Jurisprudence : CEDH, 28-03-1990, Req. 2/1989/162/218, Granger

CEDH, 28-03-1990, Req. 2/1989/162/218, Granger

A6320AWY

Référence

CEDH, 28-03-1990, Req. 2/1989/162/218, Granger. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1027876-cedh-28031990-req-21989162218-granger
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Cour européenne des droits de l'homme

28 mars 1990

Requête n°2/1989/162/218

Granger



En l'affaire Granger*,

* Note du greffier: L'affaire porte le n° 2/1989/162/218. Les deux premiers chiffres désignent son rang dans l'année d'introduction, les deux derniers sa place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit:

MM. R. Ryssdal, président,
F. Matscher,
L.-E. Pettiti, Sir Vincent Evans, MM. C. Russo,
J. De Meyer,
S.K. Martens,

ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 26 octobre 1989 et 19 février 1990,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:

PROCEDURE

1. L'affaire a été portée devant la Cour par le gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord ("le Gouvernement") puis la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission"), les 27 février et 16 mars 1989 respectivement, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 § 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 11932/86) dirigée contre le Royaume-Uni et dont un citoyen britannique, M. Joseph Granger, avait saisi la Commission le 5 décembre 1985 en vertu de l'article 25 (art. 25).

La requête du Gouvernement renvoie à l'article 48 (art. 48), la demande de la Commission aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration britannique reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elles ont pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 6 § 3 c) (art. 6-3-c) de la Convention.

2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 § 3 d) du règlement, le requérant a manifesté le désir de participer à l'instance et a désigné son conseil (article 30).

3. La chambre à constituer comprenait de plein droit Sir Vincent Evans, juge élu de nationalité britannique (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 § 3 b) du règlement). Le 30 mars 1989, celui-ci en a désigné par tirage au sort les cinq autres membres, à savoir MM. F. Matscher, R. Macdonald, C. Russo, J. De Meyer et S.K. Martens, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 4 du règlement) (art. 43). Ultérieurement, M. L.-E. Pettiti, suppléant, a remplacé M. Macdonald, empêché (articles 22 § 1 et 24 § 1 du règlement).

4. Ayant assumé la présidence de la Chambre (article 21 § 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l'intermédiaire du greffier l'agent du Gouvernement, le délégué de la Commission et le solicitor du requérant au sujet de la nécessité d'une procédure écrite (article 37 § 1). Conformément à l'ordonnance ainsi rendue, le greffier a reçu le mémoire du Gouvernement le 23 juin 1989.

Par une lettre du 28 août, le secrétaire de la Commission l'a informé que le délégué s'exprimerait lors des audiences.

5. Le 30 août, le président a fixé au 23 octobre 1989 la date d'ouverture de la procédure orale après avoir recueilli l'opinion des comparants par les soins du greffier (article 38).

6. Les débats se sont déroulés en public le jour dit, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu immédiatement auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu:

- pour le Gouvernement

M. M. Wood, conseiller juridique au ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth,
agent, M. A. Rodger, Q.C., Solicitor General for Scotland, M. R. Reed, avocat,
conseils;

- pour la Commission

Sir Basil Hall,
délégué;

- pour le requérant

M. J. Carroll,
solicitor.

La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu'en leurs réponses à ses questions et à celles de deux de ses membres, M. Rodger pour le Gouvernement, Sir Basil Hall pour la Commission et M. Carroll pour le requérant.

7. La Commission a déposé un document le 12 octobre 1989, le Gouvernement une série de pièces à l'audience. Le 30 octobre, M. Granger a complété les prétentions qu'il avait présentées le 11 au titre de l'article 50 (art. 50) de la Convention; les observations du Gouvernement et de la Commission, ainsi que de nouvelles remarques du requérant à leur sujet, sont arrivées au greffe les 5, 14 et 28 décembre respectivement.

EN FAIT

I. Les circonstances de l'espèce

A. Le procès Lafferty

8. Au début des années 1980, une série d'incidents graves entre bandes rivales de Glasgow atteignirent leur point culminant avec l'incendie volontaire de locaux industriels, suivi de l'attaque à la bombe incendiaire d'un appartement, causant la mort de six membres de la même famille.

9. Citoyen britannique né en 1960 et résidant à Glasgow, M. Granger fut entendu par la police au cours de l'enquête. Les 23 et 25 mai 1984, il signa des dépositions décrivant le mode d'accomplissement des crimes et nommant les coupables: Thomas Lafferty et six autres individus. Ce témoignage, jugé important par le ministère public, contribua beaucoup au déclenchement de poursuites contre les intéressés. Le requérant jouit d'une protection spéciale jusqu'à l'ouverture de leur procès.

10. Celui-ci, portant sur des accusations relatives, entre autres, à l'incendie volontaire et aux meurtres, se déroula devant la High Court of Justiciary, à Glasgow, en septembre 1984. M. Granger comparut comme témoin à charge principal. Une fois à la barre, cependant, il déclara ne rien savoir des infractions en cause et prétendit que les déclarations mentionnées plus haut émanaient en réalité de la police, qui par ses pressions l'avait amené à les signer.

B. Le procès du requérant pour faux témoignage

11. Peu après, il fut arrêté et poursuivi devant la High Court of Justiciary pour faux témoignage; il demeura détenu en attendant de passer en jugement. On lui reprochait, en bref, d'avoir menti lors du procès Lafferty

- en affirmant avoir agi sur les instructions de la police, et non de sa propre initiative, quand il avait porté certaines indications sur un plan tracé par lui;

- en niant avoir fait à la police, le 23 mai 1984, une déposition détaillée relative à l'incendie volontaire;

- en niant lui en avoir fait une autre, le surlendemain, au sujet des meurtres;

- en prétendant avoir subi des pressions et des violences de la part de la police et avoir été contraint de signer des déclarations préparées par elle;

- en alléguant avoir dit à son solicitor que les policiers lui avaient infligé des sévices et l'avaient forcé à signer une déposition.

12. Il se vit accorder l'aide judiciaire pour la préparation de sa défense par son solicitor et sa représentation au procès par un senior et un junior counsel.

Le Solicitor General for Scotland (paragraphe 29 ci-dessous) assura l'accusation: on estima les charges assez graves pour commander la présence d'un procureur de rang élevé; or l'Advocate Depute le plus ancien en grade, qui avait comparu pour l'accusation au procès Lafferty, devait témoigner à celui du requérant.

A l'issue de quatre semaines de débats tenus à Glasgow en février 1985, la High Court of Justiciary reconnut M. Granger coupable des premier, deuxième et quatrième chefs d'inculpation et non coupable du cinquième; elle écarta le troisième faute de preuves. Elle condamna l'intéressé à cinq ans de prison.

Aux fins de la détermination des frais remboursables au titre de l'aide judiciaire, le juge certifia que l'affaire s'était révélée exceptionnellement longue, complexe et ardue.

C. Le recours du requérant contre sa condamnation

13. Par les soins de son solicitor, le requérant notifia ultérieurement son intention d'attaquer sa condamnation (paragraphe 27 ci-dessous). L'aide judiciaire octroyée dans le cadre du procès pour faux témoignage couvrait aussi bien cette démarche que la consultation du solicitor sur les chances de succès d'un recours, celle d'un avocat sur le même point, l'établissement par lui, puis le dépôt d'une déclaration d'appel précisant les moyens invoqués (ibidem) et l'introduction d'une demande d'aide judiciaire pour représentation à l'audience.

14. Pareille demande fut adressée au Supreme Court Legal Aid Committee of the Law Society of Scotland ("le Comité", paragraphe 30 ci-dessous), le 6 juin 1985, au nom de M. Granger qui ne disposait pas des moyens nécessaires pour rémunérer des conseils. Elle s'accompagnait d'un memorandum, d'une copie de la déclaration d'appel (avec un exposé complémentaire des moyens) et du résumé fait par le juge à l'intention du jury en première instance; par la suite furent également fournis une copie de l'acte d'accusation et un extrait de casier judiciaire.

15. Le Comité jugea le tout insuffisant et pria le solicitor du requérant de lui communiquer l'avis d'un avocat sur les chances de succès du recours.

Le solicitor le fit le 4 juillet 1985. En réalité, il avait recueilli cet avis dès le 14 mai, auprès des avocats (senior et junior counsel) qui avaient défendu M. Granger à son procès; le senior counsel, notamment, avait une grande expérience des appels devant la High Court of Justiciary. Ils avaient estimé ne pouvoir recommander l'exercice du recours: d'après eux, aucun des deux moyens possibles n'était assez consistant pour avoir de bonnes chances de prospérer; en tout cas, on ne pouvait sérieusement escompter convaincre la cour que la justice avait été mal administrée (paragraphe 26 ci-dessous).

Le solicitor soumit en outre au Comité une copie de sa lettre du 23 mai 1985 à ses agents d'Edimbourg, où il marquait son désaccord avec l'opinion des avocats. Le 5 février 1985, dans la perspective du procès du requérant, il avait obtenu un rapport psychiatrique dépeignant ce dernier comme une personne d'intelligence modeste et maîtrisant mal l'anglais, surtout écrit, mais il n'en donna pas connaissance au Comité. Il ne lui signala d'ailleurs en aucune manière des limites intellectuelles ou linguistiques de son client.

16. Non convaincu que M. Granger eût des motifs sérieux d'interjeter appel, le Comité repoussa la demande par une décision du 11 juillet 1985, présentée comme définitive (paragraphe 31 ci-dessous).

17. L'intéressé n'en continua pas moins à recevoir conseils et assistance de son solicitor et résolut de persévérer. Il reprenait les moyens envisagés par ses avocats en mai 1985 (paragraphe 15 ci-dessus). D'après lui, il y avait eu mauvaise administration de la justice (paragraphe 26 ci-dessous) car le juge de première instance avait eu le tort (en résumé):

a) d'intervenir, pendant le contre-interrogatoire d'un policier, pour qualifier d'irrecevable et de dépourvue de pertinence la thèse de la défense, ce qui, d'après M. Granger, revenait à donner au jury des indications juridiques inexactes et prématurées;

b) d'admettre comme preuve une déposition du requérant remontant au 23 mai 1984, en dépit d'une objection de la défense selon laquelle il s'agissait d'une "precognition", c'est-à-dire une déclaration faite par un témoin potentiel à un stade avancé d'une enquête et esquissant les éléments qu'il pourrait apporter lors d'un procès futur;

c) d'écarter une autre objection contre la recevabilité de la même déposition, à savoir qu'elle établissait des infractions dont l'intéressé ne se trouvait pas inculpé et qu'elle serait source de préjugés à son égard;

d) d'affirmer aux jurés qu'un policier, s'il croyait sincèrement que ses supérieurs comptaient utiliser le requérant comme simple témoin, n'aurait commis aucun abus en lui annonçant, avant d'obtenir la déposition en cause et certains croquis, qu'on ne le poursuivrait pas;

e) de rejeter une conclusion de la défense selon laquelle le témoignage de M. Granger au procès Lafferty n'avait joué aucun rôle important ("material") et, dès lors, ne pouvait fonder une inculpation de faux témoignage.

18. L'examen du recours commença le 27 septembre 1985 devant la High Court of Justiciary, siégeant à Edimbourg en juridiction d'appel composée de trois juges. L'accusation était à nouveau représentée par le Solicitor General for Scotland, accompagné d'un junior counsel et d'un membre du personnel du Crown Office (paragraphe 29 ci-dessous).

Le refus de l'aide judiciaire excluant l'assistance d'un avocat et les solicitors n'ayant pas le droit de plaider devant la High Court of Justiciary, M. Granger défendit lui-même sa cause. Il donna lecture d'un texte préparé par son solicitor et développant les moyens énoncés par écrit. Le Solicitor General eut ensuite la parole; il la conserva pendant une heure et demie environ.

19. Pour l'essentiel, les débats portèrent sur le point de savoir si la cour pouvait statuer sur le moyen b) (paragraphe 17 ci-dessus) sans étudier un compte rendu des passages pertinents des témoignages recueillis en première instance. Elle répondit par la négative, nonobstant la thèse contraire du Solicitor General; en conséquence, elle ordonna d'établir un tel compte rendu, à l'élaboration duquel le solicitor du requérant contribua ultérieurement, et renvoya l'audience au 6 mars 1986.

Après cet ajournement, M. Granger ne renouvela pas sa demande d'aide judiciaire, ni n'en sollicita le réexamen, pas plus qu'il n'informa le Comité de l'ordonnance de la cour.

20. A la reprise de l'audience il se trouvait derechef en possession d'un exposé écrit de son solicitor, traitant de l'ensemble des moyens d'appel. La cour souligna qu'elle souhaitait l'entendre sur le seul moyen b); elle l'autorisa néanmoins à lire l'intégralité de sa déclaration car il était incapable de saisir des finesses juridiques.

21. A l'unanimité, elle rejeta le recours sur tous les points. Dans le texte de son arrêt, le Lord Justice-Clerk, qui présidait, examina de près chacun des moyens, mais il aboutit à la conclusion qu'aucun d'eux ne tenait et qu'il n'y avait pas eu mauvaise administration de la justice (paragraphe 26 ci-dessous). Selon lui, les observations de l'appelant avaient été "bien préparées et clairement énoncées".

22. M. Granger sortit de prison le 16 juillet 1988, après avoir purgé les deux tiers de sa peine et bénéficié d'une remise pour le reliquat.

D. Le pourvoi du Lord Advocate

23. Le 26 septembre 1985 - la veille de la première audience d'appel -, le Lord Advocate consulta la High Court of Justiciary, en vertu de l'article 263A de la loi de 1975 sur la procédure pénale écossaise (Criminal Procedure (Scotland) Act, paragraphes 32-33 ci-dessous), sur deux problèmes de droit soulevés par les indications que le juge avait fournies au jury, en première instance, quant au chef d'inculpation écarté faute de preuves (paragraphe 12 ci-dessus). Il souhaitait savoir:

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