laffly.

[51] Cass. civ. 2, 4 février 2021, n° 19-23.615, F-P+I N° Lexbase : A81614EY, D., 2021, p. 543, obs. N. Fricero ; Procédures, 2021, comm. 92, note S. Amrani Mekki.

[52] Cass. civ. 2, 17 septembre 2020, préc., point 5. V. aussi : Cass. civ. 2, 10 juin 2021, n° 20-10.102 N° Lexbase : A93394UG.

[53] Cass. civ. 2, 1er juillet 2021, n° 20-10.694, F-B N° Lexbase : A20054YW, Dalloz actualité, 23 juillet 2021, obs. Ch. Lhermitte ; AJ fam., 2021, p. 505, obs. J. Casey ; JCP G, 2021, p. 932, note R. Laffly.

[54] Cass. civ. 1, 6 mars 2019, n° 18-12.110, F-D N° Lexbase : A0130Y39.

[55] Cass. civ. 2, 9 septembre 2021, n° 20-17.263, F-B N° Lexbase : A252744D, D., 2021, p. 1848, obs. M. Barba ; Dalloz actualité, 24 septembre 2021, obs. R. Laffly ; JCP G, 2021, p. 1228, obs. D. d’Ambra ; Procédures, 2021, comm. 288, note S. Amrani Mekki. Cet arrêt est un peu à part puisque le dispositif des conclusions de l’appelant était totalement défaillant : ni infirmation, ni annulation, ni même prétentions au dispositif.

[56] Cass. civ. 2, 4 novembre 2021, n° 20-15.757, 20-15.776, 20-15.778 et 20-15.787, F-B N° Lexbase : A07267BI, D., 2022, p. 96, obs. M. Barba ; Procédures, 2022, comm. 2, note R. Laffly.

[57] Cass. civ. 2, 3 mars 2022, n° 20-20.017, F-B N° Lexbase : A24677P3, Dalloz actualité, 12 mars 2022, obs. Ch. Lhermitte ; Procédure, 2022, comm. 117, note. R. Laffly.

[58] CPC, art. 901, al. 4 N° Lexbase : L5914MBN.

[59] CPC, art. 954, al. 2 N° Lexbase : L7253LED.

[60] Cass. civ. 2, 1er juillet 2021, n° 20-10.694, préc..

[61] N. Cayrol, note préc..

[62] Cons. const., décision n° 2017-623 QPC du 7 avril 2017 N° Lexbase : A3926UXP, § 23.

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