Jurisprudence : CEDH, 08-02-1996, Req. 41/1994/488/570, John Murray c. Royaume-Uni

CEDH, 08-02-1996, Req. 41/1994/488/570, John Murray c. Royaume-Uni

A8396AWU

Référence

CEDH, 08-02-1996, Req. 41/1994/488/570, John Murray c. Royaume-Uni. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1065322-cedh-08021996-req-411994488570-john-murray-c-royaumeuni
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Cour européenne des droits de l'homme

8 février 1996

Requête n°41/1994/488/570

John Murray c. Royaume-Uni

""

En l'affaire John Murray c. Royaume-Uni (1),

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 51 de son règlement A (2), en une grande chambre composée des juges dont le nom suit:

MM. R. Ryssdal, président, R. Bernhardt, F. Matscher, L.-E. Pettiti, B. Walsh, N. Valticos, S.K. Martens, Mme E. Palm, MM. I. Foighel, R. Pekkanen, A.N. Loizou, F. Bigi, Sir John Freeland, MM. M.A. Lopes Rocha, L. Wildhaber, J. Makarczyk, D. Gotchev, K. Jungwiert, U. Lohmus,

ainsi que de M. H. Petzold, greffier,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 28 septembre 1995 et 25 janvier 1996,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:

Notes du greffier

1. L'affaire porte le n° 41/1994/488/570. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

2. Le règlement A s'applique à toutes les affaires déférées à la Cour avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 9 (P9) (1er octobre 1994) et, depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole (P9). Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983 et amendé à plusieurs reprises depuis lors.

PROCEDURE

1.
L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 9 septembre 1994, puis par le gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord ("le Gouvernement") le 11 octobre 1994, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention"). A son origine se trouve une requête (n° 18731/91) dirigée contre le Royaume-Uni et dont un ressortissant de cet Etat, M. John Murray, avait saisi la Commission le 16 août 1991 en vertu de l'article 25 (art. 25).

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration britannique reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art 46). Comme la requête du Gouvernement, elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences des articles 6 paras. 1 et 2 et 14 de la Convention (art. 6-1, art. 6-2, art. 14).

2.
En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement A, le requérant a manifesté le désir de participer à l'instance et a désigné ses conseils (article 30).

3.
La chambre à constituer comprenait de plein droit Sir John Freeland, juge élu de nationalité britannique (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement A). Le 24 septembre 1994, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir M. L.-E. Pettiti, M. R. Macdonald, M. N. Valticos, M. S.K. Martens, Mme E. Palm, M. M.A. Lopes Rocha et M. K. Jungwiert, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement A) (art. 43). Par la suite, M. U. Lohmus, juge suppléant, a remplacé M. Macdonald, empêché (article 22 par. 1).

4.
En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 5 du règlement A), M. Ryssdal a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du Gouvernement, les conseils du requérant et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le 4 novembre 1994, le greffier a reçu les mémoires du Gouvernement et du requérant les 24 et 27 février 1995 respectivement. Le secrétaire de la Commission a ultérieurement indiqué que le délégué s'exprimerait en plaidoirie.

5.
Le 26 janvier 1995, le président avait autorisé Amnesty International et Justice, en vertu de l'article 37 par. 2 du règlement A, à présenter des observations écrites sur l'affaire. Il avait également admis, le même jour, le Committee on the Administration of Justice, Liberty et British-Irish Rights Watch à déposer conjointement des observations écrites, puis, le 28 avril, la Northern Ireland Standing Advisory Commission on Human Rights à en déposer elle aussi. Leurs observations respectives sont parvenues au greffe les 1er, 3 et 10 avril et le 11 mai.

6.
Le 17 mai 1995, le Gouvernement a adressé des observations écrites en réponse à celles d'Amnesty International, de Justice ainsi que de Liberty et autres.

7.
Ainsi qu'en avait décidé le président, les débats se sont déroulés en public le 20 juin 1995, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu:

- pour le Gouvernement

M. J.J. Rankin, conseiller juridique,

ministère des Affaires étrangères et

du Commonwealth,

agent, Sir Nicholas Lyell QC, procureur général pour

l'Angleterre et le pays de Galles et procureur

général pour l'Irlande du Nord, MM. P. Coghlin QC,
J. Eadie,

conseils,
C. Whomersley, service juridique près les

Law Officers,
O. Paulin, Crown Solicitors Office,
R. Heaton, ministère de l'Intérieur,
A. Whysall, Northern Ireland Office, conseillers;

- pour la Commission

M. H. Danelius,

délégué;

- pour le requérant

MM. S. Treacy, avocat,

conseil,
K. Winters, du cabinet Madden et Finucane,
solicitor,
A. Campbell,

conseiller.

La Cour a entendu en leurs déclarations M. Danelius, M. Treacy et Sir Nicholas Lyell.

8.
Le 23 juin 1995, la chambre s'est dessaisie au profit d'une grande chambre (article 51 du règlement A). Conformément à l'article 51 par. 2 a) et b) du règlement A, le président et le vice-président de la Cour (M. Ryssdal et M. R. Bernhardt) ainsi que les autres membres de la chambre initiale sont devenus membres de la grande chambre. Le 13 juillet 1995, le président a tiré au sort, en présence du greffier, le nom des juges supplémentaires, à savoir MM. F. Matscher, B. Walsh, I. Foighel, R. Pekkanen, A.N. Loizou, F. Bigi, L. Wildhaber, J. Makarczyk et D. Gotchev.

9.
Avec l'accord du président, le requérant a soumis le 28 juin 1995 une note de frais détaillée. Le Gouvernement a envoyé ses observations à cet égard le 21 juillet 1995.

10. Liberty et autres puis le requérant ont déposé, les 1er et 13 août 1995, un document supplémentaire intitulé "Observations du comité des droits de l'homme [des Nations Unies]". Il a été communiqué au Gouvernement et à la Commission pour information le 9 août et la grande chambre a accepté de le verser au dossier le 28 septembre 1995.

EN FAIT

I.
Les circonstances de l'espèce

A. L'arrestation et la détention du requérant

11. Le requérant fut arrêté par des policiers le 7 janvier 1990 à 17 h 40 en vertu de l'article 14 de la loi de 1989 portant dispositions provisoires sur la prévention du terrorisme (Prevention of Terrorism (Temporary Provisions) Act 1989). Conformément à l'article 3 de l'ordonnance de 1988 sur les preuves en matière pénale en Irlande du Nord (Criminal Evidence (Northern Ireland) Order 1988) (l'"ordonnance") (paragraphe 27 ci-dessous), la police l'avertit en ces termes:

"Vous n'êtes pas tenu de dire quoi que ce soit sauf si vous le souhaitez; mais je dois vous avertir que si vous omettez de mentionner un fait quelconque que vous invoquerez pour votre défense devant le tribunal, cette omission de vous prévaloir de cette possibilité peut être retenue par le tribunal comme corroborant un élément de preuve à charge. Si vous souhaitez dire quelque chose, votre déclaration pourra être produite comme preuve."

En réponse à l'avertissement de la police, le requérant indiqua qu'il n'avait rien à dire.

12. A son arrivée au commissariat de police de Castlereagh vers 19 heures, le requérant refusa de décliner son identité à l'officier de police chargé d'ouvrir le dossier de garde à vue. A 19 h 5, il fut informé de son droit de prévenir un ami ou un parent de sa détention, mais il indiqua qu'il y renonçait. A 19 h 6, il fit savoir qu'il souhaitait s'entretenir avec un solicitor. A 19 h 30, la possibilité pour le requérant de consulter un avocat fut ajournée sur l'ordre d'un commissaire principal faisant application de l'article 15 par. 1 de la loi de 1987 sur l'état d'urgence en Irlande du Nord (Northern Ireland (Emergency Provisions) Act 1987) ("la loi de 1987"). L'ajournement fut fixé à quarante-huit heures à compter du début de la détention (soit le 7 janvier à partir de 17 h 40), le commissaire principal s'estimant fondé à croire que l'exercice du droit de consulter un avocat, notamment, entraverait l'enquête sur les actes de terrorisme commis, ou compliquerait les opérations visant à prévenir un autre acte de cette nature (paragraphe 33 ci-dessous).

13. Le 7 janvier à 21 h 27, un policier prévint le requérant, conformément à l'article 6 de l'ordonnance, et l'invita notamment à expliquer sa présence dans la maison où il avait été arrêté. Il avertit l'intéressé que s'il ne le faisait pas ou s'il s'y refusait, un tribunal, un juge ou un jury pourrait en tirer les conclusions qui paraîtraient légitimes. Le requérant reçut également un exemplaire écrit de l'article 6 de l'ordonnance (paragraphe 27 ci-dessous).

En réponse à cet avertissement, le requérant déclara: "Rien à dire."

14.
A 22 h 40, le requérant se vit rappeler qu'il avait le droit d'avertir un ami ou un parent de sa détention, mais il déclara ne vouloir avertir personne. Il apprit également que la possibilité pour lui de consulter un avocat avait été ajournée. Il exprima alors le souhait de consulter d'autres solicitors. Un inspecteur examina derechef les motifs de retarder la consultation et les trouva toujours valables.

15. Les 8 et 9 janvier, le requérant fut interrogé à douze reprises par des inspecteurs de police au commissariat de Castlereagh, soit au total pendant 21 heures et 39 minutes. Au début de ces interrogatoires, il reçut l'avertissement prévu à l'article 3 de l'ordonnance ou s'en vit rappeler les termes.

16. Pendant les dix premiers interrogatoires, les 8 et 9 janvier 1990, le requérant ne répondit à aucune des questions posées. Il eut pour la première fois l'autorisation de s'entretenir avec son solicitor le 9 janvier à 18 h 33. A 19 h 10, eut lieu un nouvel interrogatoire avec rappel de l'avertissement prévu à l'article 3. L'intéressé déclara: "Mon solicitor m'a conseillé de ne répondre à aucune de vos questions." Un dernier interrogatoire, au cours duquel le requérant demeura silencieux, eut lieu le 9 janvier 1990 entre 21 h 40 et 23 h 45.

Le solicitor ne fut autorisé à assister à aucun de ces interrogatoires.

B. Le procès

17. En mai 1991, le Lord Chief Justice d'Irlande du Nord, juge unique siégeant sans jury, statua sur plusieurs chefs d'accusation, notamment complot d'assassinat et, conjointement avec sept autres personnes, complicité dans la séquestration d'un certain M. L. ainsi qu'appartenance à une organisation interdite, l'Armée républicaine irlandaise provisoire (Provisional Irish Republican Army, "IRA").

18. Selon l'accusation, M. L. était membre de l'IRA mais donnait en même temps des informations sur les activités de cette organisation à la Royal Ulster Constabulary. Découvrant que M. L. était un indicateur, l'IRA lui tendit un piège en l'attirant le 5 janvier 1990 dans une maison de Belfast. Il fut séquestré dans l'une des chambres situées à l'arrière de la maison et interrogé par l'IRA jusqu'à l'arrivée de la police et de l'armée le 7 janvier 1990. L'accusation prétendait aussi qu'un complot d'assassinat avait été ourdi contre M. L. pour le punir d'être un indicateur de police.

19. Au cours du procès, un témoin déclara qu'à l'arrivée de la police dans la maison le 7 janvier, un agent de police aperçut le requérant, portant un imperméable par-dessus ses vêtements, qui descendait l'escalier et fut arrêté dans l'entrée. M. L. témoigna ensuite que ses ravisseurs, usant de menaces de mort, l'avaient contraint à avouer qu'il était un indicateur et avaient enregistré ses aveux. Il ajouta que le 7 janvier dans la soirée, il entendit une cavalcade et quelqu'un lui dit d'enlever son bandeau; ce qu'il fit, puis il ouvrit la porte de la chambre d'ami. Il aperçut alors le requérant en haut de l'escalier. M. Murray lui signala que la police se trouvait dehors et lui dit de descendre et de regarder la télévision. Tout en lui parlant, le requérant retira la bande d'une cassette. En fouillant la maison, les policiers découvrirent ensuite dans la chambre d'ami des vêtements de M. L., dans une salle de bains du premier étage une bande magnétique toute enchevêtrée. Les parties intactes de la bande révélaient des aveux de M. L. d'après lesquels il avait accepté de travailler pour la police qui l'avait rémunéré. A aucun moment, ni lors de son arrestation ni pendant le procès, le requérant n'expliqua sa présence dans la maison.

20. A l'issue des réquisitions du procureur, le juge, conformément à l'article 4 de l'ordonnance, appela chacun des huit accusés pour qu'il déposât pour sa défense. Il leur dit notamment ceci:

"La loi me fait aussi obligation de vous dire que si vous refusez de venir à la barre pour y prêter serment ou si, après avoir prêté serment, vous refusez, sans raison valable, de répondre à telle ou telle question, lorsque le tribunal décidera de votre culpabilité ou de votre innocence, il pourra s'il le juge approprié retenir contre vous ce refus de déposer ou de répondre aux questions."

21. Sur la recommandation de son solicitor et de son conseil, le requérant choisit de ne pas déposer et ne cita aucun témoin à décharge. La défense, s'appuyant sur le témoignage d'un des coaccusés, D.M., soutint notamment qu'à l'arrivée de la police, le requérant se trouvait depuis peu dans la maison, et que sa présence n'avait rien de répréhensible.

22. Le 8 mai 1991, le requérant fut reconnu coupable de complicité dans la séquestration de M. L. et condamné à huit ans d'emprisonnement. Il fut acquitté sur les autres chefs.

23. Le juge du fond écarta comme mensonger le témoignage de D.M. (paragraphe 21 ci-dessus). Il estima:

"Les circonstances, y compris la découverte de la bande enchevêtrée à côté de la cassette brisée dans la salle de bains et le fait qu'en pénétrant dans la maison un certain temps après son arrivée sur les lieux et un certain temps après avoir frappé à la porte une première fois, la police vit Murray descendre l'escalier à un moment où tous les autres occupants de la maison étaient dans la salle de séjour, confirment le témoignage de L. selon lequel, après que la police eut frappé à la porte, Murray se trouvait en haut de l'escalier en train de sortir la bande de la cassette."

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