La lettre juridique n°913 du 7 juillet 2022 : Régimes matrimoniaux

[Jurisprudence] CCM, logement & capital personnel : le cas du compte courant d’associé

Réf. : Cass. civ. 1, 9 juin 2022, n° 20-21.277, F-B N° Lexbase : A790674L

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N2100BZS

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par Jérôme Casey, Maître de conférences à l’Université de Bordeaux, Avocat associé au Barreau de Paris, Directeur scientifique de l’Ouvrage « Droit des régimes matrimoniaux »

le 08 Juillet 2022

Mots-clés : régimes matrimoniaux • séparation de biens • contribution aux charges du mariage (CCM) • logement familial • bien indivis • apport en capital • fonds personnels • dépenses d’acquisition • dépenses d’amélioration  

Sauf convention contraire des époux, l'apport en capital de fonds personnels, effectué par un époux séparé de biens pour financer, la part de l'autre lors de l'acquisition (ou encore l'amélioration, par voie de construction) d'un bien indivis affecté à l'usage familial, ne participe pas de l'exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage.


 

(i) Il résulte de ce texte que, sauf convention contraire des époux, l'apport en capital de fonds personnels, effectué par un époux séparé de biens pour financer la part de l'autre lors de l'acquisition d'un bien indivis affecté à l'usage familial, ne participe pas de l'exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage.
Pour rejeter la demande de créance de M. [M] au titre de l'acquisition de l'appartement de [Localité 3], après avoir constaté que l'immeuble avait été financé pour partie au moyen d'un apport en capital provenant d'un compte courant d'associé de celui-ci, l'arrêt relève que le contrat de mariage des époux stipule que chacun sera réputé avoir fourni au jour le jour sa part contributive, en sorte qu'ils ne seront assujettis à aucun compte entre eux, que l'importante disparité de revenus entre eux devait conduire M. [M] à contribuer de façon plus importante aux charges du mariage, que Mme [K] alimentait aussi le compte commun par le versement de ses allocations chômage et familiales, que l'immeuble avait constitué le domicile conjugal et qu'ainsi les paiements effectués par M. [M] participaient de son obligation de contribuer aux charges du mariage, sans dépasser une contribution normale.
En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé
[C. civ., art. 214 N° Lexbase : L2382ABT].

(ii)  Il résulte de ce texte [C. civ., art. 214] que, sauf convention contraire des époux, l'apport en capital de fonds personnels, effectué par un époux séparé de biens pour financer l'amélioration, par voie de construction, d'un bien indivis affecté à l'usage familial, ne participe pas de l'exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage.
Pour rejeter la demande de créance de M. [M] au titre du financement d'une partie des travaux de la maison sise à […], après avoir constaté que celui-ci justifiait sa demande par la production de la copie d'un chèque tiré sur son compte bancaire au bénéfice du promoteur, l'arrêt retient que les explications données à propos de l'appartement de [Localité 3] doivent encore recevoir application.
En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Observations. Pour ceux qui douteraient du pouvoir créateur de la jurisprudence, la présente décision constituera un beau démenti. En effet, l’arrêt rapporté est la preuve de ce que la Cour de cassation entend continuer à forger le régime de sa jurisprudence que nous avons baptisée dès 2013 « CCM & Logement », puisqu’elle porte (en régime de séparation de biens) sur l’incidence de la contribution aux charges du mariage sur le financement du logement (et autres biens assimilés au logement en raison de leur destination familiale). Nous en rendons d’ailleurs compte très régulièrement dans ces colonnes, au rythme des différents arrêts et des précisions qu’ils apportent (v. notamment, Cass. civ. 1, 3 octobre 2018, n° 17-25.858, F-D N° Lexbase : A5433YEX ; Cass. civ. 1, 5 décembre 2018, n° 18-10.488, F-D N° Lexbase : A7877YPG ; pour une analyse détaillée, v. J. Casey, Sommaires de jurisprudence - Droit des régimes matrimoniaux (année 2018) - Première partie, obs. n° 17, Lexbase Droit privé, janvier 2019, n° 769 N° Lexbase : N7341BX8 ; Cass. civ. 1, 18 novembre 2020, n° 19-15.353, FS-P+B N° Lexbase : A506837T ; pour bien comprendre l’articulation globale des solutions, v. J. Casey, Sommaires de droit des régimes matrimoniaux (septembre 2020 - décembre 2020), obs. n° 10, Lexbase Droit privé, janvier 2021, n° 850 N° Lexbase : N6084BYY).

Au cas présent, deux questions sont tranchées par la Cour de cassation :

1.    Un compte courant d’associé constitue-t-il un « apport personnel » au sens où les arrêts précédents de la première chambre civile l’ont entendu ?

2.    Les dépenses d’amélioration sont-elles soumises, comme les dépenses d’acquisition, à l’absence de blocage par la contribution aux charges du mariage, dès lors qu’elles sont réglées avec du capital personnel ?

La Cour de cassation apporte une réponse affirmative dans les deux cas, ce qui n’est guère surprenant.

I. Un compte courant d’associé peut être un « apport personnel »

On sait que la Cour de cassation a décidé, par deux arrêts successifs, que les apports personnels sont toujours remboursés lorsqu’ils financent un bien immobilier à vocation familiale (Cass. civ. 1, 3 octobre 2019, n° 18-20.828, FS-P+B+I N° Lexbase : A4983ZQM ; obs. J. Casey ; Cass. civ. 1, 17 mars 2021, n° 19-21.463, FS-P N° Lexbase : A88744LA, AJ fam. 2021. 314, obs. J. Casey ; D. 2021. 631 ; ibid. 819, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; ibid. 1784, chron. V. Champ, C. Dazzan, S. Robin-Raschel, S. Vitse, V. Le Gall, X. Serrier, J. Mouty-Tardieu, E. Buat-Ménard et A. Feydeau-Thieffry ; AJDI 2021. 383). Cela a encore été répété récemment, mais dans une affaire très particulière, où le mari n’avait que du capital personnel et aucun revenu (Cass. civ. 1, 9 février 2022, n° 20-14.272, F-D N° Lexbase : A06507NE : la cassation est prononcée, car la cour d’appel n’a pas caractérisé l’existence d’une convention, fût-elle tacite, entre les époux pour que la contribution aux charges du mariage se fasse en capital).

L’originalité de la présente décision tient au fait que le capital personnel utilisé était non pas une somme provenant d’une succession ou d’une donation (ou de deniers antérieurs au mariage), mais d’une créance en compte courant d’associé. Il s’agissait donc d’une somme provenant du remboursement de ce compte courant. La nature personnelle de cette somme ne peut faire de doute, compte tenu de la nature du compte courant d’associé. En effet, on sait qu’un tel compte s’analyse en une forme de prêt à la société (Cass. com., 18 novembre 1986, n° 84-13.750, publié au bulletin N° Lexbase : A6110AAK), qui constitue d’ailleurs un actif disponible de celle-ci tant que son remboursement n’a pas été demandé ou qu’il n’est pas bloqué (Cass. com., 12 mai 2009, n° 08-13.741, F-D N° Lexbase : A9786EGK ; Cass. com., 10 janvier 2012, n° 11-10.018, F-D N° Lexbase : A8083IAM, Bull. Joly 201. 295, note F.-X. Lucas). En revanche, une fois le remboursement du compte demandé, celui-ci devient du passif, exactement comme si la société remboursait une dette d’emprunt ordinaire exigible.

Or, si l’on considère les choses sous l’angle du créancier, il ne fait aucun doute que le paiement monétaire d’une créance personnelle ne peut être, par l’effet de la subrogation réelle, que créateur d’une somme d’argent de même nature que la créance que ce paiement a éteinte. De sorte que, la créance étant, au regard du régime matrimonial, constitutive d’un bien personnel du temps du prêt à la société, le capital issu du paiement effectué par la société débitrice constituera lui aussi un bien personnel au regard des qualifications du régime séparatiste. Il ne pouvait donc faire de doute, en l’espèce, que le paiement effectué par Romeo avec les capitaux provenant du remboursement de son compte courant d’associé était constitutif d’un « apport personnel » au sens de la jurisprudence du 3 octobre 2019 précitée.

Les juges du fond, qui ont bien indiqué que l’acquisition de l’appartement par Romeo s’est faite avec un apport en capital provenant d’un compte courant d’associé, n’ont cependant strictement tiré aucune conséquence de cette constatation. Pour eux, cela était indifférent dès lors que le contrat de mariage prévoyait la « grande » clause sur la contribution et qu’il existait une grosse disparité de revenus entre les époux et que Juliette déposait aussi ses revenus sur le compte joint du ménage. L’erreur était manifeste. Les juges du fond étaient focalisés sur une éventuelle surcontribution du mari (pour l’écarter) alors que le débat n’était pas du tout là. Il était dans la qualification à donner au paiement de Romeo, réalisé avec le capital provenant du remboursement d’un compte courant d’associé. C’est donc avec raison que le pourvoi a replacé le débat là où il devait être : le paiement du mari avec des deniers personnels, n’entre pas dans le champ de la contribution aux charges du mariage (et donne donc lieu à remboursement).

Ainsi, la présente décision contribue à affiner une branche de la jurisprudence « CCM & Logement », qui est celle portant sur la notion de capital personnel. On sait désormais, positivement :

  • que constitue un capital personnel toute somme provenant du prix de vente d’un bien personnel (v., Cass. civ. 1, 3 octobre 2019, prec.) ; c’est à cette catégorie que se rattache la présente décision, et c’est son apport majeur, lequel doit être souligné ;
  • que constitue un capital personnel toute somme provenant de deniers personnels qui ne proviennent pas de l’aliénation d’un bien personnel, donc des deniers personnels économisés, ou provenant d’une donation, succession, ou présents au jours du mariage (v., Cass. civ. 1,17 mars 2021, prec.).

Mais on sait aussi, négativement :

  • que ne constituent pas un capital personnel les deniers provenant d’un tel capital, dès lors qu’il existe une convention (le plus souvent tacite), explicable par la nature des faits, par laquelle l’époux solvens a marqué son accord de contribuer aux charges du mariage en puisant dans son capital personnel, et ceci en l’absence de tous revenus personnels (v., Cass. civ. 1, 9 février 2022, prec., sol. impl.).

On voit ainsi se dessiner les contours d’une sous-catégorie de la jurisprudence « CCM & Logement », et c’est donc la notion de capital personnel qui est précisée. Ainsi, est encore un peu plus clarifiée la notion de deniers personnels issus d’un tel capital, par opposition aux revenus, qui sont constitués aussi de deniers personnels, mais qui ne seront pas remboursés, les revenus entrant dans la catégorie des charges du mariage. Tout ceci est fort logique et ne peut qu’être approuvé.

II. Les dépenses d’amélioration entrent dans le champ de la jurisprudence « CCM & Logement »

Ce point nous retiendra moins longuement, tant il est évident. En l’espèce, les juges du fond ont refusé le remboursement à Romeo aux motifs que les deniers personnels utilisés provenaient d’un compte bancaire personnel à Romeo mais que « les explications données à propos de l'appartement de [Localité 3] doivent encore recevoir application ». Or, une lecture attentive de l’arrêt révèle que l’appartement de la « Localité 3 » est celui acquis pour partie avec les deniers provenant du paiement du compte courant d’associé, dont nous avons expliqué ci-dessus ce que l’on peut en penser. Autrement dit, les juges du fond ne voulaient pas rembourser Romeo pour les dépenses d’amélioration car pour eux la source du financement ne le justifiait pas, ainsi qu’il a été vu. Une telle position était intenable. Dès lors qu’il est jugé que le compte courant d’associé constitue un capital personnel, le paiement de dépenses d’amélioration au moyen de deniers provenant d’un compte bancaire alimenté par le remboursement de ce compte courant d’associé doit obligatoirement connaître le même dénouement. Ainsi, ces dépenses d’amélioration ont nécessairement été payées avec du capital personnel, et, partant, doivent être remboursées à l’époux solvens puisque ces sommes n’entrent pas dans le champ de la contribution aux charges du mariage, ainsi que cela a été développé ci-dessus.

Quant à dire que la nature des dépenses (dépenses d’amélioration) constituerait une surprise, il n’en est rien. Cela fait un moment déjà que la Cour de cassation les inclut dans le champ de sa jurisprudence « CCM & Logement », au même titre que les dépenses d’acquisition (v., déjà en ce sens, Cass. civ. 1,  18 janvier 2017 n° 15-28.164, F-D N° Lexbase : A7185S9Y, travaux d’installation dans le logement familial ; Cass. civ. 1, 18 janvier 2017, n° 15-28.965, F-D N° Lexbase : A7075S9W, travaux dans un pavillon). Cela est parfaitement logique : qui peut le plus peut le moins. Si l’on bloque le remboursement du patrimoine prêteur pour des dépenses d’acquisition, a fortiori doit-il en aller de même pour des dépenses d’amélioration, qui sont souvent moins coûteuses. En outre, dans les deux cas, il s’agit du logement de la famille (ou d’un bien à usage familial) et les deux types de dépenses participent du même but : loger correctement la famille. À quoi servirait-il d’aider à l’acquisition du logement, si c’était pour le laisser en mauvais état ? Ce qui prime, de toute évidence, c’est la participation financière à la vie commune, et cela sans faire de compte précisément parce que c’est un logement à vocation familiale. Peu importe alors la nature des dépenses, qu’elles soient d’acquisition ou d’amélioration. On remarquera enfin que c’est aussi cette logique qui prévaut pour les concubins (v., not., Cass. civ. 1, ,9 février 2022, n° 20-22.533, F-D N° Lexbase : A06427N4, la censure est encourue car les juges du fond n’ont pas recherché si la participation du solvens aux dépenses de construction du logement de la famille ne relevait pas des dépenses de la vie commune).

À retenir : au total, l’arrêt commenté doit recevoir une pleine approbation. On notera précieusement en carnet son message principal : financer le logement de la famille (en acquisition ou en amélioration, peu importe) via le capital perçu du remboursement d’un compte courant d’associé, relève de la notion de « capital personnel » telle qu’entendue par l’arrêt du 3 octobre 2019 (et ses suites). 

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