Le Quotidien du 7 janvier 2022 : Assurances

[Focus] La loi du 28 décembre 2021 portant réforme de l'indemnisation des catastrophes naturelles : beaucoup de bruit pour rien ?

Réf. : Loi n° 2021-1837, du 28 décembre 2021, relative à l'indemnisation des catastrophes naturelles (N° Lexbase : L1734MAH)

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par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, Rome Associés, Chargée d’enseignements à l’UPEC et Paris Saclay, Responsable de la commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats

le 12 Janvier 2022

La multiplication passée, présente et à venir des évènements météorologiques consécutive au réchauffement climatique, susceptibles d’être qualifiés de catastrophes naturelles a rendu nécessaire l’évolution du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles, créé par la loi n° 82-600 du 13 juillet 1982 relative à l'indemnisation des victimes de catastrophes naturelles (N° Lexbase : L7772AIP). Les assureurs la réclamaient et l’espéraient depuis longtemps, lassés de devoir faire face à une hausse toujours plus significative du montant des sinistres [1]. À quelques jours de la fin de l’année, alternative à la période estivale tout aussi tranquille, la loi a été adoptée.

La prise en charge des évènements climatiques majeurs se fait, en partie, par l’assurance privée en France notamment par le biais de l’assurance dite « CatNat ». Il s’agit d’une garantie obligatoire comme le précise l’article L. 125-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L2082MAD). Tout souscripteur bénéficie de cette garantie dans son contrat d’assurance de biens, qu’il s’agisse d’un contrat d’assurance incendie, multirisque habitation, dommages aux bâtiments professionnels ou encore véhicules terrestres à moteur. Si la garantie obligatoire est délivrée par l’assurance privée, elle est réassurée pour partie par la Caisse Centrale de Réassurance.

Il reste que le coût supplémentaire des dommages occasionnés par les dommages matériels causés par le climat d’ici 2040 est évalué à 44 milliards d’euros, soit une hausse de 90 % par rapport au montant des dégâts cumulés des 25 années précédentes [2]. L’objectif était donc nécessairement de contenir cette hausse. En amont, d’une part, aux termes d’une amélioration de l’efficacité des mécanismes de prévention et d’alerte. En aval, d’autre part, en rénovant le régime actuel. L’ambition était à la hauteur des enjeux financiers.

Sans pour autant anticiper sur l’effectivité des changements apportés, la loi s’articule autour de deux grands axes :

  • améliorer la transparence de la procédure de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle ;
  • sécuriser et simplifier les procédures pour les usagers et préparer l’avenir.

Il n’est donc vraiment pas certain que cette loi aboutisse à réduire le périmètre d’intervention et de garantie des assureurs, loin de là.

I. In comuni

Personne ne pouvait vraiment savoir si l’évènement allait, ou non, être qualifié de catastrophe naturelle.

L’article L. 125-1 du Code des assurances se borne, en effet, à préciser que cette garantie prend en charge les « dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause déterminante l’intensité anormale d’un agent naturel, lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n’ont pu empêcher leur survenance ou n’ont pu être prises ».

L’assuré était indemnisé des dégâts causés par une catastrophe naturelle dans les cas suivants :

  • si le maire a fait une demande de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle ;
  • si, à la suite de cette demande, un arrêté interministériel de catastrophe naturelle était publié au Journal officiel ;
  • si les biens de l’assuré étaient garantis en assurance de dommage.

La loi améliore la transparence du processus décisionnel à l’égard des maires et des préfets. L’arrêté interministériel de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle devra être motivé et mentionner les voies et délais de tous les recours possibles et de communication des documents administratifs, notamment des rapports d’expertise ayant fondé l’arrêté.

La commission interministérielle de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle devra établir un rapport annuel présentant ses avis et référentiels utilisés pour apprécier l’intensité anormale des phénomènes naturels. Elle doit, également, rendre annuellement un avis sur la pertinence des critères retenus pour déterminer la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, lequel dresse aussi un bilan des modalités et conditions dans lesquelles les experts qui interviennent sur l’évaluation des dommages occasionnés par des catastrophes naturelles.

Après le référent Covid sur les chantiers, un référent CatNat est nommé dans chaque préfecture pour accompagner les communes. Il est chargé :

  • d’informer les communes des démarches requises pour déposer une demande de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle ;
  • de les conseiller au cours de l’instruction ;
  • et, plus généralement, de promouvoir une meilleure information des communes.

Le délai de dépôt des dossiers de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle par les communes est allongé de 18 à 24 mois.

Un délai d’un mois est laissé à l’assureur entre la réception de la déclaration de sinistre et l’information de l’assuré sur la mise en jeu des garanties. Il disposera d’un autre petit mois pour proposer une indemnisation et, dès l’accord de l’assuré, 21 jours pour verser les fonds.

Dans la limite du montant de la valeur de la chose assurée au moment du sinistre, les indemnisations dues à l’assuré liées aux mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse-réhydratation des sols couvrent les travaux permettant un arrêt des désordres existants consécutifs à l’évènement lorsque l’expertise constate une atteinte à la solidité des bâtiments ou un état du bien le rendant impropre à sa destination.

La FFA proposait de sanctionner les assurés qui auraient érigé des constructions en violation des règles d’urbanisme par une déchéance de garantie, il n’en reste rien.

La loi vient ainsi consacrer la zone grise existante entre le dommage de nature décennale, dont sont responsables les constructeurs sur le fondement de l’article 1792 du Code civil (N° Lexbase : L1920ABQ) en cas de dommage qui porte atteinte à la solidité de l’ouvrage ou le rend impropre à sa destination, et le dommage consécutif à un épisode de CatNat. Il reste à espérer que la distinction entre la malfaçon ou la non-façon puisse se distinguer de l’évènement CatNat ou ne soit pas aggravant…

Les frais de relogements d’urgence des sinistrés sont désormais intégrés à l’indemnisation.

Sur amendement du Gouvernement, il a été voté que toute personne qui se voit refuser une assurance sur son bien pourra contester la décision de l’assureur devant le BCT.

Sur amendement du Sénat, le délai de prescription au cours duquel l’assuré peut exiger de l’assureur le règlement de l’indemnité qui lui est due en cas de dommages causés par le risque sécheresse-réhydratation des sols est porté de deux à cinq ans.

II. In particulari

L’impensable avait été pensé. L’intouchable article L. 114-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L2081MAC) a été retouché. Il a été allongé pour être précis. Le Code des assurances déroge, en effet, au délai de prescription de droit commun de cinq ans prévu par l’article 2224 du Code civil (N° Lexbase : L7184IAC) pour retenir que toutes les actions dérivant du contrat d’assurance sont prescrites par deux ans à compter de l’évènement qui y donne naissance. L’assureur peut donc se libérer envers l’assuré resté inactif pendant deux ans sous certaines conditions posées par la jurisprudence [3]. Il s’agit là d’un mode d’extinction de l’obligation. Rapporté au régime CatNat, l’assuré devait saisir son assureur et/ou interrompre la prescription dans ce délai biennal, même si une expertise, amiable ou judiciaire, est en cours. Lorsque les polices sont suffisamment bien rédigées pour être validées par la jurisprudence, la prescription biennale est une véritable chausse-trappe.

Le premier alinéa de l’article L. 114-1 du Code des assurances est complété par la phrase suivante : « Par exception [ndrl à la prescription biennale], les actions dérivant d’un contrat d’assurance relatives à des dommages résultant de mouvements de terrain consécutifs à la sécheresse-réhydratation des sols, reconnus comme une catastrophe naturelle dans les conditions de l’article L. 125-1, sont prescrites par cinq ans à compter de l’évènement qui y donne naissance ». La prescription biennale passe donc à cinq ans mais seulement pour les dommages relatifs au risque sécheresse-réhydratation. Tous les évènements susceptibles d’être qualifiés de catastrophes naturelles ne sont donc pas éligibles à la prescription quinquennale. C’est compliqué. D’autant que nombreux sont ceux – y compris la Cour de cassation - qui plaident pour une réforme de cette prescription biennale, contestée par beaucoup et assez compliquée à mettre en œuvre, donc source d’un contentieux important [4]. Le législateur aurait pu saisir l’opportunité. D’autant que la DACS est également favorable à cette réforme, dans la mesure où le délai de deux ans n’est pas suspendu par les pourparlers entre l’assureur et l’assuré, même en cas d’expertise en cours. Il faudrait au moins suspendre les délais dans certaines circonstances.

*             *

Au total, la nouvelle loi rallonge les délais de procédure et renforce la prise en charge des sinistrés. Il est assez douteux que cela conduise à une baisse du nombre de sinistres.

La loi ne prévoyait pas les modalités et l’information des communes et des habitants sur le dispositif de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, c’est chose faite.

La loi ne prévoyait pas de délai de prescription particulier pour faciliter l’action de la victime, c’est chose faite.

Il reste à espérer que, prises ensemble, les mesures environnementales permettent une re-régulation climatique.

 

[1] Un rapport du Sénat estime que « d’ici 2050, le montant des sinistres liés aux catastrophes naturelles va augmenter de 50 %, à cause du climat et de la concentration de la population dans les zones à risques », Rapport cité in J. Raynal, Assurance : le régime CAT NAT sera-t-il réformé avant 2022 ?, La Tribune.fr, 28 novembre 2019, [en ligne].

[2] A. Astegiano-La Rizza, La réforme de la garantie catastrophes naturelles enfin en perspective !, BJDA 2018, n° 58.

[3] Propositions de réforme en matière civile proposée par la Cour de cassation, Rapport annuel 2020, p. 37, [en ligne].

[4] V. not. C. Croix J. Heraut, La prescription biennale en matière d’assurance : vers une refonte complète ?, JCP G 2012, 980. Mais également G. Leguay, La prescription biennale du Code des assurances : chronique d’une mort annoncée, RDI 2000, p.77. G. Leguay, Prescription biennale et assurance : le malaise subsiste, RDI 2008, p. 396.

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