Réf. : Arrêté du 21 octobre 2021 relatif aux caractéristiques techniques de la communication par voie électronique via le « Portail du justiciable » (N° Lexbase : L6549L83) ; Arrêté du 21 octobre 2021 autorisant la mise en œuvre d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Portail du justiciable » (N° Lexbase : L6564L8M)
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par Karine Lemercier, Maître de conférences Le Mans Université
le 29 Novembre 2021
Mots clés : Portail du justiciable • Portalis • numérique • dématérialisation • communication électronique • justice • données personnelles • traitement de données
Dans la continuité du décret du 3 mai 2019 (N° Lexbase : L0963LQQ) instaurant le Portail du justiciable, deux arrêtés techniques en date du 21 octobre 2021 viennent abroger les arrêtés « CPVE » du 6 mai 2019 (N° Lexbase : L4266LQ3), et « traitement de données » du 28 mai 2019 (N° Lexbase : L4280LQL), pour les remplacer et les compléter. Ils sont entrés en vigueur le 25 octobre 2021. Le nouvel arrêté « CPVE » relatif à la communication par voie électronique, étend le service de la consultation à distance aux affaires pénales. Ce service est désormais ouvert depuis le 15 novembre 2021. Le nouvel arrêté « traitement de données » apporte quant à lui quelques précisions sur les données collectées, ainsi que sur les droits d’accès et de rectification.
Lancé en 2015, le projet « Portalis » a pour finalité la dématérialisation totale des procédures civiles et pénales [1] ; de la saisine de la juridiction par les justiciables, les auxiliaires de justice ou les administrations jusqu’à la transmission de la décision de justice sur un Portail sécurisé. Ce projet s’inscrit dans l’objectif de la transformation numérique de la justice [2], qui fait partie des cinq grands chantiers annoncés en 2018 [3]. Cette transformation numérique est un projet d’ampleur, au développement parfois chaotique – avec des dématérialisations reportées voire abandonnées -, mais qui avance, certes lentement, mais progressivement [4]. Le projet « Portalis » comporte plusieurs versions [5] parmi lesquelles la mise en place du Portail du justiciable apparaît peut-être comme la plus emblématique, en tant que porte d’entrée du justiciable à un guichet numérique unique.
Issu du décret du 3 mai 2019 [6], et régi par l’article 748-8 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1185LQX) [7], le Portail du justiciable a fait l’objet de deux arrêtés techniques [8], l’un en date du 6 mai 2019 [9] relatif aux caractéristiques techniques de la communication par voie électronique des avis, convocations ou récépissés via le « Portail du justiciable » (arrêté « CPVE »), l’autre en date du 28 mai 2019 [10] autorisant la mise en œuvre d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Portail du justiciable » (arrêté « traitement de données »). Ces arrêtés, qui ont été consolidés par deux arrêtés en date du 18 février 2020 [11], viennent d’être abrogés par ceux en date du 21 octobre 2021 [12]. Ils sont entrés en vigueur le 25 octobre 2021. Les deux arrêtés comportent des dispositions qui, pour la plupart, étaient déjà prévues dans les arrêtés abrogés ; les nouvelles dispositions sont donc souvent identiques, parfois modifiées voire précisées. On notera d’ailleurs que, dans cette méthode de « copier/coller » des dispositions antérieures [13], une erreur s’est glissée dans l’intitulé du chapitre III de l’arrêté « CPVE », en ce qu’il reprend l’intitulé du chapitre II et non celui du chapitre III relatif à « l’identification des parties à la communication électronique et sa fiabilité » tel que prévu par l’arrêté « CPVE » abrogé.
Ces précisions apportées, nous axerons notre commentaire sur les modifications opérées par les deux arrêtés ; celles-ci portent - pour l’arrêté « CPVE » - sur le périmètre d’application du Portail du justiciable (I), et, - pour l’arrêté « traitement de données » - sur les données collectées et les droits y afférents (II).
I. Les modifications apportées au périmètre du Portail du justiciable
À son ouverture en mai 2016, le Portail du justiciable fut d’abord un portail informatif ayant pour objectif d’orienter le justiciable dans ses démarches à l’aide de notices d’information, de formulaires à télécharger et de simulateurs lui permettant de calculer ses droits [14]. L’arrêté technique en date du 6 mai 2019, et désormais abrogé, a permis une nouvelle phase de déploiement du Portail en le faisant évoluer en portail applicatif afin que le justiciable puisse « adresser une requête à une juridiction » [15]. Le nouvel arrêté « CPVE » poursuit ce déploiement en ne présentant plus le Portail comme une « application » [16] mais comme un « service » [17] fondé sur une communication par voie électronique. L’arrêté prend acte du changement de vocabulaire, déjà effectif dans les services du Ministère, mais aussi depuis peu sur le site justice.fr, pour désigner à la fois le service de la consultation en ligne (ou suivi en ligne) et celui de la saisine en ligne. Mais surtout, et c’est l’aspect de plus notable, l’arrêté « CPVE » étend le service de la consultation en ligne aux procédures pénales (A). Plus subrepticement, l’arrêté précise que le Portail permet au justiciable de « saisir la justice », ce qui apparaît comme un nouveau signal à son déploiement (B).
A. Extension du service de la consultation en ligne aux procédures pénales
Accessible depuis le site justice.fr, le service de la consultation en ligne permet à une personne physique [18] ayant une procédure en cours, avec ou sans représentation obligatoire, d’accéder à un espace personnel sécurisé (www.monespace.justice.fr) et de consulter l’état d’avancement de son affaire judiciaire. Il permet également d’accéder, par une transmission sécurisée, à certains documents dématérialisés tels que des avis, des convocations ou des récépissés [19] émis par le « greffe du siège d’un tribunal judiciaire ou, le cas échéant, de l’une de ses chambres de proximité, d’un tribunal paritaire des baux ruraux, d’un conseil de prud’hommes, ou d’une cour d’appel » [20]. Enfin, le service permet au justiciable de recevoir par SMS les rappels d’audience ou d’auditions [21]. Afin d’accéder au service de la consultation en ligne, le justiciable doit au préalable posséder un compte auprès d’un des fournisseurs d’identité de « FranceConnect » [22], consentir au suivi dématérialisé de son affaire et l’ajouter à son espace personnel. Le justiciable peut ainsi suivre en ligne son affaire, dès lors qu’elle est enregistrée sur l’un des applicatifs des juridictions (Citi, Natai, WinCI, WinCA, etc.).
Depuis son ouverture au public en 2019, le service de la consultation en ligne par le justiciable était réservé aux seules procédures civiles [23]. L’article 1er de l’arrêté « CPVE » étend désormais ce service aux procédures pénales ; il est d’ailleurs effectif sur le Portail depuis le 15 novembre 2021. Dans ce cadre, l’article 6 de l’arrêté vise désormais les « avis, convocations et récépissés mentionnés à l’article 748-8 du Code de procédure civile et à l’article 803-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9513I7H) » parmi les éditions qui peuvent être reçues électroniquement. Cette extension du périmètre du Portail permet de couvrir toutes les affaires ouvertes devant les juridictions pénales qui font l’objet d’un suivi sur l’application Cassiopée [24]. Certaines procédures en sont donc exclues telles que les phases d’enquête du parquet, d’instruction et d’exécution des peines, ou bien encore les contraventions, les procédures en appel ou les procédures relevant de la cour d’assises. On notera que certaines procédures civiles restent encore exclues du périmètre de consultation. Il en est ainsi notamment des ordonnances de protection, des saisies des rémunérations ou des injonctions de payer.
B. Le développement du service de saisine en ligne
Parmi les modifications apportées par l’arrêté « CPVE », il faut relever la formulation générale de l’article 2, alinéa. 2, précisant que le Portail du justiciable permet « de saisir la justice via la requête numérique », et non la seule possibilité « d’adresser une requête » à une juridiction » [25]. Si le changement de vocabulaire peut apparaître mineur, il n’en constitue pas moins un signal du déploiement à venir du service de saisine en ligne. Pour le moment, seuls trois types de requêtes peuvent être adressés à une juridiction. Il en est ainsi des requêtes en gestion d’une mesure de protection des majeurs, de la constitution de partie civile par voie d’intervention, et des requêtes devant le juge aux affaires familiales (hors et post divorce, tutelles des mineurs et ordonnances de protection). L’objectif du Ministère est d’élargir progressivement la dématérialisation à l’ensemble des requêtes sans représentation obligatoire par un avocat. Les prochaines requêtes ouvertes à la saisine devraient concerner celles relatives aux « petits litiges », aux litiges locatifs et au contentieux social [26]. Précisément, la requête peut être effectuée par une personne physique, pour les procédures sans représentation obligatoire par un avocat, et par les représentants légaux personnes physiques des mineurs et majeurs protégés, à l’aide d’un formulaire dématérialisé, auquel le justiciable peut joindre ses pièces justificatives, depuis son espace personnel sécurisé. Cette requête numérique est ensuite transmise aux greffiers sur un portail dédié, le Portail des requêtes numériques (PRN). Ce portail permet au greffe de récupérer les données enregistrées par le justiciable afin de les reporter dans les applicatifs métiers existants. On notera qu’une précision est apportée par l’article 2 de l’arrêté « traitement de données » sur le statut de la requête en ce qu’il ajoute la requête « réceptionnée » [27] aux autres statuts possibles (brouillon, échec, envoyée, enregistrée). La procédure d’accès au service reste pratiquement la même que pour celle de la consultation en ligne. Le justiciable doit s’identifier avec le dispositif FranceConnect pour accéder à son espace personnel [28]. Il doit ensuite accepter les conditions générales d’utilisation du site [29].
II. Les modifications apportées au traitement des données à caractère personnel
Par comparaison avec l’arrêté « traitement de données » abrogé, le nouvel arrêté apporte quelques précisions sur les données collectées (A) ainsi que sur les droits d’accès et de rectification dans le cadre de la consultation en ligne (B).
A. Des précisions sur les données collectées
La dématérialisation des procédures via le Portail conduit le justiciable à donner son consentement lorsqu’il souhaite suivre son affaire en ligne (arrêté « CPVE », art. 6) et à accepter les conditions générales d’utilisation du Portail lorsqu’il adresse une requête à la juridiction (arrêté « CPVE », art. 5). Le justiciable délivre à cet effet différentes informations – des données personnelles – qui doivent être protégées, conformément à la loi « Informatique et Liberté » n° 78-17 du 6 janvier 1978 (N° Lexbase : L8794AGS) et au Règlement européen n° 2016/679 du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (« RGPD ») (N° Lexbase : L0189K8I). Rappelons que seuls le justiciable, les agents de greffe et les magistrats peuvent accéder directement à ces données [30]. Si l’article 2 de l’arrêté « traitement de données » reprend les données d’identification enregistrées dans le traitement, telles qu’elles étaient énoncées dans l’arrêté abrogé, il en élargit le champ d’application. Sont désormais ajoutés :
B. Des précisions sur les droits d’accès et de rectification
L’article 5 de l’arrêté « traitement de données » apporte également quelques ajustements relatifs aux droits d’accès et de rectification des données, mais uniquement dans le cadre de la consultation de l’état d’avancement d’une affaire judiciaire. Par un nouvel alinéa, l’arrêté étend le droit d’accès aux autres personnes que le justiciable [31]. Ce droit s’exerce, dans ce cas, auprès du greffe de la juridiction en charge de l’affaire. S’agissant du droit de rectification applicable à ces personnes, le texte reprend, par parallélisme, les dispositions du I de l’article 5 prévues pour le justiciable, pour préciser que le droit de rectification ne s’applique pas, conformément au f de l’article 23 du Règlement (UE) n° 2016/679 du 27 avril 2016. L’arrêté introduit toutefois une exception, applicable à la fois au justiciable (art. 5, I) et aux autres personnes concernées par une consultation à distance (art. 5, II) en leur octroyant un droit de rectification des données relatives à l’identité et des coordonnées du justiciable ; droit qui s’exerce directement dans les deux cas auprès du greffe de la juridiction en charge de l’affaire.
À retenir :
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[1] Les tribunaux de commerce disposent d’un tribunal digital ; ils font d’ailleurs « figure d’exception en matière de transformation numérique » au sein des juridictions judiciaires, v. Cour des comptes, Le plan de continuité d’activité des juridictions judiciaires pendant la crise sanitaire liée à l’épidémie de covid 19, Rapport, mai 2021, p. 54.
[2] Sur ce sujet, v. Fl. G’sell, Justice numérique, Dalloz, coll. À savoir, 2021 ; G. Canivet (dir.), Justice, faites entrer le numérique, Rapport de l’Institut Montaigne, novembre 2017 ; S. Amrani-Mekki, Efficacité et nouvelles technologies , Rev. Procédures avril 2010, dossier 5.
[3] V. Chantier de la Justice, min. de la Justice, Rapp. n° 1, « Transformation numérique », 2018 [en ligne].
[4] V. K. Lemercier, La dématérialisation progressive de l’accès à la justice, Lexbase Avocats n° 316 du 1er juilliet 2021
[5] Le projet Portalis est décomposé en six versions qui correspondent à différentes étapes de son développement, v. La transformation numérique du Ministère de la justice, disponible [en ligne].
[6] Décret n° 2019-402 du 3 mai 2019 portant diverses mesures relatives à la communication électronique en matière civile et à la notification des actes à l'étranger, JO 4 mai 2019. V. H. Croze, Décret n°2019-402 du 3 mai 2019 : la Justice entr’ouvre le portail du justiciable, Rev. Procédures n°7, juill. 2019, repère 7.
[7] V. C. Bléry et J.-P. Teboul, Dématérialisation des procédures : saisine d’une juridiction par le Portail du justiciable, Dalloz actualité, 5 mars 2020.
[8] V. C. Bléry, Portail du justiciable : complexité juridique mais faible avancée technique, Dalloz actualité, 17 juillet 2019.
[9] Arrêté du 6 mai 2019 relatif aux caractéristiques techniques de la communication par voie électronique des avis, convocations ou récépissés via le « Portail du justiciable » (N° Lexbase : L4266LQ3).
[10] Arrêté du 28 mai 2019 autorisant la mise en œuvre d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Portail du justiciable » (N° Lexbase : L4280LQL).
[11] Arrêté du 18 février 2020 modifiant l'arrêté du 6 mai 2019 relatif aux caractéristiques techniques de la communication par voie électronique des avis, convocations ou récépissés via le « Portail du justiciable » (N° Lexbase : L1833LWS) ; Arrêté du 18 février 2020 modifiant l’arrêté du 28 mai 2019 autorisant la mise en œuvre d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Portail du justiciable » (suivi en ligne par le justiciable de l’état d'avancement de son affaire judiciaire (N° Lexbase : L1858LWQ).
[12] Arrêté du 21 octobre 2021 relatif aux caractéristiques techniques de la communication par voie électronique via le « Portail du justiciable » ; Arrêté du 21 octobre 2021 autorisant la mise en œuvre d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Portail du justiciable ».
[13] Certains auteurs soulignent que la légistique est ici « troublante » et « peu rassurante », C. Bléry et Th. Douville, Petite brique apportée au Portail du justiciable : deux nouveaux arrêtés, Dalloz actualité, 29 oct. 2021.
[14] Simulateurs d’aide juridictionnelle, de pension alimentaire ou de saisies sur rémunérations.
[15] Arrêté du 6 mai 2019 relatif aux caractéristiques techniques de la communication par voie électronique des avis, convocations ou récépissés via le « Portail du justiciable » , art. 1 abrog
[16] Arrêté du 6 mai 2019 relatif aux caractéristiques techniques de la communication par voie électronique des avis, convocations ou récépissés via le « Portail du justiciable » , art. 1 abrog.
[17] Arrêté du 21 octobre 2021 relatif aux caractéristiques techniques de la communication par voie électronique via le « Portail du justiciable », art. 1
[18] Les personnes morales, les avocats et autres auxiliaires de justice ne peuvent accéder au service.
[19] Arrêté du 21 octobre 2021 autorisant la mise en œuvre d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Portail du justiciable », art. 1er (
[20] Arrêté du 21 octobre 2021 relatif aux caractéristiques techniques de la communication par voie électronique via le « Portail du justiciable », art. 1er al. 2.
[21] Arrêté du 21 octobre 2021 relatif aux caractéristiques techniques de la communication par voie électronique via le « Portail du justiciable », art. 9
[22] Impotsgouv.fr, amelie.fr, L’identité numérique de La Poste, Mobile Connect et moi avec Orange, MSA, Alicem.
[23] Arrêté du 6 mai 2019 relatif aux caractéristiques techniques de la communication par voie électronique des avis, convocations ou récépissés via le « Portail du justiciable » , art. 1 abrog.
[24] Sur l’application, v. G. Thierry, « 2019, l’année Cassiopée », Dalloz actualité, 23 janvier 2019.
[25] Arrêté du 6 mai 2019 relatif aux caractéristiques techniques de la communication par voie électronique des avis, convocations ou récépissés via le « Portail du justiciable » , art. 1 abrog.
[26] V. Arrêté du 25 juin 2021 autorisant la mise en œuvre d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Portalis contentieux prud'homal » (N° Lexbase : L1314L7S).
[27] Ce statut correspond à la réception de la demande par le PRN.
[28] V. supra.
[29] Arrêté du 21 octobre 2021 relatif aux caractéristiques techniques de la communication par voie électronique via le « Portail du justiciable », art. 5
[30] Arrêté du 21 octobre 2021 autorisant la mise en œuvre d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Portail du justiciable », art. 3 (
[31] Arrêté du 21 octobre 2021 autorisant la mise en œuvre d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Portail du justiciable », art. 5, II, al. 2
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