Le Quotidien du 7 janvier 2022 : Bancaire/Sûretés

[Brèves] Disproportion du cautionnement et responsabilité de la banque pour manquement à son devoir de mise en garde : précisions importantes sur la prescription

Réf. : Cass. civ. 1, 5 janvier 2022, n° 20-17.325, FS-B (N° Lexbase : A42127HH)

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par Vincent Téchené

le 14 Janvier 2022

► L'action en responsabilité de la caution à l'encontre du prêteur fondée sur une disproportion de son engagement se prescrit par cinq ans à compter du jour de la mise en demeure de payer les sommes dues par l'emprunteur en raison de sa défaillance, permettant à la caution d'appréhender l'existence éventuelle d'une telle disproportion ;

L'action en responsabilité de l'emprunteur non averti à l'encontre du prêteur au titre d'un manquement à son devoir de mise en garde se prescrit par cinq ans à compter du jour du premier incident de paiement, permettant à l'emprunteur d'appréhender l'existence et les conséquences éventuelles d'un tel manquement.

Faits et procédure. Suivant offre acceptée du 2 août 2006, une banque a consenti à une société (l'emprunteur) un prêt, garanti par la société Crédit logement (la caution professionnelle), puis par des cautions personnes physiques les 24 juillet et 8 août 2006. À la suite d'échéances impayées à compter du 15 août 2013, la banque a prononcé la déchéance du terme le 8 février 2015. Après avoir réglé le solde du prêt à la banque, la caution professionnelle a assigné, le 11 août 2015, l'emprunteur et les autres cautions en paiement, lesquelles ont, le 22 mars 2017, appelé la banque en intervention forcée et garantie, en invoquant une disproportion des engagements de caution et un manquement de celle-ci à son devoir de mise en garde, ainsi qu'un défaut d'information annuelle des cautions.

Les cautions et l’emprunteur ont formé un pourvoi en cassation reprochant à l’arrêt d’appel (CA Versailles, 19 mars 2020, n° 18/08155 N° Lexbase : A99943IY) d’avoir jugé que leurs demandes étaient prescrites et de les avoir condamnées à payer certaines sommes à la caution professionnelle.

Décision. Plusieurs moyens étaient invoqués par la caution et l’emprunteur, qu’il convient d’examiner.

  • Sur le manquement à l’obligation d'information annuelle du créancier

Moyen. L'emprunteur et les cautions reprochaient d’abord à l'arrêt de déclarer irrecevables comme prescrites les demandes formées par celles-ci à l'encontre de la banque, au titre d'un manquement à son obligation d'information annuelle. Ils soutenaient alors que la prétention de la caution fondée sur le défaut d'information annuelle de la caution, lorsqu'elle tend seulement au rejet de la demande en paiement des intérêts au taux contractuel formée par la banque à son encontre constitue un moyen de défense au fond sur lequel la prescription est sans incidence.

Réponse de la Cour de cassation. La Cour de cassation rejette ce moyen. Elle énonce que dès lors qu'elle a retenu que les cautions poursuivaient la banque en garantie et ne s'opposaient pas à une demande formée par celle-ci à leur encontre et que leurs prétentions, fondées sur le non-respect par la banque de son obligation d'information annuelle, constituaient une demande soumise à la prescription et non un moyen de défense, la cour d'appel a légalement justifié sa décision.

  • Sur la sanction du cautionnement disproportionné

Moyen. L'emprunteur et les cautions reprochaient à l’arrêt d’appel de les avoir condamnées à payer certaines sommes au créancier en ayant considéré qu'étrangère au contrat de prêt, la caution professionnelle, qui exerçait son recours personnel ne pouvait se voir opposer par les cautions les exceptions et moyens opposables au créancier principal comme la disproportion de leur engagement de caution. Ils soutenaient au contraire que la sanction de la disproportion du cautionnement prive le contrat de cautionnement d'effet à l'égard tant du créancier que des cofidéjusseurs lorsque, ayant acquitté la dette, ils exercent leur action récursoire.

Réponse de la Cour de cassation. La Cour de cassation censure sur ce point l’arrêt d’appel au visa des articles L. 332-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L1162K78), 2305 (N° Lexbase : L1203HIE) et 2310 (N° Lexbase : L1209HIM) du Code civil. Elle rappelle ainsi que la sanction prévue en matière de disproportion du cautionnement (c’est-à-dire l’impossibilité pour le créancier de se prévaloir du cautionnement) prive le contrat de cautionnement d'effet à l'égard tant du créancier que des cofidéjusseurs lorsque, ayant acquitté la dette, ils exercent leur action récursoire.

Observations. Cette solution a été posée en termes identiques par un arrêt de Chambre mixte du 27 février 2015 (Cass. mixte, 27 février 2015, n° 13-13.709, P+B+R+I N° Lexbase : A3426NCU ; G. Piette, Lexbase Affaires, mars 2015, n° 417 N° Lexbase : N6558BUG) et a été depuis lors rappelée (v. not. Cass. civ. 1, 26 septembre 2018, n° 17-17.903, FS-P+B N° Lexbase : A2007X8T – Cass. civ. 1, 8 septembre 2021, n° 19-24.129, F-D N° Lexbase : A245844S). Certains auteurs défendaient cette solution remarquant notamment que « la disproportion est une exception personnelle à la caution, opposable erga omnes ». Cette solution peut paraître sévère pour la caution solvens.

La réforme du droit des sûretés, publiée au Journal officiel du 16 septembre 2021 (ordonnance n° 2021-1192, du 15 septembre 2021, portant réforme du droit des sûretés N° Lexbase : L8997L7D ; sur cette réforme, v. Dossier spécial « La réforme du droit des sûretés par l'ordonnance du 15 septembre 2021 », Lexbase Affaires, octobre 2021, n° 691 N° Lexbase : N8992BYP), en plus d’intégrer le principe de proportionnalité dans le Code civil (C. civ., art. 2300 N° Lexbase : L0174L8X), modifie la sanction : « Si le cautionnement souscrit par une personne physique envers un créancier professionnel était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné aux revenus et au patrimoine de la caution, il est réduit au montant à hauteur duquel elle pouvait s’engager à cette date » (G. Piette, Réforme du droit des sûretés par l’ordonnance du 15 septembre 2021 : formation et étendue du cautionnement, Lexbase Affaires, octobre 2021, n° 691 N° Lexbase : N8978BY8).

  • Sur la prescription de l'action en responsabilité de la caution à l'encontre du prêteur fondée sur la disproportion

Réponse de la Cour de cassation. Il résulte de l’article 2224 du Code civil (N° Lexbase : L7184IAC) que l'action en responsabilité de la caution à l'encontre du prêteur fondée sur une disproportion de son engagement se prescrit par cinq ans à compter du jour de la mise en demeure de payer les sommes dues par l'emprunteur en raison de sa défaillance, permettant à la caution d'appréhender l'existence éventuelle d'une telle disproportion.

Or, la Haute juridiction relève que pour déclarer les demandes formées par les cautions à l'encontre de la banque irrecevables comme prescrites, l'arrêt d’appel a retenu, d'une part, que la disproportion s'apprécie au jour de la conclusion des engagements et qu'ils ont été signés les 24 juillet et 8 août 2006, d'autre part, que l'assignation de la banque en intervention forcée date du 22 mars 2017.
Dès lors, les Hauts magistrats en concluent qu’en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l’article 2224 du Code civil.

  • Sur la prescription de l'action en responsabilité de l'emprunteur non averti à l'encontre du prêteur au titre d'un manquement à son devoir de mise en garde

Réponse de la Cour de cassation. La Cour de cassation énonce qu’il résulte de l’article 2224 du Code civil que l'action en responsabilité de l'emprunteur non averti à l'encontre du prêteur au titre d'un manquement à son devoir de mise en garde se prescrit par cinq ans à compter du jour du premier incident de paiement, permettant à l'emprunteur d'appréhender l'existence et les conséquences éventuelles d'un tel manquement.

Or, la Haute juridiction relève que pour déclarer les demandes formées par l'emprunteur à l'encontre de la banque irrecevables comme prescrites, l'arrêt d’appel a retenu, d'une part, que le dommage résultant d'un manquement au devoir de mise en garde se manifeste dès l'octroi du crédit et que l'offre de prêt a été acceptée le 2 août 2006, d'autre part, que l'assignation de la banque en intervention forcée date du 22 mars 2017.

Dès lors, les Hauts magistrats en concluent qu’en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l’article 2224 du Code civil.

Observations. La première chambre civile tranche, ici, un point sur lequel il existait une réelle incertitude (v. not.,Cass. civ. 1., 12 décembre 2018, n° 17-21.232, F-D N° Lexbase : A7038YQQ). En dernier lieu, la Chambre commerciale avait retenu que le délai de prescription de l’action en indemnisation du dommage résultant d’un manquement au devoir de mise en garde débute, non pas à la date de conclusion du contrat de prêt, mais à la date d’exigibilité des sommes au paiement desquelles l’emprunteur n’est pas en mesure de faire face (Cass. com., 22 janvier 2020, n° 17-20.819, F-D N° Lexbase : A59293CL).

La première chambre civile retient la même solution dans un autre arrêt rendu également le 5 janvier 2022 (Cass. civ. 1, 5 janvier 2022, n° 20-18.893, FS-B N° Lexbase : A42197HQ ; J. Lasserre Capdeville, Lexbase Affaires, 13 janvier 2022, n° 701 N° Lexbase : N0004BZ8).

Pour aller plus loin :

  • v. ÉTUDE : Proportionnalité et cautionnement, Le cautionnement des personnes physiques envers les créanciers professionnels, in Droit des sûretés, (dir. G. Piette), Lexbase (N° Lexbase : E8923BXR) ;
  • v. ÉTUDE : Droit de la responsabilité du banquier dispensateur de crédit, Contenu du devoir de mise en garde, in Droit bancaire, (dir. J. Lasserre-Capdeville), Lexbase (N° Lexbase : E14203PB). 

 

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