La lettre juridique n°913 du 7 juillet 2022 : Social général

[Le point sur...] Les nouveaux lieux de travail : un cadre juridique à définir

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par Audrey Probst, Avocat, DSJ Avocats

le 06 Juillet 2022

Mots-clés : lieux de travail • télétravail • travail à distance • tiers-lieux • coworking • obligations de l'employeur • santé et sécurité au travail • exécution du contrat de travail

L’expérience du confinement lié à la crise sanitaire et la mise en place d’un télétravail à grande échelle au domicile des salariés a ouvert de nouveaux horizons pour les lieux de travail. L’activité d’une entreprise ne se concentre plus exclusivement entre ses murs mais aussi, et de plus en plus, dans d’autres lieux. Les changements induits par la diversification des lieux de travail sont vertigineux, et vont bien au-delà de la simple question du lieu physique d’exécution du travail. Décryptage des enjeux.


De la révolution industrielle, avec l’apparition des usines, jusqu’à l’avènement du secteur tertiaire et ses grands centres d’affaires, la vie économique et sociale s’est organisée autour des lieux d’implantation des entreprises. Cette réalité est encore d’actualité pour la plupart des salariés, devant se rendre quotidiennement dans les locaux de leur employeur pour y accomplir leur prestation de travail. Mais l’expérience du confinement lié à la crise sanitaire et la mise en place d’un télétravail à grande échelle au domicile des salariés a ouvert de nouveaux horizons.

Ceux occupant des tâches télétravaillables ont vite compris les avantages qu’ils pouvaient en tirer : absence de trajet quotidien domicile-lieu de travail, engendrant un gain de temps et financier, liberté dans l’organisation de l’espace de travail, meilleure conciliation entre la vie professionnelle et personnelle, etc. Pour certains, la perspective d’une pérennisation du travail à distance leur fait même entrevoir la possibilité d’un changement de vie personnelle, dans un cadre plus en adéquation avec leurs aspirations, à la campagne, au bord de mer, à la montagne, ou encore dans une ville permettant de concilier l’activité du conjoint et un meilleur épanouissement des enfants. La possibilité de travailler depuis un lieu de vacances ou de loisir n'est aujourd’hui plus une utopie [1]. Des entreprises du secteur du tourisme n’ont d’ailleurs pas mis longtemps à s’adapter à cette nouvelle manne de clientèle [2]. Fleurissent également un peu partout dans l’hexagone, des espaces de coworking, et même désormais des « tiers-lieux », favorisant les interactions sociales entre citoyens venant d’horizons divers, pour s’enrichir personnellement et « faire ensemble ». Le rôle « facilitateur » des tiers-lieux, et les perspectives de développement qu’ils offrent, sont encouragés par les pouvoirs publics [3], qui y voient un tremplin pour l’insertion professionnelle, la formation professionnelle, la transmission des « savoir-faire », et la mobilité tant fonctionnelle que géographique des travailleurs.

Parallèlement, avec les perspectives du métavers [4], et la possibilité d’une (véritable) immersion en 3D dans l’entreprise, le don d’ubiquité pourrait bientôt devenir palpable : l’avatar restant au bureau avec ses collègues, alors que le salarié peut être physiquement à peu près n’importe où dans le monde…

Les changements induits par la diversification des lieux de travail sont vertigineux, et vont bien au-delà de la simple question du lieu physique d’exécution du travail.

L’entreprise de demain pourra difficilement ignorer ces changements, au risque de devenir moins attractive sur le marché de l’emploi, moins agile et moins innovante que ses concurrents. Un des freins à ces changements reste toutefois, pour les entreprises et leurs salariés, les incertitudes juridiques existantes principalement :

  • sur les obligations de l’employeur en matière de santé et de sécurité (I.) ;
  • et sur les conséquences juridiques et managériales sur l’exécution du contrat de travail (II.).

Faisons le point.

I. Nouveaux lieux de travail : les obligations de l’employeur en matière de santé et de sécurité

L’intérêt d’une ouverture de l’entreprise à de nouveaux lieux de travail peut laisser perplexe notamment en raison de l’inadéquation de la règlementation en matière de santé et de sécurité. Une clarification de la règlementation serait à cet égard bienvenue (A.).

Néanmoins, l’application du principe général de prévention des risques, par sa généralité, permet d’assurer efficacement la protection des salariés. Ce devoir de prévention ne doit donc pas être négligé par les entreprises (B.)

A. L’application de la règlementation des lieux de travail en question

Dans le cadre d’une organisation traditionnelle de l’entreprise, le lieu de travail des salariés se situe dans les locaux de l’employeur, que ces locaux lui appartiennent ou qu’il en est l’usage. L’employeur organise alors les postes de travail directement sous sa responsabilité, selon une règlementation très dense visant à assurer la sécurité physique des travailleurs (aération, assainissement, éclairage, ambiance thermique, aménagement des postes de travail, installations électriques, risque incendie et d’explosion, évacuation).

L’article R. 4221-1 du Code du travail N° Lexbase : L3224IAN réserve l’application de cette règlementation aux « lieux destinés à recevoir des postes de travail situés ou non dans les bâtiments de l'établissement, ainsi que tout autre endroit compris dans l'aire de l'établissement auquel le travailleur a accès dans le cadre de son travail ». L’application de cette règlementation dans des lieux qui ne sont pas situés dans l’air de l’établissement de l’entreprise, et qui ne sont pas, principalement, destinés à recevoir des postes de travail, pose question.

S’agissant des divers lieux que certains salariés investissent pour travailler, alors que ces lieux ne sont pas « destinés à recevoir des postes de travail » (trains, gares, aéroports, restaurants, chambres d’hôtel, etc.), il apparait évident d’exclure l’application de la règlementation sur la conception et l’utilisation des lieux de travail, codifiée aux articles R. 4221-1 et suivants du Code du travail, quand bien même le salarié travaillerait habituellement dans ces conditions.

À l’inverse, au sein des espaces de coworking, les bureaux sont généralement conçus et utilisés comme au sein de l’entreprise. L’abonnement pris par une entreprise à un ou plusieurs espaces de coworking lui impose dès lors de vérifier que l’espace de travail répond bien aux exigences règlementaires.

Pour d’autres lieux, en revanche, l’analyse est plus incertaine.

S’agissant du domicile du salarié, qui reste avant tout un domicile privé, et qui n’est pas « destiné » à recevoir des postes de travail, ni a fortiori à être un lieu où l’employeur est établi, l’application de la règlementation en matière d’hygiène et de sécurité apparait inapplicable en droit (sous réserve de l’interprétation des juges) et en pratique (la réglementation étant totalement inadaptée et l’employeur n’ayant en tout état de cause, pas les moyens de vérifier de son propre chef la bonne application de cette règlementation). Les mêmes remarques s’appliquent que le domicile soit stable ou temporaire (résidence de vacances, location à la journée d’un appartement, etc.).

L’Accord national interprofessionnel du 26 novembre 2020 sur le télétravail entretient toutefois une ambiguïté sur l’étendue des obligations de l’employeur, en précisant que les dispositions en matière de santé et de sécurité sont applicables aux télétravailleurs, sans toutefois préciser lesquelles, et tout en affirmant qu’il doit néanmoins être tenu compte « du fait que l’employeur ne peut avoir une complète maîtrise du lieu dans lequel s’exerce le télétravail et de l’environnement qui relève de la sphère privée » [5]. Dans l’incertitude, certaines entreprises continuent d’exiger du salarié qu’il consacre une partie de son domicile à son activité professionnelle, effectue un diagnostic d’électricité, et même parfois de pouvoir visiter le domicile du salarié pour vérifier les conditions de travail. Ces démarches apparaissent toutefois largement artificielles, le salarié restant maitre de l’usage de son propre domicile, protégé par le respect du droit à la vie privée. Une clarification du champ d’application de la règlementation pourrait dès lors être utile, afin de le cantonner aux lieux soumis à l’autorité de l’employeur, et éviter le risque d’une interprétation large des lieux « destinés à recevoir des postes de travail ».

S’agissant des tiers-lieux, comprenant, entre autres, des espaces de coworking, leur nature hybride implique qu’ils ont pour objet d’accueillir des postes de travail, mais également des ateliers, des campus, des animations, des marchés, des expositions…. Sont présentes dans ces lieux des entreprises, mais aussi des auto-entrepreneurs, des associations, des acteurs sociaux… L’objet des tiers-lieux étant de créer du lien social, le bouillonnement social recherché pourrait être réduit à néant par une règlementation trop rigide ou sujette à des interprétations rendant difficile l’évaluation du risque. Or, un employeur autorisant ses salariés à travailler régulièrement dans un tiers-lieu doit-il préalablement s’assurer de l’application de l’ensemble de la règlementation en matière d’hygiène de santé et de sécurité ou doit-on considérer que ce lieu n’est pas « destiné » par l’entreprise à recevoir des postes de travail ? Par ailleurs, comment appliquer dans un tel lieu, l’article L. 4121-5 du Code du travail N° Lexbase : L1456H9S qui dispose que « lorsque dans un même lieu de travail les travailleurs de plusieurs entreprises sont présents, les employeurs coopèrent à la mise en œuvre des dispositions relatives à la santé et à la sécurité au travail » ? Une réforme, permettant de clarifier l’application de la règlementation et rassurer les entreprises, serait également utile sur ce point.

La question devient encore plus épineuse lorsque le salarié est totalement libre de déterminer son lieu de travail [6]. Les textes règlementaires deviennent alors, de fait, inapplicables. Peut-on pour autant accepter de voir l’employeur se désintéresser des conditions dans lesquelles le salarié exécute sa prestation de travail ? Assurément non. 

L’évolution des lieux de travail, et l’inadaptation de la règlementation de ces lieux, nous poussent alors vers une logique de prévention, et une utilisation bien plus pertinente et efficace des articles L4121-1 et suivants du Code du travail.

B. L’importance de l’obligation de prévention

Avec le développement du numérique et l’éclatement des lieux de travail, l’obligation générale de prévention se montre être un bon outil juridique pour éviter les dérivent d’organisations du travail débridées et faisant fi de toutes les normes d’hygiène et de sécurité. 

L’obligation générale de prévention trouve en effet sa source dans l’existence même du contrat de travail et du lien de subordination juridique, indépendamment du lieu d’exécution du contrat.

Au sein de l’accord national interprofessionnel du 26 novembre 2020 sur le télétravail, les partenaires sociaux y ont d’ailleurs fait expressément référence, soulignant l’importance de la prise en compte du télétravail dans la démarche d’analyse de risques [7].

L’article L. 4221-1 du Code du travail N° Lexbase : L1548H99 impose, en effet, à l’employeur de « prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». Ces mesures comprennent des actions de prévention, d’information et de formation, ainsi que la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

Dans le cadre de son obligation de prévention, l'employeur doit notamment évaluer les risques (y compris dans le choix des équipements de travail, l'aménagement des lieux de travail, et l'organisation du travail), et à la suite de cette évaluation, mettre en œuvre les actions de prévention ainsi que des méthodes de travail garantissant un meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs (C. trav., art. L. 4121-3 N° Lexbase : L4413L7L). Il doit encore prendre en considération les capacités du salarié à mettre en œuvre les précautions nécessaires pour la santé et la sécurité (C. trav., art. L. 4121-4 N° Lexbase : L1454H9Q) et lui donner des instructions notamment sur les conditions d'utilisation des équipements de travail (C. trav., art. L. 4122-1 N° Lexbase : L1458H9U). Par ailleurs, l'employeur doit également informer les salariés sur les risques pour la santé et la sécurité et les mesures prises pour y remédier (C. trav., art. L. 4141-1 N° Lexbase : L6387IWH), et dispenser des formations appropriées [8]. L’Accord national interprofessionnel du 26 novembre 2020, pour une mise en œuvre réussie du télétravail, prévoit également une telle obligation de formation [9].

En conséquence, dès lors que l’employeur fait le choix d’une organisation du travail, ouvrant la possibilité pour les salariés de travailler à leur domicile ou dans tout lieu de leur choix, il doit :

  • évaluer le risque que comporte une telle organisation sur la santé et la sécurité des salariés, tant physique (ergonomie du poste de travail, écran, casque audio ou de réalité virtuelle…) que psychologique (isolement, stress, décloisonnement de la vie privée et professionnelle…) ;
  • mettre en œuvre les actions de prévention des risques identifiés ;
  • informer les salariés concernés des risques et des actions de prévention ;
  • et donner des instructions claires aux salariés en prenant en considération leur capacité à appréhender ces risques. 

Il peut être également utilement rappelé au salarié qu’il est également acteur et responsable de sa propre santé et sécurité.

En pratique, il convient de noter que la gestion du risque varie selon l’organisation du travail décidée par l’employeur. Les risques d’une organisation du travail à distance seront naturellement plus élevés dans une entreprise en « full remote » (100 % télétravail), que dans une entreprise n’autorisant le télétravail qu’un ou deux jours par semaine. L’appréciation du risque ne sera également pas la même selon que les salariés sont libres ou contraints, même certains jours seulement, de télétravailler, et selon les outils informatiques et technologiques mis en place. L’analyse des risques et l’élaboration des mesures de prévention doit ainsi se faire au cas par cas, au plus près de l’organisation choisie par l’entreprise.

Lorsque ce travail de prévention a bien été exécuté en amont et que les mesures de prévention sont effectivement appliquées, y compris par la ligne managériale, l’employeur pourra être en capacité de démontrer qu’il a pris toutes les mesures nécessaires pour évaluer les risques d’accident, de maladie professionnelle et les risques psychosociaux, et éviter leur survenance.

Face à la diversification des modes d’organisation des entreprises et à la multiplication des lieux de travail, l’obligation de prévention devient ainsi la pierre angulaire de la protection de la santé et de la sécurité des salariés.

II. Nouveaux lieux de travail : les conséquences sur l’exécution du contrat de travail

La diversification des lieux de travail, rendue possible par les rapides innovations technologiques, entraine des conséquences juridiques et managériales multiples sur l’exécution du contrat de travail. Celles-ci doivent faire l’objet d’une analyse en amont par l’employeur, afin que l’expérimentation ne tourne pas au cauchemar. Outre la question de la prévention de la santé et de la sécurité des salariés, les parties au contrat de travail auront à veiller notamment aux éléments suivants.

A. Contractualisation du travail à distance

Le travail à distance, qu’il soit effectué depuis le domicile ou tout autre lieu, donne lieu à une contractualisation de ce mode d’organisation, empêchant toute modification sans l’accord du salarié, à défaut de clause de « réversibilité » valable.

L’organisation d’un travail à distance est, en effet, selon la Cour de cassation, nécessairement contractualisée [10]. En cas de litige sur l’accord convenu, les juges disposent d’un pouvoir d’interprétation. Il a, par exemple, été jugé qu’en cas d’accord sur un « télétravail exceptionnel », le terme « exceptionnel » doit être entendu comme un mode dérogatoire de l’exécution du contrat, et non comme une autorisation temporaire, ce qui implique que l’employeur ne peut pas valablement mettre fin au télétravail de manière unilatérale sans l’accord du salarié [11]. De même, le rythme du télétravail est également contractualisé, et il n’est dès lors pas possible pour l’employeur de modifier ce rythme unilatéralement, au risque de bouleverser l’économie générale du contrat [12]. Le refus du salarié n’est alors aucunement fautif [13].

B. Coûts du travail à distance

Si le travail à distance peut permettre une économie de certains coûts (immobilier, aménagement des locaux, frais d’entretien…), il en entraine d’autres qui doivent être évalués : location des espaces de coworking, frais de télétravail [14], indemnité d’occupation du domicile [15], prise en charge des abonnements à des transports collectifs [16], éventuelle compensation des temps de déplacement inhabituels [17]...

Sur ces questions, l’accord sur l’organisation du travail à distance peut alors utilement fixer les règles d’indemnisations des salariés, dans le respect des dispositions légales [18].

C. Organisation du travail à distance et contrôle de l’activité

L’ouverture de l’entreprise à de nouveaux lieux de travail ne dispense pas l’employeur d’organiser collectivement et individuellement l’activité des salariés. L’employeur conserve naturellement son pouvoir de direction et du choix d’organisation de l’entreprise. Cette organisation doit alors s’effectuer dans le respect des temps de travail et de repos, ainsi que du droit à la déconnexion [19]. À cet égard, il convient de rappeler qu’un travail à distance ne modifie pas le mode de décompte et de contrôle de la durée du travail [20]. L’employeur doit donc fixer, en amont, les règles de communication et de contrôle de l’activité et du temps de travail, de tous les salariés, et y compris de ceux exerçant à distance.

D. Confidentialité et vie privée

À distance, la communication devra s’organiser via les outils technologiques (téléphone, courriels, chat, vidéo, immersion 3D, signature électronique …). Or, l’utilisation de ces outils nécessite, du fait de leur nature, une étude d’impact RGPD [21], du système de contrôle de l’activité dont les salariés doivent être informés [22] dans le respect de leur doit à la vie privée.

Bien évidemment, il convient également de ne pas négliger la question de la confidentialité des données traitées par les salariés. Outre la sécurisation du système d’information, le risque d’atteinte à la sécurité et à la confidentialité des données de l’entreprise devra ainsi être apprécié au regard des possibilités laissées aux salariés de travailler dans un autre lieu que les locaux de l’entreprise, et en présence de personnes étrangères à l’entreprise (voir travaillant pour une entreprise concurrente).

L’ouverture de l’entreprise à de nouveaux lieux de travail peut ainsi se révéler délicate pour les entreprises de secteurs sensibles (banque, assurance, santé, défense nationale…) et pour certains postes nécessitant de traiter de données sensibles, stratégiques ou hautement confidentielles.

E. Le management, la mobilité et la fidélisation de la main-d’œuvre

L’exercice d’un travail à distance et l’utilisation des outils de télécommunication favorisent les modes de management horizontaux et participatifs. La co-construction, voire l’intra-entreprenariat, est en outre recherchée dans les tiers-lieux, dont l’un des objectifs est de favoriser l’innovation par les interactions sociales. Bien maitrisé, ce type d’organisation peut alors présenter de formidables atouts tant pour les entreprises que pour les salariés. 

Ces atouts doivent toutefois être mis en balance avec, d’une part, le risque de remise en cause de la cohésion sociale dans l’entreprise. Des tensions sociales peuvent en effet apparaitre lorsque le travail à distance n’est possible que pour certains alors que d’autres devront continuer, chaque jour, à se déplacer dans les locaux de l’entreprise, devenus, malgré tous les efforts, moins attractifs que des tiers-lieux ou le domicile personnel.

D’autre part, l’exercice d’un travail à distance peut entrainer une plus grande volatilité de la main-d’œuvre, qui sera plus ouverte à des opportunités professionnelles. L’entreprise aura alors tout intérêt à soigner son image et son attractivité, notamment en communiquant sur son projet d’entreprise et son sens social, afin de conserver ses compétences et d’attirer les nouveaux talents. 

F. L’impact d’un travail à distance depuis l’étranger

Lorsque l’entreprise fait le choix d’ouvrir les lieux de travail possibles, y compris habituellement depuis l’étranger, elle devra alors rester vigilante aux conséquences juridiques attachées à un tel choix. En effet, dès lors que le lieu habituel d’exécution du contrat de travail est situé de manière durable sur le territoire d’un autre État, un conflit de loi peut en résulter. Rappelons à cet égard, qu’en cas de litige, un juge d’un État membre de l’Union européenne se réfèrera au Règlement (CE) n° 593/2008 du 17 juin 2008 (« Rome I ») N° Lexbase : L7493IAR, afin d’apprécier si les parties ont fait le choix d’une loi applicable, si la loi applicable est celle du lieu habituel du contrat de travail ou de celle où l’employeur est établi, ou encore si le contrat présente des liens plus étroits avec un autre État. Il faudra également prendre en considération l’application de l’article 9 du règlement précité, et l’application des lois de police, soit des lois qu’un pays estime impératives, quelle que soit la loi applicable au contrat.

La liberté laissée au salarié de choisir le lieu d’exécution de sa prestation de travail peut inclure l’étranger, mais, par précaution, mieux vaut encadrer cette faculté et lui conserver une nature temporaire.  

En anticipant l’impact d’une modification de l’entreprise, une plus grande liberté de choix du lieu de travail des salariés peut alors avoir un impact très positif pour l’entreprise, en termes :

  • d’image et d’attractivité ;
  • de qualité de vie au travail ;
  • d’augmentation de la productivité ;
  • de valorisation du travail collaboratif ;
  • d’innovation, et d’agilité ;
  • de réduction de l’absentéisme ;
  • de réduction des accidents de trajet ;
  • de réduction des coûts (immobilier notamment).

L’évolution des lieux de travail signe ainsi l’amorce d’un changement plus profond des modes de vie tant personnels que professionnels et de l’organisation des entreprises. Au-delà, des secteurs entiers de l’économie pourraient s’en trouver profondément modifiés. Seul l’avenir nous dira jusqu’à quel point.


[1] Télétravail. Les Canaries veulent attirer 30 000 travailleurs à distance, Courrier international, 24 novembre 2020 [en ligne] ; Ch. Robinet, Les salariés du Club Med peuvent télétravailler depuis un village vacances, Le Parisien, 18 février 2022 [en ligne].

[2] Par exemple, les hôtels Accor et Pierre et Vacances ont développé une offre spécifique télétravail. Airbnb permet désormais de filtrer les locations qui proposent check-in automatique et Wifi vérifié. Voir également C. Guillou, Le télétravail pour prolonger ses vacances, Le Monde, 16 février 2022 [en ligne].

[3] Le Gouvernement Castex a fait des tiers-lieux l’un des piliers de la relance, avec la création de France tiers-lieux. Voir le rapport « les tiers-lieux au cœur des transitions », disponible sur le site francetierslieux.fr.

[4] Le métavers est attendu comme une vague de la transition numérique plus puissante encore que celles du Web, du commerce électronique et de l’ubérisation réunis, Le Monde, 20 mai 2022 [en ligne] ; J.-E. Ray, Manager dans le métavers, Le Monde, 7 juin 2022 [en ligne].

[5] ANI du 26 novembre 2020, art. 3.4.

[6] La Directive n° 2019/1152 du 29 juin 2019 N° Lexbase : L0121LRW prévoit la possibilité d’informer un salarié du fait qu’il est « libre de déterminer son lieu de travail ».

[7] ANI du 20 novembre 2020, art. 3.4.1.

[8] Rappelons à cet égard que la formation dispensée doit être pertinente : Cass. crim., 2 février 2010, n° 09-84.250, F-D N° Lexbase : A4559ESN.

[9] ANI du 26 novembre 2020, art. 3.1.6.

[10] Cass. soc., 17 février 2021, n° 19-13.783, F-D N° Lexbase : A60844HS.

[11] CA Lyon, 10 septembre 2021, n° 18/08845 N° Lexbase : A125944E.

[12] CA Orléans, 7 décembre 2021, n° 19/01258 N° Lexbase : A37787EN.

[13] CA Paris, Pôle 6, 5ème ch., 8 juillet 2021, n° 19/05670 N° Lexbase : A96084YI.

[14] Rappelons, à cet égard, que l’URSSAF a instauré une tolérance permettant aux parties de se dispenser de la production de justificatifs dans la limite d’un barème, le cas échéant, prévu par des dispositions conventionnelles, dès lors que ce barème est fonction des jours réellement télétravaillés. M. Bernardis et E. Dubuy, Comment rembourser des frais professionnels ?, Lexbase Social, janvier 2020, n° 808 N° Lexbase : N1276BYW ; L. Bedja, Télétravail : extension de la « tolérance » de l’URSSAF relative au remboursement des frais de télétravail sans justificatif, Le Quotidien, 23 février 2021 N° Lexbase : N6424BYL

[15] L’occupation par le salarié, d’une partie de son domicile pour les besoins de son activité professionnelle, oblige l’employeur à compenser cette sujétion par le paiement d’une indemnité d’occupation du domicile (Cass. soc., 11 juillet 2012, n° 10-28.847, F-D N° Lexbase : A8160IQB), ce qui n’est en revanche pas le cas, si le salarié dispose d’un bureau mis à sa disposition dans les locaux de l’entreprise (Cass. soc., 4 décembre 2013, n° 12-19.667, FS-P+B N° Lexbase : A5541KQB), la charge de la preuve de cette mise à disposition incombant à l’employeur (Cass. soc., 5 avril 2018, n° 16-26.526, F-D N° Lexbase : A4467XKN).

[16] C. trav., art. L. 3261-2 N° Lexbase : L2712ICG. Précisons que, pour la Cour de cassation, le domicile apprécié pour les trajets domicile-lieu de travail est celui que le salarié occupe la semaine, et non celui qu’il rejoint les week-end (Cass. soc., 22 juin 2016, n° 15-15.986, FS-P+B N° Lexbase : A2561RUE), mais qu’à défaut d’un domicile stable à proximité du lieu de travail, la prise en charge de l’abonnement s’effectue depuis et vers le domicile du salarié, même distant de plusieurs centaines de kilomètres (Cass. soc., 12 novembre 2020, n° 19-14.818, F-D N° Lexbase : A515534P). Le BOSS a également été modifié en ce sens (BOSS – FP-780). En cas de pluralité de lieux de travail, le remboursement a lieu pour l’ensemble des lieux de travail (C. trav., art. R. 3261-10 N° Lexbase : L5232ICR ; BOSS-FP-610)

[17] C. trav., art. L. 3121-4 N° Lexbase : L6909K9R.

[18] Un accord collectif peut, en effet, comporter des clauses, mêmes moins favorables que l’ANI sur le télétravail (C. trav., art. L. 2253-3 N° Lexbase : L7333LH3), à l’inverse d’une Charte.

[19] V. Actes du colloque : Droit à la déconnexion et télétravail : quelle(s) contradiction(s) ?, Lexbase Social, janvier 2019, n° 768 N° Lexbase : N7184BXD.

[20] CA Chambéry, 9 décembre 2021, n° 20/00862 N° Lexbase : A64677EA.

[21] La collecte de données personnelles via les outils technologiques doit faire l’objet d’une étude au titre du Règlement (UE) n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 (« RGPD ») N° Lexbase : L0189K8I.

[22] C. trav., art. L. 1222-4 N° Lexbase : L0814H9Z.

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