La lettre juridique n°885 du 25 novembre 2021 : Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] Poursuite de la caution et transfert de la charge de la sûreté

Réf. : Cass. com., 20 octobre 2021, n° 20-16.980, F-B (N° Lexbase : A5246498)

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par Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l’Université Côte d’Azur, Membre du CERDP, Directrice du Master 2 Droit des entreprises en difficulté de la faculté de droit de Nice

le 24 Novembre 2022


Mots-clés : plan de cession • transfert de la charge de la sûreté (C. com., art. L. 642-12, al. 4) • renonciation par le créancier • décharge de la caution sur le fondement de l’article 2314 du Code civil

Le créancier prêteur qui accepte de donner mainlevée du nantissement sur le fonds de commerce cédé au repreneur dans un plan de cession, et qui limite ses droits au paiement des sommes restant dues après le transfert de propriété au repreneur, perd le droit de demander paiement à la caution de sommes restant dues antérieurement.


 

L’article L. 642-12, alinéa 4, du Code de commerce (N° Lexbase : L7334IZN) oblige le repreneur à s’acquitter des échéances restant à échoir, après transfert à son profit du bien grevé  acquis grâce au prêt. Ce transfert intervient à la date de signature des actes de cession.

On est ici en présence d’un contrat dont les obligations naissent instantanément. L’obligation de rembourser naît en une seule fois, à l’exact moment de la remise des fonds pour les contrats de crédits réels, c’est-à-dire ceux consentis par des personnes autres que des établissements de crédit, au moment de la signature, pour les contrats de crédit consensuels, c’est-à-dire ceux consentis par des établissements de crédit. L’obligation de rembourser est ainsi, pour la totalité, née sur la tête de l’emprunteur, c’est-à-dire du débiteur.

Si la créance du prêteur a été déclarée au passif du débiteur, elle devra être admise au passif à titre privilégié. En effet, du fait de l’autorité de chose jugée attachée à l’admission au passif, une admission à titre chirographaire interdirait au créancier de prétendre à un transfert de charge de sûreté [1], car l’admission au passif, opposable au repreneur, peut également être opposée par le repreneur au créancier prêteur.

En outre, jusqu’à l’ordonnance du 15 septembre 2021 (ordonnance n° 2021-1193 N° Lexbase : L8998L7E), le plan de cession n’a pas d’effet novatoire. Il en résulte que l’obligation transférée sur la tête du repreneur de payer les échéances de crédit restant à échoir n’entraîne pas décharge du débiteur. La solution est d’importance pour la caution. Puisqu’elle est tenue de la dette née du chef du débiteur et que le plan de cession n’a pas d’effet novatoire [2], la caution reste obligée à l’intégralité des sommes dues au titre du crédit [3], sous déduction des sommes versées par le cessionnaire [4].

Mais que se passe-t-il si le créancier prêteur renonce au bénéfice du transfert de la charge de la sûreté, en acceptant la mainlevée de la sûreté grevant le bien transféré au repreneur ? La caution peut-elle se prévaloir de cet argument pour refuser de payer les sommes qu’elle restait devoir ?

C’est la problématique au cœur d’un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 20 octobre 2021.

En l’espèce, par un acte notarié du 30 décembre 2011, la banque a consenti à la société FHF (la société) un prêt destiné à l'acquisition d'un fonds de commerce, lequel était garanti par le nantissement du fonds et par le cautionnement de M. et Mme E, co-gérants de la société.

La société a été mise en redressement puis liquidation judiciaires, le tribunal ordonnant la cession totale de la société au profit de M. C.

La banque ayant fait délivrer aux cautions un commandement de payer aux fins de saisie-vente, ces dernières l'ont assignée devant le juge de l'exécution en annulation de ce commandement, en demandant à être déchargées de leur engagement sur le fondement des articles 2314 du Code civil (N° Lexbase : L1373HIP) et L. 642-12 du Code de commerce.

L'administrateur judiciaire a présenté à l'audience du tribunal de commerce l'attestation de la banque, aux termes de laquelle celle-ci acceptait de donner mainlevée du nantissement grevant le fonds de commerce à la condition d'être intégralement payée du solde des prêts (capital + intérêts), dès que le prix de cession aura été versé entre les mains du liquidateur judiciaire. La solution a été reprise exactement par le jugement ayant arrêté le plan de cession.

Les juges du fond [5] ont fait droit aux demandes des cautions d’être déchargées sur le fondement de l’article 2314 du Code civil.

La banque s’est alors pourvue en cassation en reprochant à la cour d’appel de ne pas avoir tenu compte du fait que la levée du nantissement s’inscrivait dans un plan de cession et que les cautions avaient accepté l’offre présentée.

L’argument ne convainc pas la Cour de cassation qui rejette le pourvoi : la caution est déchargée sur le fondement de l’article 2314 du Code civil, dès lors que la banque a expressément donné son accord pour renoncer au nantissement grevant le fonds de commerce, étant précisé que le repreneur avait formulé une offre avec deux options et que l'option non retenue prenait en compte le paiement des mensualités du prêt sans renonciation du créancier à son nantissement.  La Cour de cassation estime que « de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire que le nantissement avait été perdu par le choix de la banque, faisant ainsi ressortir que cette perte était imputable au fait fautif exclusif du créancier ».

La question en débat était de savoir si le créancier qui accepte la mainlevée d’une sûreté, en limitant sa prétention au paiement des échéances restant à échoir au jour du transfert à son profit, peut prétendre demander paiement à la caution des sommes restant dues par le débiteur avant le transfert de propriété du bien grevé. En jeu, il y a l’application de l’article 2314 du Code civil, selon lequel « La caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution. Toute clause contraire est réputée non écrite ».

Cette décharge de la caution suppose un fait exclusif du créancier, qui empêche la caution d’être subrogée dans un droit susceptible de subrogation. En l’espèce, ce fait exclusif tient à la mainlevée du nantissement sur le fonds de commerce qu’a acceptée le créancier.

La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de s’exprimer sur cette question. Ainsi a-t-elle pu juger que le fait pour le créancier titulaire d’une sûreté, dont la charge doit être transmise au cessionnaire par application de l’article L. 642-12, alinéa 4, du Code de commerce, de ne pas s’opposer à la mise à l’écart de la règle, mais en n’y renonçant pas expressément, n’est pas constitutif d’une faute autorisant la décharge de la caution [6]. La Cour de cassation a également pu considérer que le simple fait que le créancier et le cessionnaire conviennent du montant dû par ce dernier au titre des échéances futures du prêt garanti par la sûreté ne vaut pas renonciation au jeu du transfert de la charge de la sûreté et n’autorise donc pas le jeu de la décharge sur le fondement de l’article 2314 du Code civil [7].

En revanche, le fait pour le créancier de renoncer à la transmission de la charge de la sûreté est analysé comme étant source de décharge de la caution, par application de l’ancien article 2037, devenu 2314, du Code civil [8].

Mais une nuance de taille a été apportée par la Cour de cassation. Elle a approuvé une cour d’appel d’avoir refusé le jeu de l’exception de subrogation, dans une espèce dans laquelle l’administrateur judiciaire avait envoyé un courrier à la banque lui indiquant que la reprise des actifs incluant la reprise des contrats de travail était subordonnée à l’abandon par celle-ci du nantissement sur le fonds de commerce, les prix proposés ne permettant pas d’envisager la distribution d’une quelconque somme à la banque ou la prise en charge du crédit par le repreneur. La cour d’appel a pu en déduire que la banque n’avait conclu aucun accord à ce sujet avec le repreneur et que la perte du nantissement résultait aussi des impératifs de bonne fin de la procédure collective avec maintien de tout ou partie de l’activité et des emplois et l’apurement du passif. La cour d’appel a ainsi fait ressortir que la perte du nantissement résultant du jugement arrêtant le plan de cession n’était ni imputable exclusivement au créancier ni fautive [9]. Il importe de noter que, dans cet arrêt, l’élément clé semble être l’absence d’accord avec le repreneur, l’abandon du nantissement étant accordé à l’administrateur judiciaire.

En l’espèce, rien de tel. C’est le créancier qui accepté la mainlevée de la sûreté, alors que l’une des offres de cession présentée par le candidat repreneur ne contenait pas une demande au banquier de donner mainlevée du nantissement.

Il y a donc bien ici un fait exclusif du créancier, un acte d’égoïsme manifestant un désintérêt pour le sort de la caution. Cette dernière, empêchée, si elle paie, de pouvoir bénéficier du nantissement, a bien perdu, par le fait du banquier, un droit préférentiel susceptible de subrogation et mérite d’être déchargée.

Les prêteurs doivent être vigilants lorsqu’ils renoncent au jeu du transfert de la charge de la sûreté : la demande doit émaner non pas du repreneur, mais de l’administrateur ou du liquidateur et doit être la seule solution pour permettre la cession de l’entreprise. C’est à ce prix seulement qu’ils pourront éviter la décharge de la caution.

Précisons que l’article 57 de l’ordonnance du 15 septembre 2021 est venu modifier la rédaction de l’article L 642-12, alinéa 4, du Code de commerce (N° Lexbase : L9204L7Z). Désormais le texte est rédigé de la façon suivante : « Toutefois, la charge des sûretés réelles spéciales, garantissant le remboursement d'un crédit consenti à l'entreprise pour lui permettre le financement d'un bien sur lequel portent ces sûretés est transmise au cessionnaire. Celui-ci est alors tenu d'acquitter entre les mains du créancier, qui a régulièrement déclaré sa créance dans les délais prévus à l’article L. 62224, les échéances convenues avec lui et qui restent dues à compter du transfert de la propriété ou, en cas de location-gérance, de la jouissance du bien sur lequel porte la garantie. Le débiteur est libéré de ces échéances. Il peut être dérogé aux dispositions du présent alinéa par accord entre le cessionnaire et les créanciers titulaires des sûretés ».

Le texte comporte deux modifications.

Tout d’abord, le créancier ne peut bénéficier de la règle du transfert de la charge de la sûreté qu’à la condition d’avoir déclaré sa créance au passif dans les délais requis, ce qui suppose évidemment qu’il ait déclaré sa créance, mais aussi la sûreté réelle venant garantir son paiement.

Ensuite, le texte envisage une libération du débiteur-cédant pour les échéances restant à échoir après le transfert de propriété ou après l’entrée en jouissance du bien en cas de location-gérance. Autrement dit, désormais, l’adoption du plan de cession a un effet novatoire pour la dette contractée pour le débiteur, qui ne subsiste que pour les sommes exigibles avant le transfert de propriété ou l’entrée en jouissance (en cas de location-gérance) du repreneur.

La question des effets de la décharge à l’égard des cautions se pose. On peut estimer que la décharge du débiteur est une exception purement personnelle au débiteur. Cependant, depuis la réforme du droit du cautionnement issue de l’ordonnance « sûretés » n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 (N° Lexbase : L8997L7D), la caution peut soulever les exceptions personnelles au débiteur (C. civ., futur art. 2298 N° Lexbase : L0172L8U applicable au 1er janvier 2022). Toutefois, le Code civil apporte une limite. Cette possibilité cesse si l’exception intéressant le débiteur résulte d’une mesure judiciaire ou législative résultant de l’application du livre VI du Code de commerce, sauf disposition contraire (cf. C. civ., art. 2298, al. 2).

Tel est bien le cas en l’espèce. C’est le livre VI du Code de commerce, spécialement l’article L. 642-12, alinéa 4, du Code de commerce qui envisage la mesure. Or le texte ne prévoit pas qu’elle bénéficie à la caution. Par conséquent, il nous semble que la mesure ne pourra profiter à la caution. Affaire à suivre…

 

[1] Cass. com., 7 novembre 2018, n° 17-24.233, F-D (N° Lexbase : A6862YKD), Gaz. Pal., 2019, n° 15, 54, note M. Guastella ; Bull. Joly Entrep. en diff., mars/avril 2019, 44, note Vincent ; P.-M. Le Corre, Lexbase Affaires, novembre 2018, n° 576 (N° Lexbase : N6401BXD).

[2] Rappelant la solution : Cass. com., 27 février 2007, n° 03-12.363, FS-P+B(N° Lexbase : A5878DUA), D., 2007, AJ 1021, obs. A. Lienhard; JCP E, 2007, chron. 2119, n° 4, obs. Cabrillac ; Gaz. proc. coll., 2007/2, p. 53, note P.-M. Le Corre.

[3] Cass. com., 13 avril 1999, n° 97-11.383, publié (N° Lexbase : A6409AGH), RTD com., 1999, 964, obs. C. Saint-Alary-Houin ; LPA, 25 mai 1999, n° 103, p. 10, note P.-M. Le Corre ; D. Affaires, 1999, 801, obs. A. Lienhard ; D., 2000, somm. 257, note P. Lipinski ; Rev. proc. coll., 2000, 96, note G. Mahinga ; RTD com. 2000, 177, obs. A. Martin-Serf – Cass. com., 9 novembre 2004, n° 02-17.467, F-D (N° Lexbase : A8427DDH).

[4] Cass. com., 8 janvier 2020, n° 18-21.925, F-D (N° Lexbase : A47993AY), Bull. Joly Entrep. en diff., mai/juin 2020, 22, note K. Lafaurie.

[5] CA Reims, 9 juin 2020, n° 20/00162 (N° Lexbase : A14563NA).

[6] Cass. com., 13 mai 2003, n° 99-21.551, FS-P (N° Lexbase : A0334B7I), D., 2003, AJ 1629, obs. V. Avéna-Robardet ; JCP E, 2003, Chron. 1396, n° 2, obs. M. Cabrillac ; LPA, 24 novembre 2003, n° 234, p. 10, note D. Houtcieff ; RD banc. fin., 2003, n° 182, obs. D. Legeais ; RTD com., 2004, 155, n° 3, obs. A. Martin-Serf ; Defrénois, 2004, 884, 37969, note A. Honorat et H. Hovasse ; Act. proc. coll., 2003, n° 174 – Cass. com., 4 janvier 2005, n° 02-19.099, F-D (N° Lexbase : A8665DEN), Gaz. proc. coll., 2005/1, p. 44, n° 1, obs. P.-M. Le Corre.

[7] Cass. com., 19 octobre 2010, n° 09-68.377, F-P+B (N° Lexbase : A4342GCS).

[8] Cass. com., 31 janvier 2017, n° 15-10.021, F-D (N° Lexbase : A4227TB8).

[9] Cass. com., 19 novembre 2013, n° 12-26.539, F-D (N° Lexbase : A0492KQB), Gaz. Pal., 12 janvier 2014, p. 40, note E. Le Corre-Broly ; Rev. proc. coll., 2014, comm. 25, note J.-J. Fraimout ; Bull. Joly Entrep. en diff.,  mars 2014, 88, note A. Cerati-Gauthier. ; RTD com., 2014, 689, n° 2, note A. Martin-Serf.

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