La lettre juridique n°885 du 25 novembre 2021 : Covid-19

[Textes] Loi sur la vigilance sanitaire : une sortie de pandémie au long-cours

Réf. : Loi n° 2021-1465, du 10 novembre 2021, portant diverses dispositions de vigilance sanitaire (N° Lexbase : L9510L8Q)

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par Raphaël Maurel, Maître de conférences en droit public à l’Université de Bourgogne, membre du CREDIMI (EA 7532), associé au CEDIN (EA 382) et au CMH (EA 4232)

le 26 Novembre 2021

 


Mots clés : crise sanitaire • covid-19 • état d'urgence sanitaire

C’est dans un contexte parlementaire houleux que la loi n° 2021-1465 du 10 novembre 2021, portant diverses dispositions de vigilance sanitaire a été promulguée, le jour même. Déposé le 13 octobre dernier par le Gouvernement, le projet de loi a fait l’objet d’un traitement en procédure accélérée – qui constitue statistiquement, aujourd’hui, le mode « normal » de législation. Contrairement aux précédents textes de lutte contre la pandémie puis de gestion de la sortie de crise, cette nouvelle loi, annoncée dès l’été dernier puisque le régime voté en août ne pouvait s’étendre au-delà de l’automne 2021, a fait l’objet de débats tumultueux au Parlement. En particulier, le Sénat, en désaccord sur plusieurs points clés du dispositif soumis par le Gouvernement, a d’emblée exprimé ses divergences de vues. Après l’échec de la commission mixte paritaire du 2 novembre 2021, l’Assemblée nationale a rétabli l’intégralité de son texte en écartant les propositions sénatoriales le lendemain – à l’exception de l’article 7 du texte final concernant la Nouvelle-Calédonie et de l’article 12 concernant l’élection des conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger –, conduisant à un rejet préalable du nouveau texte au Sénat le 4 novembre 2021.


 

La loi, qui est la huitième adoptée depuis mars 2020 en matière sanitaire, présente plusieurs volets dont tous ne seront pas ici traités (v. en particulier les articles 4 et 5 sur le contrôle du respect de l'obligation vaccinale ou l’article 7 sur les dispositions applicables en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française). Elle prolonge principalement le régime de sortie de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 31 juillet 2022. Malgré l’opposition du Sénat, le texte confirme notamment la coexistence de deux régimes juridiques distincts, qu’il consolide (I). Il n’est cependant pas sorti indemne du filtre du Conseil constitutionnel, qui en a censuré plusieurs dispositions (II).

I. La consécration de la coexistence de deux régimes sanitaires distincts

Avec seulement 14 articles – dont l’un (le neuvième) intégralement censuré par le juge constitutionnel, la loi du 10 novembre 2021 est relativement brève, à l’image de son examen parlementaire. Ses deux premiers articles prévoient pourtant une articulation complexe : d’une part celui de l’état d’urgence sanitaire, permettant s’il est déclenché les confinements et couvre-feux (A), d’autre part celui de la « gestion de crise sanitaire », sorte d’entre-deux permettant à la fois de prendre des mesures proches et distinctes de l’état d’urgence sanitaire (B).

A. La prorogation de la possibilité de déclencher l’état d’urgence sanitaire

 

Le premier article substitue la date du « 31 juillet 2022 » aux mentions du « 31 décembre 2021 » dans l’article 7 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 (N° Lexbase : L5506LWT), et, logiquement, dans le Code de la santé publique. Rappelons qu’en effet, la loi du 23 mars 2020 a créé un nouveau chapitre 1er bis au titre III du livre Ier de la troisième partie du code de la santé publique intitulé « État d’urgence sanitaire » – le chapitre 1er ayant été renommé « Menaces sanitaires » en lieu et place de « Menaces sanitaires et crises graves ». L’une des originalités de la loi du 23 mars 2020 réside dans son article 4, qui prévoit l’entrée en vigueur de l’état sanitaire pour deux mois à compter de l’entrée en vigueur de la loi sauf dans l’hypothèse de sa prorogation, par la loi, jusqu’à une date fixée par l’article 7 – ce qui n’est pas des plus limpides. Lorsqu’il est mis en œuvre, ce dispositif permet en particulier au Premier ministre, par décret pris sur le rapport du ministre chargé de la santé et « aux seules fins de garantir la santé publique », de prendre une série de mesures dont l’essentiel est mentionné à l’article L. 3131-15 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L4891L7B). Au titre de ces mesures figurent la restriction ou l’interdiction de la circulation des personnes et des véhicules en certains lieux et heures, l’interdiction de sortir de son domicile, la quarantaine, la fermeture administrative d’établissements, l’interdiction des rassemblements sur la voie publique, ou encore la réquisition de tous biens et services nécessaires à la lutte contre la catastrophe sanitaire. Il s’agit donc du dispositif le plus attentatoire aux droits et libertés, ayant vocation à être limité à la fois matériellement – les mesures devant cesser avec l’urgence – et temporellement. Cet article 7, qui prévoyait initialement que l’état d’urgence sanitaire pouvait être déclenché jusqu’au 1er avril 2021, avait déjà été modifié par la loi n° 2021-160 du 15 février 2021, prorogeant l’état d’urgence sanitaire (N° Lexbase : L1632L3T), qui prolongeait ce délai jusqu’au 31 décembre 2021.

Une partie du court et confus débat public sur le texte voté début novembre 2021 concernait la nouvelle prorogation de la possibilité de déclarer l’état d’urgence sanitaire – et non de cet état lui-même, dont la métropole est (discrètement) sortie par l’effet de l’article 50 du décret n° 2021-699 du 1er juin 2021, prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire (N° Lexbase : L5606L87), sauf dans les outre-mer ; la Réunion en est par exemple sortie par le décret n° 2021-1328 du 13 octobre 2021, mettant fin à l’état d’urgence sanitaire à La Réunion (N° Lexbase : L5295L8M). Selon l’opposition – de tous bords politiques – la prorogation proposée, en l’espèce, jusqu’au 31 juillet 2022 était problématique, en ce qu’elle constitue un prolongement disproportionné et non nécessaire de près de 9 mois de cette possibilité soumise à un contrôle juridictionnel minimal (et ce malgré l’article L. 3131-18 du Code de la santé publique N° Lexbase : L8573LWG qui renvoie aux recours possibles ; v. pour une argumentation sur ce point la contribution extérieure du professeur Paul Cassia, transmise le 6 novembre 2021 au Conseil constitutionnel en vue de la décision n° 2021-828 DC N° Lexbase : A23697BD). En creux, l’opposition critiquait la justification implicite de cet éloignement temporel, à savoir la survenance des élections présidentielles les 10 et 14 avril, puis législatives les 12 et 19 juin. Autrement dit, la majorité a souhaité que le calendrier des campagnes qui s’ouvriront officiellement le 28 mars 2022 ne soit ni bousculé, ni même gêné par la possible nécessité de déclencher l’état d’urgence sanitaire. Si l’on peut comprendre l’objectif d’apaisement social pendant une période électorale cruciale nécessitant des débats constructifs poursuivi par cet acte de prévoyance, celui-ci conduit néanmoins à l’absence de toute consultation du Parlement, pendant une durée inédite, sur la question du déclenchement de l’état d’urgence sanitaire. Il est loisible d’y voir là une nouvelle atteinte aux prérogatives du Parlement, d’autant que les contre-propositions des oppositions – notamment de la droite sénatoriale qui proposait la date du 28 février 2022 ont été balayées sans aucune suite. Cependant, il faut rappeler que le dispositif aujourd’hui codifié par l’article L. 3131-13 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L5585LWR) selon lequel « la prorogation de l’état d’urgence sanitaire au-delà d’un mois ne peut être autorisée que par la loi » demeure en vigueur, de sorte que tout nouveau déclenchement de l’état d’urgence sanitaire – il est vrai discrétionnaire – d’ici le 31 juillet 2021 ne saurait excéder un mois sans que le Parlement y soit associé.

Le Conseil constitutionnel, saisi de la compatibilité de cette disposition avec le bloc de constitutionnalité, notamment sous l’angle de la proportionnalité et de la nécessité, a sans surprise validé le dispositif. Il a sobrement rappelé que les mesures « doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires. Le juge est chargé de s’assurer que ces mesures sont adaptées, nécessaires et proportionnées à la finalité qu’elles poursuivent » (décision n° 2021-828 DC du 9 novembre 2021 N° Lexbase : A23697BD, Loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire).

B. La prorogation du régime de sortie de crise sanitaire

L’article 2 de la loi du 10 novembre est le plus dense ; il modifie en profondeur la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021, relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire (N° Lexbase : L6718L4L).

La première modification porte sur la prolongation du régime de sortie de crise, dont la date d’échéance, initialement annoncée au 15 novembre 2021, est alignée sur celle de l’article 1er. Ainsi, la possibilité d’imposer, par règlement, le « passe sanitaire » pour lutter contre l’épidémie est prolongée jusqu’au 31 juillet 2021, de même que certaines prérogatives relevant également de l’arsenal de l’état d’urgence : la limitation de la circulation des personnes, des réunions sur la voie publique ou encore la règlementation de l’accès aux établissements recevant du public. Sur ce point, l’articulation des deux régimes n’est pas particulièrement claire, certaines mesures relevant de l’état d’urgence sanitaire comme de la gestion de sortie de crise. Il résulte à tout le moins de l’alignement temporel des deux régimes, jusqu’ici distincts, un certain défaut de lisibilité et d’intelligibilité, a minima pour l’opinion publique.

Le travail parlementaire a essentiellement consisté, sur cet article, à encadrer la large marge de manœuvre proposée par le projet initial. Plus précisément, à la poursuite exclusive de la lutte contre la propagation de l’épidémie a été ajoutée la mention que le régime ne peut être déclenché que « si la situation sanitaire le justifie au regard de la circulation virale ou de ses conséquences sur le système de santé, appréciées en tenant compte des indicateurs sanitaires tels que le taux de vaccination, le taux de positivité des tests de dépistage, le taux d’incidence ou le taux de saturation des lits de réanimation ». Deux autres dispositions introduites par cet article 2 méritent néanmoins l’attention.

D’une part, un durcissement de la lutte contre la fraude au « passe sanitaire » a été adopté. D’abord, le fait de transmettre, en vue de son utilisation frauduleuse, un authentique « passe sanitaire » est puni d’une contravention de quatrième classe, c’est-à-dire d’une amende forfaitaire de 135 euros. Ensuite et surtout, l’usage, la procuration, la proposition de procuration ou l’utilisation d’un faux « passe sanitaire » fait l’objet d’une nouvelle infraction punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Le Conseil d’État, dans son avis n° 404.103 du 7 octobre 2021 (N° Lexbase : A61447CK), a – comme le Conseil constitutionnel – estimé que « la peine envisagée n’était pas manifestement disproportionnée en ce qui concerne les faits relatifs à l’établissement et à la cession de faux « passes sanitaires », au regard de la gravité du trouble causé à l’ordre public et à la santé publique par les trafics parfois importants auxquels ces agissements peuvent donner lieu » (§ 12). Pourtant, la production d’un faux « passe sanitaire » pour accéder à un établissement recevant du public se trouve dorénavant punie de la même manière, pour ne prendre que cet exemple, que les violences ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours commises, aux termes de l’article 222-12 du Code pénal (N° Lexbase : L6306L4C), sur un mineur de quinze ans ou une personne particulièrement vulnérable. Cette comparaison a de quoi laisser circonspect, la lecture de l’étude d’impact ne dissipant pas ce sentiment. Ladite étude ne s’appuie d’abord sur aucune statistique et, dans l’ensemble, sur aucun élément pour établir la gravité ni même l’existence de cette pratique. Ensuite, elle justifie la sanction par le fait que « le droit commun du délit de faux et usage de faux d’un document habituellement délivré par l’administration, auquel cette infraction est assimilable, prévoit des peines maximales de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende » (étude d’impact du 13 octobre 2021, p. 39). Cependant, on doit noter que l’infraction n’est que partiellement assimilable à celles visées par l’article 441-2 du Code pénal (N° Lexbase : L7211ALN), dans la mesure où les tests virologiques ne constituent pas des documents délivrés par l’administration – n’importe quel soignant libéral étant habilité à pratiquer un test et à remettre une attestation. Il eût sans doute été préférable d’aligner le régime répressif sur celui de l’article 441-1 du Code pénal (N° Lexbase : L2006AMA), réprimant le faux et usage de faux sans référence à une quelconque administration, de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.

D’autre part, une triple obligation d’information parlementaire est imposée par le même article. La première, issue du projet initial bien que la date ultime de remise ait été avancée par amendement, prévoit que le Gouvernement devra présenter au Parlement, trois mois après la promulgation de la loi et au plus tard le 15 février 2022, un rapport exposant « les mesures prises en application du présent article depuis l’entrée en vigueur de cette même loi et précisant leur impact sur les indicateurs sanitaires tels que le taux de vaccination, le taux de positivité des tests de dépistage, le taux d’incidence ou le taux de saturation des lits de réanimation ». Le rapport devra également indiquer les raisons du maintien, le cas échéant, de certaines des mesures prises sur tout ou partie du territoire national ainsi que les orientations de l’action du Gouvernement visant à lutter contre la propagation de l’épidémie de covid-19 », et pourra faire l’objet d’un débat. Signe d’une volonté de contrôle parlementaire sur ce régime exceptionnel, cette disposition répond également à la sensation d’absence de ce contrôle depuis le début de la pandémie, amplement relayée par les médias. La deuxième obligation est issue d’une succession d’amendements identiques à l’Assemblée, et prévoit qu’un deuxième rapport, contenant les mêmes informations, doit être présenté avant le 15 mai 2022 – soit trois mois environ après le premier. Enfin, un dernier alinéa prévoit que ces mêmes informations sont en tout état de cause communiquées chaque mois, à partir de la promulgation de la loi, au parlement sous la forme d’un rapport d’étape. Autrement dit, le Gouvernement se voit contraint de rendre compte de son activité chaque mois, seule l’intensité du contrôle parlementaire étant amenée à varier – avec l’existence ou non d’un débat en commission ou en séance publique. La disposition étant relativement peu claire, il eût sans doute été préférable, d’un point de vue non seulement rédactionnel mais également au regard des enjeux du contrôle parlementaire en temps de pandémie, de fusionner ces trois dispositions redondantes pour exiger un rapport mensuel. Rappelons, finalement, que ces rapports ne concernent que le régime de sortie de crise, et ne sont donc pas exigés dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, ce qui peut être justifié précisément par l’exigence de l’urgence mais pourra certainement être regretté.

II. L’amorce d’une extension du contrôle par le Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel a été saisi quelques heures à peine après le vote solennel de la loi à l’Assemblée nationale, sans aucune surprise puisque le Sénat avait opposé son rejet total du texte imposé par le Palais Bourbon. La décision du Conseil constitutionnel a été rendue le mardi suivant, soit 48h ouvrées après la saisine (décision n° 2021-828 DC du 9 novembre 2021 N° Lexbase : A23697BD, Loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire). Malgré ce délai excessivement court, qui peut susciter des interrogations quant à la qualité tant de la maturité des réflexions proposées par les quatre saisines sénatoriales et parlementaires que du raisonnement du juge constitutionnel, la décision, sans être très surprenante, est plus qu’à l’accoutumée révélatrice de la précipitation parlementaire qui a caractérisé l’examen de ce texte. Le Conseil constitutionnel n’a, certes, pas invalidé la prolongation exceptionnelle du régime de sortie d’état d’urgence, qui était la principale disposition contestée sur le fond. Il était au demeurant peu probable que le juge de la rue de Montpensier s’aventure sur le terrain de la proportionnalité, au regard du contrôle réduit qu’il exerce en la matière. Au surplus, le fait que le texte ne prolonge pas l’état d’urgence sanitaire, mais ne concerne que l’extension de la possibilité de son usage et le régime de gestion de crise, a joué dans l’intensité du contrôle (v. le § 6 de la décision). Le Conseil constitutionnel a cependant intégralement censuré sur le fond une disposition particulièrement critiquée quant à la protection des données personnelles (A), ainsi que, sur la forme, plusieurs habilitations législatives démontrant la grande précipitation du législateur (B).

A. La censure attendue de l’article 9

 

Le juge constitutionnel a totalement invalidé l’article 9 de la loi, qui permettait aux directeurs des établissements d’enseignement scolaire d’accéder à des informations médicales relatives aux élèves et de procéder à leur traitement. Les députés et sénateurs invoquaient des motifs procéduraux comme de fond. Sur le fond, était d’une part dénoncée la méconnaissance du droit au respect de la vie privée par cette dérogation au secret médical et l’autorisation de traitement de ces données « particulièrement sensibles relatives à des personnes pour la plupart mineures » (§ 32 de la décision), sans que la loi ne prévoie de garanties précises concernant les personnes ayant accès à ces données. D’autre part, une rupture d’égalité potentielle entre élèves dans l’accès à l’instruction, selon leur statut vaccinal, était alléguée par les députés (§ 34). Le Conseil constitutionnel aurait pu censurer la disposition sur le fondement d’une simple inconstitutionnalité procédurale – en l’espèce, une incompétence négative, comme l’invitaient à le faire les sénateurs (§ 33). Il retient pourtant pas moins trois motifs, à l’occasion d’un raisonnement particulièrement clair et étayé.

 

Premièrement, le Conseil constitutionnel, non sans avoir rappelé que « [l]orsque sont en cause des données à caractère personnel de nature médicale, une particulière vigilance doit être observée dans la conduite de ces opérations et la détermination de leurs modalités » (§ 35), relève que la loi ne prévoit à aucun moment le recueil du consentement des élèves ou de leurs parents (§ 38). Deuxièmement, il relève la communication potentielle des données sensibles à un grand nombre de personnes, dont l’habilitation n’est subordonnée à aucun critère, ni assortie d’aucune garantie relative à la protection du secret médical (§ 39). Enfin, il note l’absence de précision suffisante des finalités poursuivies par ces dispositions (§ 40). Il en déduit logiquement que ces dispositions « portent une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée » (§ 40) et n’examine pas les autres motifs avancés. L’on voit ici révélée la précipitation anormale du législateur : il aurait suffi que le texte précise les finalités du traitement et indique que les modalités d’habilitation des personnes « spécialement habilitées » par les chefs d’établissement pour accéder aux données médicales et les traiter seraient déterminées par décret pour purger les deux derniers motifs d’inconstitutionnalité, qui étaient au demeurant évidents.

La décision de censure était donc très probable, et on peut s’étonner que ni la majorité, ni le Gouvernement n’aient identifié en amont ces inconstitutionnalités majeures. La rapidité du processus législatif, dont l’on devine l’impact sur la qualité de la norme, peut expliquer cette erreur. Seul l’obstacle de l’absence de consentement était difficilement prévisible, au regard de l’intensité variable du contrôle du Conseil constitutionnel sur ce point. Il reste loisible de penser que si l’Assemblée nationale (puisque le Sénat a été écarté du processus) avait été plus précise dans la rédaction du texte, le Conseil constitutionnel aurait pu – bien que ceci eût été regrettable – se montrer plus conciliant sur l’unique argument du consentement.

B. La censure prévisible de certaines dispositions des articles 13 et 14

Selon un processus dorénavant courant [1], la loi habilitait pendant près de neuf mois le Gouvernement à adopter, par ordonnance de l’article 38, des dispositions de nature législative – notamment en matière de droit du travail. Les sénateurs, qui estimaient ce blanc-seing excessif, ont opposé une argumentation fondée sur une lecture littérale de l’article 38, selon lequel « [l]e Gouvernement peut, pour l’exécution de son programme, demander au Parlement l’autorisation de prendre par ordonnances […] ». Les demandes d’habilitation avaient bien été introduites soit par le projet de loi initial, soit par amendements gouvernementaux. Cependant, le Sénat avait supprimé ces dispositions en première lecture. Elles avaient été réintroduites, dans la précipitation...par amendements parlementaires en dernière lecture, et non par amendements gouvernementaux, ce qui constituait une question nouvelle.

La jurisprudence avait en effet pu confirmer que « seul le Gouvernement peut demander au Parlement l’autorisation de prendre de telles ordonnances », ce qui exclut l’habilitation prévue dans une proposition initiale de loi (v. décision n° 2004-510 DC du 20 janvier 2005 N° Lexbase : A1146DGK, Loi relative aux compétences du tribunal d’instance, de la juridiction de proximité et du tribunal de grande instance, considérants n°s 28 et 29) ; mais qu’il peut le fait soit par un projet de loi, soit par « un amendement à un texte en cours d’examen » (décision n° 2006-534 DC du 16 mars 2006 N° Lexbase : A5903DNX, Loi pour le retour à l’emploi et sur les droits et les devoirs des bénéficiaires de minima sociaux, considérant n° 5). Récemment, le Conseil constitutionnel a précisé que l’extension d’une habilitation requise par le Gouvernement est inconstitutionnelle si elle « résulte de l’adoption d’amendements d’origine parlementaire » (décision n° 2021-825 DC du 13 août 2021 N° Lexbase : A71314Z7, Loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, §15). La question du rétablissement d’une habilitation supprimée par l’autre chambre, par amendement, n’avait donc jamais été soumise au Conseil constitutionnel.

Face à la lecture formaliste – mais objectivement correcte et, croyons-nous, justifiée – faite de l’article 38 par le juge constitutionnel dans les trois décisions précitées, le Gouvernement se trouvait manifestement dans l’embarras. Sa réponse faite à l’argument des saisines, présentée dans les observations du 7 novembre 2021, peinait ainsi à convaincre. D’une part, le Gouvernement rappelait que les dispositions parlementaires « se bornent à rétablir » les habilitations, sans modification (p. 13). D’autre part, il tentait de se fonder sur son avis favorable donné en séance publique, et, globalement, son attitude proactive dans l’examen des amendements portant sur ces habilitations – y compris en s’opposant à leur suppression requise par amendements de l’opposition. Le Conseil constitutionnel n’a pas fait preuve de la souplesse attendue – et espérée – par le Gouvernement et a suivi le raisonnement formaliste des sénateurs, qui revient d’ailleurs à réaffirmer la règle de l’entonnoir. Selon la rue de Montpensier, ces dispositions « n’ont donc pas été adoptées à la demande du Gouvernement », et ont donc été adoptées selon une procédure contraire à la Constitution (§ 47).

Il est certainement possible de voir là un formalisme excessif ; il reste que cette solution était prévisible, et que les amendements auraient pu – dû – être identifiés comme inconstitutionnels en amont. Au demeurant, les effets de la décision d’inconstitutionnalité devraient être modérés. Le Gouvernement a ainsi introduit par amendement, cette fois gouvernemental, l’habilitation censurée relative à l’adaptation des dispositions relatives à l’activité réduite pour le maintien en emploi dans le projet de loi de finances pour 2022 (article 34 duovicies de la deuxième partie du texte adopté par l’Assemblée nationale le 16 novembre 2021, résultant d’un amendement n° II-3533 rectifié du Gouvernement). Aussi, cette décision illustre-t-elle surtout le caractère imprécis du travail parlementaire, mené en marche forcée par le Gouvernement lequel, dans un contexte pandémique indubitablement complexe et à l’approche d’échéances électorales majeures, tente d’aller au plus vite, au détriment de la qualité du processus légistique qui devrait rester un objectif primordial.


[1] V. sur ce phénomène P. De Montalivet, L’inflation des ordonnances, RDP, n° 2017-1, p. 37.

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