La lettre juridique n°495 du 26 juillet 2012 : Éditorial

La sécurité juridique : le dernier "pilier de la sagesse"

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Atteint du syndrome de Pénélope, le Gouvernement défait, aujourd'hui, ce qu'il venait de promulguer, hier. "Pour frapper l'opinion ou répondre aux sollicitations des différents groupes sociaux, l'action politique a pris la forme d'une gesticulation législative" avait pu regretter, déjà en 2001, le vice-Président du Conseil d'Etat, Renaud Denoix de Saint-Marc. L'encre à peine sèche de l'ancien Président de la République apposée sur la loi portant relèvement du taux de TVA, aux fins de financer partiellement et diversement la protection sociale, n'aura pas suffi à sceller le sort de cette disposition controversée : si tôt dans les murs du Palais Bourbon, les représentants de la nouvelle majorité s'employaient donc à détricoter les dispositions les plus emblématiques de leurs prédécesseurs. Tout y passe ou presque : de la TVA dite sociale, à la fin de l'exonération des heures supplémentaires en passant par le relèvement des droits de succession. Et, bientôt, la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs...

La fille d'Icarios n'aurait, certes, pas renié le procédé, d'autant que le choix de l'alternance politique prononcé au printemps 2012 est clair. Mais si elle éconduisait ainsi ses prétendants, symboles de tous les maux de l'humanité (orgueil, cupidité, violence et irrespect) en attendant Ulysse, qu'attend ainsi le législateur, au risque que cela ne dure, comme pour la reine d'Ithaque, pas moins de vingt ans ? Si les gouvernants attendent ainsi le regain économique, il n'est pas certain que le détricotage législatif soit de bon aloi pour impulser la confiance et renouer avec la croissance. Cette dernière est, comme chacun le sait, grandement affaire de sécurité. Et, parmi ses piliers, trône en bonne place la sécurité juridique.

On savait les lois nombreuses, complexes, parfois illisibles et incohérentes, au point de les "moderniser" et de les "simplifier" régulièrement ; on les savait rétroactives, voire validant une situation de fait pourtant contraire au droit ; l'on sait, également, et l'actualité ne fait que le révéler encore un peu plus, que les lois sont précaires et instables. Si "faire et défaire, c'est toujours travailler", le travail législatif donne le tournis.

Près de 10 % des dispositions législatives, codifiées ou non, font l'objet, chaque année, d'une modification. On pourrait penser que, tous les 10 ans, notre droit se renouvelle, ce qui serait alors salutaire pour accompagner le développement de notre société et notre économie intégrée au sein de l'Union européenne. Mais, il est à craindre que les dispositions faisant l'objet de ces modifications régulières, sinon récurrentes, sont peu ou prou les mêmes. Elles ont trait essentiellement aux matières sociale et fiscale. Ces tergiversations législatives montrent, indubitablement, que nos représentants manquent de faire un choix clair de société, pour s'y tenir ne serait-ce que le temps des mutations et transitions douloureuses nécessaires.

"La loi qui hésite, tâtonne, bafouille" avait pu dire Pierre Mazeaud, alors Président du Conseil constitutionnel. Mais, pire : "quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête qu'une oreille distraite" sanctionnait un rapport public du Conseil d'Etat, dès 1991. Et, si le citoyen, et néanmoins acteur économique, n'écoute plus les orientations et ne voit plus les stigmates de la loi, lui permettant de croire en des jours meilleurs, comment planifier la confiance et organiser la croissance ?

La sécurité juridique n'est pas une chimère et doit, encore moins, être une Arlésienne. "Le souci contemporain accentué' de sécurité juridique apparaît comme une réaction face aux risques que comporte le droit pour ses sujets dans les sociétés modernes" introduisait Anne-Laure Valembois, dans les Cahiers du Conseil constitutionnel n° 17 (Prix de thèse 2004). "Dans sa conception classique, la sécurité juridique constitue avec la justice et le progrès social la trilogie des buts du droit", poursuivait-elle ; et "dans sa conception moderne, elle a une fonction de sécurisation de l'ordre juridique". Ce n'est clairement pas une mince affaire !

L'actuelle Professeur d'Institutions politiques comparées à Sciences Po Paris reconnaissait que "le processus implicite de constitutionnalisation de l'exigence de sécurité juridique en France se caractérise par une maturation très progressive de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Il se manifeste essentiellement par une amélioration de la qualité formelle des lois et par une protection renforcée des sujets de droit contre l'application immédiate et la rétroactivité des lois".

Reste que la note, en la matière, est donnée par la jurisprudence européenne, depuis l'arrêt "Bosch" de la Cour de justice, en 1962 et l'arrêt "Sunday Times" de la Cour européenne, en 1979. Et, le Conseil constitutionnel tarde, quant à lui, à "l'intégrer au bloc", au grand dam d'Olivier Dutheillet de Lamothe, alors membre du Conseil constitutionnel ; même si, tel Monsieur Jourdain, les Sages protègent la sécurité juridique sans le savoir, ou du moins sans le reconnaître. Rendant ses décisions sur le fondement de la "sûreté" consacrée à l'article 2 de la DDHC, ou sur celui de la "garantie des droits" inscrit à l'article 16 de la même Déclaration, la rue de Montpensier se pave de bonnes intentions, mais ne saute pas le pas, pour ériger cette barrière constitutionnelle, désormais nécessaire, que serait la consécration explicite de la sécurité juridique. Et, pour cause, celle-ci entraînerait, sans doute, un contrôle, sinon de l'opportunité des lois, du moins de leur processus d'adoption et de révision, au regard des impératifs liés à l'établissement de rapports préalables et autres études d'impact qui ne manqueraient pas de contrarier la "gesticulation politique".

La reconnaissance du principe de clarté de la loi, la consécration de l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité des lois, la promotion constitutionnelle de la codification et de la simplification du droit et la censure des dispositions législatives non-normatives ne suffisent plus. "Contrairement à ses homologues européens, le juge constitutionnel français appréhende les problèmes d'application des lois dans le temps de manière principalement objective et abstraite. Cette particularité se manifeste par la timidité de la protection accordée aux droits acquis, par le caractère très récent de la sauvegarde de la stabilité contractuelle et par le refus de consacrer explicitement le principe de confiance légitime. Au contraire, la rétroactivité est classiquement encadrée, en tant qu'elle est une modalité de la mutabilité législative qui est objectivement dangereuse pour la sécurité juridique" avait pu regretter, encore, Anne-Laure Valembois.

En refusant de "consacrer explicitement la face subjective du principe de sécurité juridique, à savoir le principe de confiance légitime", et contrairement à ses voisins du Palais-Royal, le Conseil constitutionnel refuse de fermer la boîte de Pandore. Ainsi, les maux de l'instabilité législative continueront de parcourir notre société pour fragiliser, au final, les plus faibles.

Et, si la fable du loup et du chien nous enseigne que "l'adversaire d'une vraie liberté est un désir excessif de sécurité", après l'insécurité internationale fruit du terrorisme, l'insécurité financière puis bancaire, fruit de l'insouciance collective, après l'insécurité économique et son pendant, l'insécurité sociale, fruit de la défiance dans le progrès et le développement, le dernier domino, et finalement premier pilier des sociétés modernes, la sécurité juridique, pourrait bien vaciller.

Si l'on peut s'accorder sur le fait que le droit français du XXème siècle, tout empreint de sécurité, est celui ayant accompagné le développement de l'essor industriel du XIXème siècle, et qu'il doit dès lors évoluer pour accompagner l'économie numérique du XXIème siècle, l'évanescence de cette nouvelle économie doit-elle remettre en cause le principe même de sécurité juridique et plus précisément celui de confiance légitime ? C'est un risque que l'on ne saurait prendre. Et, pour un peu que les citoyens n'intentent alors une action (toujours individuelle à défaut d'action collective) contre l'Etat pour préjudice d'anxiété, à l'image de ces enseignants de Vitry-sur-Seine, pour défaut de protection suffisante... Le XXIème siècle sera sécuritaire ou ne sera pas...

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