Réf. : CJUE, 17 juin 2021, aff. C-597/19 (N° Lexbase : A76604WM)
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par Vincent Téchené
le 29 Juin 2021
► Premièrement, un téléversement de segments d’un fichier média sur un réseau de pair-à-pair (peer-to-peer), tel que celui en cause, constitue une mise à la disposition du public au sens du droit de l’Union (Directive n° 2001/29 du 22 mai 2001, art 3, § 1 et § 2 N° Lexbase : L8089AU7) ;
Deuxièmement, un titulaire de droits de propriété intellectuelle peut bénéficier du système de protection de ces droits, mais sa demande d’information, en particulier, doit être non abusive, justifiée et proportionnée ;
Troisièmement, l’enregistrement systématique d’adresses IP d’utilisateurs d’un tel réseau et la communication de leurs noms et adresses postales à ce titulaire ou à un tiers afin de permettre d’introduire un recours en indemnisation sont admissibles sous conditions déterminées.
Faits et procédure. L’entreprise Mircom (le titulaire de droits) a présenté une demande d’information dirigée contre un fournisseur d’accès à internet (FAI), auprès d’un tribunal belge. Cette demande tend à obtenir une décision obligeant le FAI à produire les données d’identification de ses clients sur la base des adresses IP collectées, par une société spécialisée, pour le compte de Mircom. Les connexions internet de clients du FAI ont été utilisées pour partager des films relevant du catalogue de Mircom, sur un réseau de pair-à-pair (peer-to-peer) à l’aide du protocole BitTorrent. Le FAI s’oppose à la demande de Mircom. C’est dans ce contexte que le juge belge a saisi la CJUE de plusieurs questions préjudicielles.
Décision. La CJUE dans son arrêt du 17 juin apporte plusieurs précisions.
En premier lieu, la Cour, qui s’est déjà prononcée sur la notion de « communication au public » dans le contexte de la protection du droit d’auteur, clarifie que le téléversement des segments, préalablement téléchargés, d’un fichier média contenant une œuvre protégée utilisant un réseau de pair-à-pair constitue une « mise à la disposition du public d’une œuvre », bien que ces segments ne soient pas utilisables en eux-mêmes et que le téléversement soit automatiquement généré, lorsque l’utilisateur a souscrit au logiciel de partage client-BitTorrent en donnant son consentement à l’application de celui-ci après avoir été dûment informé de ses caractéristiques. La Cour constate que l’utilisateur ne doit pas télécharger un seuil minimal de segments et que tout acte par lequel il donne, en pleine connaissance des conséquences de son comportement, accès à des œuvres protégées peut constituer un acte de mise à disposition. En l’occurrence, il s’agit bien d’un tel acte, parce qu’il vise un nombre indéterminé de destinataires potentiels, implique un nombre de personnes assez important et est effectué auprès d’un public nouveau.
En deuxième lieu, la Cour considère que le titulaire des droits de propriété intellectuelle qui a obtenu ces droits au moyen d’une cession de créances et qui ne les utilise pas, mais cherche à réclamer des dommages-intérêts à des contrevenants présumés, peut bénéficier, en principe, des mesures, des procédures et des réparations prévues par le droit de l’Union, à moins que sa demande ne soit abusive. La Cour précise que l’éventuel constat d’un tel abus relève de l’appréciation de la juridiction de renvoi, qui pourrait, par exemple, vérifier, à cette fin, si les actions en justice ont été réellement introduites en cas de refus de solution amiable. S’agissant en particulier d’une demande d’information, telle que celle de Mircom, la Cour constate qu’elle ne saurait être considérée comme irrecevable en raison du fait qu’elle est formulée dans une phase précontentieuse. Toutefois, cette demande doit être rejetée si elle est injustifiée ou non proportionnée, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.
En troisième lieu, la Cour juge que le droit de l’Union ne s’oppose, en principe, ni à l’enregistrement systématique, par le titulaire de droits de propriété intellectuelle ou par un tiers pour son compte, d’adresses IP d’utilisateurs de réseaux de pair-à-pair dont les connexions internet ont été prétendument utilisées dans des activités contrefaisantes (traitement des données en amont), ni à la communication des noms et des adresses postales des utilisateurs à ce titulaire ou à un tiers aux fins d’un recours en indemnisation (traitement des données en aval).
Toutefois, les initiatives et les demandes à cet égard doivent être justifiées, proportionnées, non abusives et prévues par une mesure législative nationale qui limite la portée des droits et des obligations relevant du droit de l’Union. La Cour précise que ce dernier n’établit pas l’obligation pour une société, telle que le FAI dans l’affaire, de communiquer à des personnes privées les données à caractère personnel afin de pouvoir engager, devant les juridictions civiles, des poursuites contre les atteintes au droit d’auteur. Le droit de l’Union permet cependant aux États membres d’imposer une telle obligation.
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