La lettre juridique n°495 du 26 juillet 2012 : Sociétés

[Evénement] La gouvernance d'entreprise au risque des crises : un regard franco-italien - Compte-rendu de la réunion de la Commission ouverte Italie du barreau de Paris

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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires et Martina Barcaroli, avocat aux barreaux de Paris et de Rome, responsable de la Commission ouverte Italie du barreau de Paris

le 26 Juillet 2012

La Commission ouverte Italie du barreau de Paris tenait, le 16 juillet 2012, sous la responsabilité de Maître Martina Barcaroli, avocat aux barreaux de Paris et de Rome, sa deuxième réunion ayant pour thème "La gouvernance d'entreprise au risque des crises : un regard franco-italien", animée par cette dernière ainsi que par Maître Dominique de la Garanderie, ancien Bâtonnier du barreau de Paris, membre du conseil d'administration de Renault, Sophie Schiller, Professeur agrégée des facultés de droit, Université de Paris Dauphine, membre du conseil scientifique de l'Institut français des administrateurs (IFA) et Massimo Mantovani, Directeur juridique de ENI S.p.A. Le thème choisi pour cette deuxième réunion se justifie, selon Maître Barcaroli, par le fait que la France et l'Italie ont connu une évolution similaire voire convergente de la gouvernance d'entreprise en raison d'un tissu industriel et économique proche, tout en conservant des spécificités qui leur sont propres. A cela s'ajoute un second facteur endogène : la crise, d'abord financière puis économique, qui frappe le monde depuis quelques années et qui a des impacts importants sur la structure même des entreprises. Ces dernières ont notamment dû et doivent encore se réorganiser sous la pression notamment de nouvelles règles contraignantes en matière de gouvernance d'entreprises mais également en raison de l'impact grandissant de la soft law.

Les interventions se sont concentrées autour de trois axes : l'émergence et l'évolution de la gouvernance d'entreprise (1), le programme anti-bribery des sociétés cotées (2) et le printemps de la gouvernance (3).

1 - Emergence et évolution de la gouvernance d'entreprise

En introduction de son intervention, Sophie Schiller a rappelé que les questions de gouvernance s'inscrivent parfaitement dans un contexte international car ce sont des problématiques communes aux divers Etats qui reçoivent, en toute logique, des réponses qui sont relativement proches, d'autant que les grandes entreprises, implantées dans plusieurs pays poussent pour cette uniformisation dans un évident souci de confort. A ce mouvement d'uniformisation et d'internationalisation s'ajoute un lien entre l'évolution des règles de gouvernance et la crise : la crise impose de faire un point sur ces règles et suggère en conséquence leur évolution nécessaire, la gouvernance pouvant apparaître alors, à tort ou à raison, comme un moyen d'éviter les crises.

Cette idée se traduit parfaitement dans le discours de Michel Barnier, membre de la Commission européenne chargé du marché intérieur et des services, lorsqu'il a déclenché la réflexion sur le Livre vert le 5 avril 2011, et selon lequel "l'excès de court-termisme a eu des conséquences désastreuses. C'est pourquoi nous lançons aujourd'hui le débat sur l'efficacité du cadre actuel de gouvernance des entreprises. Ce dont nous avons surtout besoin, c'est que les conseils d'administration soient plus efficaces et que les actionnaires assument pleinement leurs responsabilités".

Le même discours est tenu par l'OCDE, en juin 2011, qui entend ainsi, en raison de la nouvelle crise, lancer une modification des règles de gouvernance, qui avaient été édictées à la suite des scandales "Enron" et "WordCom".

Sophie Schiller identifie donc deux temps dans l'évolution des règles de la gouvernance d'entreprise : celles qui ont pour origine les scandales financiers et celles nées à la suite des crises économiques.

1.1 - Les premières règles en matière de gouvernance d'entreprise au lendemain des scandales financiers du début des années 2000

Le scandale "Enron" a donc été la source de la première réaction internationale en matière de gouvernance d'entreprise. Pour rappel, cette société américaine, créée en 1985, est très vite devenue un très important groupe : à la veille de sa faillite en 2001, elle était la septième capitalisation boursière des Etats-Unis (avec une augmentation colossale de 90 % en 1 an). Cette croissance très rapide a eu pour effet de faire d'Enron un exemple de gestion. D'ailleurs six années de suite la revue Fortune va l'élire comme l'entreprise la plus innovante et les analystes financiers la présentaient comme le modèle de société. Or, le pot-aux-roses est découvert : cette société gonflait artificiellement ses profits en masquant ses déficits en utilisant une multitude de sociétés écrans et en falsifiant ses comptes avec la complicité du cabinet d'audit Arthur Andersen.

A la suite de ces révélations, Enron se déclare en faillite, 20 000 personnes perdent leur emploi mais également leur fonds de retraite.

Le premier enseignement qui est tiré de ce scandale est la nécessité de réformer les normes comptables afin de mieux encadrer la situation réelle des entreprises par un renforcement des règles de transparence et de contrôle et une extension du cercle de décision.

Le cas "Enron" n'est pas isolé :
- aux Etats-Unis en 2002, les manipulations comptables de la société WorldCom, qui avait déclaré près de 11 milliards de dollars de revenus totalement fictifs en 2001 et 2002, sont découvertes ;
- en France c'est le cas de la société Vivendi qui en 2002 défraye la chronique ;
- en Italie, la société Parmalat est secouée par un scandale financier fin 2003 qui l'a obligée à se déclarer en faillite.

En réaction à ces évènements, les pouvoirs publics s'intéressent aux rapports sur la gouvernance d'entreprise qui avaient été rédigés quelques années auparavant et qui avaient justement mis en exergue la nécessité d'une réforme en la matière. Le premier rapport est le rapport "Cadbury" de 1992 qui a conclu à la mise en place de best practices pour les conseils d'administration et les sociétés cotées. Emergent ici deux idées que l'on retrouvera dans toutes les réformes :
- d'abord que le conseil d'administration est la clé de la vertu en matière de gouvernance ;
- ensuite que les règles de gouvernance doivent au premier chef concerner les sociétés cotées, car il est plus facile de leur imposer des normes contraignantes et couteuses et car leur organisation interne est souvent plus complexe, de telle sorte que la gouvernance doit être en premier lieu améliorée dans ces structures.

Dès 1992, sont ainsi lancées les idées de création d'un comité d'audit, la vérification par les administrateurs du contrôle interne et l'obligation d'information des actionnaires, qui s'est d'ailleurs traduite en France en jurisprudence par le renforcement de la responsabilité des administrateurs en matière de transmission d'informations erronées.

En France, le rapport de l'AFEP dit rapport "Viennot" de 1995 va dans le même sens : il insiste sur le contrôle, l'information donnée aux actionnaires et le rôle du conseil d'administration. Mais, à la différence du rapport "Cadbury", il souligne également l'importance de la composition des conseils d'administration comme condition de l'exercice effectif de son rôle et de l'appropriation de ses fonctions. En effet, l'idée qui préside ici est que l'efficacité du contrôle exercé par le conseil suppose d'éviter la "consanguinité" en choisissant des membres d'horizons divers. Par ailleurs et bien que cela puisse paraître évident, le rapport "Viennot" fait de la compétence des administrateurs l'une des conditions essentielles de leur choix.

Il préconise également la mise en place d'un règlement intérieur pour déterminer, notamment, la fréquence des réunions du conseil d'administration.

Comme le relève le Professeur Schiller, de ces rapports vont naître de nouvelles normes de gouvernance, qui sont de deux ordres : des règles formelles et des règles informelles.

Les règles formelles. Aux Etats-Unis, la loi Sarbanes-Oxley de juillet 2002 pose une multitude de contraintes, notamment un encadrement plus sévère de la production des documents comptables et financiers, la séparation très nette des activités d'audit et de conseil, l'obligation pour les présidents et les directeurs financiers de signer les comptes, l'évaluation du contrôle interne et un alourdissement colossal des sanctions qui pèsent sur les dirigeants en cas de falsification (jusqu'à 20 ans de prison).

En France, les scandales du début des années 2000 se traduisent également par l'édiction de normes nouvelles de gouvernance :

- la loi "NRE" (loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 N° Lexbase : L8295ASZ) qui va tenter de pousser vers le rééquilibrage des pouvoirs en demandant que les statuts se prononcent sur la dissociation des fonctions de président du conseil d'administration et de directeur général et va renforcer l'information et la transparence ;

- la "LSF" (loi n° 2003-706 du 1er août 2003, de sécurité financière N° Lexbase : L3556BLB -pendant de la "SOX", moins contraignante certes, mais en en raison de l'avance de la France sur les Etats-Unis en matière de gouvernance et de contrôle financier-), qui opère un renforcement du contrôle des comptes, une amélioration de la transparence et crée le rapport sur le fonctionnement du conseil et le contrôle interne ;

- la loi n° 2008-649 du 3 juillet 2008, portant diverses dispositions d'adaptation du droit des sociétés au droit communautaire (N° Lexbase : L7047H77) qui met en place le complain or explain ;

- l'ordonnance n° 2008-1278 du 8 décembre 2008, transposant la Directive 2006/43/CE du 17 mai 2006 et relative aux commissaires aux comptes (N° Lexbase : L1151ICM) qui rend obligatoire le comité des comptes dans les sociétés.

Cette série de texte édicte donc un certain nombre de règles contraignantes mais dans un environnement relativement souple.

Les règles informelles. En parallèle émerge un droit informel, la soft law qui va se traduire à la fois dans des principes internationaux et des principes français. Au niveau international, il s'agit d'abord des principes directeurs de l'OCDE de 2004 émis en réponse aux scandales, selon lesquels il convient au premier chef de procéder à un renforcement des droits des actionnaires et à un traitement équitable de ces derniers, et qui préconisent aussi une plus grande transparence et une responsabilité accrue des membres des conseils d'administration. La nouveauté réside ici, d'une part, dans le rôle des actionnaires avec l'idée selon laquelle une partie du contrôle peut venir d'eux, et d'autre part, dans la nécessité de limiter la possibilité pour les majoritaires d'imposer leurs vues aux minoritaires en garantissant l'exercice des droits à ces derniers.

En France, la principale source de soft law est le Code AFEP-Medef d'octobre 2003 complété par une série de recommandations de janvier 2007 et d'octobre 2008 sur la rémunération des dirigeants mandataires sociaux de sociétés cotées.

Mais se pose dès lors la question de la force de cette soft law ? Or, comme le relève le Professeur Schiller, l'application de ce droit informel dépend, d'abord, de la communication sur les avantages que les règles qui en sont issues vont pouvoir procurer aux entreprises : meilleur fonctionnement, meilleure performance, etc.. Mais le succès des règles informelles tient également à la possibilité pour l'entreprise de communiquer sur l'application de ces règles et donner de la sorte une bonne image d'elle-même, notamment pour les sociétés qui font appel aux marchés et donc à des investisseurs extérieurs.

Cette communication sur la gouvernance a d'ailleurs été renforcée par la loi du 3 juillet 2008. Désormais les articles L. 225-37 (N° Lexbase : L3625IPX, pour le conseil d'administration et L. 225-68 (N° Lexbase : L3636IPD, pour le conseil de surveillance) disposent que "lorsqu'une société se réfère volontairement à un code de gouvernement d'entreprise élaboré par les organisations représentatives des entreprises, le rapport [du président] précise également les dispositions qui ont été écartées et les raisons pour lesquelles elles l'ont été. Se trouve de surcroît précisé le lieu où ce code peut être consulté. Si une société ne se réfère pas à un tel code de gouvernement d'entreprise, ce rapport indique les règles retenues en complément des exigences requises par la loi et explique les raisons pour lesquelles la société a décidé de n'appliquer aucune disposition de ce code de gouvernement d'entreprise". Aujourd'hui deux codes sont considérés comme répondant aux conditions posées par le texte : le code AFEP-Medef et le code Middlenext.

Toutes ces règles ont eu pour objectif de rééquilibrer les intérêts et les pouvoirs dans l'entreprise. Mais, comme le résume la Commission à l'aube du lancement du Livre vert, en 2010, "le gouvernement d'entreprise est aujourd'hui accusé de ne pas avoir tenu ses promesses face à la crise financière des années 2010", ce qui conduit à une seconde salve de modifications.

1.2 - La deuxième salve de règles en matière de gouvernance d'entreprise au lendemain de la crise financière des années 2010

La Commission européenne a ouvert des pistes de réflexion en s'interrogeant d'abord dans les années 2009-2010 sur la gouvernance des établissements financiers qui a abouti par la publication, le 2 juin 2010, du Livre vert "Le gouvernement d'entreprise dans les établissements financiers et les politiques de rémunération" qui synthétise le retour de l'enquête et a donné lieu à plusieurs Directives sur la réglementation bancaire. Mais cette crise financière n'est pas seulement le fait des établissements financiers et impose de mener une réflexion plus générale sur la gouvernance des entreprises. Est donc lancé, le 5 avril 2011, un Livre vert "Le cadre de la gouvernance d'entreprise dans l'UE", suivi des consultations jusqu'au 22 juillet 2011 et de la publication des réponses reçues le 15 novembre 2011. Il en ressort, d'abord, trois idées :

- il faut améliorer le suivi de la mise en oeuvre du complain or explain et assurer notamment une meilleure vérification des informations qui sont données par les entreprises ;

- la gouvernance doit être adaptée à la taille de l'entreprise ;

- il est nécessaire de distinguer la gouvernance dans les sociétés cotées et celle dans les sociétés non-cotées.

Ces consultations ont également mis à jour deux grands axes d'actions qui se concentreront une nouvelle fois sur les conseils d'administration et les actionnaires.

Concernant les conseils d'administration d'abord, il ressort des réponses apportées à la Commission la nécessité d'améliorer encore leur fonctionnement. Cette amélioration passera en particulier par une meilleure information sur la dissociation des fonctions et son évolution, le renforcement de la diversité des membres et la définition des profils attendus pour les administrateurs en vue d'accroître la compétence de la collégialité et éviter des choix arbitraires. Est également souhaitée une consolidation de l'évaluation externe des conseils en intégrant la contrainte du coût inhérent à un tel audit et des préconisations en matière de rémunération

Concernant les actionnaires, ensuite, les consultations invitent à opérer une distinction entre les actionnaires à long terme (c'est-à-dire essentiellement les fonds de pension, les fonds souverains, les entreprises d'assurance...) et les actionnaires à court terme (investisseurs institutionnels et gestionnaires d'actifs). Afin de privilégier les premiers et assurer une implication accrue de leur part il est préconisé de les contraindre à publier une politique de vote et des comptes-rendus de vote, et de faciliter leur représentation en mettant en place, par exemple, des forums de discussion entre actionnaires. Pour les seconds, et afin d'éviter les effets pervers inhérents à leur perspective court-termisme, il conviendrait de mettre en place des moyens efficaces pour modifier leur mode de rémunération et leur intérêt. Enfin, un certain consensus est apparu sur deux points : le refus de toute intervention communautaire sur l'actionnariat salarié et sur les droits des minoritaires.

En France, le renforcement de la gouvernance au lendemain de la crise financière s'est essentiellement traduit dans un texte : la "LRBF" du 22 octobre 2010 qui contient deux séries de dispositions en la matière :

- les premières concernent exclusivement les établissements bancaires et financiers et les entreprises d'assurance et mettent en place une extension de la mission du comité d'audit qui sera chargé de contrôler les procédures de contrôle interne et de gestion des risques ;

- les secondes traduisent une modification plus générale de la gouvernance et procèdent à une réforme de la responsabilité du comité d'audit.

Selon le professeur Schiller, il ressort de cette présentation un nombre important de normes nationales et internationales en matière de gouvernance, qui sont nées d'une évolution majeure au cours de la décennie écoulée.

2 - Le programme anti-bribery des sociétés cotées

Monsieur Massimo Mantovani, directeur juridique de ENI SpA, est intervenu sur le rôle de la compliance interne, des systèmes ("modelli organizzativi") mis en place pour combattre la corruption et les recommandations du Groupe de travail du B20 présentées au G20 de Los Cabos au Mexique. Il a également soulevé l'intérêt du témoignage du rôle des "in-house lawyers" qui de plus en plus sont impliqués dans le risk management. Il a illustré comment la question de la lutte contre la corruption est prise en compte dans les grands groupes internationaux. En Italie, la pratique plus diffuse est de mettre en place des programmes et/ou codes internes pour détecter le phénomène de la corruption (active, passive et de privé à privé). Ces types de programmes doivent respecter la législation nationale où le groupe opère. En Italie il s'agit donc de la loi n° 231 du 2001 qui a introduit la responsabilité pénale des entreprises.

3 - Le printemps de la gouvernance d'entreprise

Madame le Bâtonnier Dominique de la Garanderie relève plusieurs éléments positifs dans la gouvernance d'entreprises. En premier lieu, la loi relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration (loi n° 2011-103 du 27 janvier 2011 N° Lexbase : L2793IP7) représente, selon elle, une avancée majeure et un bouleversement important dans ces conseils (25 % de femmes à échéance 2013 et 40 % à échéance 2017). Les entreprises du CAC 40 sont aujourd'hui en adéquation avec leurs obligations ; elles l'étaient même avant la loi puisqu'une recommandation AFEP-Medef allait déjà en ce sens. Le passage à 40 % sera certainement plus difficile.

La présence grandissante des femmes dans les conseils d'administration est aussi une réponse à l'exigence plus générale de diversité dans les conseils. D'ailleurs Dominique de la Garanderie milite pour que les juristes et notamment les femmes juristes, à son image, intègrent des conseils d'administration. Les avocats cumulent certaines qualités qui sont essentielles pour exercer de telles fonctions : compétence particulière en terme de compliance et d'analyse des risques, sens du secret, de l'indépendance et du conflit d'intérêts. Or, ces règles déontologiques se retrouvent dans les dispositifs de gouvernance pour les conseils d'administration.

A côté du rôle des femmes dans les conseils d'administration, l'intervenante estime que le rôle des actionnaires et notamment celui des salariés fait pleinement partie des questions intéressantes qu'il convient de suivre tout particulièrement. En France, des salariés siègent dans les conseils d'administration lorsque le seuil de 3 % de salariés actionnaires est atteint. Or, Madame le Bâtonnier de la Garanderie, faisant part de son expérience, estime que ce sont des administrateurs particulièrement bien formés, souvent même les mieux formés en ce qui concerne la compliance et les règles de soft law. Ils ont en outre l'avantage indéniable de connaître l'entreprise de l'intérieur ce qui est extrêmement précieux pour les conseils d'administration. Il est naturel qu'ils jouent leur rôle : ainsi, ils s'abstiennent en général lors du vote de la rémunération des dirigeants, mais en ce qui concerne la stratégie de l'entreprise, ils agissent en administrateur responsable. La réticence des milieux patronaux français pour le développement des salariés administrateurs ne serait donc pas, selon elle, justifiée, surtout dans le contexte industriel actuel dans lequel il est essentiellement question de productivité. Ouvrir les conseils d'administration aux salariés représenterait ainsi un grand pas et permettrait assurément un dialogue bénéfique pour tous les intervenants et donc pour l'entreprise, différent de celui des comités d'entreprise encore très imprégnés de lutte des classes.

Pour ce qui concerne les actionnaires, l'une des questions à l'étude est de savoir si les rémunérations des dirigeants seront votées en assemblées générales. Une certitude apparaît : on semble s'orienter, selon Maître de la Garanderie, vers une information beaucoup plus développée. Ira-t-on jusqu'au vote ou les textes se contenteront-ils d'imposer un avis ? Rien n'est encore certain mais cette question mérite assurément d'être suivie de très près.

Autres avancées significatives en matière de gouvernance d'entreprise : le cumul des mandats, qu'il serait question de limiter à trois, au lieu de cinq aujourd'hui, et le rapport sur la responsabilité sociale et environnementale. Depuis le "Grenelle II" (loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010, portant engagement national pour l'environnement N° Lexbase : L7066IMN), en effet, les sociétés cotées et les sociétés dépassant certains seuils (500 salarié et 100 millions d'euros de chiffre d'affaires) ont pour obligation de faire un rapport sur la manière dont la société prend en compte les conséquences sociales et environnementales de son activité ainsi que sur ses engagements sociétaux en faveur du développement durable et en faveur de la lutte contre les discriminations et de la promotion des diversités. Ce texte a été complété par le décret du 24 avril 2012 (décret n° 2012-557 du 24 avril 2012 N° Lexbase : L8543IS9) qui liste les informations que la société doit donner à ce titre. Ces informations sont déjà traitées dans un certain nombre d'entreprises dans des rapports, parfois annexes, parfois intégrées au rapport annuel ; désormais elles seront présentées dans le rapport de gestion. Assez curieusement, la règle complain or explain resurgit à ce niveau puisque, si parmi les informations contenues dans cette grille, certaines ne peuvent être produites ou ne paraissent pas pertinentes, le rapport doit en fournir toutes explications utiles. Les informations sociales et environnementales figurant ou devant figurer au regard des obligations légales et réglementaires font l'objet d'une vérification par un organisme tiers indépendant. Cette vérification donne lieu à un avis qui comporte notamment une attestation sur la présence de toutes les informations devant figurer au regard des obligations légales ou réglementaires.

Désormais un pôle extra-financier est rentré dans la gouvernance, particulièrement précis et technique, qui traduit une volonté politique d'équilibrer le "tout financier" avec des implications sociales et environnementales.

Enfin, concernant les rémunérations des dirigeants, l'évolution résulte de plusieurs "affaires" dont la presse s'est emparée et dont la dernière en date est la rémunération différée de Maurice Lévy. En France, la situation est un peu particulière, puisque les attributions d'actions et les stock-options sont traitées comme des rémunérations. La démarche capitalistique qui voulait distinguer ces éléments de la rémunération est donc aujourd'hui totalement biaisée. De la même façon, les retraites complémentaires, sur-complémentaires et les retraites chapeaux sont perçues par les dirigeants comme des rémunérations alors que tel n'était pas l'objectif qui leur était assigné. Dernièrement, les éléments de rémunération variables ont été liés à la performance, notion qui a été accrochée à tout-va : à la distribution d'actions, aux stock-options, aux clauses parachutes et même aux retraites complémentaires. Cette notion est relativement floue. Il est une certitude : l'interdiction de lier la rémunération variable et donc la performance au cours des actions de la société, au risque qu'il y ait des manipulations de cours. Il est préconisé d'avoir une multitude de critères de performance. Certaines sociétés spécialisées font cela très bien, peut-être même de façon un peu trop sophistiquée, selon Madame le Bâtonnier Dominique de la Garanderie, et vont devoir revoir leur copie assez rapidement pour répondre aux impératifs de transparence. Parmi les critères de performance, il y a toutefois une véritable tendance à inclure de plus en plus des critères liés à la RSE.

Il reste au demeurant encore quelques certitudes en ce qui concerne les rémunérations et qui se retrouvent dans le code AFEP-Medef :

- l'exhaustivité : la détermination d'une rémunération doit être exhaustive. Partie fixe, partie variable, options d'actions (stock-options), actions de performance, jetons de présence, conditions de retraite et avantages particuliers doivent être retenus dans l'appréciation globale de la rémunération.

- l'équilibre entre les éléments de la rémunération : chaque élément de la rémunération doit être clairement motivé et correspondre à l'intérêt général de l'entreprise.

- le Benchmark : cette rémunération doit être appréciée dans le contexte d'un métier et du marché de référence européen ou mondial.

- la cohérence : la rémunération du dirigeant mandataire social doit être déterminée en cohérence avec celle des autres dirigeants et celle des salariés de l'entreprise.

- la lisibilité des règles : les règles doivent être simples, stables et transparentes et les critères de performance utilisés pour établir la partie variable de la rémunération doivent être transparents avec une information immédiate du marché.

- la mesure : la détermination de la rémunération et des attributions d'options ou d'actions de performance doit réaliser un juste équilibre et tenir compte à la fois de l'intérêt général de l'entreprise, des pratiques du marché et des performances des dirigeants.

Pour terminer, Dominique de la Garanderie a présenté les pistes de réflexion actuelles à la suite de l'affaire "Levy" qui a beaucoup secoué le milieu. L'idée serait ainsi de favoriser le long terme, en fixant des performances sur une longue période sur laquelle ne percevrait la rémunération variable que celui qui serait présent au moment de l'échéance avec une information annuelle des performances. Il est même avancé de faire présenter en assemblée générale par le président du comité des rémunérations toutes les informations sur la rémunération du dirigeant et sur les éléments de performance. Reste alors un point : la clause de non-concurrence. Si celle-ci serait toujours valable, elle devrait faire l'objet d'une discussion en conseil d'administration. Serait également prévue la possibilité pour le conseil d'y renoncer. En outre, elle ne serait pas due en cas de départ proche de la retraite.

Enfin le parachute doré serait limité à deux années de rémunération fixe et variable, à la condition que la performance soit au rendez-vous. Par ailleurs, si la clause de non-concurrence est payée le cumul de cette dernière avec le parachute doré ne pourrait jamais dépasser cette limite de deux années.

Sur ce sujet, Madame le Bâtonnier de la Garanderie a tenu à rappeler qu'avec le renforcement de la transparence, si beaucoup ont cru que cela limiterait les excès, un constat s'impose : concernant les rémunérations des dirigeants de sociétés, la publication a eu l'effet inverse, puisque celles-ci ont depuis considérablement augmentées.

Et de relever, que la France est plutôt en avance en matière de gouvernance d'entreprises. Il faut compter sur l'exemplarité : les sociétés du CAC 40 appliquent les règles avec sérieux ; les autres doivent suivre..."Il faut savoir jouer dans la cour des grands" conclut la première femme Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Paris !

***

Maître Martina Barcaroli a conclu la séance en remerciant les intervenants et le public nombreux et a donné rendez-vous à la prochaine rencontre de la Commission Italie qui se tiendra le 24 septembre avec Gaetano Pecorella, député et président de la Commission Justice de l'Assemblée nationale italienne, et Serge Portelli, vice-président du tribunal de grande instance de Paris, pour débattre sur le thème du procès accusatoire.

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