La lettre juridique n°846 du 3 décembre 2020 : Procédure civile

[Jurisprudence] Conformité des procédures sans audience à la Constitution : quand le Conseil constitutionnel valide l’adaptation du droit à un procès équitable à l’état d’urgence sanitaire

Réf. : Cons. const., décision n° 2020-866 QPC du 19 novembre 2020 (N° Lexbase : A944634M)

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par Yannick Ratineau, Maître de conférences à l’Université Grenoble Alpes - Directeur adjoint de l’Institut d’Études Judiciaires de Grenoble en charge de la prépa ENM - Membre du Centre de Recherches Juridiques - EA 1960

le 06 Novembre 2023


Mots-clés : procédure civile • procédures sans audience • Covid-19 • conformité à la Constitution (oui) • droit au juge • débat contradictoire • reconnaissance d’un principe de présence (non)


Dans sa décision n° 2020-866 QPC du 19 novembre 2020 (N° Lexbase : A944634M), le Conseil constitutionnel donne, pour la première fois, à la tenue d’une audience en matière civile le caractère d’une garantie légale des droits processuels constitutionnels dont les parties disposent. Il admet cependant, dans un contexte particulier qui est celui de l’état d’urgence sanitaire, que le juge puisse imposer une procédure sans audience sans que celles-ci ne disposent de la faculté de s’y opposer, dès lors que l’on se trouve dans l’hypothèse d’une procédure en référé, d’une procédure accélérée au fond, ou une procédure dans laquelle le juge doit statuer dans un délai déterminé.

L’audience constitue le temps fort d’un procès, qu’il soit civil ou pénal. L’audience est un lieu et un temps redouté ou attendu par le justiciable qui va se préparer, des semaines durant, voire des mois parfois, à cet instant durant lequel il va rencontrer son juge. Mais l’audience fait aujourd’hui l’objet de nombreuses critiques, notamment de la part de nos gouvernants qui, dans un contexte de rigueur budgétaire, et maintenant de crise sanitaire, la juge trop lourde, trop chère, et conteste l’importance de sa plus-value dans la construction de la décision judiciaire, notamment dans les contentieux de masse où, confrontés au fil des audiences à une répétition des situations, les juges sont conduits à élaborer, de manière plus ou moins intuitive, des barèmes leur permettant de gagner un temps précieux tout en augmentant leur efficacité dans la prise de décision ; augmentation d’efficacité non négligeable dans un contexte de recherche constante d’accroissement de la productivité dans l’activité juridictionnelle [1].

L’idée d’un procès sans audience s’est donc progressivement développée. Le pas a été sauté en matière pénale dès la fin des années 1990, et plusieurs réformes plus tard, un constat peut être dressé : la majorité des délits de faible ou moyenne gravité sont aujourd’hui jugés par le biais de procédures pénales qui contournent l’audience correctionnelle. En matière civile, cette possibilité est apparue avec la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 (N° Lexbase : L6740LPC) qui a introduit au sein du Code de l’organisation judiciaire un article L. 212-5-1 (N° Lexbase : L0598LTC) en vertu duquel « devant le tribunal de grande instance [devenu tribunal judiciaire à la suite de l’entrée en vigueur des dispositions de l’ordonnance n° 2019-964 du 18 septembre 2019 N° Lexbase : L4046LSN], la procédure peut, à l'initiative des parties lorsqu'elles en sont expressément d'accord, se dérouler sans audience. En ce cas, elle est exclusivement écrite. Toutefois, le tribunal peut décider de tenir une audience s'il estime qu'il n'est pas possible de rendre une décision au regard des preuves écrites ou si l'une des parties en fait la demande. ».

Si le principe fondamental qui sous-tend la mise en œuvre de cette procédure est celui du consentement préalablement exprimé par les parties, l’adaptation de notre justice à la menace du coronavirus, et au confinement généralisé qui en est la conséquence juridique, a conduit nos gouvernants à changer de paradigme en prévoyant au sein de l’article 8  de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 (N° Lexbase : L5722LWT) que « Lorsque la représentation est obligatoire ou que les parties sont assistées ou représentées par un avocat, le juge ou le président de la formation de jugement peut décider que la procédure se déroule selon la procédure sans audience. Elle en informe les parties par tout moyen. A l'exception des procédures en référé, des procédures accélérées au fond et des procédures dans lesquelles le juge doit statuer dans un délai déterminé, les parties disposent d'un délai de quinze jours pour s'opposer à la procédure sans audience. A défaut d'opposition, la procédure est exclusivement écrite. La communication entre les parties est faite par notification entre avocats. Il en est justifié dans les délais impartis par le juge » ( E. Vergès, La justice civile à l’heure du confinement : une procédure dérogatoire du 21ème siècle, Lexbase, Droit privé, 2020, n° 820 N° Lexbase : N2899BYZ).

Ce texte, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020 (N° Lexbase : L1697LX7), a fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité rédigée de la manière suivante : « L’article 8, alinéa 1, de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 est-il conforme à la Constitution au regard du préambule de la Constitution et particulièrement de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1363A9D), de l’article 55 de la Constitution (N° Lexbase : L1320A9R) éclairé par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (N° Lexbase : L7558AIR) ?  ». Jugée sérieuse par la Cour de cassation, la question a été renvoyée au Conseil constitutionnel (Cass. civ. 2, 24 septembre 2020, n°20-40.056, FS-D (N° Lexbase : A85243UA).

Les différentes observations présentées par la requérante, l’ordre des avocats au barreau de Paris, le syndicat des avocats de France et le syndicat de la magistrature, postulaient que l’article 8 dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2020-304 (N° Lexbase : L5722LWT), méconnaîtrait le droit à un procès équitable garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1363A9D), notamment les droits de la défense, le droit à un recours effectif, le principe contradictoire – parce que la décision de tenir une procédure sans audience, qui peut être imposée à tout moment, n’est ni motivée ni susceptible de recours – ou encore le principe d’égalité devant la justice dans la mesure où le juge serait entièrement libre de décider d’une dispense d’audience, et où une partie pourrait demander une telle dispense dans son seul intérêt, sans possibilité pour son adversaire de s’y opposer, rompant ainsi l’équilibre des droits des parties. La méconnaissance de l’article 55 de la Constitution était également évoqué car cette procédure sans audience serait contraire aux principes consacrés par l’article 6 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR).

Enfin, de manière plus originale, le syndicat des avocats de France faisait valoir que les dispositions de l’article 8 de l’ordonnance n° 2020-304 seraient contraires à un « principe de présence » qu’il demandait au Conseil constitutionnel de reconnaître afin de garantir la présence physique du justiciable devant le juge.

Dans sa décision n° 2020-866 QPC du 19 novembre 2020 (N° Lexbase : A944634M), le Conseil constitutionnel a écarté l’ensemble de ces arguments en jugeant conforme à la Constitution l’article 8 de l’ordonnance n° 2020-304. Pour cela, il rappelle tout d’abord que « les dispositions contestées visent à favoriser le maintien de l’activité des juridictions civiles, sociales et commerciales malgré les mesures d’urgence sanitaire prises pour lutter contre la propagation de l’épidémie de Covid-19 », de sorte qu’elles poursuivent « l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et contribuent à la mise en œuvre du principe constitutionnel de continuité du fonctionnement de la justice ».

Le Conseil observe ensuite que « la procédure sans audience ne s’applique qu’aux affaires pour lesquelles la mise en délibéré a été annoncée durant l’état d’urgence sanitaire déclaré par la loi du 23 mars 2020 ou pendant le mois suivant sa cessation » de sorte que les dispositions contestées « visent à éviter que l’opposition d’une partie à l’absence de tenue d’une audience conduise au report du jugement de l’affaire à une date éloignée, dans l’attente de meilleures conditions sanitaires […] ce qui permet donc aux juridictions de statuer dans des délais compatibles avec la célérité qu’exigent les procédures d’urgence en cause ». Enfin, il rappelle que les dispositions de l’article 8 de l’ordonnance n° 2020-304 « ne sont applicables que lorsque les parties doivent être représentées par un avocat ou lorsqu’elles ont choisi d’être représentées ou assistées par un avocat ». Or, comme le souligne le Conseil, « la présence de l’avocat garantit aux justiciables la possibilité de défendre utilement leur cause dans le cadre d’une procédure écrite ». Par ailleurs, ce texte prévoit que la communication entre les parties « est faite par notification entre avocats » et qu’il « en est justifié dans les délais impartis par le juge », ce qui « impose donc de respecter une procédure écrite contradictoire ». Le Conseil constitutionnel ajoute in fine que « les dispositions contestées se bornent à offrir une faculté au juge, à qui il appartient, en fonction des circonstances propres à chaque espèce, de s’assurer qu’une audience n’est pas nécessaire pour garantir le caractère équitable de la procédure et les droits de la défense ». Naturellement, le grief tiré de la violation de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme est écarté, le Conseil constitutionnel rappelant qu’il ne lui appartient pas, lorsqu’il est saisi en application de l’article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L5160IBQ), d’examiner la conformité d’une disposition législative aux stipulations d’un traité ou d’un accord international.

La décision du 19 novembre 2020 rendue par le Conseil constitutionnel est riche d’enseignements et ouvre des pistes de réflexion intéressantes dans le contexte de crise sanitaire que notre pays traverse du fait de la présence du Covid-19 sur notre territoire. Il doit être retenu que le respect du droit à un procès équitable n’impose pas au législateur de garantir la rencontre du juge et des parties dans le cadre d’une audience, quand bien même cette absence de rencontre serait imposée aux parties sans possibilité pour elles de contester cette décision (I) ; que le droit à un procès équitable n’est pas davantage méconnu en cas d’absence de débats oraux entre les parties devant le juge pour que soit garanti le principe contradictoire, dès lors que des débats écrits ont pu se dérouler dans le cadre d’une procédure écrite contradictoire (II). Reste que des questions se posent quant à l’articulation de cette décision avec les récentes dispositions de l’article 6 de l’ordonnance n° 2020-1400 du 18 novembre 2020 (N° Lexbase : L7048LYP) qui réaffirme, en l’aménageant toutefois, le mécanisme de la procédure sans audience (III).

I. La procédure sans audience imposée par le juge aux parties ne porte pas atteinte au droit à un procès équitable

Le droit à un procès équitable impose-t-il nécessairement la tenue d’une audience juridictionnelle ? Si le Conseil constitutionnel a déjà été amené à se prononcer sur la constitutionnalité de dispositions excluant la tenue d’une audience juridictionnelle ou en aménageant les modalités (Cons. const., n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, N° Lexbase : A3770DBA – Cons. const., n° 2017-645 QPC du 21 juillet 2017 N° Lexbase : A3324WNG– Cons. const., n° 2019-778 DC du 21 mars 2019 N° Lexbase : A5079Y4U - Cons. const., n° 2019-802 QPC du 20 septembre 2019 N° Lexbase : A8596ZNP), l’analyse des décisions rendues met en évidence que, si le Conseil constitutionnel a consacré un principe de publicité des audiences en matière civile, il n’en a pas pour autant déduit un principe de la tenue même d’une audience. Or, l’un des apports de la décision commentée réside assurément dans le fait que le Conseil reconnaît pour la première fois à l’organisation d’une audience juridictionnelle en matière civile le caractère de « garantie légale » des différents droits processuels structurant le modèle de procès équitable que l’absence d’audience juridictionnelle met en cause. Pour autant, le Conseil constitutionnel reconnaît au législateur la compétence pour apporter des limitations à ce principe, et s’attache à vérifier que la mise en œuvre de procédures juridictionnelles civiles sans audience, dans les conditions prévues par les dispositions contestées, ne conduit pas à priver de garanties légales l’exercice des droits de la défense et du droit à un procès équitable. Bien évidemment, les éléments de contexte liés à la crise sanitaire exceptionnelle résultant de l’épidémie de Covid-19 ont été déterminants.

Sur la méconnaissance du principe d’égalité devant la justice tiré de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme de 1789, le Conseil constitutionnel souligne que les dispositions contestées n’instituent pas de différence de traitement entre les parties à une même procédure, le demandeur et le défendeur étant tous deux placés dans l’impossibilité de décider de la procédure sans audience ou de s’y opposer. Il souligne également que les dispositions contestées ne confèrent nullement un pouvoir discrétionnaire au juge pour décider de la tenue ou non d’une audience. Elles ne lui permettent de recourir à la procédure sans audience que dans les instances civiles urgentes dans lesquelles le caractère équitable de la procédure et le respect des droits de la défense peuvent être assuré, notamment par des échanges exclusivement écrits entre les avocats.

Par ailleurs, même s’il est tout à fait possible d’envisager qu’une partie demande le recours à une procédure sans audience dans son seul intérêt, la décision relève dans tous les cas du juge à qui il revient de trancher cette demande comme n’importe quelle autre demande dont il peut être saisi à l’occasion de tout procès. L’absence de possibilité pour les parties de s’opposer à la décision du juge tient précisément au fait que les dispositions contestées tendent à éviter que l’opposition d’une partie à l’absence de tenue d’une audience ne conduise au report du jugement de l’affaire à une date trop éloignée, dans l’attente de meilleures conditions sanitaires. Elles permettent donc aux juridictions de statuer dans des délais compatibles avec la célérité qu’exigent justement les procédures d’urgence en cause.

Sur la méconnaissance du droit à un recours effectif, le Conseil constitutionnel souligne que la suppression de l’audience à l’initiative d’une partie ou du juge ne prive pas, en soi, les parties d’un recours juridictionnel effectif, ce d’autant que les dispositions contestées visent précisément à favoriser le maintien de l’activité des juridictions civiles, sociales et commerciales malgré les mesures d’urgence sanitaire prises pour lutter contre la propagation de l’épidémie de Covid-19, lesquelles ont « en particulier pour objet de limiter les contacts entre les justiciables et les personnels judiciaires, tout en assurant la continuité du service public de la justice ». Or, l’effectivité du droit à un recours juridictionnel effectif suppose que le principe constitutionnel de continuité du fonctionnement de la justice soit assuré. Par ailleurs, le Conseil constitutionnel rappelle que l’exclusion pour les parties de la possibilité de s’opposer à la mise en œuvre d’une procédure sans audience vise à permettre aux juridictions de statuer dans des délais compatibles avec la célérité qu’exigent les procédures d’urgence en cause en évitant que l’opposition d’une partie à l’absence de tenue d’une audience ne conduise au report du jugement de l’affaire à une date éloignée, dans l’attente de meilleures conditions sanitaires, et ce faisant, que l’opposition ne soit utilisée par certains plaideurs indélicats à des fins dilatoires. Toutefois, le Conseil a également pris en compte les garanties prévues pour assurer le respect des droits des parties en relevant, tout d’abord, que « les dispositions contestées ne sont applicables que lorsque les parties doivent être représentées par un avocat ou lorsqu’elles ont choisi d’être représentées ou assistées par un avocat », de sorte que cette condition garantit aux justiciables la possibilité de défendre utilement leur cause dans le cadre d’une procédure écrite ; ensuite que les dispositions contestées se bornent à offrir une faculté au juge, à qui il appartient, en fonction des circonstances propres à chaque espèce, de s’assurer qu’une audience n’est pas nécessaire pour garantir le caractère équitable de la procédure et les droits de la défense.

Sur la méconnaissance des droits de la défense et du principe contradictoire, le Conseil souligne que la communication entre les parties est faite par notification entre avocats, d’une part, et qu’il en est justifié dans les délais impartis par le juge, d’autre part, ce qui impose donc le respect d’une procédure écrite contradictoire. Il ajoute que la possibilité de formuler des observations orales au cours d’une audience ne constitue qu’une modalité d’exercice du principe du contradictoire, dont le respect peut être assuré par des échanges écrits. Or, ce point mérite, selon nous, de faire l’objet de développements spécifiques. 

II. L’absence de débats oraux résultant de la mise en œuvre d’une procédure sans audience n’implique pas une absence de débats contradictoires

Pour le Conseil constitutionnel, la possibilité de formuler des observations orales au cours d’une audience ne constitue qu’une modalité d’exercice du principe du contradictoire, dont le respect peut être assuré par des échanges écrits. Principe directeur du procès civil (CPC, art. 14 N° Lexbase : L1131H4N), dont le juge est garant à toutes les phases de la procédure (CPC, art. 16 N° Lexbase : L1131H4Q), composante du procès équitable au sens de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, le principe contradictoire (ou de la contradiction) implique que chaque plaideur puisse avoir accès à tout élément du débat afin d'en prendre connaissance et d'en discuter. Il constitue donc un aspect essentiel des droits de la défense, et commande, pour une bonne administration de la justice, qu’il soit imposé aux parties et respecté par le juge. Si toute l’instance civile tend au jugement, c’est bien le débat contradictoire qui prépare et nourrit la décision de justice. Or, la notion de « débat » est très difficile à cerner en procédure civile. La première sous-section du chapitre 1er du titre XIV du livre I du Code de procédure civile qui s’intitule « Les débats » ne concernent pratiquement que l’audience, soit les débats oraux qui n’en sont qu’une partie accessoire dans une procédure écrite, ce qui est le cas des procédures visées à l’article 8 de l’ordonnance n° 2020-304. Or, lorsque l’article 445 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1119INR), vise la clôture des débats, il désigne en réalité la fin de l’audience des plaidoiries, tout comme l’article 781 du même code (N° Lexbase : L9319LTC) lorsqu’il prévoit, devant le tribunal judiciaire, que l’ordonnance de clôture de la mise en état précède les débats oraux qui seront eux-mêmes clôturés à la fin des plaidoiries.

Ainsi, à suivre le raisonnement proposé par le Code de procédure civile, il y a des débats écrits qui précèdent des débats oraux, ce qui est consubstantiel à la procédure écrite suivie devant le tribunal judiciaire. Or, ces débats ne sont rien d’autre que des échanges des parties entre elles ou entre les parties et le juge, de sorte qu’ils sont soumis au principe contradictoire. Toute la question de savoir si le principe contradictoire est respecté malgré l’exclusion des débats oraux résultant de la suppression de l’audience juridictionnelle ? Si le droit à un procès équitable impose une procédure respectueuse du principe contradictoire, ce dernier est nécessairement respecté dans l’hypothèse de procédures qui, fussent-elles sans audience, permettent un débat contradictoire. Tel est le cas des procédures sans audience prévues à l’article 8 de l’ordonnance n° 2020-304 reposent sur une procédure écrite contradictoire dès lors, d’une part, que la communication entre les parties est faite par notification entre avocats, et d’autre part, qu’il en est justifié dans les délais impartis par le juge.

Le respect du principe contradictoire impose-t-il que la procédure repose sur des débats contradictoires écrits et oraux ?

À cette question, le Conseil constitutionnel répond par la négative, considérant que la possibilité de formuler des observations orales au cours d’une audience ne constitue qu’une modalité d’exercice du principe du contradictoire, et que le respect de ce principe peut être assuré uniquement par des échanges écrits. Certains pourront regretter que le Conseil ne retienne pas une conception plus généreuse du principe contradictoire qui aurait consisté à imposer un débat contradictoire comportant à la fois des débats écrits et des débats oraux. Même s’il avait retenu une telle conception, il nous semble que cet élément n’aurait pas emporté la non-conformité à la Constitution des procédures sans audience de l’article 8 de l’ordonnance n° 2020-304 pour autant. En effet, la procédure civile et la procédure pénale comportent des procédures qui semblent évincer le principe contradictoire, qu’il s’agisse, pour le champ civil, de la procédure d’injonction de payer (CPC, art. 1405 N° Lexbase : L6337H7T) ou de la procédure sur requête (CPC, art. 493 N° Lexbase : L6608H7U) ; pour le champ pénal, de la procédure d’ordonnance pénale (C. proc. pén. art. 495 N° Lexbase : L7516LP3). Toutefois, ces procédures sont conformes à la Constitution ou aux dispositions de la CEDH car les parties bénéficient d’un recours approprié contre la décision qui leur fait grief. Le principe contradictoire n’est donc pas évincé, mais différé dans le temps selon la volonté des parties qui peuvent, soit accepter la décision, et donc renoncer au droit de bénéficier d’une procédure contradictoire, soit former un recours contre la décision et obtenir un nouvel examen du dossier à l’occasion d’une procédure contradictoire.

Tel est également le cas dans le cadre des procédures visées à l’article 8 de l’ordonnance n° 2020-304 puisque les parties disposent de la possibilité de frapper la décision rendue d’appel ou de faire opposition dans un délai de quinze jours selon les distinctions opérées aux articles 481-1 (N° Lexbase : L6604H7Q) pour les décisions rendues dans la procédure accélérée au fond et 490 (N° Lexbase : L2319LUG) pour l’ordonnance de référé du Code de procédure civile, par exemple. Or, comme le rappelle la Cour européenne des droits de l’Homme, l'examen formel du respect de chacune des garanties énumérées par l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme ne garantit pas un brevet d'équité, c’est l'examen de l'ensemble de la procédure qui doit être pris en compte [2]. Cette méthode permet à la cour de déclarer conformes à la garantie d'un procès équitable des procédures qui recèlent pourtant des vices à un stade du déroulement du procès, mais qui sont compensés - effacés - par les autres étapes du procès. Reste que la décision commentée, en ce qu’elle fait reposer le caractère contradictoire de la procédure sur les seuls débats écrits, doit rendre les professionnels du droit particulièrement vigilant dans le choix de leur moyen de communication.

L’article 6 de l’ordonnance n° 2020-304, reprenant la formule de l’article 4 du décret n° 2020-1405 du 18 novembre 2020 (N° Lexbase : L6932LYE), a aboli le formalisme qui prévalait jusqu’à présent en prévoyant que « les parties peuvent échanger leurs écritures et leurs pièces par tout moyen dès lors que le juge peut s’assurer du respect du contradictoire ». De fait, les parties ou leurs avocats peuvent recourir aux échanges d’écritures et de pièces, soit par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, soit par lettre simple, voire par courriel. Si le bordereau de pièces n’est donc plus formellement exigé, le juge doit cependant pouvoir s’assurer du respect du contradictoire grâce à une trace écrite permettant de prouver la transmission. Comme l’indique la circulaire d’application du 26 mars 2020 (N° Lexbase : L6210LWW), le choix du moyen de communication entre les parties doit être effectué en fonction de son aptitude à prouver que la communication a bien eu lieu. De ce point de vue, si un courriel assorti d’un avis de réception ou un courrier recommandé avec demande d’accusé de réception peuvent aisément permettre de prouver que la communication a bien eu lieu, tel ne sera pas le cas d’un courrier simple par exemple. En toute logique, les avocats continuent également d’utiliser le réseau privé virtuel des avocats (RPVA), notamment parce qu’il reste en vigueur pour la transmission des actes de procédure au tribunal judiciaire en matière de procédure écrite ordinaire, de procédure à jour fixe, et à la cour d’appel.  

III. L’articulation de la décision du Conseil constitutionnel avec les dispositions de l’ordonnance n° 2020-1400 du 18 novembre 2020

Si la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 (N° Lexbase : L6740LPC), le décret n° 2020-1405 du 18 novembre 2020 (N° Lexbase : L6932LYE) et l’ordonnance n° 2020-1400 du 18 novembre 2020 (N° Lexbase : L7048LYP) viennent allonger la longue liste des textes de procédure civile qui ont vu le jour ces deux dernières années, seule l’ordonnance n° 2020-1400 nous intéresser ici. Nous renvoyons donc le lecteur à la présentation de l’ensemble des dispositions nouvelles - ou renouvelées - qui a été réalisée dans les colonnes de cette revue ( R. Laher et C. Simon. La justice civile face au reconfinement : un air de déjà-vu Lexbase, Droit privé, 2020, n° 845 N° Lexbase : N5454BYN). Sans surprise, l’ordonnance n° 2020-1400 renouvelle la possibilité prévue à l’article 8 de l’ordonnance n° 2020-304, mais avec une modification de taille puisque l’article 6 de l’ordonnance n° 2020-1400 ne comporte plus la disposition litigieuse qui a donné lieu à la saisine du Conseil constitutionnel.

Ce texte prévoit désormais que, « lorsque la représentation est obligatoire ou que les parties sont assistées ou représentées par un avocat, le juge ou le président de la formation de jugement peut, à tout moment de la procédure, décider que la procédure se déroule selon la procédure sans audience. Il en informe les parties par tout moyen. Les parties disposent d'un délai de quinze jours pour s'opposer à la procédure sans audience. En cas d'urgence, le juge ou le président de la formation de jugement peut réduire ce délai. A défaut d'opposition, la procédure est exclusivement écrite. La communication entre les parties est faite par notification entre avocats. Il en est justifié dans les délais impartis par le juge. Toutefois, le juge ou le président de la formation de jugement peut décider de tenir une audience s'il estime qu'il n'est pas possible de rendre une décision au regard des preuves écrites ou si l'une des parties en fait la demande. »

A priori, la disparition de la disposition litigieuse implique que les parties à une procédure en référé, à une procédure accélérée au fond ou une procédure dans laquelle le juge doit statuer dans un délai déterminé, peuvent désormais contester dans un délai de quinze jours la décision du juge de recourir à une procédure sans audience. Cette disparition a-t-elle été motivée à la crainte d’une censure de l’article 8 de l’ordonnance n° 2020-304 par le Conseil constitutionnel ? Il est possible de le penser, mais l’explication nous semble davantage résulter du caractère allégé du second confinement. La lecture du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 (N° Lexbase : L5637LYG), en vigueur depuis le 30 octobre 2020, met en évidence que le second confinement est nettement moins strict que le premier. Il n’est plus question de fermer les tribunaux, l’activité juridictionnelle n’est plus limitée aux seuls contentieux essentiels, ce qui avait eu pour conséquence, lors du premier confinement,d’exclure la majeure partie des litiges civils ; les déplacements des justiciables pour répondre à une convocation judiciaire ou administrative, se rendre dans un service public ou chez un professionnel du droit, sont autorisés, et les salles d’audience peuvent à nouveau accueillir du public. Le caractère allégé de ce second confinement ne semble donc plus légitimer, pour l’Exécutif, la distinction qu’il avait opéré à l’article 8 de l’ordonnance n° 2020-304. Toutefois plusieurs questions se posent à la lecture de l’article 6 de l’ordonnance n° 2020-1400.

Tout d’abord, l’on peut s’étonner de la disparition de l’interdiction de s’opposer à la décision du juge de recourir à une procédure sans audience pour les procédures urgentes dès lors qu’elle était fondée sur un motif parfaitement légitime que le Conseil constitutionnel a par ailleurs validé : le souhait d’éviter « que l’opposition d’une partie à l’absence de tenue d’une audience conduise au report du jugement de l’affaire à une date éloignée, dans l’attente de meilleures conditions sanitaires […] » afin de permettre aux juridictions, non seulement de statuer dans des délais compatibles avec la célérité qu’exigent les procédures d’urgence en cause, mais également d’épargner aux juridictions un certain nombre de recours dilatoires susceptibles de venir grossir des flux qui sont déjà difficilement maîtrisés. Le but poursuivi par cette disposition nous semblait légitime dans des procédures marquées par l’urgence, compte-tenu de l’état d’engorgement chronique de nos juridictions qui a été aggravé par le premier confinement.

Ensuite, il sera remarqué que l’article 6 de l’ordonnance n° 2020-1400, mais c’était déjà le cas dans l’article 8 de l’ordonnance n° 2020-304, ne donne aucune information relative à la computation du délai de recours dont dispose désormais l’ensemble des justiciables pour s’opposer à la décision du juge de recourir à une procédure sans audience. Ce délai de recours commence-t-il à courir à compter de l’envoi de l’information aux parties ? À compter de la réception de cette information par les parties ? Si tel est bien la solution retenue, un problème de preuve risque de se poser. Enfin, si l’ensemble des plaideurs vont pouvoir s’opposer à la décision du juge de recourir à une procédure sans audience dans un délai de quinze jours, une lecture attentive de l’article 6 de l’ordonnance n° 2020-1400 montre que, pour les procédures initialement visées à l’article 8 de l’ordonnance n° 2020-304, le juge, en cas d’urgence, peut réduire ce délai. La condition liée à l’urgence sera nécessairement remplie dès lors que l’on est en présence d’une procédure en référé, d’une procédure accélérée au fond ou d’une procédure dans laquelle le juge doit statuer dans un délai déterminé. Donc, non seulement des délais très disparates risquent de voir le jour en pratique, selon le degré d’engorgement des juridictions, la disponibilité des magistrats, l’importance des flux, etc., mais il n’est pas impossible qu’une pratique consistant à imposer des délais de recours extrêmement réduits pour dissuader les parties de former opposition apparaissent dans les juridictions les plus engorgées. Il est regrettable, de ce point de vue, qu’un délai minimum qui s’imposerait au juge ne soit pas prévu par l’article 6 de l’ordonnance n° 2020-1400.

En conclusion, si la décision n° 2020-866 QPC du 19 novembre 2020 a le mérite d’affirmer, pour la première fois, que la tenue d’une audience en matière civile constitue une garantie légale des droits processuels constitutionnels dont les parties au procès disposent, il ne s’agit pas pour autant d’une garantie absolue, et il est donc loisible au législateur, dans le domaine qui lui est réservé par l’article 34 de la Constitution, d’offrir aux parties ou au juge la possibilité de supprimer ou de contourner l’audience dans certaines circonstances exceptionnelles, ce qui est le cas en présence d’un état d’urgence sanitaire, ou pour simplement accroître l’efficacité de certaines procédures, dès lors que les dispositions qui seraient prises en ce sens n’ont pas pour effet d’aboutir à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel.

 

[1] S. Gerry-Vernières (dir.) La barémisation de la justice, rapport de recherche, Mission de recherche Droit et Justice, 2020.

[2] CEDH, 2 mars 1987 : Monnet et Morris c./ Royaume-Uni. - CEDH, 6 décembre 1988 : Barbéra, Mességué et Jabardo c/ Espagne (N° Lexbase : A6469AWI)- CEDH, 28 mars 1990 : Granger c/ Royaume-Uni (N° Lexbase : A6320AWY).

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