Le Quotidien du 21 janvier 2022 : Concurrence

[Brèves] VTC : concurrence déloyale et violations de réglementations en matière de droit du travail, de droit des transports et de droit de la consommation

Réf. : Cass. com., 12 janvier 2022, n° 20-11.139, FS-B N° Lexbase : A01927IX

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[Brèves] VTC : concurrence déloyale et violations de réglementations en matière de droit du travail, de droit des transports et de droit de la consommation. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/77415382-breves-vtc-concurrence-deloyale-et-violations-de-reglementations-en-matiere-de-droit-du-travail-de-d
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par Vincent Téchené

le 20 Janvier 2022

► La violation de diverses lois et réglementations en matière de droit du travail, de droit des transports et de droit de la consommation par une plateforme de mise en relation de VTC peut être constitutive d’actes de concurrence déloyale à l’égard d’un concurrent. 

Faits et procédure. Une société gestionnaire d'une centrale de réservation de taxis en région parisienne (la société X), a aussi, de juin 2011 à juin 2017, exploité une activité de voitures de transport avec chauffeur (VTC). Elle proposait la réservation de ses VTC par le biais de sites internet et, à compter du 5 mars 2012, également via une application pour smartphone. Cette dernière a assigné une société exploitant une plate-forme de mise en relation d'exploitants de VTC avec des clients au moyen d'une application pour smartphone (la société Y), estimant qu’en ne respectant pas diverses lois et réglementations en matière de droit des transports et de droit du travail, elle commettait des actes constitutifs de concurrence déloyale à son égard.

La cour d’appel ayant rejeté ses demandes (CA Paris, Pôle 5, 10ème ch., 4 novembre 2019, n° 17/03896 (N° Lexbase : A7703ZTH), la société X a formé un pourvoi en cassation.

Décision. La Cour de cassation était saisie de nombreux moyens en matière de droit du travail, de droit des transports et de droit de la consommation.

  • Concurrence déloyale et droit du travail

La Cour de cassation opère une première censure de l’arrêt d’appel au visa des articles 1382, devenu 1240 N° Lexbase : L0950KZ9, du Code civil, et L. 8221-6 du Code du travail N° Lexbase : L8160KGC.  Selon ce dernier texte, si dans l'exécution de leur activité donnant lieu à immatriculation sur des registres ou répertoires professionnels, les personnes physiques sont présumées ne pas être liées avec le donneur d'ordre par un contrat de travail, celui-ci peut, toutefois, être établi lorsque ces personnes fournissent des prestations dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard du donneur d'ordre. En conséquence, l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs.

Or, pour rejeter les demandes de la société X, l'arrêt a retenu que la société Y ne rémunère pas les chauffeurs, mais conserve une commission de 20 % sur le montant du prix qu'elle facture au client, au nom et pour le compte du prestataire, en application d'un mandat de facturation, que la société Y ne choisit pas les chauffeurs nécessaires au fonctionnement de son entreprise et n'impose ni les zones d'activité ni les quantités d'heures, que les chauffeurs sont libres de se connecter ou non à l'application, d'accepter ou non les demandes de réservation des clients et d'organiser leur itinéraire, et qu'ils peuvent proposer leurs propres services ou travailler pour d'autres plateformes. Dès lors, l’arrêt d’appel en a déduit que « ce faisceau d'éléments ne démontre pas l'existence de liens dissimulés de subordination ».

Mais, pour la Haute juridiction, en se déterminant ainsi, sans analyser concrètement les conditions effectives dans lesquelles les chauffeurs exerçaient leur activité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

En effet, la Cour de cassation relève que la société X faisait valoir à cet égard que :

- il était interdit aux chauffeurs d'entrer en relation avec les clients obtenus par l'intermédiaire de l'application en dehors du temps de la course ;

- les chauffeurs étaient géolocalisés en permanence dans leur véhicule, dans lequel ils étaient tenus de se trouver pour être mis en relation ;

- la procédure à suivre pour la réalisation d'une course correspondait à un véritable « ordre de course », les chauffeurs ne pouvant décider librement des conditions de réalisation de la prestation ;

- l'attribution des courses était faite par un programme informatique de sorte que les chauffeurs, dans la majorité des cas, ignoraient la destination des clients avant que ceux-ci ne soient montés à bord du véhicule et, de toute façon, ne pouvaient décider ou contrôler ni la durée de la course ni, finalement, leurs horaires de début et de fin de travail ;

- les chauffeurs étaient soumis à un chiffre minimum de courses à réaliser, condition d'un bonus les empêchant de rechercher leur propre clientèle ; et

- les chauffeurs étaient soumis à un système de sanctions rigoureux excédant ce qui est classique en matière de contrat de prestation de service

La société X en déduisait que le service en cause ne se limitait pas à la mise en relation informatique mais constituait un service global de transport absorbant toute liberté d'exploitation des partenaires, ainsi soumis à un lien de subordination

  • Concurrence déloyale et droit des transports

En matière de droit des transports, la Cour de cassation opère plusieurs censures de l’arrêt d’appel.

→ D'abord, au visa des articles L. 3120-2, II N° Lexbase : L1759LC7, et L. 3122-9 N° Lexbase : L3369I4K du Code des transports

La Haute juridiction rappelle qu’en application de ces textes, le conducteur d'une voiture de transport avec chauffeur, qui est tenu, dans l'exercice de ses missions et dès l'achèvement de la prestation commandée au moyen d'une réservation préalable, de retourner au lieu d'établissement de l'exploitant de cette voiture ou dans un lieu, hors de la chaussée, où le stationnement est autorisé, sauf s'il justifie d'une réservation préalable ou d'un contrat avec le client final, ne peut ni prendre en charge un client sur la voie ouverte à la circulation publique, sauf s'il justifie d'une réservation préalable, ni s'arrêter, stationner ou circuler sur la voie ouverte à la circulation publique en quête de clients.

Or, pour rejeter les demandes de la société X, l'arrêt d’appel a simplement retenu que l'obligation du retour à la base est respectée par la société Y car cette obligation s'applique en dehors de toute réservation en cours et que le chauffeur qui termine une course est autorisé à ne pas retourner à sa base s'il dispose d'une réservation qu'il a acceptée.

Mais pour la Haute juridiction, en se déterminant ainsi, sans analyser le fonctionnement pratique de l'application et sans rechercher, comme il lui était demandé, si, par les préconisations qu'elle délivrait aux chauffeurs pour les périodes entourant les prestations, la plate-forme ne favorisait pas la maraude sur la voie publique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

On rappellera que, saisi de plusieurs QPC, le Conseil constitutionnel avait validé l’interdiction de la maraude électronique et l’obligation de retour à la base, posées par les articles ici visés par la Cour de cassation (Cons. const., décision n° 2015-468/469/472 QPC, du 22 mai 2015 N° Lexbase : A2431NIU).

Ensuite, au visa de l'article 32 du décret n° 85-891, du 16 août 1985, relatif aux transports urbains de personnes et aux transports routiers non urbains de personnes N° Lexbase : L6472HTU

Il résulte de ce texte que le capacitaire, qui est un professionnel ayant l'autorisation d'exercer l'activité de chauffeur privé occasionnel sous certaines conditions (le chauffeur LOTI), ne peut transporter que des groupes d'au moins deux personnes.

Or, pour rejeter les demandes de la société X, l'arrêt d’appel a retenu que la société Y emploie des chauffeurs LOTI en toute transparence puisqu'elle a adapté ses services de réservation et offert la possibilité à ses clients de réserver des transports collectifs en indiquant le nombre de passagers, les courses étant réalisées moyennant l'émission de billets collectifs.

Mais pour la Haute juridiction en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si les modalités de l'application smartphone de la société Y ne permettaient pas aux chauffeurs LOTI de réaliser aussi des prestations de transport avec un seul passager, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

→ Enfin, au visa de l'article L. 3120-2, III, du Code des transports N° Lexbase : L1759LC7

Ce texte interdit aux chauffeurs de VTC et aux intermédiaires auxquels ils ont recours d'informer un client, avant toute réservation, quel que soit le moyen utilisé, à la fois de la localisation et de la disponibilité d'un véhicule quand il est situé sur la voie ouverte à la circulation publique.

Or, pour rejeter les demandes de la société X, l'arrêt retient que c'est postérieurement à la commande que l'utilisateur reçoit la confirmation du temps d'attente et de l'identification du chauffeur.

Mais, pour la Haute juridiction, en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir qu'antérieurement à la réservation du véhicule par le biais de l'application de la société Y, le passager n'avait pas déjà été informé tant de la localisation du véhicule que de sa disponibilité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

  • Concurrence déloyale et droit de la consommation

La Cour de cassation censure également l’arrêt d’appel au visa des articles L. 111-1 N° Lexbase : L2106L8I et L. 121-1 N° Lexbase : L1707K7D du Code de la consommation.

Pour rappel, le premier de ces textes impose que le consommateur soit informé, de manière lisible et compréhensible, notamment sur le prix du service quand le second pose l’interdiction des pratiques commerciales déloyales.

Or, pour rejeter les demandes de la société X, l'arrêt se borne à retenir qu'il ressort des conditions générales fournies par la société Y qu'elles mentionnent clairement les informations requises et que les factures produites pour le compte du prestataire font apparaître le nom de ce dernier et de son siège social.

Pour la Haute juridiction, en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir que les informations légales sur le service, et notamment les modalités de paiement, étaient communiquées au client avant toute réservation d'un véhicule, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

  • Concurrence déloyale et préjudice

La Cour de cassation rappelle qu’un préjudice s'infère nécessairement d'un acte de concurrence déloyale, générateur d'un trouble commercial, fût-il seulement moral, et la perte d'une chance implique seulement la disparition d'une éventualité favorable (v. déjà Cass. com., 22 octobre 1985, n° 83-15.096, publié N° Lexbase : A4344AA7 – Cass. com., 11 janvier 2017, n° 15-18.669, F-D N° Lexbase : A0751S8C – Cass. com., 12 février 2020, n° 17-31.614, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A27263EP – Cass. com., 3 mars 2021, n° 18-24.373, F-D N° Lexbase : A01444KK)

Or, pour rejeter les demandes de la société X, la cour d’appel a retenu que même si les griefs d'actes illicites étaient fondés, encore faudrait-il qu’elle démontre que ces actes ont entraîné pour elle un préjudice.

Dès lors, la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel qui s’est fondé, selon elle, sur des motifs impropres à exclure l'existence de tout préjudice résultant des agissements reprochés, lesquels sont de nature à conférer un avantage concurrentiel à leur auteur

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