Le Quotidien du 5 janvier 2021 : Santé et sécurité au travail

[Focus] Présentation rapide des grands axes de l’ANI pour une prévention renforcée et une offre renouvelée en matière de santé au travail et conditions de travail

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[Focus] Présentation rapide des grands axes de l’ANI pour une prévention renforcée et une offre renouvelée en matière de santé au travail et conditions de travail. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/63511503-focus-presentation-rapide-des-grands-axes-de-lani-pour-une-prevention-renforcee-et-une-offre-renouve
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par Mathilde Caron, Maître de conférences HDR en droit privé à l’Université de Lille

le 04 Janvier 2021

La santé au travail est une question à propos de laquelle les opinions divergent et, depuis la dernière réforme du 8 août 2016 [1], les propositions d’améliorations se multiplient [2].

Le 9 décembre 2020, les partenaires sociaux, après d’âpres négociations, ont conclu un Accord National Interprofessionnel (ANI) qui s’intitule « pour une prévention renforcée et une offre renouvelée en matière de santé au travail et conditions de travail ». Il est ouvert à la signature jusqu’au 8 janvier 2021 et prévoit une transposition au plan législatif, certaines dispositions du Code du travail devant être modifiées. À ce jour, les 3 organisations patronales (MEDEF, CPME, U2P) et 4 des 5 organisations syndicales (CFDT, CFE-CGC, CFTC, FO) ont signé cet accord ou prévu de le faire.

L’objectif présenté par l’ANI est de mettre la prévention primaire au cœur du système de santé au travail qui était jusqu’ici plutôt centré sur la réparation. Les partenaires sociaux mettent en lien santé personnelle et performance de l’entreprise à travers la Qualité de Vie au Travail (QVT). L’accord fait référence au parcours professionnel plus qu’à un poste, un métier exercé à un instant T et s’inscrit dans une démarche de maintien dans l’emploi. C’est ensuite à l’organisation du système de santé que les partenaires sociaux s’intéressent, l’objectif poursuivi étant une meilleure application et compréhension des règles relatives à la santé au travail. L’ANI propose enfin une articulation entre les politiques de santé et sécurité au travail et la démarche d’amélioration de la qualité de vie au travail dans l’entreprise. Les efforts déjà réalisés sont considérés comme restant insuffisants, et donc à poursuivre.

Quatre principaux axes composent cet accord :

  • promouvoir une prévention primaire opérationnelle au plus proche des réalités du travail ;
  • promouvoir une qualité de vie au travail en articulation avec la santé au travail ;
  • promouvoir une offre de services des SPSTI efficiente et de proximité ;
  • une gouvernance rénovée et un financement maîtrisé.

I. Promouvoir une prévention primaire opérationnelle au plus proche des réalités du travail

Selon l’accord, ce sont les acteurs du travail qui doivent s’investir dans la prévention avant que l’approche médicale et médicalisée ne s’en saisisse. Pour cela, il faut mettre en place des actions anticipatrices et correctives.

Il existe une volonté de sensibiliser à agir très en amont sur la santé au travail en ayant conscience des réalités du travail.

Cet accord vise à avoir un véritable engagement dans la prévention primaire, une véritable culture de prévention dans l’entreprise, culture qui engage sérieusement l’employeur (avec un rappel sur l’engagement de la responsabilité de ce dernier en matière de santé et sécurité au travail : obligation de sécurité), les organisations syndicales, les représentants du personnel, les salariés, grâce au dialogue social, à des actions de sensibilisation, de formation du personnel spécifiques à l’entreprise ou accessibles depuis la branche professionnelle concernée.

Le risque de désinsertion professionnelle doit également être repéré, en coordination avec les médecins.

L’accord identifie également les risques liés à l’activité professionnelle ainsi que les risques extérieurs. L’ANI liste ce que la prévention doit recouvrir. Sont concernés les risques dits classiques, l’usure qui est inhérente à l’activité professionnelle concernée, les troubles musculo-squelettiques (sachant que pour ces deux derniers points, il est prévu de prendre en considération le risque de désinsertion professionnelle), les risques liés aux changements brutaux d’organisation du travail, les risques émergents qui ne sont pas tous connus et sont liés à l’usage des technologies nouvelles. L’ANI prévoit que soit pris en compte dès la conception des matériaux, outils, organisations, toutes les exigences liées à la sécurité et santé au travail. Trois tirets sont consacrés aux risques psychosociaux sur lesquels il est demandé une démarche de prévention responsable, alliant tous les acteurs de l’entreprise mais qui respecte le domaine privé pour ne se consacrer qu’à la vie professionnelle (sous réserve des difficultés liant les deux) et le souhait ou non du salarié de s’inscrire dans une telle démarche.

Enfin, les risques extérieurs à l’entreprise sont pris en compte, parce qu’ils peuvent impacter la santé des personnes qui s’y trouvent (par exemple, la pollution, risque environnemental, ne s’arrête pas aux portes et fenêtres de l’entreprise).

Un outil précieux : le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) car il permet la sensibilisation, oblige à réfléchir sur les risques et constitue donc la base d’un plan d’action. C’est un outil de traçabilité collective notamment pour les risques qui ont un effet différé (actuellement, le DUERP doit faire état de sa mise à jour mais il n’y a pas d’obligation à conserver les anciens exemplaires). L’ANI prévoit de mettre en place un document d’aide à son élaboration et se préoccupe des TPE-PME par la promotion d’outils numériques. Même si la rédaction du DUERP relève de la responsabilité de l’employeur, il est important que ce dernier se fasse aider, de manière pluridisciplinaire, et mobilise l’ensemble des acteurs concernés par la santé au travail, que ce soit en interne ou en externe. Enfin, afin d’aider les salariés dans leurs futures démarches liées aux problèmes de santé, ce document pourra être consulté même une fois l’entreprise quittée (quid toutefois de la survie de ce document si l’entreprise disparait).

Notons que l’employeur peut se servir, sur le plan collectif, des conseils individuels mobilisables pour d’autres salariés soumis à des conditions de travail identiques. Il peut abonder le DUERP en ce sens et ainsi agir préventivement pour des salariés qui n’ont pas encore été atteint par un trouble subi par d’autres.

Pour mettre en place la démarche de prévention primaire, vient ensuite la formation, initiale, continue, ciblée en fonction de l’entreprise, du poste, des risques encourus avec une « traçabilité » via un passeport prévention. Ce passeport pourrait être à l’avenir lié au parcours professionnel plus qu’à l’entreprise au sein de laquelle il est ouvert (portabilité d’une entreprise à une autre à évaluer ultérieurement). Dans ce domaine, les membres du CSE et de la CSSCT verront leur nombre de jours de formation augmentés car ils passent à 5 jours pour le premier mandat, et 3 jours en cas de renouvellement de mandat. Actuellement, les articles L. 2315-18 (N° Lexbase : L0336LME) et L. 2315-40 (N° Lexbase : L8351LGE) du Code du travail prévoient pour les membres de la CSSCT une formation pour le premier mandat d’une durée minimale de 3 jours dans les entreprises de moins de 300 salariés, et de 5 jours dans les entreprises d’au moins 300 salariés.

À propos de la prévention de la désinsertion professionnelle (PDP), le mot clef est également l’anticipation et cela passe préalablement par la culture de prévention primaire précédemment évoquée. Il est proposé de renforcer les liens entre médecins traitant/du travail/conseil afin de bénéficier d’une détection la plus précoce possible.

Le parcours professionnel est mis en évidence car si le maintien en emploi n’est pas possible alors il faut préparer le retour en emploi. La difficulté est celle de la multitude d’acteurs concernés par cette question qui doivent donc fonctionner en réseau dans une démarche mutualisée. Pour mener à bien cet objectif de diminution de la désinsertion professionnelle, ils pourront exploiter des plateformes pluridisciplinaires. Il y aura également création de cellules de prévention de la désinsertion professionnelle au sein des services interentreprises. Ceux-ci organiseront en lien avec l’employeur le maintien dans l’emploi et le reclassement.

L’ANI prévoit la mise en œuvre d’une nouvelle « visite de mi-carrière » qui aurait pour but de repérer l’inadéquation entre le poste et l’état de santé.

Au sein de l’entreprise, dans un but de clarification des missions dévolues à chacun en matière de santé au travail, il conviendra de désigner un référent prévention des risques professionnels (semblable au référent handicap). L’accord insiste sur le rôle des délégués syndicaux, membres du CSE, représentants de proximité pour que la prévention primaire fasse partie de la stratégie de l’entreprise et que les questions de santé au travail soient pleinement traitées. Leur connaissance et expérience du travail est utile à cette mission.

Une incitation à la négociation d’accords sur la prévention, la santé au travail, la qualité de vie au travail et l’amélioration des conditions de travail est effectuée. Au-delà de l’entreprise, la branche professionnelle est également visée afin de formaliser les grandes priorités dans le domaine de la prévention des risques professionnels.

II. Promouvoir une qualité de vie au travail en articulation avec la santé au travail 

La qualité de vie au travail est multi-facettes, elle participe à la prévention primaire. Il convient désormais d’en renouveler l’approche pour y intégrer la qualité de vie et des conditions de travail (QVCT). Elle ne doit pas être standardisée mais propre à chaque entreprise, appropriée par chaque entreprise. Afin qu’elle s’applique dans les TPE-PME, l’ANI propose d’aborder la question par le biais d’un dialogue direct salarié/employeur, sans passer par la représentation collective qui peut y être absente. Une méthode adaptable est alors proposée et des acteurs susceptibles d’accompagner la démarche sont visés (SPSTI, CRPST, ANACT, ARACT, CARSAT, OPPBTP, COCT, CROCT). Cette méthode comporte 4 étapes : un positionnement des enjeux, un diagnostic partagé, choix des expérimentations et de la mise en œuvre, bilan et modalités de suivi.

III. Promouvoir une offre de services des SPSTI efficiente et de proximité

L’accord national interprofessionnel propose une modernisation des services de santé au travail vers une approche de service rendu aux entreprises, salariés, représentants. Ils deviennent alors des services de prévention, de santé au travail interentreprises (SPSTI) qui assurent 3 missions d’égale importance :

  • une mission de prévention, comprenant formation, information et sensibilisation aux risques professionnels (prévention primaire principalement assurée par le IPRP) ;
  • une mission de suivi de l’état de santé des salariés qui impliquerait de nouveaux acteurs et une nouvelle organisation (notamment les médecins de ville qui pourraient en partie suppléer le nombre insuffisant de médecins du travail : les médecins praticiens correspondants qui recevront une formation spécifique) ;
  • une mission de prévention de la désinsertion professionnelle (assurée en interne ou dans le cadre d’une mutualisation par le SPSTI).

Resterait de la compétence exclusive du médecin du travail, le suivi individuel renforcé, le suivi dans le cadre de la PDP, les visites de mi-carrière, fin de carrière, les visites justifiant d’un suivi médical particulier, les visites de pré-reprise et les visites des salariés en suivi individuel renforcé (SIR) et des salariés en visite d’information et de prévention (VIP), la prescription d’aménagements de poste, le prononcé d’une inaptitude.

Les médecins praticiens correspondants seront des médecins de ville volontaires et formés qui pourront assurer les visites d’information et de prévention, les visites médicales initiales, périodiques et de reprises du travail des salariés relevant de la VIP. Ils pourront créer et abonder le dossier médical en santé au travail (DMST). Ces médecins passeront également une convention avec les SPSTI et ce dernier dressera un bilan annuel du recours à ces médecins qui sera soumis à contrôle.

Des infirmiers en santé au travail pourraient également renforcer les missions médicales des SPSTI.

Enfin, les salariés plus précaires sont pris en compte. Il est préconisé de poursuivre les efforts de coordination des acteurs de la santé pour les salariés intérimaires, en CDD, itinérants, saisonniers, multi-employeurs en renforçant les systèmes d’information. Sont également visés les travailleurs indépendants et les dirigeants non-salariés.

Pour apporter des garanties sur la nouvelle organisation, il est prévu une certification préalable à un agrément administratif avec un échelonnement sur cinq ans pour une montée en charge progressive des SPSTI.

La répartition des SPSTI est inégale sur le territoire et, de ce fait, l’effectif de salariés faisant l’objet d’un suivi est plus ou moins important par service. L’accord national interprofessionnel prévoit d’assurer une qualité opérationnelle de ces services en recherchant une taille critique minimale et d’élargir l’offre institutionnelle permettant de mettre fin à la sectorisation tout en maintenant la liberté de choix offerte aux entreprises. Le souhait de maintenir le statut associatif de ce service est inscrit dans l’accord. Une meilleure articulation entre SPSTI, SST de branche et SSTA est également proposée. La gouvernance de ces SPSTI est enfin renforcée avec la proposition d’une gestion paritaire de leurs conseils d’administration.

IV. Une gouvernance rénovée et un financement maîtrisé

Le rôle du COCT est élargi avec la création d’un comité national de prévention santé au travail (CNPST) qui se substitue au GPO dont il reprend les missions, ajoutées de nouvelles liées notamment à la prévention primaire développée ci-dessus. Ces nouveautés consistent à :

  • participer à l’élaboration et à la définition des objectifs du plan santé au travail ;
  • élaborer le cahier des charges de la certification des SPSTI et les conditions d’enregistrement par les DIRECCTE ;
  • élaborer le cahier des charges de l’offre socle des SPSTI ainsi que de l’offre de prévention de la désinsertion professionnelle ;
  • définir des indicateurs en santé au travail et des indicateurs d’évaluation des SPSTI ;
  • suivre la mise en œuvre de la collaboration entre le médecin du travail et le médecin de ville ;
  • suivre la mise en œuvre du passeport prévention.

Ce CNSPT aura aussi pour mission de promouvoir l’action en réseau de l’ensemble des acteurs nationaux.

La déclinaison régionale du CNPST est également prévue : le CRPST impulsera sur le plan régional les actions prioritaires de santé au travail et les politiques publiques. Il est rappelé qu’un contrôle financier strict doit être établi. Enfin, une absence de confusion est souhaitée entre le conseil en prévention évoqué en santé travail, effectué par les préventeurs de la CARSAT, et la majoration des cotisations AT/MP qui pourraient avoir lieu (si les conseils n’étaient pas suivis d’effets par exemple).

Enfin, en ce qui concerne le financement de la santé au travail, une cotisation fixée et prélevée par les SPSTI demeure la règle. De plus, s’il y a des excédents de la branche AT/MP, ils doivent être prioritairement redistribués aux fonds de prévention de cette branche.

Cet ANI a le mérite de mettre significativement la prévention au cœur des intentions de l’ensemble des acteurs du travail. Si des avancées avaient déjà lieu en ce sens, par le biais des précédentes réformes, des plans santé, des actions des services de santé, etc., la prévention primaire est encore insuffisante et l’encourager, même la mettre en œuvre, prend sens à l’heure où des risques nouveaux se multiplient, où des troubles nombreux se révèlent. Si les négociateurs ne peuvent tous être pleinement satisfaits, l’intention qui guide l’accord issu de leurs débats est louable.

A noter : Une proposition de loi n° 3718, pour renforcer la prévention en santé au travail a été déposée à l’Assemblée nationale le 23 décembre 2020. Cette proposition, présentée notamment par Charlotte Parmentier-Lecocq (auteur des rapports visés dans cette étude), reprend les grandes lignes de l’ANI tout en y intégrant d’autres dispositions (notamment sur la prévention du harcèlement sexuel, ou encore sur le médecin du travail et les parcours de soin). Les quatre titres essentiels de cette proposition sont : renforcer la prévention au sein des entreprises et décloisonner la santé publique et la santé au travail ; définir l’offre de services à fournir par les services de prévention et santé au travail aux entreprises et aux salariés, notamment en matière de prévention et d’accompagnement ; mieux accompagner certains publics, notamment vulnérables, et lutter contre la désinsertion professionnelle ; réorganiser la gouvernance de la prévention et de la santé au travail.  Selon les dispositions finales, la réforme entrerait en vigueur à une date fixée par décret et au plus tard le 31 mars 2022.
 

[1] Loi n° 2016-1088, du 8 août 2016, relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels (N° Lexbase : L8436K9C).

[2] Ch. Lecocq, B. Dupuis et H. Forest, Rapport sur la santé au travail, août 2018 [en ligne] ; P. Frimat, août 2018 [en ligne] ; S. Artano et P. Gruni, Rapport d'information, octobre 2019 [en ligne] ; Ch. Lecocq, P. Coton, J.-F. Verdier, Rapport - Santé, sécurité, qualité de vie au travail dans la fonction publique : un devoir, une urgence, une chance, octobre 2019 [en ligne] ; IGAS, Evaluation des services de santé au travail interentreprises (SSTI), février 2020 [en ligne].

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