Lexbase Social n°530 du 6 juin 2013 : Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] De l'obligation de sécurité de résultat à la garantie des risques professionnels

Réf. : Cass. soc., 23 mai 2013, n° 11-12.029, F-D (N° Lexbase : A9213KDL)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 06 Juin 2013

La montée en puissance, depuis 2002, de la figure de l'obligation de sécurité de résultat qui pèse sur l'employeur impose de s'interroger sur la nature même de cette responsabilité, et sur les conditions de sa mise en oeuvre. Un nouvel arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation montre à quel point cette obligation a muté pour passer d'une responsabilité de plein droit (I) à une véritable garantie des risques professionnels (II).
Résumé

Est justifiée la prise d'acte par le salarié de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur, dès lors que le petit-fils de l'employeur avait jeté à terre à deux reprises la nourriture préparée par la salariée et proféré des injures racistes à son égard au domicile de cette dernière.

I - L'employeur responsable des manquements à l'obligation de sécurité de résultat

Contexte. Cette décision, en apparence anodine, illustre tout d'abord l'extrême sévérité de la jurisprudence à l'égard des employeurs lorsqu'est en cause leur obligation de sécurité de résultat (1). Il faut avouer que, dans cette affaire, les faits étaient édifiants.

L'affaire. Une salariée avait été engagée en mai 2005 en qualité d'aide à domicile par une personne handicapée dont le domicile était voisin du sien. Alors qu'elle préparait le déjeuner pour son employeur, le petit-fils de celui-ci, âgé de 13 ans, avait jeté son assiette par terre en disant à son grand-père de ne pas manger car c'était infect. Le lendemain, l'épouse de l'employeur et l'adolescent lui rendaient visite à son domicile, ce dernier proférant à son encontre des injures racistes et des menaces. Elle fut de nouveau injuriée le jour suivant alors qu'elle se rendait au domicile de son employeur pour y obtenir des excuses, par l'épouse de ce dernier et sa fille, ce qui l'avait conduit à prendre acte de la rupture de son contrat de travail.

Compte tenu de la gravité des faits, la cour d'appel de Nîmes avait donné raison à la salariée (2), et l'employeur contestait les condamnations prononcées en appel dans le cadre de son pourvoi. Il prétendait, en effet, que "le comportement fautif de l'employeur, justifiant que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ne peut résulter que d'un fait personnellement imputable à celui-ci", ce qui n'était pas le cas ici puisque la salariée avait fondé sa prise d'acte pour l'essentiel sur les injures et menaces proférées par le petit-fils de son employeur, lors de la "visite" réalisée à son propre domicile.

La solution. Sans surprise, le pourvoi est rejeté. Après avoir rappelé le principe selon lequel "l'employeur est tenu envers ses salariés d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs et que l'absence de faute de sa part ne peut l'exonérer de sa responsabilité", la Haute juridiction relève, en effet, que la cour d'appel avait "retenu que le petit-fils de l'employeur avait jeté à terre à deux reprises la nourriture préparée par la salariée et proféré des injures racistes à son égard au domicile de cette dernière", et qu'elle avait donc "pu en déduire que la prise d'acte était fondée".

Une solution parfaitement justifiée. Sur le fond, la solution n'est guère surprenante et on en vient d'ailleurs rapidement à se demander pourquoi l'employeur avait formé un pourvoi contre la décision rendue en appel tant les faits dénoncés étaient scandaleux, mêlant la bêtise la plus sordide au racisme le plus ignominieux (3).

Juridiquement, et en dépit de sa modestie apparente, cette solution est particulièrement révélatrice de la nature exacte de l'obligation de sécurité qui pèse sur l'employeur, et qui ne nous semble pas suffisamment clairement mis en évidence par la Cour de cassation elle-même.

II - L'employeur garant des risques professionnels dans l'entreprise

De la nature de l'obligation pesant sur l'employeur. On s'est depuis quelques années interrogé sur la nature de l'obligation de sécurité qui pèse sur l'employeur (4).

Il a été observé que cette obligation s'était progressivement affranchie de la tutelle du droit civil tout en conservant les traits de l'obligation de sécurité de résultat dégagée à partir de 1911 comme accessoire du contrat de transport (5).

On sait qu'il ne s'agit pas d'une responsabilité du fait personnel car, depuis 2006 et le rattachement du régime du harcèlement à l'obligation de sécurité, l'employeur est également responsable des atteintes à la sécurité réalisées par ses salariés (6), et plus largement de toutes les personnes intervenant dans le cadre de l'entreprise et sur lesquelles il exerce une simple autorité de fait (7).

Il ne s'agit pas non plus d'une responsabilité pour faute car l'employeur engage sa responsabilité personnelle même sans faute de sa part (8).

Il s'agit donc bien d'une responsabilité de plein droit dont l'employeur ne peut être libéré que par la preuve d'un cas de force majeure, en pratique presque impossible à établir (9).

Des conditions de mise en cause de la responsabilité de l'employeur. Reste à déterminer, et ce n'est pas là la moindre des difficultés, quelles sont les conditions positives d'engagement de la responsabilité de l'employeur.

L'exigence d'une faute ? Si la Cour de cassation a écarté la preuve d'une faute personnelle commise par le répondant (l'employeur), elle n'a jamais clairement indiqué si l'atteinte constatée à la sécurité devait résulter d'une faute, même non commise par l'employeur (sous-entendu commise par l'auteur du dommage). En d'autres termes, et pour reprendre un questionnement emprunté au régime de la responsabilité civile des commettants du fait de leurs préposés fondé sur l'article 1384, alinéa 5, du Code civil (N° Lexbase : L1490ABS), la responsabilité de l'employeur est-elle une responsabilité civile de substitution (de celle de l'auteur), ce qui n'efface pas l'exigence d'une faute, ou une responsabilité personnelle et directe uniquement déclenchée par l'atteinte à la sécurité, eu important alors que cette atteinte ait été provoquée par un comportement fautif (10) ?

L'examen des solutions ayant admis la responsabilité de l'employeur, pour des faits commis par des salariés ou des personnes sur lesquelles il avait autorité, montre que des fautes ont toujours été commises, qu'il s'agisse d'un DRH qui ne convoque pas le salarié à la visite médicale de reprise, qui ne fait pas respecter la loi "Evin" (loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques N° Lexbase : L5011E4D), qui met en oeuvre des techniques de management de ses collaborateurs trop intimidante ou stressantes, qui se rend coupable de faits de harcèlement, de discrimination, ou qui tient des propos indignes (11) ou racistes, comme c'était le cas ici.

Peut-on alors imaginer que l'employeur puisse être responsable d'une atteinte à la sécurité de l'un de ses salariés et ce alors qu'aucune faute n'aurait été commise, soit que la preuve n'en soit pas rapportée, soit que la preuve d'une absence de faute soit belle et bien établie ? On pourrait ainsi imaginer un salarié qui serait contaminé par un virus apporté par un client, voire blessé dans l'exécution de son contrat de travail par le fait non fautif d'un tiers à l'entreprise.

Si la Cour de cassation n'a, à notre connaissance, jamais eu à répondre expressément à la question d'une responsabilité que l'on pourrait dès lors qualifier de purement causale, il nous semble qu'une réponse positive devrait s'imposer dès lors qu'il s'agit bien, pour l'employeur, d'assumer un risque de l'activité (12). On retrouve d'ailleurs ici le fondement historique de l'obligation faite à l'employeur de répondre des dommages corporels causés aux salariés dans l'exécution de leur contrat de travail dans la loi du 9 avril 1898, ancêtre de l'actuel régime d'indemnisation des victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles (13).

L'auteur du dommage. La question de l'identification de l'auteur du dommage relève du même ordre de questionnement que celle relative à l'exigence d'une faute à l'origine du dommage.

Jusqu'à présent, la Cour de cassation a raisonné sur des hypothèses d'atteintes à la sécurité imputables à l'employeur, à ses préposés ou à des tiers à l'entreprise sur lesquelles l'employeur exerçait une "autorité de fait". L'employeur supporterait alors les "risques de l'autorité".

Nous avons déjà eu l'occasion d'émettre des doutes sur le réalisme de cette analyse, s'agissant singulièrement de dommages causés par le conjoint de l'employeur sur lequel celui-ci n'exerce en réalité aucune "autorité" (14).

On observera d'ailleurs que, dans cet arrêt en date du 23 mai 2013, où l'atteinte à la sécurité résultait du comportement du petit-fils de l'employeur, aucune référence à l'autorité exercée par celui-ci sur l'auteur n'était invoquée ou exigée pour considérer que la prise d'acte était justifiée, et pour cause, car on imaginait difficilement ce grand-père, lourdement diminué après un accident vasculaire cérébral, exercer la moindre autorité sur un adolescent de 13 ans manifestement livré à lui-même et encouragé par le déplorable exemple de ses parents.

L'effacement du critère de l'autorité, même s'il ne semble pas délibéré dans cette décision mais résulter des termes mêmes dans lesquels le débat judiciaire s'était déroulé, nous paraît toutefois particulièrement significatif. L'autorité exercée sur l'auteur du dommage pourrait bien, en réalité, n'être d'aucune utilité dans la mise en cause de la responsabilité de l'employeur, notamment lorsque le juge s'interroge sur l'imputabilité de la rupture du contrat de travail, dès lors que l'origine professionnelle du dommage est établie soit par l'association du critère temps de travail/lieu de travail, soit en raison de la nature professionnelle de l'événement incriminé (15).

Le critère de l'autorité serait alors indifférent et s'effacerait au profit de celui du risque professionnel dont l'employeur devrait assumer les conséquences. Il serait dès lors plus exact d'abandonner la référence à l'obligation de sécurité de résultat pour faire état d'une véritable garantie des risques professionnels.


(1) Dernièrement Cass. soc., deux arrêts, 23 janvier 2013, n° 11-18.855, FS-P+B (N° Lexbase : A8713I34) et n° 11-20.356, FS-P+B (N° Lexbase : A8754I3M), v. nos obs., Nouvelles illustrations de l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur, Lexbase Hebdo n° 515 du 7 février 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N5632BTR).
(2) CA Nimes, ch. soc., 13 avril 2010, n° 08/03617 (N° Lexbase : A6455GAC).
(3) Pour un autre exemple, Cass. soc., 2 juin 2004, n° 02-44.904, FS-P+I (N° Lexbase : A5200DCL), v. nos obs., Le racisme et le sexisme nuisent gravement à l'emploi !, Lexbase Hebdo n° 124 du 10 juin 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N1885ABG).
(4) Dernièrement S. Tournaux, L'intensité de l'obligation de sécurité de l'employeur : un traitement aux effets mal mesurés, Dr. ouvr., 2012, p. 571.
(5) Notre étude, Droit du travail et responsabilité civile, RDT, 2007, p. 752.
(6) Cass. soc., 21 juin 2006, n° 05-43.914, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A9600DPA), v. nos obs., L'employeur responsable du harcèlement moral dans l'entreprise, Lexbase Hebdo n° 223 du 13 juillet 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N0835ALI). Ce qui n'exclut pas, compte tenu du caractère intentionnel des fautes ici relevées, que les salariés répondent également, sur leurs propres deniers, des conséquences civiles de leurs fautes.
(7) Cass. soc., 10 mai 2001, n° 99-40.059, publié (N° Lexbase : A4172ATP), Dr. soc., 2001, p. 921, chron. B. Gauriau (conjoint) ; Cass. soc., 1er mars 2011, n° 09-69.616, F-P+B (N° Lexbase : A1528HCL), v. nos obs., Le harcèlement managérial de nouveau sanctionné, Lexbase Hebdo n° 434 du 31 mars 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N7668BRG) (formateur) ; Cass. soc., 4 avril 2012, n° 11-10.570, FS-P+B (N° Lexbase : A1271IIW), v. nos obs., L'employeur peut-il s'exonérer de son obligation de sécurité de résultat ?, Lexbase Hebdo n° 482 du 19 avril 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N1460BTA).
(8) Cass. soc., 21 juin 2006, n° 05-43.914, FP-P+B+R+I, préc..
(9) Pour un refus : Cass. soc., 4 avril 2012, n° 11-10.570, FS-P+B, préc..
(10) Sur ce questionnement en matière de responsabilité civile, notre étude Responsabilité des commettants (Droit à réparation. Responsabilité du fait d'autrui. Domaine : Responsabilité des commettants), J.-Cl. Resp. civ. et assur. 2007, comm. . civ. et assur., Fasc. 143, p. 18.
(11) Cass. soc., 7 février 2012, n° 10-18.686, FS-P+B (N° Lexbase : A3568IC7), v. les obs. de Ch. Willmann, L'atteinte à la dignité de la personne, nouveau cas d'ouverture d'une résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur, Lexbase Hebdo n° 475 du 1 mars 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N0575BTH) (la solution n'est pas ici formellement rattachée à la figure de l'obligation de sécurité de résultat).
(12) Sur l'analyse économique du contrat de travail, emportant précisément le transfert des risques de l'activité du patrimoine du salarié vers celui de l'employeur, notre étude Des critères du contrat de travail, Dr. soc., 2013, p. 202.
(13) Sur cette analyse et son actualité, M. Badel, Le perfectionnement du dispositif de réparation du risque professionnel par le droit social, Dr. soc., 1998, p. 644.
(14) Comme cela avait été le cas dans l'hypothèse de la salariée agressée par la femme de son employeur : Cass. soc., 4 avril 2012, n° 11-10.570, FS-P+B, préc..
(15) Ainsi lorsque l'agression du salarié par son employeur en dehors du lieu et du temps de travail a pour origine un différend d'ordre professionnel, Cass. soc., 23 janvier 2013, n° 11-20.356, FS-P+B, préc..

Décision

Cass. soc., 23 mai 2013, n° 11-12.029, F-D (N° Lexbase : A9213KDL)

Rejet, CA Nimes, ch. soc., 13 avril 2010, n° 08/03617 (N° Lexbase : A6455GAC)

Textes : C. trav., art. L. 1221-1 (N° Lexbase : L0767H9B) et L. 1232-1 (N° Lexbase : L8291IAC)

Mots clef : prise d'acte ; obligation de sécurité de résultat

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