La lettre juridique n°492 du 5 juillet 2012 : Éditorial

Conversion de l'enfant et préjudice du parent : l'artifice juridique pour cacher la forêt prosélyte

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Conversion de l'enfant et préjudice du parent : l'artifice juridique pour cacher la forêt prosélyte. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/6538614-conversion-de-lenfant-et-prejudice-du-parent-lartifice-juridique-pour-cacher-la-foret-proselyte
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


A lire rapidement cet arrêt de la cour d'appel de Nîmes rendu le 12 juin 2012, l'octroi de dommages et intérêts à une mère à la suite de la "conversion" religieuse de son fils a de quoi surprendre. Ainsi, pour les juges nîmois, la rencontre de Dieu, de quelque religion au sein de laquelle il puisse être adoré, constituerait un préjudice dont la réparation serait satisfaite de manière pécuniaire. Bien entendu, ce n'est pas sur un fondement théologique que la cour d'appel a rendu sa décision : elle s'appuie sur le principe de l'exercice commun de l'autorité parentale, et après avoir constaté que le père divorcé de l'enfant avait organisé la bar-mitzvah de son fil, sans requérir le consentement exprès de son ex-femme, elle conclut à l'existence d'un préjudice moral... dont la victime est la mère et non l'enfant.

D'abord, à n'en pas douter, la conversion religieuse est un droit fondamental. Ce droit est reconnu autant par la Déclaration universelle des droits de l'Homme (art. 18), que par le Pacte international des droits civils et politiques (art. 18.2). Mais, on admettra que l'exercice de ce droit est subordonné à l'existence préalable d'un consentement libre et éclairé qu'il est difficile de concéder à un enfant, même de 13 ans.

Par conséquent, il incomberait aux parents du mineur de décider de cette conversion en son nom et, le plus souvent -dans le cadre des trois grandes religions monothéistes -, en son âme. Ce n'est pas rien, et le consentement des deux parents doit être requis, c'est le moins qu'il puisse être ; d'autant que ce que Dieu fait, seul Dieu peut le défaire et il n'est, en principe, pas possible de faire machine arrière, de théologiquement se "déconvertir". Fils du commandement tu es, Fils du commandement tu seras !

C'est pourquoi quelques voix s'élèvent, aujourd'hui, pour que les conversions, baptêmes, bar-mitzvah et autre chahada soient consentis, par l'intéressé lui-même, à l'âge adulte. D'une part, le rite rejoindrait ainsi les principes fondamentaux de l'Humanité et, d'autre part, il ferait écho aux conversions célèbres, celles qui montrèrent le "chemin de Damas" à tous les autres : Jésus lui-même n'a-t-il pas été baptisé à l'âge adulte ? Normal, diriez-vous, pour le "fondateur" d'une nouvelle religion ! Pourtant, la conversion de Paul de Tarse, persécuteur des premiers chrétiens, demeure l'archétype de toutes les conversions ; elle traduit une révolution spirituelle sans précédent. La conversion de Saint Augustin, professeur de rhétorique frivole et luxurieux, pour devenir l'un des Pères de l'Eglise les plus admirés du monde chrétien à travers ses Confessions l'est tout autant. La conversion de Paul Claudel, celle de Charles Péguy et celle, encore, d'Emile Zola le sont également, et ont laissé une prose qui ne laisse pas entrevoir un quelconque préjudice à la rencontre de Dieu : "En un instant, mon coeur fut touché et je crus. Je crus, d'une telle force d'adhésion, d'un tel soulèvement de tout mon être, d'une conviction si puissante, d'une telle certitude ne laissant place à aucune espèce de doute que, depuis, tous les livres, tous les raisonnements, tous les hasards d'une vie agitée, n'ont pu ébranler ma foi, ni, à vrai dire, la toucher. J'avais eu tout à coup le sentiment déchirant de l'innocence, de l'éternelle enfance de Dieu, une révélation ineffable", nous livre le premier. La conversion, plus récente, de sportifs a fait grand bruit, mais les joueurs de l'équipe de France de football concernés n'ont fait que suivre si ce n'est leur conscience, du moins le chemin tracé jadis par Cassius Clay, autre converti médiatique à l'Islam. Toute ces conversions ont été consenties à l'âge adulte et suivent l'exemple des premiers disciples de chaque religion : c'est ce qui témoigne, en réalité, de leur vérité.

Dès lors, accorder la réparation d'un préjudice moral à la mère de l'enfant converti, pour atteinte à l'exercice de l'autorité parentale commune, paraît bien faible au regard du préjudice subi par l'enfant du fait du choix de ses parents -l'atteinte à l'intégrité spirituelle-, fussent-ils d'accord entre eux pour qu'il "adhère" à une religion.

Si le droit de la responsabilité civile oblige à la réparation du préjudice direct ou indirect, encore faut-il que la victime soit bien la personne qui subit le dommage, à l'exception des ayants droit. En l'espèce, la mère subit un dommage non pas du fait de la conversion de son fils en tant que telle, mais du non-respect par le père divorcé de l'exercice commun de l'autorité parentale. Le préjudice est direct. Mais, on admettra qu'il est difficile de détacher cette atteinte de la conversion religieuse elle-même. Car, bien entendu, les cas dans lesquels le père ou la mère prend une décision intéressant la vie de l'enfant sans le consentement de l'autre parent sont légion : de la manière de se vêtir au régime alimentaire, certains choix de la vie quotidienne peuvent être empreints d'une dimension toute spirituelle. La pratique d'un sport ou celle d'un art, le sont également, certaines religions y étant parfois hostiles. Mais, si votre enfant ne mange plus de tomate chez son père, est-ce à dire qu'il est sous l'emprise salafiste ? La frontière est parfois bien ténue entre la gestion de la vie quotidienne et le prosélytisme. Les cas d'atteinte à l'autorité parentale conjointe sont donc potentiellement nombreux, si ce n'est quotidiens. Et, on imagine mal les juges indemniser le préjudice moral éventuel au titre de chacun des cas relatés.

Mais, c'est bien parce que les questions religieuses sentent le soufre que l'autorité parentale conjointe pointe son nez dans cette histoire. Car il faut bien sanctionner l'attitude du père prosélyte, sans pour autant condamner civilement toute conversion d'un enfant. Au même titre que les parents ne peuvent pas demander réparation pour le préjudice subi du fait du handicap d'un enfant, en dehors du constat d'une faute médicale avérée, au nom du droit à la vie, cette dernière ne pouvant constituer un préjudice en soi ; au même titre est-il délicat de constater un préjudice moral du fait de la révolution spirituelle de son enfant et de son droit à la vie... éternelle.

Les juges auront donc bien fait de combattre le prosélytisme rampant au sein des familles en dehors de tout consentement éclairé de l'enfant, en usant du moyen de l'atteinte à l'autorité parentale conjointe, surtout dans le cadre de familles séparées dont les convictions religieuses divergent. Et, si la monétarisation de cette atteinte semble difficile à apprécier quant à son quantum, au moins fera-t-elle prendre conscience que le choix "d'adhérer" à telle ou telle religion, voire aucune, est un choix intime, qui ne doit relever que de l'individu lui-même. L'impérialisme théologique et les conversions forcées sont la marque d'un autre temps, que les droits fondamentaux ne sauraient tolérer, même lorsqu'il s'agit d'un enfant "baignant" dans une communauté ou une "famille" religieuse.

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