Lexbase Affaires n°159 du 17 mars 2005 : Bancaire

[Jurisprudence] La responsabilité encourue pour n'avoir pas exigé un chèque de banque

Réf. : Cass. civ. 1, 15 février 2005, n° 03-10.946, Société François Milan et Thierry Brand c/ Société Night Rock, F-P+B (N° Lexbase : A7363DGS).

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par Richard Routier, Maître de conférences à l'Université du sud Toulon-Var, Codirecteur du Master banque

le 01 Octobre 2012

Le contentieux est suffisamment rare en matière de chèque de banque pour remarquer l'arrêt de la première chambre civile rendu le 15 février 2005. En étant émis par la banque elle-même, le chèque de banque offre indiscutablement pour celui qui en est le bénéficiaire une plus grande sécurité que le chèque ordinaire. Il est, d'ailleurs, systématiquement exigé en pratique dès lors que le paiement revêt quelque importance. L'analyse des affaires qui se sont développées ces dernières années autour de cet instrument montre, cependant, que cette sécurité n'est pas toujours absolue. Les bénéficiaires impayés n'ont alors qu'une seule possibilité : essayer de rechercher un relais de solvabilité auprès du professionnel en engageant sa responsabilité. Jusqu'à présent, le contentieux semblait surtout circonscrit aux seuls chèques de banques apocryphes et, à des actions dirigées contre les banquiers (1). Avec le présent arrêt, le contentieux s'étend à la question de son exigence et, probablement, pour la première fois, à celle de savoir si le notaire peut commettre une faute en n'exigeant pas un chèque de banque. En l'espèce, plusieurs chèques avaient été remis au notaire en représentation du prix de vente d'un fonds de commerce, lesquels se sont finalement avérés être sans provision. Après avoir obtenu la résolution judiciaire de la vente et la résiliation du bail, le vendeur et le bailleur assignent le notaire en responsabilité et sont accueillis par les juges du fond. Sa faute est retenue pour avoir failli à ses obligations en se contentant d'un chèque ordinaire pour régulariser une vente, alors qu'entre la date du compromis et celle de la réitération authentique, il avait exigé de l'acquéreur le paiement de cette somme par un chèque de banque à son ordre. Les juges en déduisent que le notaire n'était pas certain de la solvabilité de l'acquéreur. Ils lui reprochent, aussi, d'avoir commis la faute d'accepter d'instrumenter sans être couvert par un chèque de banque et en donnant quittance dans l'acte authentique, alors que la Chambre des notaires recommandait d'exiger un chèque de banque.

La question présente un intérêt pratique certain pour une profession dont la responsabilité est de plus en plus recherchée. Lorsque la vente porte sur un immeuble, le dommage du vendeur est assez relatif : l'acte n'est pas délivré sur le champ à l'acquéreur, et la résolution judiciaire lui permettra de retrouver son bien. S'agissant, comme en l'espèce, d'un fonds de commerce, c'est un peu différent car la valeur de celui-ci peut s'être rapidement dépréciée. Il est alors tentant de se faire indemniser par le notaire.

Cette question a, également, une importance théorique non négligeable au regard de la nature de l'exigence du chèque de banque. Par l'arrêt rapporté, la première chambre civile vient censurer les juges du fond au motif que "l'exigence d'un chèque de banque n'ayant pas un caractère d'ordre public, le notaire ne pouvait refuser d'instrumenter l'acte requis de lui".

On peut comprendre que les Hauts magistrats puissent dénier tout caractère d'ordre public à une telle exigence : et la nature du texte -une simple recommandation-, et son auteur -un ordre professionnel-, ne peuvent être source d'un droit de cette qualité. D'autant que celle-ci a pu être refusée à des textes de valeur normative supérieure (2). Faire dépendre la mise en jeu de la responsabilité du notaire du caractère d'ordre public qui serait attaché à la disposition transgressée est en revanche plus inédit. Jusqu'à présent, la méconnaissance d'un ordre public professionnel ne présentait d'intérêt que pour les actions en nullité, l'ordre public étant indifférent pour les actions en responsabilité qui pouvaient toujours être engagées (3). Mais, si l'exigence du chèque de banque n'est, ici, pas de nature à fonder une action en responsabilité contre le notaire, celui-ci n'est pas pour autant déchargé de toute responsabilité.

Une lecture a contrario de l'attendu laisse déjà entrevoir une responsabilité pour le notaire qui refuserait de passer l'acte en présence d'un chèque ordinaire. Le notaire ne pouvant, désormais, refuser d'instrumenter l'acte pour ce motif, l'acquéreur qui souhaite payer ainsi ne peut plus, en principe, être éconduit. S'il l'est, son dommage devra être réparé.

Le notaire peut être aussi conventionnellement tenu de n'accepter que les chèques de banque. Le vendeur, client du notaire, bénéficiaire indirect du paiement qui transite par la comptabilité du notaire, peut ainsi avoir prévu dans le compromis un tel moyen de paiement. Ultérieurement, par exemple lors de l'entretien préalable, il peut encore lui en avoir expressément donné la consigne : comme tout mandat qui serait inexécuté, des dommages-intérêts pourraient donc, le cas échéant, être réclamés au notaire qui instrumenterait au mépris de ce qui a été stipulé.

Quant au client du notaire, bénéficiaire direct du paiement des sommes qui s'effectue en la vue du notaire mais sans passer par sa comptabilité, il est permis de penser que le notaire ferait bien, malgré tout, au titre de son devoir de conseil, de prendre la précaution d'avertir son client des risques encourus à se satisfaire d'un chèque ordinaire. La reconnaissance d'avis donné qu'il lui fera immanquablement souscrire dans une telle situation pourrait alors être rédigée suivant une formule du type  : "Le vendeur aux présentes reconnaît avoir été valablement informé par le notaire soussigné de toutes les conséquences du paiement par un autre moyen que le chèque de banque -ou un chèque certifié-, et déclare notamment avoir été pleinement informé de l'absence de garantie de provisionnement attachée à un paiement par chèque ordinaire. A cet égard, le vendeur admet que le notaire a satisfait à son devoir de conseil".

En définitive, l'arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 15 février 2005 ne doit pas être interprété trop largement. En tout cas, pas comme un abandon du recours au chèque de banque, qui conserve naturellement, pour la pratique notariale, toute son utilité. Tenu dans le cadre de son devoir de conseil ou par la volonté des parties, la responsabilité du notaire ne disparaît pas. Simplement, le notaire n'ayant pas l'obligation légale d'instrumenter en présence de chèque de banque, on ne peut lui faire grief de n'avoir pas exigé de son propre chef un tel instrument.


(1) CA Paris, 23 juin 1995, RD bancaire et bourse, 1996, p. 8, n° 1, obs. F.-J. Crédot et Y. Gérard. Cass. com. 11 février 2003, n° 00-18.058, CIC de Paris c/ Société PLV communications group et a. (N° Lexbase : A0167A7C), RTDcom. 2003, p. 341 obs. M. Cabrillac ; JCP éd. E 2003, p. 806, note A. Gauberti  ; CA Paris, 15 ème Ch., sect. A, 28 octobre 2003, n° 2002/07267, Arvy Mebarki c/ Caisse de crédit mutuel de Châtellerault centre (N° Lexbase : A5587DA8).
(2) Cass. civ. 1, 30 mars 1994, n° 92-16.797, Société La Grillonnière c/ Mme Guillemin et autres, Bull. civ. I, n° 125 p. 92 (N° Lexbase : A6129AHH), Defrénois 1994, n° 1466, obs. Ph. Delebecque ; RTDciv. 1995, p. 100, obs. J. Mestre, à propos des prohibitions édictées par le décret portant application du statut du notariat.
(3) Cass. civ. 1, 30 mars 1994, précité ; Cass. civ. 1, 18 mai 1997 , n° 95-12.576, M. Audat et autres c/ M. Fortat et autres (N° Lexbase : A0381AC4), Bull. civ. I, n° 99, p. 65 ; JCP éd. E 1997, II, n° 22829, rapp. P. Sargos, et JCP éd. G 1997, I, n° 4068, obs. G. Viney ; RTDciv. 1996, p. 605, obs. J. Mestre, admettant que la méconnaissance des dispositions d'un Code de déontologie puisse être invoquée par une partie à l'appui d'une action en dommages-intérêts.

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