La lettre juridique n°492 du 5 juillet 2012 : Procédure pénale

[Chronique] Chronique de procédure pénale - Juin 2012

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par Guillaume Beaussonie, maître de conférences en droit privé, membre du CRDP de Tours (EA 2116), et Madeleine Sanchez, docteur en droit, membre de l'IDP de Toulouse (EA 1920)

le 01 Août 2012

Lexbase Hebdo - édition privée vous invite cette semaine à retrouver la chronique de procédure pénale de Guillaume Beaussonie, maître de conférences en droit privé, membre du CRDP de Tours (EA 2116), et Madeleine Sanchez, docteur en droit, membre de l'IDP de Toulouse (EA 1920). Au sommaire de cette chronique, encore quelques précisions importantes, relatives à la constitution de partie civile, dont le régime s'affine au fur et à mesure que la notion de victime pénale se dessine (Ass. plén., 15 juin 2012, n° 10-85.678, F-P+B+R+I ; Cass. crim., 10 mai 2012, n° 12-81.197, F-P+B ; Cass. crim., 2 mai 2012, n° 11-85.120, F-P+B ; Cass. crim., 9 mai 2012, n° 11-83.150, F-P+B) ; un inévitable point sur le droit de la garde à vue (Cass. crim., 3 mai 2012, n° 11-88.725, F-P+B), dont la relecture provoque celle du droit de l'instruction (Cass. crim., 10 mai 2012, n° 11-87.328, F-P+B) ; une précision sur l'office du juge en matière de nullités de procédure (Cass. crim., 6 juin 2012, n° 11-87.180, F-P+B).

I - Quelques précisions supplémentaires sur la constitution de partie civile
  • Recevabilité de la constitution de partie civile du Président de la République du fait d'une infraction commise à son encontre durant son mandat (Ass. plén., 15 juin 2012, n° 10-85.678, F-P+B+R+I N° Lexbase : A8936INB)

Si l'on doutait encore, qu'il faille totalement délier les questions propres à l'auteur d'une infraction de celles relatives à la victime d'un tel fait, l'arrêt du 15 juin 2012 rendu par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation ne l'autorise plus : alors que la responsabilité pénale du Président de la République, en ce qui concerne son comportement durant son mandat, demeure, pour le moment, une coquille vide (1), le plus haut personnage de l'Etat n'en est pas moins susceptible, du point de vue de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, de se constituer partie civile pour une infraction qu'il a subie durant ce même mandat.

Laissant de côté les autres questions formulées par les auteurs du pourvoi, notamment, celle de la partialité du procureur de la République -fût-elle, en l'occurrence, très concrète- dont on sait que, si elle peut, bien évidemment, poser problème (2), elle n'est pas en mesure de lui être reprochée en tant que telle, puisqu'il n'est pas celui qui se prononce sur le bien-fondé de l'accusation -son accusation-, ou encore, l'interrogation sur l'éventuelle inconstitutionnalité de l'article 2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9908IQZ), retenons simplement, que la Cour de cassation refuse de particulariser le Président de la République au sein des autres victimes d'infractions.

La solution ne satisfait pas totalement, tant certains arguments conduisant à une autre solution paraissent faire mouche : d'une part, le Président de la République devient, de la sorte, une partie civile sans devoirs, ne pouvant, par exemple, être requis de témoigner, ou encore être sanctionné pour un abus commis dans l'exercice de son droit ; d'autre part, il est celui qui nomme les magistrats qui, bien qu'indépendants dans l'exercice de leurs prérogatives -du moins au siège- n'en perdent pas, pour autant, toute mémoire et toute conscience de la fonction de la victime qu'ils envisagent. Pas sûr, comme l'affirme pourtant la Cour de cassation, que l'égalité des armes soit si sauve... Tout cela manque en tous les cas de nuance.

Quoi qu'on pense, au final, de l'arrêt ainsi rendu par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, il constitue, certainement, une invitation à parachever, enfin, le statut pénal du chef de l'Etat et, par là même, à le clarifier.


Guillaume Beaussonie, maître de conférences en droit privé, membre du Centre de recherche en droit privé de l'Université François-Rabelais de Tours (EA 2116)


  • Recevabilité de la constitution de partie civile d'ayants cause de militaires français tués en Afghanistan du chef d'homicides involontaires (Cass. crim., 10 mai 2012, n° 12-81.197, F-P+B N° Lexbase : A1338IL7)

Il ne faut pas confondre recevabilité et bien-fondé, tel est le rappel opéré par la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans un contexte, il est vrai, des plus particuliers.

En l'espèce, à la suite de la mort de militaires français en Afghanistan, survenue au cours d'une offensive ennemie alors qu'ils effectuaient une mission de reconnaissance, leurs ayants droit déposent une plainte avec constitution de partie civile auprès du juge d'instruction près le tribunal aux armées de Paris, contre personne non dénommée, des chefs de mise en danger d'autrui et non-empêchement d'un crime. Malgré des réquisitions contraires du ministère public, le magistrat instructeur dit y avoir lieu à informer du chef d'homicides involontaires, ce que confirme la chambre de l'instruction, après appel du procureur de la République près le tribunal aux armées.

Saisie à son tour, la Chambre criminelle de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le procureur général près la cour d'appel de Paris, précisant qu'"aucune fin de non-recevoir ne peut être opposée à la mise en mouvement de l'action publique par la partie lésée, autre que celles prévues par les articles 85 (N° Lexbase : L3897IRR) et suivants du Code de procédure pénale", même s'il s'agit, comme en l'espèce, de poursuivre, d'instruire et de juger des infractions en matière militaire en temps de paix. Autrement dit, à condition d'être une victime, au sens pénal du terme, et de respecter les formalités générales prescrites par le Code de procédure pénale, rien ne doit s'opposer à ce qu'une constitution de partie civile conduise au déclenchement de l'action publique, les prétentions de la victime seraient-elles inhabituelles.

En réalité, parce que les infractions en cause avaient été commises hors du territoire de la République, deux textes entraient en conflit : l'article 113-8 du Code pénal (N° Lexbase : L3293IQZ) qui, relativement aux seuls délits, fait du ministère public le seul véritable maître des poursuites (3) ; l'article 698-2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4066AZM) qui, relativement aux seules infractions militaires, ne fait que renvoyer aux conditions générales, en vertu desquelles le déclenchement de l'action publique peut être le fait de l'initiative de la seule partie civile.

Bien que se référençant au droit commun en la matière, ce dernier texte demeure, à raison de son champ d'application, plus spécifique que le premier : specialia generalibus derogant. Dès lors, sauf à le vider de sa substance, il fallait le faire prévaloir et, partant, n'en déplaise au ministère public, permettre aux victimes d'obtenir l'ouverture d'une instruction.

Un autre point intéressant de l'arrêt concerne, principalement, le droit pénal de fond, à cette précision près que la Chambre criminelle de la Cour de cassation souligne que "contrairement aux réquisitions du ministère public, le juge d'instruction avait l'obligation d'instruire en l'absence de cause affectant l'action publique elle-même, d'où il aurait résulté que les faits démontrés ne pouvaient comporter une poursuite ou, si, à les supposer démontrés, ils ne pouvaient admettre aucune qualification pénale, la chambre de l'instruction a justifié sa décision, au regard des dispositions légales dont la violation est alléguée".

En conclusion, même si l'on se doute que le procès pénal n'aboutira pas à une condamnation, il n'en faut pas moins l'ouvrir, lorsque les conditions procédurales sont réunies. En bref, il ne faut pas confondre recevabilité et bien-fondé. Sauf à prendre en compte l'intervention déterminante de la victime, on confine alors avec un système dans lequel la légalité des poursuites supplante l'opportunité.


Guillaume Beaussonie, maître de conférences en droit privé, membre du Centre de recherche en droit privé de l'Université François-Rabelais de Tours (EA 2116)


La jurisprudence répressive amène, bien plus fréquemment, à s'interroger sur la question de la recevabilité des constitutions de partie civile (voir supra) que sur celle de leur sanction, lorsqu'elles sont considérées comme abusives ou dilatoires. C'est sur ce dernier point que la Chambre criminelle de la Cour de cassation a, pourtant, été invitée à statuer dans deux décisions en date du 2 et du 9 mai 2012.

Dans la première affaire, une personne est attraite devant le tribunal correctionnel sur le fondement de l'article 91 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7165A47), par celui qu'elle avait accusé d'être l'auteur d'une escroquerie à son encontre. La disposition concernée autorise les personnes visées par une plainte avec constitution de partie civile à demander des dommages et intérêts au plaignant, lorsque l'information s'est soldée par une ordonnance de non-lieu. Elles peuvent alors saisir le tribunal correctionnel où l'affaire a été instruite d'une demande d'indemnisation, par voie de citation.

La plaignante, ainsi citée, s'efforçait de démontrer, devant le tribunal correctionnel, en quoi sa plainte n'était pas abusive, contrairement à ce qu'avait décidé le juge d'instruction qui l'avait condamnée au paiement d'une amende civile sur le fondement de l'article 177-2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4539AZ7), par une ordonnance du 5 mai 2009 devenue définitive.

Selon la plaignante, le tribunal correctionnel n'était pas lié par la décision du juge d'instruction, qui n'avait pas autorité de la chose jugée et qui ne valait que comme présomption simple de faute. Elle pouvait donc apporter la preuve que son action n'était pas fautive.

Pourtant, comme le rappellent, très justement, les juridictions du fond, puis la Cour de cassation dans le présent arrêt, son argumentation ne tient pas, compte tenu du dernier alinéa de l'article 91 du Code de procédure pénale. Celui-ci prévoit, expressément et de façon très claire, que "lorsqu'une décision définitive, rendue en application de l'article 177-2 du Code de procédure pénale, a déclaré que la constitution de partie civile était abusive ou dilatoire, cette décision s'impose au tribunal correctionnel".

La contestation de la condamnation à une amende civile par le juge d'instruction, est prévue par la loi, même si la Chambre criminelle de la Cour de cassation, ayant considéré que ce dispositif sanctionnateur ne relevait pas du champ de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) (4), un double degré de juridiction ne s'imposait pas (5).

En effet, l'article 177-2 du Code de procédure pénale précise que la décision du juge d'instruction prononçant l'amende civile "ne peut intervenir qu'à l'issue d'un délai de vingt jours, à compter de la communication à la partie civile et à son avocat, par lettre recommandée ou par télécopie avec récépissé, des réquisitions du procureur de la République, afin de permettre à l'intéressé d'adresser des observations écrites au juge d'instruction", ajoutant que cette décision peut être frappée d'appel.

La discussion est donc ouverte sur le bien-fondé de l'amende civile. Mais, contrairement à ce que pouvait penser la plaignante, qui avait mal choisi le moment pour l'entamer, elle est bel et bien close une fois la décision devenue définitive.

L'argumentation soutenue par la plaignante, même séduisante, ne pouvait prospérer devant le tribunal correctionnel.

Dans la seconde affaire, par un arrêt en date du 9 mai 2012, la Cour de cassation vient, encore, rappeler ce qui pouvait passer pour une évidence, compte tenu de la clarté de la disposition légale en question.

En l'espèce, la constitution de partie civile formée par une société qui s'estimait victime de diffamation publique, a été suivie d'un renvoi devant le tribunal correctionnel, qui a condamné les prévenus. La cour d'appel a infirmé cette décision, considérant que la constitution de partie civile, qui ne répondait pas aux exigences légales, devait être annulée, ce qui entraînait la nullité des poursuites. Les prévenus, renvoyés des fins de la poursuite, sollicitaient des dommages et intérêts pour abus de constitution de partie civile, ce que leur accordait la cour d'appel.

La Chambre criminelle de la Cour de cassation casse cette décision au visa de l'article 472 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9928IQR), selon lequel "dans le cas prévu par l'article 470 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9932IQW), lorsque la partie civile a elle-même mis en mouvement l'action publique, le tribunal statue par le même jugement sur la demande en dommages-intérêts formée par la personne relaxée contre la partie civile, pour abus de constitution de partie civile ". Or, l'article 470 du Code de procédure pénale vise une seule hypothèse, celle de la relaxe du prévenu.

A la cour d'appel, qui avait cru pouvoir assimiler nullité des poursuites et relaxe, la Cour de cassation répond fermement que "le prononcé de la nullité de la poursuite n'entre pas dans les cas prévus limitativement par l'article 470 du Code de procédure pénale, et ne saurait être assimilé à une décision de relaxe".

Les deux décisions de la Chambre criminelle de la Cour de cassation permettent de voir que la sanction financière, à laquelle peut aboutir l'abus de constitution de partie civile, peut être un moyen efficace de se prémunir contre les excès inhérents au rôle accordé aux accusateurs privés (6). Cette sanction reste, néanmoins, très encadrée, sans doute, afin de ne pas réduire à néant le mécanisme même de l'action civile.


Madeleine Sanchez, docteur en droit, membre de l'Institut de droit privé de l'Université Toulouse I - Capitole (EA 1920)


II - Un retour à la garde à vue

  • Applicabilité absolue dans le temps des impératifs européens, relatifs à la garde à vue ; sanction de l'information tardive du curateur d'une personne gardée à vue (Cass. crim., 3 mai 2012, n° 11-88.725, F-P+B N° Lexbase : A3780INC)

De l'arrêt du 3 mai 2012 rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, on pourrait retenir nombre de choses, tant le requérant a manifesté un zèle, bien compréhensible, dans l'exercice de sa défense. Il avait, notamment, posé une question, relative à la constitutionnalité de l'article 416 du Code civil (N° Lexbase : L8398HWX), que la Cour de cassation avait finalement refusé de transmettre au Conseil constitutionnel, parce que l'article en question n'était pas applicable au litige et qu'il ne constituait pas le fondement des poursuites engagées à son encontre (7). Reformulant cette question en invitant, cette fois, la Cour de cassation à y répondre directement, il se heurte, bien logiquement, à l'autorité de la chose précédemment jugée, la Cour de cassation refusant d'y répondre de nouveau, fût-ce dans une optique autre que celle de la saisine du Conseil constitutionnel.

Retenons donc simplement, que la Chambre criminelle de la Cour de cassation considère, en l'espèce que, malgré le fait que la garde à vue se soit déroulée antérieurement aux arrêts "Salduz" et "Dayanan", et à tout ce qu'ils ont provoqué par la suite, il n'en demeure pas moins nécessaire de sanctionner les inéluctables absence de notification du droit de se taire et assistance insuffisamment effective d'un avocat, propres au droit en vigueur à l'époque.

Point de nuance à faire, donc, selon le temps des gardes à vue mises en cause, mais il n'y a pourtant pas là objet à s'indigner puisque, d'une part, il ne s'agit que de suivre les directives de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, qui n'incitait pas à distinguer (8) et, d'autre part, cela permet de rappeler que les arrêts "Salduz" et "Dayanan" ont davantage provoqué une diffusion de la jurisprudence européenne, qu'un véritable changement de cap. Le point de départ de la relecture de la garde à vue à l'aune de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme est, en effet, bien antérieur à ces deux décisions dont, au demeurant, la portée est encore incertaine (9).

Retenons également, qu'il est, désormais, nécessaire, en vertu de l'article 706-113 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9289HWX), que le curateur d'une personne majeure protégée soit avisé des poursuites dont cette dernière fait l'objet. En l'espèce, cette information ayant été communiquée trop tardivement au curateur, la Chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle à l'ordre les juges du fond qui n'avaient pas cru bon de voir dans ce retard un grief porté aux intérêts du mis en cause.


Guillaume Beaussonie, maître de conférences en droit privé, membre du Centre de recherche en droit privé de l'Université François-Rabelais de Tours (EA 2116)


III - Un regard comparatif porté sur l'encadrement des mesures d'instruction

  • Conventionalité d'un délai de quatre jours pour présenter une personne privée de liberté devant un juge ; inapplicabilité d'une déclaration d'inconstitutionnalité aux faits antérieurs à cette déclaration ; validité d'écoutes téléphoniques ; impossibilité d'invoquer la nullité de l'interrogatoire d'autrui (Cass. crim., 10 mai 2012, n° 11-87.328, F-P+B N° Lexbase : A0683IMA)

À l'aune du réexamen progressif du droit de la garde à vue, le droit de l'instruction est, à son tour, à l'incitation de justiciables encouragés par les décisions du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l'Homme, éprouvé par les juridictions pénales.

En l'espèce, une information était ouverte en France, plus précisément à Lyon, contre une personne dénommée, des chefs de proxénétisme aggravé en bande organisée et traite d'êtres humains aggravée en bande organisée. Par l'entremise d'un mandat d'arrêt européen, ladite personne était arrêtée en Allemagne, puis remise au procureur de la République de Strasbourg qui, un peu moins de quatre jours plus tard, la transférait, à son tour, au juge d'instruction mandant. Le mis en examen subissait alors différents interrogatoires et confrontations, mais ces derniers ne faisaient l'objet d'aucun enregistrement audiovisuel. Dans le cadre de l'information, des écoutes téléphoniques avaient été mises en place et d'autres personnes que le mis en examen, également mises en cause, avaient été auditionnées ou interrogées, tous ces éléments concourant à consolider les charges qui pesaient contre lui.

En conséquence, le mis en examen remettait en question le retard avec lequel il avait été présenté devant le juge d'instruction et l'absence d'enregistrement de ses interrogatoires et confrontations par ce dernier, et souhaitait aussi obtenir l'annulation de certaines écoutes téléphoniques ainsi que des déclarations des autres mis en cause qui l'incriminaient. Toutes ses demandes étaient rejetées par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon, puis par la Chambre criminelle de la Cour de cassation.

En premier lieu, la privation de liberté d'un peu moins de quatre jours qu'il a subie antérieurement à sa présentation au juge d'instruction, "magistrat habilité à statuer en toute impartialité sur la légalité et le bien-fondé de celle-ci", était, selon la Cour de cassation, compatible avec l'exigence de brièveté posée par l'article 5 § 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4786AQC). Le texte de cet article précise, en effet, que "toute personne arrêtée ou détenue [...] doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires", autorité judiciaire que ne peut être le procureur de la République, mais que constitue, sans conteste, le juge d'instruction.

Or, outre qu'"aussitôt" signifie davantage promptement qu'immédiatement (10), la Cour européenne des droits de l'Homme ayant déjà pu considérer qu'un délai de quatre jours, pris pour présenter une personne privée de liberté, à un juge n'était pas contraire à l'article 5 § 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (11), en l'espèce, ce délai ne pouvait pas être plus court, en raison d'impératifs logistiques et sécuritaires, dus, notamment, à la distance à parcourir et à la période hivernale. Dès lors, il n'y avait pas eu violation de l'article considéré.

En deuxième lieu, le mis en examen mettait en avant la décision du Conseil constitutionnel du 6 avril 2012 (Cons. const., décision n° 2012-228/229 QPC du 6 avril 2012, N° Lexbase : A1496IIA), ayant, notamment, invalidé une partie de l'article 116-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L8634HWP) qui prévoyait, qu'en matière criminelle, les interrogatoires menés par le juge d'instruction ne feraient l'objet d'un enregistrement audiovisuel, qu'à la condition qu'il ne s'agisse pas, comme c'était le cas en l'espèce, de criminalité organisée (12). À la suite de cette décision, il faut donc procéder à l'enregistrement de l'ensemble des interrogatoires en matière criminelle.

Or, la mise en examen et les interrogatoires du requérant s'étant déroulés avant la décision du Conseil constitutionnel, aucun enregistrement n'avait effectivement été mis en oeuvre. La Chambre criminelle de la Cour de cassation ne s'en formalise, cependant, pas, précisant simplement que "dans sa décision du 6 avril 2012, le Conseil constitutionnel a déclaré inconstitutionnels les septièmes alinéas des articles 64-1 (N° Lexbase : L9757IP3) et 116-1 du Code de procédure pénale, a dit que leur abrogation prendrait effet à compter de la publication de sa décision et qu'elle ne s'appliquerait qu'aux auditions des personnes gardées à vue et aux interrogatoires des personnes mises en examen qui seront réalisés à compter de cette date".

On est alors en droit, sur ce point précis, de douter de la légitimité de la solution rendue par la Cour de cassation : au moment où le pourvoi est formé par le requérant, une question prioritaire a été formulée, mais la réponse du Conseil constitutionnel n'est pas encore connue. Le requérant s'est, cependant, référé à ladite question dans son pourvoi, s'inscrivant donc, de la sorte, dans la démarche de celui qui l'a posée. Or, contrairement à ce dernier, il ne bénéficiera ni du sursis à statuer dans l'attente de la décision du Conseil constitutionnel, ni de la décision elle-même, pourtant rendue avant celle de la Cour de cassation... Conception bien restrictive de la protection constitutionnelle !

Au surplus, par une appréciation globale qui, en vérité, masque surtout la véritable question, la Chambre criminelle de la Cour de cassation ne perçoit pas non plus l'absence d'enregistrement audiovisuel des interrogatoires comme contrariant la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme. Selon elle, en effet, "il n'en est résulté aucune atteinte à ses droits conventionnellement protégés, qu'il s'agisse de ses droits de la défense ou de celui à un procès équitable, dès lors que l'intéressé a été mis en mesure d'être assisté par un avocat, qu'il a eu la possibilité de vérifier la transcription sur les procès-verbaux, authentifiée par un greffier, des questions posées et des réponses données, de demander toute rectification et de contester, à tous les stades de la procédure, le sens et la portée de ses propos transcrits". Quelle utilité, en ce cas, à prévoir un enregistrement des interrogatoires, au demeurant difficile à mettre en oeuvre ?

En troisième lieu, malgré plusieurs erreurs matérielles, apparemment commises par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, -les écoutes sont successivement présentées dans l'arrêt comme ayant débuté le 6 août 2008, 2009 puis 2010-, il semble que le problème concernait essentiellement des écoutes téléphoniques ayant eu lieu plus de quatorze jours après l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant décidé de leur mise en oeuvre pour cette durée, mais moins de quatorze jours après leur mise en place effective. Le choix du point de départ du délai était donc déterminant, puisque de celui-ci dépendait la validité des écoutes effectuées durant la période litigieuse. Pour la Cour de cassation, c'est la mise en place effective des écoutes qui marque le point de départ du délai, la procédure étant de la sorte sauve. Cela permet, d'ailleurs, de valider d'autres écoutes réalisées postérieurement, à la suite de plusieurs prolongations de la procédure, ces écoutes ayant eu pour support ce qui a été entendu durant la période litigieuse.

En dernier lieu, la Chambre criminelle de la Cour de cassation confirme sa jurisprudence récente, en vertu de laquelle on ne peut solliciter l'annulation de la garde à vue d'autrui (13), et l'étend aux interrogatoires par le juge d'instruction. La jurisprudence "Mathéron", pourtant née d'une nécessité pour la France de se conformer aux exigences européennes, paraît donc révolue...


Guillaume Beaussonie, maître de conférences en droit privé, membre du Centre de recherche en droit privé de l'Université François-Rabelais de Tours (EA 2116)


IV. Une précision sur l'office du juge en matière de nullités

  • L'incompétence de l'agent verbalisateur ne peut être relevée d'office par la juridiction de jugement (Cass. crim., 6 juin 2012, n° 11-87.180, F-P+B N° Lexbase : A8930IN3)

Le lien, que l'on pouvait croire inébranlable, entre la qualification d'ordre public accordée à une règle et la possibilité pour le juge de relever d'office sa violation, ne l'est pas, à la lecture de l'arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 6 juin 2012.

En l'espèce, la juridiction de proximité de Paris relaxe la prévenue du chef de violation d'un arrêté de police, en relevant d'office l'irrégularité du procès-verbal caractérisant l'infraction, motif pris de l'incompétence de l'agent verbalisateur.

La typologie des nullités est essentiellement élaborée par la jurisprudence, sous réserve des rares nullités textuelles émaillant le Code de procédure pénale, et les juridictions répressives classent traditionnellement la violation des règles de compétence au sein de la catégorie des nullités d'ordre public, par opposition aux nullités d'intérêt privé, pour lesquels il faut démontrer un grief.

Les règles de compétence concernées sont celles relatives à la compétence juridictionnelle (14), comme celles touchant à la compétence de différents intervenants au procès pénal. La Chambre criminelle de la Cour de cassation a ainsi considéré que, doit être annulée, la perquisition réalisée par des agents de la répression des fraudes, chargés d'assister la police judiciaire, qui n'avaient pas prêté serment (15), comme celle réalisée par des agents des impôts qui y participaient irrégulièrement (16), ou une citation délivrée par un huissier territorialement incompétent (17).

L'incompétence de l'agent verbalisateur paraît donc, naturellement, relever de la même catégorie des nullités d'ordre public. On peut alors s'étonner, à la lecture de l'arrêt du 6 juin 2012, qu'elle ne puisse être relevée d'office par la juridiction de jugement et, partant, qu'elle ne puisse l'être même après l'ouverture des débats.

Néanmoins, le lien existant entre nullité d'ordre public et relevé d'office est distendu à la lecture d'arrêts de la Cour de cassation décidant, sur le même fondement que celui visé par la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans l'arrêt du 6 juin 2012, "qu'il résulte de l'article 385 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3791AZG), que les juges ne peuvent prononcer la nullité de la citation ou d'un acte de la procédure antérieure, que s'il en a été excipé par les parties dans les conditions prévues par ce texte ; que cette règle s'applique à toutes les nullités, mêmes substantielles, touchant à l'ordre public, à la seule exception de celles affectant la compétence" (18). Le lien est d'autant plus distendu, que la Chambre criminelle de la Cour de cassation précise que l'exception ne concerne que les règles affectant la compétence juridictionnelle (19).

La présente espèce, qui ne mettait pas en cause une question de compétence juridictionnelle, s'insère donc parfaitement dans la lignée de cette jurisprudence sélective.

Toutefois, il soulève une autre interrogation. En effet, l'article 429 alinéa 1er, du Code de procédure pénale ([LXB=L3835AZ3c]) dispose que "tout procès-verbal ou rapport n'a de valeur probante que s'il est régulier en la forme, si son auteur a agi dans l'exercice de ses fonctions et a rapporté sur une matière de sa compétence ce qu'il a vu, entendu ou constaté personnellement". Il ressort de cette disposition, que l'incompétence matérielle du rédacteur d'un procès-verbal n'est pas sanctionnée par la nullité, mais par la perte de force probante du procès-verbal. Si ces deux sanctions ont un effet commun, le procès-verbal ne pouvant alors plus fonder une condamnation pénale (20), elles suivent un régime juridique différent.

On peut en déduire, que seule l'incompétence territoriale du rédacteur d'un procès-verbal constitue une cause de nullité, les deux sanctions ne pouvant, logiquement, se cumuler, et une nullité qui, bien qu'étant d'ordre public, devra être soulevée avant toute défense au fond.


Madeleine Sanchez, docteur en droit, membre de l'Institut de droit privé de l'Université Toulouse I - Capitole (EA 1920)


(1) L'article 68 de la Constitution (N° Lexbase : L0897AHP), relatif au fonctionnement de la Haute Cour, seule juridiction apte à juger le Président de la République durant son mandat, fait, effectivement, référence à une loi organique qui n'a toujours pas été adoptée.
(2) Dans les hypothèses où un magistrat du ministère public a des compétences en matière de privation de liberté, puisqu'il peut alors y avoir contrariété avec l'article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme. Voir, à cet égard : CEDH, 10 juillet 2008, Req. 3394/03 (N° Lexbase : A5462D98).
(3) Même s'il faut, préalablement, une plainte de la victime ou de ses ayants droit, ou une dénonciation officielle par l'autorité du pays où le fait a été commis, le ministère public est, une fois cette formalité accomplie, le seul maître du déclenchement des poursuites.
(4) Cass. crim., 27 février 2002 (N° Lexbase : A3826AYD), Bull. crim., n° 47.
(5) La possibilité, pour le juge d'instruction, de prononcer l'amende civile à l'encontre de l'auteur d'une constitution de partie civile abusive ou dilatoire, jusque-là réservée à une juridiction de jugement saisie par le parquet, ne date que de la loi du 15 juin 2000 (loi n° 2000-516 du 15 juin 2000, renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes N° Lexbase : L0618AIQ). La décision précédemment indiquée de la Chambre criminelle de la Cour de cassation est donc postérieure à son entrée en vigueur.
(6) Sur cette question, lire O. Mouysset, Contribution à l'étude de la pénalisation, LGDJ, 2008, n° 11 à 13.
(7) Cass. crim., 4 avril 2012, n° 11-88.725, F-D (N° Lexbase : A6959IIL).
(8) Ass. plén., 15 avril 2011, 4 arrêts, n° 10-17.049, P+B+R+I (N° Lexbase : A5043HN4), n° 10-30.242, P+B+R+I (N° Lexbase : A5044HN7), n° 10-30.313, P+B+R+I (N° Lexbase : A5050HND) et n° 10-30.316, P+B+R+I (N° Lexbase : A5045HN8).
(9) Voir surtout : CEDH, 8 février 1996, Req. 41/1994/488/570 (N° Lexbase : A8396AWU).
(10) Promptement est, d'ailleurs, une meilleure traduction de l'anglais "promptly", adverbe utilisé dans la version anglaise de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme.
(11) CEDH, 29 juin 1988, Req. 10/1987/133/184-187 (N° Lexbase : A6499AWM).
(12) Cons. const., décision n° 2012-228/229 QPC du 6 avril 2012 (N° Lexbase : A1496IIA) ; nos obs., Chronique de procédure pénale - Mai 2012, Lexbase Hebdo n° 483 du 3 mai 2012 - édition privée (N° Lexbase : N1662BTQ).
(13) Voir Cass. crim., 14 février 2012, n° 11-84.694, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3688ICL) ; nos obs., Chronique de procédure pénale - Mars 2012, Lexbase Hebdo n° 476 du 8 mars 2012 - édition privée (N° Lexbase : N0622BT9). Voir aussi Cass. crim., 7 mars 2012, n° 11-88.118, F-P+B (N° Lexbase : A8997IBT) ; Cass. crim., 13 mars 2012, n° 11-88.737, F-P+B (N° Lexbase : A9957IGU) ; nos obs., Chronique de procédure pénale - Mai 2012, Lexbase Hebdo n° 483 du 3 mai 2012 - édition privée (N° Lexbase : N1662BTQ).
(14) Cass. crim., 29 avril 1996, n° 95-83.110 (N° Lexbase : A9186ABT), Bull. crim., n° 172 ; Cass. crim., 22 mai 1996, n° 95-84.899 (N° Lexbase : A9252ABB), Bull. crim., n° 212.
(15) Cass. crim., 3 décembre 1998, n° 98-83.443 (N° Lexbase : A9512CEZ), Bull. crim., n° 333.
(16) Cass. crim., 22 février 1996, n° 95-85.861 (N° Lexbase : A9281ABD), Bull. crim., n° 87.
(17) Cass. crim., 8 janvier 1991 (N° Lexbase : A3335ACI), Bull. crim., n° 13.
(18) Cass. crim. 25 février 1991, n° 90-81.383 (N° Lexbase : A3368ACQ), Bull. crim., n° 94. Dans le même sens, voir : Cass. crim., 18 mai 1985, Bull. crim., n° 148.
(19) Cass. crim., 13 novembre 1996, n° 95-84.897 (N° Lexbase : A0929ACE), Bull. crim., n° 405 ; Cass. crim., 7 juin 2000, n° 99-82.788 (N° Lexbase : A4746CGU), Bull. crim., n° 219.
(20) Une précision mérite d'être apportée : le procès-verbal annulé disparaît du dossier pénal, alors que celui dépourvu de valeur probante vaut toujours, à titre de simple renseignement, la nuance étant importante dans un procès où la culpabilité repose sur l'intime conviction.

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