La lettre juridique n°863 du 29 avril 2021 : Contrats et obligations

[Jurisprudence] Interdépendance contractuelle : la politique du surplace ?

Réf. : Cass. com., 17 février 2021, n° 19-13.903, F-D (N° Lexbase : A61594HL)

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par Louis Thibierge, Agrégé des Facultés de Droit, Professeur à l’Université d’Aix-Marseille, Membre du Centre de Droit Économique (EA 4224), Avocat au Barreau de Paris

le 28 Avril 2021


 


Mots-clés : contrats • interdépendance contractuelle • contrat de fourniture • contrat de maintenance • location financière • indivisibilité • liberté contractuelle • ensemble contractuel • groupe de contrats • clause de divisibilité • caducité • ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 • analyse objective • analyse subjective

Le seul fait que les contrats conclus, concomitamment ou successivement, s’inscrivent dans une opération incluant une location financière suffit à caractériser l’existence d’une interdépendance contractuelle. L'article 1186 nouveau du Code civil, inapplicable à un contrat conclu antérieurement au 1er octobre 2016, ne remet pas en cause l'analyse objective de l'interdépendance.


 

NB : deux arrêts ayant été rendus le même jour dans la même affaire, avec les mêmes solutions, il ne nous a pas paru nécessaire de leur offrir deux commentaires distincts [1].

Il y a quelque huit ans, notre collègue et ami Dimitri Houtcieff regrettait mezza voce la politique des « petits pas » [2] de la Cour de cassation en matière d’interdépendance contractuelle.

En 2013, la Cour avait pu paraître pour le moins péremptoire, affirmant urbi et orbi et au mépris de la volonté contractuelle que « les contrats concomitants ou successifs qui s'inscrivent dans une opération incluant une location financière, sont interdépendants ; que sont réputées non écrites les clauses des contrats inconciliables avec cette interdépendance » [3].

En 2021, ce n’est plus par petits pas que procède la Haute juridiction. Au rythme de la tortue de La Fontaine, elle semble préférer le surplace. On n’apprendra donc rien de plus sur la caractérisation de l’interdépendance contractuelle, cette notion qui suscite « depuis près d'un quart de siècle, un contentieux aussi irritant que nourri » [4].

L’occasion était pourtant belle, on y reviendra, d’affiner sa position, de tenir compte de la réforme du droit des obligations opérée par l’ordonnance du 10 février 2016 (N° Lexbase : L4857KYK). Las ! Balayant d’un revers de la main tous les arguments du pourvoi, refusant de tenir compte du temps qui court, la Cour s’en tient à la règle édictée, sans support textuel, en 2013 : « sont interdépendants les contrats concomitants ou successifs et qui s'inscrivent dans une opération incluant une location financière ».

Exit le droit issu de l’ordonnance du 10 février 2016. Vive le statu quo !

Les faits du litige étaient les suivants. Le 28 octobre 2013, une société Var solutions documents (ci-après « VSD ») conclut avec l'association Sanary Ski Team (ci-après « l'association ») un contrat de fourniture et de « sponsoring ». Aux termes de ce contrat, VSD doit fournir à l’association deux photocopieurs et du matériel informatique, et lui verser des contributions financières sous la forme de versements mensuels de 383 euros, pendant une période de vingt-quatre mois renouvelable, et d'un versement annuel de 1 000 euros pendant deux ans.

Trois jours plus tard, l’association souscrit auprès de la société BNP Paribas Lease Group (ci-après « la BNP ») un contrat de location financière portant sur un photocopieur fourni par la VSD, aux termes duquel l’association doit verser à la BNP soixante-trois loyers mensuels de 199 euros HT.

Un troisième contrat est conclu, cette fois-ci entre l’association et la société Copie recto verso (ci-après « CRV »), pour la maintenance des photocopieurs.  

Enfin, le 12 novembre 2013, l'association souscrit auprès de la société GE capital équipement finance (ci-après « GE »), aux droits de laquelle vient la société CM-CIC Leasing Solutions (ci-après « CM-CIC ») un second contrat de location financière portant sur un autre photocopieur et un ordinateur fournis par la société VSD, moyennant le versement de soixante-trois loyers mensuels de 249,69 euros TTC.

Reprochant divers manquements à la société VSD, l'association l’assigne ainsi que les sociétés CRV, GE et BNP, en annulation, résolution ou résiliation (le panel était large) du contrat conclu avec la société VSD, et, en conséquence, en annulation, résolution ou résiliation (là aussi, on a embrassé fort large) des contrats de location financière.

Pour le dire autrement, après avoir pris l’initiative de rompre le contrat de fourniture des photocopieurs, l’association avait souhaité se délier des contrats de location financière devenus inutiles à ses yeux.

Les juges du fond (Aix-en-Provence, 11 décembre 2018), estimant que le contrat de fourniture / sponsoring, le contrat de maintenance et le contrat de location financière constituent une opération économique unique et sont donc interdépendants, ce dont il résulte que la disparition du premier entraîne la caducité des autres.

Les deux bailleurs financiers, la BNP et le CM-CIC, se pourvoient en cassation contre cette décision. À leurs yeux, c’est à tort que la cour d’appel a conclu à l’interdépendance des contrats de location financière et de fourniture / sponsoring.

Les arguments avancés peuvent être, schématiquement, résumés comme suit :

- d’une part, l’interdépendance entre deux contrats ne résulte pas seulement du fait que des contrats concomitants ou successifs s’inscrivent dans une opération globale incluant une location financière ; encore faudrait-il démontrer « l'organisation préalable d'une collaboration entre le représentant de la société prestataire de services et le bailleur ou, au moins, la nécessaire information de celui-ci sur les modalités et la finalité de l'opération envisagée dans sa globalité, et sa volonté de consentir au financement en considération des engagements pris en faveur du locataire par le fournisseur » ;
- d’autre part, même à supposer que l’interdépendance puisse s’inférer objectivement de l’existence d’une opération économique unique, il n’en demeure pas moins que les parties avaient fait ressortir leur volonté de rendre divisibles ces conventions ;
- enfin et de troisième part, l’évolution du droit des obligations opérée par l’ordonnance du 10 février 2016 amène à reconsidérer les critères de qualification de l’interdépendance contractuelle. À la lumière de l’article 1186 nouveau du Code civil (N° Lexbase : L0892KZ3), les juges du fond auraient dû écarter l’interdépendance, faute pour le bailleur financier d’avoir pu prendre connaissance, et a fortiori accepter ce lien entre les contrats.

Sur les deux premiers plans, l’arrêt étudié paraît d’un grand conformisme. Visant l’article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L0857KZR) (ce qui peut sembler désarmant si l’on songe à la place faite à la volonté des parties), la Chambre commerciale affirme que « sont interdépendants les contrats concomitants ou successifs et qui s'inscrivent dans une opération incluant une location financière », abstraction faite de toute « collaboration » ou « information », sans même parler de volonté. La Cour ne fait là que reprendre sa jurisprudence, fort discutée, de 2013.

Sur le dernier plan, l’arrêt offert au commentaire déçoit. Invitant la Haute juridiction à tenir compte de l’évolution du droit des obligations, et plus particulièrement de l’article 1186 nouveau du Code civil, le pourvoi lui donnait l’occasion, sinon d’amorcer un revirement, du moins d’éclairer le commentateur par un obiter dictum sur ce que serait sa position si l’article 1186 avait été applicable ratione temporis.

Las ! « Les contrats en cause ayant été conclus antérieurement à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016, fixée au 1er octobre 2016, la cour d'appel n'était pas tenue de procéder aux recherches inopérantes invoquées ». Ite missa (non) est : circulez, la Cour ne dira pas la messe. On ne saura donc pas si, à la lumière des textes nouveaux, la solution aurait ou non différé.

L’obscurité poursuit son règne sur l’interdépendance.

La Cour de cassation poursuit sa « marche forcée vers l’interdépendance contractuelle » [5], maintenant sa conception dite objective (I) et décevant les tenants d’une acception subjective de l’interdépendance (II).

I. L’objectivisme maintenu

Douchant les espoirs des tenants d’une vision subjective de l’interdépendance, reposant sur la volonté des parties, la Haute juridiction conserve, contre vents et marées, sa préférence pour l’objectivisme. L’interdépendance s’infère de certains critères. Si certains sont écartés (A), d’autres sont consacrés (B).

A. Les critères écartés

À en croire le pourvoi, l’interdépendance ne pouvait être déduite du seul constat objectif de l’existence d’une opération économique unique incluant un contrat de location financière. Encore fallait-il démontrer qu’avait été mise en place une collaboration préalable (1) ou, à tout le moins, une information préalable (2).

1) La collaboration préalable

Reprenons-ici les termes du pourvoi. Selon lui, « l’interdépendance suppose […] l'organisation préalable d'une collaboration entre le représentant de la société prestataire de services et le bailleur […] ».

L’assertion peut surprendre. Depuis son arrêt de Chambre mixte de 2013, la Cour de cassation n’accorde aucun crédit à ce critère de « collaboration préalable ». Du reste, on peut s’interroger sur le sens de l’expression. Qu’entend-on par « collaboration » entre le bailleur et le preneur ? Si le droit connaît le « devoir de collaboration » dans bien des domaines [6], il nous semblait que ce devoir de collaboration concernait surtout des contrats dont l’exécution supposait une collaboration renforcée des parties. Dira-t-on que l’association et les bailleurs financiers « collaboraient » tout au long du contrat ? On peut en douter. Où trouvera-t-on une « collaboration » entre la société CRV, en charge de la maintenance, et les bailleurs financiers ? Énigme.

Le doute se renforce quand on lit que cette collaboration devrait être « préalable ». Préalable à la conclusion du contrat de location financière ? Mais alors, s’agit-il de collaboration ou plus prosaïquement du devoir précontractuel d’information ?

Le pourvoi n’était pourtant pas si mal inspiré. Il puisait l’expression dans un arrêt inédit de 2008, lequel avait déduit l’interdépendance de deux contrats conclus à quelques jours d’intervalle du fait que « les contrats ont tous deux été proposés à la société Garage de l'Allumette par un préposé de la CEC désigné en qualité de fournisseur dans le contrat de crédit-bail, ce qui implique l'organisation préalable d'une collaboration entre les sociétés CEC et Locam […] » [7].

Dans son arrêt de 2021, la Cour de cassation n’accorde aucun crédit à l’argument, pourtant tiré de sa propre jurisprudence. Sans motivation aucune, elle se borne à affirmer que « sont interdépendants les contrats concomitants ou successifs qui s'inscrivent dans une opération incluant une location financière, sans que soient exigées, en outre, l'organisation préalable d'une collaboration entre le représentant de la société prestataire de services et le bailleur financier […] ».

On a connu des motivations plus riches, des attendus moins péremptoires.

Exit donc la « collaboration préalable ».

2) L’information préalable

Le même sort est réservé à l’information préalable du bailleur financier.

Non sans raison, le pourvoi soutenait que l’interdépendance ne peut s’inférer de la seule participation de plusieurs contrats à une opération économique unique incluant une location financière. Encore fallait-il, selon le pourvoi, caractériser « à tout le moins, la nécessaire information de celui-ci sur les modalités et la finalité de l'opération envisagée dans sa globalité, ainsi que sa volonté de consentir au financement en considération des engagements pris par le fournisseur envers le locataire ».

Pour le dire autrement, quand bien même l’ensemble contractuel inclurait une location financière, il n’est pas établi que le bailleur financier avait connaissance de l’existence du caractère global de l’opération projetée et avait consenti à celle-ci.

Il y a en réalité ici plus qu’une simple « information ». De la connaissance au consentement, il n’est qu’un pas, que le pourvoi franchit allègrement. Ce qu’il soutient, c’est que l’on ne saurait présumer la volonté du bailleur de rendre indivisibles les contrats. Si ledit bailleur n’a pas été informé de ce que la location financière n’était pas un contrat isolé mais s’inscrivait dans un cadre plus large, il ne peut y avoir consenti, et il serait injuste de faire peser sur lui les conséquences d’une situation ignorée.

On retrouve ici, de manière sous-jacente, l’idée exprimée par l’article 1186 in fine du Code civil, dont nous reparlerons infra.

Pour l’heure, on s’en tiendra à relever l’attendu sec de la Chambre commerciale, selon lequel l’interdépendance résulte de la seule existence de « contrats concomitants ou successifs qui s'inscrivent dans une opération incluant une location financière, sans que soient exigées, en outre […] la nécessaire information de celui-ci sur les modalités et la finalité de l'opération envisagée dans sa globalité, ainsi que sa volonté de consentir au financement en considération des engagements pris par le fournisseur envers le locataire ». 

Outre l’absence totale de motivation, aussi regrettable que l’exercice de recopie des termes du pourvoi, c’est le visa retenu qui dérange. La Cour de cassation fonde sa solution sur l’article 1134 ancien du Code civil. L’ironie est-elle à dessein ? Comment peut-on justifier la mise à l’écart de la volonté des parties, sans même parler du préliminaire au consentement qu’est l’information sur l’article 1134 du Code civil, siège de la volonté contractuelle ?

B. Les critères consacrés

Les propositions du pourvoi d’ajouter des conditions à la caractérisation de l’interdépendance ne recueillent pas l’approbation des hauts magistrats.

Ceux-ci s’en tiennent à deux considérations. L’une, théorique, nous semble contestable (1). L’autre, pratique, paraît plus solide (2).

1) Au plan théorique

L’attendu de la Cour de cassation prend tout d’abord un tour théorique, voire péremptoire. Renouant avec la position affirmée en 2013, la Chambre commerciale juge que « sont interdépendants les contrats concomitants ou successifs qui s'inscrivent dans une opération incluant une location financière ».

On ne dira rien du début de l’assertion. Que les contrats aient été conclus le même jour ou, comme au cas d’espèce, à trois jours d’écart est peu révélateur.

Ce qui appelle le commentaire est double, et paradoxal. La formulation nous paraît à la fois trop restrictive et trop large.

D’une part, la référence à la « location financière » donne un tour trop restrictif à la solution. Pourquoi distinguer celle-ci d’autres modes de financement, et en particulier du crédit-bail ? Si d’autres plus savants que nous pourront gloser sur les différences opposant ces deux contrats, il nous semble que la différence n’est que de degrés et non de nature, le crédit-bail comportant une option de vente qu’ignore la location financière. Partant, on peine à s’expliquer pourquoi la solution serait cantonnée aux « opérations incluant une location financière ». Si, comme on le croit, il s’agit surtout d’une question de politique jurisprudentielle, destinée à éviter qu’un débiteur se retrouve à payer un loyer pour un bien dont il ne dispose plus, alors le critère de déclenchement ne devrait pas tenir dans la qualification de « location financière ».

D’autre part, et le paradoxe se profile, la formulation retenue nous semble trop large. Pour tout dire, nous peinons quelque peu à voir au cas d’espèce l’interdépendance régir tous les contrats qui participaient à l’opération incluant la location financière. Qu’il puisse y avoir interdépendance entre la location financière et le contrat de fourniture s’entend (cf. 2. infra). Le terme d’interdépendance se justifie du reste entre ces deux contrats, par préférence à celui d’accessoire, ce qui permet aussi bien de justifier l’extinction de la location du fait de l’anéantissement du contrat de fourniture que l’inverse [8], puisque l’interdépendance est par définition réciproque.

Mais quid du contrat de maintenance conclu par l’association avec la société CRV ? En quoi ce contrat est-il interdépendant des deux autres ? On conçoit volontiers que si la fourniture prend fin, alors la maintenance n’a plus d’objet sur lequel s’exercer [9]. Mais si interdépendance est le mot, alors, en toute logique, la disparition du contrat de maintenance (pour vice du consentement, défaut de pouvoir ou de capacité, résiliation, inexécution, etc.) devrait emporter la caducité du contrat de fourniture et de celui de location financière. Qui le croira ?

2) Au plan pratique

Au plan pratique, l’arrêt appelle moins de réserves. La Cour de cassation fait ressortir l’imbrication des contrats de location financière et de fourniture / sponsoring. À cet égard, l’arrêt du 17 février 2021 semble supérieur à celui de 2013, au sujet duquel notre collègue Grégoire Loiseau écrivait à juste titre : « l'interdépendance n'a même pas à être caractérisée ; elle est en soi constituée par l'appartenance au groupe de contrats d'un contrat de location financière » [10].

D’une part, enseigne l’attendu de 2021, « le contrat de location financière était destiné à financer le matériel objet du contrat de fourniture/sponsoring ». Le lien est ici indéniable : l’objet (on n’ose dire la cause) du contrat de location financière était le financement du matériel objet du contrat de fourniture. Dit autrement, une unicité d’objet (au sens matériel du terme) s’évinçait des faits de l’espèce. Le contrat de location financière n’avait qu’un but : permettre au preneur à bail de financer les photocopieurs et ordinateurs mis à sa disposition.

D’autre part, ajoute l’attendu, « le coût des loyers incombant au locataire devait être compensé en partie par l'engagement financier pris par le fournisseur dans le cadre de ce même contrat de fourniture/sponsoring ». Le sponsor (la société VSD) versait une somme au fourni (l’association) dans le seul but du lui permettre de payer les loyers au bailleur financier.

Du cumul de ces deux facteurs, la cour d'appel a caractérisé une situation d'interdépendance entre ces deux contrats, avec l’approbation de la Haute juridiction. Il nous semble que, du seul point de vue objectif, le lien d’interdépendance entre le contrat de fourniture et celui de location financière prêtait peu à débat [11].

Mais fallait-il s’en tenir à cette seule acception objective ?

II. Le subjectivisme déçu

À l’instar de nombreux auteurs, nous estimons que l’imbrication objective qui peut exister entre deux contrats ne justifie pas, à elle seule, l’interdépendance contractuelle. Ou, pour le dire autrement, que l’interdépendance n’est pas « d’ordre public » [12] mais doit pouvoir relever de la volonté des parties.

En dépit d’indéniables raisons d’espérer (A), c’est le désespoir (B) qui l’emporte à la lecture de l’arrêt.

A. Les raisons de l’espoir

Deux raisons permettaient d’espérer un aggiornamento de la Cour de cassation : d’une part, les stipulations contractuelles (1), qui semblaient instituer une forme de divisibilité des conventions ; d’autre part, le changement rédactionnel (2) résultant de l’ordonnance du 10 février 2016.

1) Les stipulations contractuelles

L’arrêt de Chambre mixte de 2013 avait suscité en doctrine de vives réactions. Nombreux étaient les auteurs à regretter que la Cour de cassation dénie toute portée à la volonté des parties. On s’en souvient, l’arrêt de 2013, après avoir défini l’interdépendance de manière objective, avait ajouté « sont réputées non écrites les clauses des contrats inconciliables avec cette interdépendance » [13].

L’assertion dérange. Comme l’expose notre collègue Sarah Bros, « il est impossible d'écarter le rôle de la volonté dans les groupes de contrats. En effet, il n'existe pas de contrats objectivement interdépendants : si les contrats le sont c'est parce que les parties l'ont voulu » [14].

L’arrêt du 17 février 2021, par contraste, ne dit rien des clauses prétendument « inconciliables avec cette interdépendance » [15]. Il était donc permis d’espérer.

Le pourvoi incident, celui du CM-CIC, faisait valoir dans sa première branche que « les conditions générales du contrat de location financière stipulaient que le choix du matériel incomberait au seul locataire, ainsi que celui-ci renonçait à ses recours contre le bailleur en cas de défaut affectant la chose mise à bail ».

Partant, il faisait grief à la cour d’appel de n’avoir point recherché « s'il résultait des stipulations des Conditions générales que la commune intention des parties avait été de rendre les obligations (sic) divisibles » [16].

On le concèdera bien volontiers, la clause invoquée par le pourvoi ne stipule pas expressément que les conventions étaient divisibles. Elle figurait en outre aux conditions générales du bailleur financier et non directement dans la convention le liant à l’association.

Il n’en demeure pas moins qu’en interdisant au locataire d’exciper contre le bailleur de « tout défaut affectant la chose », on peut raisonnablement inférer que les parties avaient tenté d’isoler les contrats. À en suivre le pourvoi, la clause instituait donc une indivisibilité entre les contrats de location financière et de fourniture.

On regrettera donc le silence conservé par la Haute juridiction. En premier lieu, elle ne reprend pas intégralement la solution de 2013. Faut-il en déduire que les clauses de divisibilité sont aujourd’hui admissibles ? En second lieu, la Cour ne répond pas au pourvoi. Ni que l’argument est inopérant, ni que la volonté des parties est indifférente, ni que la clause serait inconciliable avec l’économie générale de l’opération envisagée.

2) Le changement rédactionnel

La seconde raison d’espérer tient dans la loi. L’ordonnance du 10 février 2016 a consacré la notion d’interdépendance à l’article 1186 du Code civil, dans une sous-section relative à la caducité.

Le texte nouveau dispose, en ses alinéas 2 et 3 : « Lorsque l'exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d'une même opération et que l'un d'eux disparaît, sont caducs les contrats dont l'exécution est rendue impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l'exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d'une partie.

La caducité n'intervient toutefois que si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l'existence de l'opération d'ensemble lorsqu'il a donné son consentement ».

Le pourvoi incident faisait grand cas de ce changement rédactionnel. À l’en croire, « l'évolution du droit des obligations, résultant de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, conduit à apprécier différemment les critères de qualification de l'interdépendance contractuelle, lesquels imposent que lorsqu'elle ne résulte pas de l'impossibilité d'exécuter le contrat, la caducité ne puisse être prononcée que du fait de la disparition d'un premier contrat dont l'exécution était déterminante du consentement de la partie qui s'en prévaut ; que le caractère déterminant d'un motif doit être connu par le contractant auquel il est opposé ».

Le moyen principal, sans se prévaloir expressément de ce changement textuel, disait peu ou prou la même chose, en soutenant que l’interdépendance ne pouvait exister que lorsque le bailleur financier a eu « connaissance » du caractère global de l’opération envisagée et y a consenti.

Pour s’en tenir au seul pourvoi incident, force est de reconnaître qu’il proposait à la Cour une occasion unique de faire évoluer sa jurisprudence « à la lumière » du droit nouveau.

Certes, l’article 1186, issu de l’ordonnance du 10 février 2016, était inapplicable ratione temporis à des contrats conclus en 2013. Certes, la loi de ratification du 20 avril 2018 a fait interdiction aux juges d’appliquer par anticipation la réforme de 2016 à des contrats antérieurs au 1er octobre 2016, fût-ce sous couvert d’ordre public ou d’effets légaux du contrat. Mais elle n’a rien dit de l’interprétation « à la lumière » des textes nouveaux, technique qui permet opportunément à la Cour de cassation d’appliquer officiellement les textes anciens, mais en leur donnant le sens prodigué par les textes nouveaux [17].

Pour le dire autrement, la Cour aurait pu se saisir de cette opportunité. Si elle l’avait voulu, elle aurait pu appliquer par anticipation l’article 1186 à cette opération économique globale.

Elle n’en fait rien. « Les contrats en cause ayant été conclus antérieurement à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016, fixée au 1er octobre 2016, la cour d'appel n'était pas tenue de procéder aux recherches inopérantes invoquées par les première et deuxième branches du moyen », juge-t-elle.

Si l’orthodoxie semble de mise eu égard à l’article 2 du Code civil (N° Lexbase : L2227AB4), on regrette vivement que la Chambre commerciale ait jugé le pourvoi « inopérant ». On aurait apprécié de savoir, fût-ce par un obiter dictum, ce qu’aurait été la position de la Cour si le texte avait été applicable.

B. Les raisons du désespoir

Aux deux raisons d’espérer, répondent deux raisons de désespérer à la lecture de l’arrêt. Non seulement, la volonté est niée (1) mais en outre, la loi est refoulée (2).

1) La volonté niée

L’arrêt juge la volonté des parties « inopérante ».

Sans revenir sur le visa, pour le moins hétérodoxe, de l’article 1134 ancien du Code civil, on s’arrêtera sur cette négation de la volonté des parties.

Dans l’arrêt de Chambre mixte de 2013, la volonté des parties était combattue [18]. La Haute juridiction avait affirmé que « sont réputées non écrites les clauses des contrats inconciliables avec cette interdépendance » [19]. Ainsi, peu importe ce que les parties avaient stipulé, l’interdépendance objective triomphait.

Cette mise à sac de la volonté contractuelle avait suscité bien des critiques. En l’absence de tout texte d’ordre public instituant une interdépendance contractuelle [20], pourquoi prohiber ce qui n’est en réalité qu’une sorte de clause d’acceptation des risques [21] ? Ce d’autant qu’au cas d’espèce, le cocontractant-pivot (l’association) n’est pas victime de l’anéantissement du contrat de fourniture, mais acteur de celui-ci, et prétend bénéficier par effet « domino » [22] de l’anéantissement de tout l’ensemble contractuel.

Nonobstant les griefs que l’on peut formuler à l’endroit de la solution de 2013, a minima, la Cour de cassation se fendait d’un mot sur le sort de ces clauses.

Au cas d’espèce, la Cour n’en dit rien. Le pourvoi soutenait que les conditions générales du bailleur financier instituaient une divisibilité des conventions, déduite de la renonciation à recours contre le bailleur en cas de défaut de la chose louée ? Aucune réponse n’y est apportée.

Il y avait pourtant matière à discussion. La clause était-elle dans le champ contractuel ? Était-elle opposable à tous les tenants de l’opération ? Instituait-elle une divisibilité des conventions ? Une stipulation tacite suffit-elle ou bien requiert-on une clause de divisibilité expresse pour faire échec à l’interdépendance ? Une clause de divisibilité n’est-elle valable qu’entre deux professionnels ou peut-elle être opposée à un non-professionnel comme une association ? La clause de divisibilité peut-elle, à la supposer valable, faire échec à tout type d’interdépendance (cf. infra) ?

Silence.

Assourdissant.

Aucune réponse de la Chambre commerciale.

La volonté des parties est bien peu de chose.

2) La loi refoulée

On l’a vu, la Cour de cassation écarte d’un revers de la main le pourvoi qui l’invitait à revoir sa définition de l’interdépendance « à la lumière » de l’article 1186 nouveau du Code civil. Ce refoulement est d’autant plus brutal que la Cour juge « inopérantes » les recherches qu’auraient dû mener les juges du fond aux yeux du pourvoi. Ces recherches prétendument « inopérantes » portaient sur la volonté des parties.

Tenir compte des lumières de l’article 1186 du Code civil aurait pourtant conduit la Cour à accorder une place plus importante à la volonté. Encore faut-il affiner pour mieux s’en convaincre.

L’alinéa 2 de l’article vise deux hypothèses de caducité [23]. D’une part, celle dans laquelle la disparition d’un contrat rend « impossible » l’exécution de l’autre. C’est, si l’on ose dire, l’archétype de l’interdépendance. Dans cette situation, l’interdépendance existe à l’état pur, puisque chaque contrat ne peut s’exécuter sans le support de l’autre.

D’autre part, le texte envisage une seconde hypothèse. Celle dans laquelle « l'exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d'une partie ».

Il nous semble que cette hypothèse relève d’une forme d’interdépendance moins accusée, moins pure. Ici, l’interdépendance ne s’infère pas de l’impossibilité objective d’exécuter un contrat sans l’autre. Elle procède de la volonté des parties de lier les conventions. Pour le dire autrement, l’exécution d’un contrat sans l’autre est matériellement possible, mais sans intérêt.

À notre sens, la location financière relève de cette catégorie. Il était matériellement possible au locataire de continuer à payer ses loyers, sans pour autant jouir des photocopieurs financés. Mais cette poursuite du contrat de location financière était, sinon impossible, du moins dénuée d’intérêt [24].

Dans cette dernière hypothèses, l’interdépendance n’est pas objective mais, nous semble-t-il, subjective, puisque ce sont les parties qui l’ont instaurée. Ce qu’elles ont fait, ne pouvaient-elles le défaire ?

C’est en ce sens que l’alinéa 3 de l’article 1186 poursuit : « La caducité n'intervient toutefois que si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l'existence de l'opération d'ensemble lorsqu'il a donné son consentement ».

Le pourvoi méritait mieux que ce revers de la main. Quand bien même l’article 1186 serait inapplicable ratione temporis, il est regrettable que, cinq ans après l’adoption de ce texte nouveau, la Cour se refuse à dire comment elle entend l’appliquer.

Perseverare diabolicum


[1] Cass. com, 17 février 2021, n° 19-13.903, F-D, objet du présent commentaire ; et Cass. com, 17 février 2021, n° 19-19.421 (N° Lexbase : A62244HY).

[2] D. Houtcieff, Les incohérences de l’interdépendance, Gaz. Pal. 2013, n° 185.

[3] Ch. mixte, 17 mai 2013, n° 11-22.768 (N° Lexbase : A4414KDT).

[4] X. Delpech, Interdépendance contractuelle : mise en échec de la clause de divisibilité, Dalloz Actualité 22 mai 2013 ; comp. S. Bros, L'interdépendance contractuelle, la Cour de cassation et la réforme du droit des contrats, D. 2016, p. 29 : « Un consensus s'est rapidement fait à propos de ce qu'est l'interdépendance contractuelle : plusieurs contrats participant à une opération économique d'ensemble, qui ne peuvent que coexister ou disparaître simultanément. Il est étrange qu'une notion claire et utile ait donné lieu à un contentieux si fourni depuis plus de trente ans ».

[5] Nous empruntons l’expression à notre collègue Y.-M. Laithier, RDC 2013, n° 4, p. 1331.

[6] Voir par exemple Cass. civ. 1, 15 mai 2015, n° 14-17.096, F-D (N° Lexbase : A8552NH9), au sujet du devoir de collaboration entre un client et son avocat.

[7] Cass. com., 15 janvier 2008, n° 06-15.612, F-D (N° Lexbase : A7633D34). L’arrêt semble cependant consacrer une vision subjective de l’interdépendance, déduisant de ces constats objectifs une volonté supposée des parties.

[8] Voir en ce sens, pour la juridiction administrative, TA Bordeaux, 20 janvier 2020, n° 1802882, Sté TAB c/ Cne Saint-Sulpice de Faleyrens, JCP A n° 41, 12 octobre 2020, 2259, permettant l’extinction d’un contrat de mise à disposition de photocopieurs résultant de la résiliation pour motif d’intérêt général d’un contrat de location financière.

[9] Il n’est du reste pas certain que la caducité repose nécessairement sur l’interdépendance. La disparition de l’objet suffit, comme en matière de bail, à emporter caducité de l’engagement. Tel est le sens de l’article 1186, alinéa 1er, du Code civil, selon lequel « un contrat valablement formé devient caduc si l'un de ses éléments essentiels disparaît ». Sur ce point, v. également L. Thibierge, Le contrat face à l’imprévu, Economica, 2011, préf. L. Aynès, n° 116 et s.

[10] G. Loiseau, L'interdépendance contractuelle, une objectivité à effet libérateur, Communication Commerce électronique n° 7-8, juillet 2017, comm. 61.

[11] On ne dira pas la même chose du contrat de maintenance.

[12] Reprenant en cela l’expression de notre collègue H. Barbier, Le point sur l'interdépendance contractuelle, son empire et ses fonctions, RTD civ. 2017, p. 846 ; rappr. Y.-M. Laithier, La marche forcée vers l'interdépendance contractuelle, RDC 2013, n° 4, p. 1331 : « on se demande quelles valeurs nécessaires à l'ordre social l'interdiction de stipuler de telles clauses est censée défendre – ce qui est pourtant la fonction de l'ordre public, fût-il de protection ».

[13] Ch. mixte, 17 mai 2013, n° 11-22.768 (N° Lexbase : A4414KDT).

[14] S. Bros, Les contrats interdépendants : actualités et perspectives, D. 2009. 960.

[15] On fait ici volontairement abstraction de l’incise « ainsi que sa volonté de consentir au financement en considération des engagements pris par le fournisseur envers le locataire », qui ne constitue en réalité qu’une reprise in extenso du pourvoi.

[16] La référence aux « obligations » plutôt qu’aux « conventions » surprend.

[17] Voir par ex. Ch. mixte, 24 février 2017, n° 15-20.411 (N° Lexbase : A8476TNA) ; sur ce mouvement, voir notamment T. Girard Gaymard, L'incidence du renouvellement des sources du droit des obligations sur son interprétation, RTD civ. 2020, 779.

[18] Comp. X. Delpech, op. cit., au sujet de l’arrêt de 2013 : « La volonté des parties est passée sous silence. Mais c’est en réalité plus que cela. Elle est niée, comme si l’indivisibilité objective la tenait en échec ».

[19] Ch. mixte, 17 mai 2013, n° 11-22.768 (N° Lexbase : A4414KDT).

[20] En ce sens, J.-B. Seube, note sous Cass. com. 12 juillet 2017, n° 15-23.552, FP-P+B+R+I, Cassation (N° Lexbase : A6548WMH), RDC 2017. 48 : « Quant au choix de l'interdépendance, nous nous contentons de renvoyer aux critiques déjà émises à l'encontre de cette solution qui, créant une indivisibilité purement objective entre les contrats, confisque aux contractants le pouvoir de lier ou de délier leurs conventions. Dès lors qu'aucun texte (à la différence du crédit à la consommation ou du crédit immobilier) ne prohibe de tels aménagements, il ne nous semble pas qu'il revienne au juge le pouvoir de censurer une clause qui ne fait que répartir les risques entre les contractants ».

[21] En ce sens, L. Aynès, Dr. et patr. juin 2011 ; adde. H. Barbier, La liberté de prendre des risques, préf. J. Mestre, PUAM, 2011, n° 371 et s.

[22] B. Fages, Droit des obligations, 7e éd., LGDJ, 2017, n° 222.

[23] En ce sens, B. Waltz-Teracol et M. Bacache, Répertoire civil Dalloz V° « Indivisibilité », n° 84 et s..

[24] En ce sens, G. Loiseau, op. cit..

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