Réf. : CJUE, 30 juin 2022, aff. C-72/22 PPU N° Lexbase : A880078G
Lecture: 5 min
N2081BZ4
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Marie Le Guerroué
le 06 Juillet 2022
► Le droit de l’Union s’oppose à la législation lituanienne en vertu de laquelle, en cas d’afflux massif d’étrangers, un demandeur d’asile peut être placé en rétention au seul motif qu’il se trouve en séjour irrégulier ;
► toutefois, il revient en principe à l’État membre auquel le demandeur d’asile en séjour irrégulier demande la protection internationale de démontrer que, en raison de circonstances spécifiques, il constitue une menace à la sécurité nationale ou à l’ordre public justifiant la rétention.
Faits et procédure. L’affaire concernait un ressortissant de pays tiers arrêté en Pologne en provenance de Lituanie. Remis aux autorités lituaniennes, il a été placé en rétention jusqu’à l’adoption d’une décision relative à son statut juridique. Sa demande de protection internationale a été rejetée comme étant irrecevable au motif qu’elle avait été déposée sans respecter les modalités prévues par la législation lituanienne concernant le dépôt des demandes de protection internationale dans une situation d’urgence causée par l’afflux massif d’étrangers. En vertu de cette législation, un étranger entré en Lituanie de façon irrégulière n’a pas la possibilité de présenter, sur le territoire de cet État membre, une demande de protection internationale. Cette même législation prévoit également que, dans une telle situation d’urgence, un étranger peut être placé en rétention du seul fait de son entrée irrégulière sur le territoire lituanien.
Appréciation de la Cour/sur la demande de protection internationale. La Cour précise, tout d’abord, que tout ressortissant de pays tiers ou apatride a le droit de présenter une demande de protection sur le territoire d’un État membre, y compris à ses frontières ou dans ses zones de transit, même s’il se trouve en séjour irrégulier sur ce territoire. La Cour estime que l’application d’une législation nationale telle que celle en cause empêche un ressortissant de pays tiers de jouir effectivement du droit d’asile. La Cour constate également que le fait d’invoquer de manière générale des atteintes à l’ordre public ou à la sécurité intérieure pouvant être causées par l’afflux massif de ressortissants de pays tiers ne permet pas de justifier, au titre de l’article 72 TFUE N° Lexbase : L2723IPK, une telle réglementation.
Enfin, la Directive « procédures » (Directive (UE) n° 2013/32 du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale N° Lexbase : L9263IXD) permet aux États membres d’établir des procédures spéciales, applicables à leurs frontières, visant à apprécier la recevabilité de demandes de protection internationale dans des situations où le comportement du demandeur tend à indiquer que sa demande est manifestement non fondée ou abusive. Ces procédures permettent aux États membres d’exercer, aux frontières extérieures de l’Union, leurs responsabilités en matière de maintien de l’ordre public et de sauvegarde de la sécurité intérieure, sans qu’il soit nécessaire de recourir à une dérogation au titre de l’article 72 TFUE.
Appréciation de la Cour/sur le placement en rétention. La Cour rappelle tout d’abord que, en vertu de la Directive « accueil » (Directive (UE) n° 2013/33 du 26 juin 2013, établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale N° Lexbase : L9264IXE), un demandeur de protection internationale ne peut être placé en rétention que lorsque, à l’issue d’une appréciation au cas par cas, cela s’avère nécessaire et si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être efficacement appliquées. Cette Directive énumère de manière exhaustive les différents motifs susceptibles de justifier un placement en rétention. Or, la circonstance qu’un demandeur de protection internationale se trouve en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre ne figure pas parmi ces motifs. Par conséquent, un ressortissant d’un pays tiers ne peut faire l’objet d’une mesure de rétention pour ce seul motif. Enfin, quant au fait de savoir si une telle circonstance peut justifier le placement en rétention d’un demandeur d’asile en vertu des motifs de la protection de la sécurité nationale ou de l’ordre public, dans le contexte exceptionnel représenté par l’afflux massif d’étrangers en cause, la Cour rappelle que la menace à la sécurité nationale ou à l’ordre public ne saurait justifier le placement en rétention d’un demandeur qu’à la condition que son comportement individuel représente une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société ou la sécurité intérieure ou extérieure de l’État membre concerné. À cet égard, le caractère irrégulier du séjour d’un demandeur de protection internationale ne saurait être regardé comme démontrant, en soi, l’existence d’une telle menace. Ainsi, un tel demandeur ne peut constituer, en principe, une menace pour la sécurité nationale ou l’ordre public de cet État membre, au seul motif qu’il se trouve dans une situation de séjour irrégulier dans un État membre. Ce constat est sans préjudice de la possibilité qu’un demandeur de protection internationale en séjour irrégulier soit considéré comme constituant une telle menace en raison de circonstances spécifiques, démontrant sa dangerosité, s’ajoutant au caractère irrégulier de ce séjour.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:482081