Réf. : CJUE, 25 novembre 2021, aff. C-102/20 (N° Lexbase : A92727CE)
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par Vincent Téchené
le 14 Décembre 2021
► L’affichage dans la boîte de réception électronique de messages publicitaires sous une forme qui s’apparente à celle d’un véritable courrier électronique constitue une utilisation de courrier électronique à des fins de prospection directe au sens de la Directive « vie privée et communications électroniques » (Directive n° 2002/58 du 12 juillet 2002 N° Lexbase : L6515A43) ; ces messages présentent un risque de confusion pouvant conduire l’utilisateur qui cliquerait sur la ligne correspondant au message publicitaire à être redirigé contre sa volonté vers un site internet présentant ladite publicité.
Faits et procédure. À la demande d’un fournisseur d’électricité, une agence de publicité a diffusé des annonces publicitaires, consistant dans l’affichage de bannières dans les boîtes à lettres électroniques d’utilisateurs d’un service de messagerie électronique gratuit. Ces messages apparaissaient dès que les utilisateurs du service de messagerie électronique ouvraient leur boîte de réception, tant les utilisateurs concernés que les messages affichés étant choisis aléatoirement (activité publicitaire dite « Inbox Advertising »). Ils ne se distinguaient visuellement de la liste des autres courriels de l’utilisateur du compte que par le fait que la date était remplacée par la mention « Anzeige » (annonce), qu’aucun expéditeur n’était mentionné et que le texte apparaissait sur un fond gris. La rubrique « Objet » correspondant à cette entrée de liste contenait un texte destiné à la promotion de prix avantageux pour les services d’électricité et le gaz.
Un autre fournisseur d’électricité concurrent a considéré que cette pratique publicitaire impliquant l’utilisation du courrier électronique sans le consentement exprès préalable du destinataire était contraire aux règles en matière de concurrence déloyale.
C’est dans ces conditions que la Cour fédérale de justice (Allemagne) a posé à la Cour des questions préjudicielles, demandant si et, le cas échéant, selon quelles conditions peut être considérée comme compatible avec les dispositions pertinentes des Directives n° 2002/58 et n° 2005/29 du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises (N° Lexbase : L5072G9Q), une pratique en vertu de laquelle des messages publicitaires sont affichés dans la boîte de réception de l’utilisateur d’un service de messagerie électronique qui est fourni gratuitement à cet utilisateur et qui est financé par la publicité payée par les annonceurs.
Décision. En premier lieu, la Cour estime que, compte tenu des modalités de diffusion des messages publicitaires, la manière de procéder constitue une utilisation du courrier électronique susceptible de porter atteinte à l’objectif de la Directive « e-privacy » de 2005 de protection des utilisateurs contre toute violation de leur vie privée par des communications non sollicitées effectuées à des fins de prospection directe.
En deuxième lieu, la Cour considère que la nature même des messages publicitaires, qui visent la promotion de services et le fait qu’ils sont diffusés sous la forme d’un courrier électronique permettent de qualifier ces messages de « communications visant la prospection directe ». Selon la Cour, la circonstance que le destinataire de ces messages publicitaires est choisi de manière aléatoire n’a aucune importance ; ce qui importe, c’est qu’il existe une communication à finalité commerciale qui atteint directement et individuellement un ou plusieurs utilisateurs de services de messagerie électronique.
En troisième lieu, la Cour précise que l’utilisation de courrier électronique à des fins de prospection directe est autorisée à condition que son destinataire y ait préalablement consenti. Un tel consentement doit se traduire dans une manifestation de volonté libre, spécifique et informée de la part de la personne concernée. Or, en l’espèce le service de messagerie électronique est proposé aux utilisateurs sous la forme de deux catégories de services de messagerie, à savoir, d’une part, un service de messagerie gratuit, financé par la publicité et, d’autre part, un service de messagerie payant, sans publicité.
La Cour considère donc qu’il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer si l’utilisateur concerné, ayant opté pour la gratuité du service de messagerie électronique, a été dûment informé des modalités précises de diffusion d’une telle publicité et a effectivement consenti à recevoir des messages publicitaires.
En quatrième lieu, bien que la Cour relève que l’apparition de ces messages publicitaires dans la liste des courriers électroniques privés de l’utilisateur entrave l’accès à ces courriers d’une manière analogue à celle utilisée pour les courriels non sollicités (appelés également « spam »), elle souligne néanmoins que la Directive n° 2002/58 n’impose pas l’exigence de constater que la charge imposée à l’utilisateur va au-delà d’une gêne qui lui serait causée. En même temps, la Cour juge qu’une telle apparition de messages publicitaires impose, en tout état de cause, bien une charge à l’utilisateur concerné.
Enfin, la Cour estime qu’une démarche consistant en l’affichage dans la boîte de réception de l’utilisateur d’un service de messagerie électronique de messages publicitaires sous une forme qui s’apparente à celle d’un véritable courrier électronique relève de la notion de « sollicitations répétées et non souhaitées » de la Directive n° 2005/29 si, d’une part, l’affichage de ces messages publicitaires a eu un caractère suffisamment fréquent et régulier pour pouvoir être qualifié de sollicitations « répétées » et, d’autre part, s’il peut être qualifié de sollicitations « non souhaitées » en l’absence d’un consentement préalable donné par cet utilisateur.
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