La lettre juridique n°495 du 26 juillet 2012 : Droit disciplinaire

[Jurisprudence] Preuve de l'employeur contre le salarié : de la loyauté avant tout !

Réf. : Cass. soc., 4 juillet 2012, n° 11-30.266, FS-P+B (N° Lexbase : A4789IQG)

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par Lise Casaux-Labrunée, Professeur à l'Université Toulouse 1 Capitole

le 26 Juillet 2012

Si chacun sait que tout licenciement doit reposer sur une cause réelle et sérieuse, sans doute n'insiste-t-on pas assez sur le fait que cette cause doit être prouvée et surtout, qu'elle doit l'être de façon loyale. Nombre d'employeurs l'apprennent à leurs dépens... au double sens du terme. Le salarié présumé fautif aura beau avoir été pris "la main dans le sac", les faits indiscutablement prouvés, si le mode de preuve utilisé contre lui n'a pas été loyal, aucune conséquence juridique ne pourra être tirée du comportement ainsi établi. Le licenciement sera déclaré sans cause réelle et sérieuse et l'employeur perdra son procès, ce qu'il aura sans doute quelque mal à digérer dans la mesure où les faits à l'origine de la décision de licencier étaient réels, sérieux et prouvés... sauf que ces faits n'auront pas été prouvés dans les règles de l'art, id est "conformément à la loi" ainsi que l'exige l'article 9 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1123H4D) (I). Reste à définir les caractéristiques de la preuve loyale. L'arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation, le 4 juillet 2012, illustre ce schéma assez classique d'un employeur perdant son procès par qualité insuffisante de la preuve rapportée en justice (II).
Résumé

Si l'employeur a le pouvoir de contrôler et de surveiller l'activité de son personnel pendant le temps de travail, il ne peut mettre en oeuvre un dispositif de contrôle clandestin et à ce titre déloyal.

Commentaire

I - L'exigence de loyauté de la preuve

L'affaire. Elle concerne une institution nationale : La Poste... et les courriers, chacun a connu cela au moins une fois dans sa vie, qui n'arrivent pas à destination ou qui arrivent endommagés. Une employée engagée en qualité d'agent de tri-collecte puis de factrice, suspectée d'être à l'origine de spoliations de courriers observées dans un centre de tri, est prise en défaut grâce à la technique, bien connue semble-t-il dans les services postaux, des "lettres festives" (lettres ayant la particularité de diffuser un encre bleue si elles sont ouvertes). La technique a bien fonctionné puisque les mains de la salariée maculées d'encre bleue ont un jour finalement conduit cette dernière à reconnaître les faits qui lui étaient reprochés. Un licenciement pour faute grave s'en suit, contesté par la salariée qui saisit la juridiction prud'homale d'une demande en paiement d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. La cour d'appel de Chambéry déboute la salariée de sa demande. Elle estime que La Poste, chargée d'une mission de service public, est tenue de garantir aux usagers le secret et l'intégrité des correspondances confiées. Elle prend en considération le nombre accru de signalisations relatives à des lettres spoliées dans le centre dont dépendait la salariée pour justifier l'introduction de lettres festives dans la tournée de cette dernière, avec l'objectif de mettre fin à ces agissements frauduleux. Pour les juges de Chambéry, "ces lettres banalisées ne constituent pas un procédé de surveillance destiné à collecter des informations sur les salariés mais ont vocation à être traitées comme les autres correspondances ; il n'y a donc ni stratagème, ni provocation à commettre une infraction, ni utilisation d'un procédé déloyal par l'employeur". Le raisonnement est solide.

Une exigence procédurale légale. La Cour de cassation ne l'entend pas de la même façon et casse la décision de la cour d'appel en considérant surtout le caractère clandestin du contrôle effectué par l'employeur : "si l'employeur a le pouvoir de contrôler et de surveiller l'activité de son personnel pendant le temps de travail, il ne peut mettre en oeuvre un dispositif de contrôle clandestin et à ce titre, déloyal [...] L'utilisation de lettres piégées à l'insu du personnel constitue un stratagème rendant illicite le moyen de preuve obtenu". La décision est rendue au visa de l'article 9 du Code de procédure civile : "il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention". Les procédés frauduleux, destinés à tromper autrui ou à lui porter préjudice en utilisant la ruse, la clandestinité ou autre... ne peuvent pas produire de preuves admissibles en justice.

Une exigence jurisprudentielle constante. La solution n'est pas nouvelle. La Cour de cassation insiste sur l'exigence de loyauté en matière de preuve depuis 1991 : "la loyauté, qui doit présider aux relations de travail, interdit à l'employeur de recourir à des artifices et stratagèmes pour placer le salarié dans une situation qui puisse ultérieurement lui être imputée à faute" (Cass. soc. 16 janvier 1991, n° 89-41.052, publié N° Lexbase : A9408AAP). La formulation de l'arrêt rendu le 4 juillet dernier rappelle, par ailleurs, celle du fameux arrêt "Néocel" rendu le 20 novembre 1991 : "si l'employeur a le droit de contrôler et de surveiller l'activité de ses salariés pendant le temps de travail, tout enregistrement, quels qu'en soient les motifs, d'images ou de paroles à leur insu, constitue un mode de preuve illicite" (1). Plus récemment, en 2008, deux affaires ont également conduit à la condamnation d'employeurs insuffisamment informés des exigences du droit de la preuve... deux arrêts expliqués ensemble dans un commentaire célèbre du Doyen Philippe Waquet : "halte aux stratagèmes !" (2).

Dans l'un, un employeur souhaitait confondre l'un de ses salariés qui travaillait, en partie sur son temps rémunéré, dans un restaurant exploité par son épouse. Pour établir la faute (abandon de poste), il avait demandé à plusieurs cadres de l'entreprise de se rendre dans ledit restaurant en s'y comportant comme de simples clients et de témoigner par la suite de ce qu'ils y avaient vu (Cass. soc. 18 mars 2008, n° 06-45.093, FS-P+B N° Lexbase : A4784D7C). Dans l'autre, l'employeur cherchait à établir qu'une vendeuse procédait à des détournements d'espèces. Il avait fait appel à un huissier, lequel avait demandé à des tiers d'effectuer des achats en espèces, de façon à pouvoir constater en fin de journée que des fonds manquaient dans la caisse. Dans tous les cas, la Cour de cassation sanctionne les preuves obtenues par stratagème, aucune conséquence juridique ne pouvant en être tirée. Dans l'arrêt du 4 juillet 2012, elle affirme spécialement que l'utilisation de lettres piégées à l'insu du personnel constitue un stratagème, une ruse destinée à tromper ou piéger l'adversaire, rendant illicite le moyen de preuve obtenu.

II - Les caractéristiques de la preuve loyale

Transparence. C'est la première règle d'or à respecter pour que la preuve de l'employeur contre le salarié soit loyale (3). L'affirmation revient comme une constante dans tous les arrêts où l'employeur se retrouve pris à son propre piège : les preuves résultant de contrôles opérés à l'insu des salariés ne peuvent produire aucun effet juridique, indépendamment de la réalité des fautes dont le salarié a pu se rendre coupable. L'on pourra objecter que cette exigence de transparence, qui implique que le salarié soit au courant des procédés de surveillance utilisés par l'employeur (C. trav., art. L. 1222-4 N° Lexbase : L0814H9Z), rend difficile si ce n'est impossible le "flagrant délit". L'on rétorquera que la transparence a moins pour but de piéger le salarié que de lui éviter de commettre des fautes. Sa fonction est préventive, en plus de s'inscrire dans le respect des droits de la personne. Elle signifie simplement que la surveillance des salariés doit se faire ouvertement. L'utilisation de lettres piégées à l'insu du personnel de La Poste est illicite parce qu'elle ne répond pas à ce premier critère de transparence.

Information et consultation. La jurisprudence "Néocel" condamnant les procédés de surveillance réalisés à l'insu des salariés a été traduite dans la loi par diverses obligations d'information et de consultation à la charge de l'entreprise (loi du 31 décembre 1992 relative à l'emploi, au travail à temps partiel et à l'assurance-chômage N° Lexbase : L0944AIS). La mise en place de tout procédé de surveillance doit être soumise à la consultation préalable du comité d'entreprise (4), également à une information individuelle des salariés concernés (5). Le cas échéant, le CHSCT pourra être consulté, certains modes de surveillance pouvant se révéler "stressants" pour les salariés (6). Enfin, pour les procédés de surveillance donnant lieu à un traitement de données à caractère personnel, l'employeur sera tenu d'en faire déclaration à la CNIL et de respecter les formalités prévues par la loi "informatique et libertés" (7).

Aucune de ces obligations n'est évidemment évoquée dans l'arrêt, le procédé de contrôle utilisé pour confondre la salariée de La Poste y apparaissant comme un dispositif de contrôle clandestin (probablement voulu comme tel). La question qui se pose est cependant de savoir si la solution des juges eût été la même si, au lieu de jouer la surprise, l'employeur eût préféré la transparence vis à vis des salariés et de leurs représentants et inscrit, par exemple dans un règlement intérieur (qui est le document idoine pour accueillir ce genre de dispositions) qu'en cas de spoliations de courriers répétées dans un centre de tri donné, des contrôles intempestifs pourraient y être opérés par le biais de lettres festives... Gageons que oui.

Nécessité. Espérons surtout que La Poste corrigera rapidement ce qui, vu de loin, apparaît comme une importante faille dans son droit disciplinaire. Car l'objectif poursuivi par l'employeur était en l'occurrence parfaitement louable. Les juges de Chambéry ont eu raison de souligner que "la SA La Poste a agi non pour la sauvegarde de ses intérêts propres, mais pour des motifs impérieux d'intérêt public en vue de faire cesser des agissements répréhensibles pénalement sanctionnés" (violation du secret des correspondances privées) (8). La Poste, chargée d'une mission de service public, est tenue de garantir aux usagers le secret et l'intégrité des correspondances confiées, et de mettre fin le plus rapidement possible aux agissements frauduleux observés ou suspectés. Les lettres festives n'ont pas pour but de collecter des informations sur les salariés ou de les pousser à la faute. Elles constituent un procédé de contrôle relativement neutre, presque "sympathique" au regard d'autres procédés de surveillance mis en oeuvre aujourd'hui dans les entreprises (vidéosurveillance, géolocalisation, logiciel "surveillermonsalarié.com"...) ayant pour seul objectif de rapporter la preuve de faits avérés, ou plus exactement de retrouver l'auteur de faits que l'on peut considérer inadmissibles dans un service public comme celui-là. Le contrôle est donc nécessaire. Encore faut-il et enfin qu'il soit proportionné à l'objectif.

Proportionnalité. Les procédés de surveillance utilisés par l'employeur, dans la mesure où ils sont susceptibles de porter atteinte aux libertés individuelles des salariés, doivent non seulement être justifiés par la nature de la tâche à accomplir, mais ils doivent en outre être proportionnés au but recherché par l'employeur (C. trav., art. L. 1121-1 N° Lexbase : L0670H9P). Les restrictions apportées par les dispositifs de surveillance aux droits et libertés des personnes doivent par conséquent être correctement " dosées ", ce qui interdit toute systématisation ou généralisation.


(1) Cass. soc. 20 novembre 1991, n° 88-43.120, inédit (N° Lexbase : A9301AAQ) ; Dr. soc., 1992, p. 28, rapport Ph. Waquet.
(2) SSL, n° 1348, 7 avril 2008, p. 5.
(3) L. Casaux-Labrunée, Vie privée des salariés et vie de l'entreprise, Dr. soc., 2012, p. 334 s..
(4) "Le comité d'entreprise est informé et consulté, préalablement à la décision de mise en oeuvre dans l'entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l'activité des salariés" (C. trav., art. L. 2323-32, alinéa 3 N° Lexbase : L2810H9X) ; "le comité d'entreprise est informé et consulté, préalablement à tout projet important d'introduction de nouvelles technologies, lorsque celles-ci sont susceptibles d'avoir des conséquences sur l'emploi, la qualification, la rémunération, la formation ou les conditions de travail" (C. trav., art. L. 2323-13 N° Lexbase : L2755H9W).
(5) "Aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance" (C. trav., art. L. 1222-4 N° Lexbase : L4383DLW).
(6) "Le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est consulté avant toute décision d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et, notamment, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l'outillage, d'un changement de produit ou de l'organisation du travail, avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail" (C. trav., art. L. 4612-8 N° Lexbase : L1754H9T).
(7) La cybersurveillance sur les lieux de travail, Rapport CNIL, édition 2004 ; Guide pratique de la CNIL pour les employeurs et les salariés, édition 2010.
(8) C. pén., art. 226-15 (N° Lexbase : L3257IQP).

Décision

Cass. soc., 4 juillet 2012, n° 11-30.266, FS-P+B (N° Lexbase : A4789IQG)

Cassation, CA Chambéry, 15 mars 2011, n° 09/00221 (N° Lexbase : A9456HBT)

Texte visé : C. proc. civ., art. 9 (N° Lexbase : L1123H4D)

Mots-clés : licenciement, cause réelle et sérieuse, exigence de preuve loyale, pouvoir de contrôle de l'employeur, refus des stratagèmes.

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