La lettre juridique n°469 du 19 janvier 2012 : Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté - Janvier 2012

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N9757BS8

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var

le 19 Janvier 2012

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var, Directrice du Master 2 Droit de la banque et de la société financière de la Faculté de droit de Toulon, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Ce mois-ci, les auteurs ont choisi de s'arrêter sur deux arrêts rendus le 6 décembre 2011 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, tous deux promis aux honneurs du Bulletin. Dans le premier arrêt, commenté par Emmanuelle Le Corre-Broly, la Cour régulatrice se penche sur la question de l'avertissement des créanciers titulaires de sûreté d'avoir à déclarer leurs créances par le mandataire judiciaire ou le liquidateur et plus particulièrement sur l'éventuelle nécessité du lien entre la sûreté publiée et la créance. Enfin, dans le second arrêt sélectionné, commenté par le Professeur Le Corre, la Chambre commerciale répond par l'affirmative à la question de savoir si le juge, appelé à se prononcer sur le constat de l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail commercial, peut accorder au liquidateur les délais de grâce de l'article L. 145-41 du Code de commerce.
  • Avertissement personnel et nécessité du lien entre la sûreté publiée et la créance (Cass. com., 6 décembre 2011, n° 10-24.968, F-P+B N° Lexbase : A1952H43)

La loi du 10 juin 1994 (loi n° 94-475, relative à la prévention et au traitement des difficultés des entreprises N° Lexbase : L9127AG7) avait institué, au profit des créanciers antérieurs titulaires de sûreté publiée, un avertissement obligatoire dans un délai de 15 jours à compter de l'ouverture de la procédure collective du débiteur (C. com., art. L. 621-43, anc. N° Lexbase : L6895AI9). A défaut d'avertissement effectué par le représentant des créanciers ou le liquidateur judiciaire, leurs intérêts étaient préservés par le législateur, d'une part, par la jurisprudence, d'autre part. En l'absence d'avertissement, en effet, la forclusion était inopposable au créancier (1) (C. com., art. L. 621-46, al. 2, anc. N° Lexbase : L6898AIC). En outre, la Cour de cassation considérait qu'en cas d'avertissement tardif de la part du mandataire, le délai de deux mois imparti au créancier pour déclarer sa créance courait de la réception de l'avertissement et non de la publication au BODACC du jugement d'ouverture (2).

A quelques nuances près, ces solutions ont été reprises par la loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT). Les créanciers titulaires de sûreté publiée bénéficient encore d'une protection puisqu'ils doivent être obligatoirement avertis par le mandataire judiciaire ou le liquidateur d'avoir à déclarer leurs créances. Cependant, le mécanisme de l'inopposabilité de la forclusion n'existe désormais plus. Lui a été substituée une autre règle posée à l'article L. 622-24, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L3455ICX) (3) : le délai de déclaration de deux mois court systématiquement, à l'égard des créanciers protégés, à compter de la réception de l'avertissement obligatoire. Ces créanciers ne peuvent donc, purement et simplement, plus être forclos s'ils n'ont pas été rendus destinataires de l'avertissement.

Pour bénéficier de ces dispositions, encore faut-il être effectivement titulaire d'une sûreté publiée. Se pose, en outre, la question de l'éventuelle nécessité du lien entre cette sûreté publiée et la créance. C'est précisément sur ces points que se penche la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 6 décembre 2011 dont l'importance est soulignée par la publication qui en est faite au Bulletin. Cette décision, rendue au terme d'une longue procédure, régie par la loi du 25 janvier 1985 réformée, est particulièrement intéressante dans la mesure où la solution posée est parfaitement transposable sous l'empire de la législation de sauvegarde des entreprises.

En l'espèce, en 1998, une propriétaire de terres agricoles avait vendu celles-ci moyennant un prix converti en rente viagère, le paiement du prix étant garanti par un privilège de vendeur d'immeuble. Les trois acquéreurs débirentiers ne s'étant pas acquittés d'arrérages aux dates convenues, la venderesse avait obtenu du tribunal de grande instance de Toulouse le prononcé de la résolution de la vente par jugement assorti de l'exécution provisoire signifié le 7 mai 2004. Le tribunal avait également jugé, en application d'une clause pénale contractuelle, que la venderesse était titulaire d'une créance de dommages et intérêts représentant le montant des arrérages échus et payés. Les acquéreurs débirentiers avaient alors interjeté appel du jugement puis, le 28 octobre 2004, avaient été placés en redressement judiciaire. Par arrêt du 4 juillet 2005, la cour d'appel de Toulouse a retenu qu'il y avait lieu de constater la résolution de la vente par application de la clause résolutoire prévue à l'acte et a confirmé le jugement en ce qu'il avait déclaré acquise à la venderesse la somme de 77 460,32 euros à titre de dommages et intérêts représentant le montant des arrérages échus et payés. Cet arrêt d'appel avait en outre considéré que la venderesse, qui ne se voyait allouer aucune autre somme que celles déjà encaissées qui lui étaient acquises à titre de dommages-intérêts, n'avait pas à déclarer de créance à la procédure collective des acquéreurs. Sur ce dernier point, l'arrêt d'appel a été partiellement cassé (Cass. com. 13 février 2007, n° 05-19.329, F-D N° Lexbase : A2117DUX), la Cour de cassation considérant que la créance de la venderesse devait être déclarée puisqu'elle était fondée sur la clause pénale contractuelle qui avait son origine dans le contrat de vente conclu antérieurement aux redressements judiciaires des acquéreurs.

Le 25 août 2008, soit près de trois ans après l'ouverture de la procédure collective des débiteurs, la venderesse a alors déclaré sa créance au passif des acquéreurs.

Statuant sur renvoi après cassation, la cour d'appel de Toulouse (CA Toulouse, 2ème ch., 1ère sect., 26 mai 2010, n° 07/02053 N° Lexbase : A2596EYS) a alors considéré que la créance avait été régulièrement déclarée dans la mesure où, en sa qualité de créancière titulaire d'une sûreté publiée (le privilège de vendeur d'immeuble), la venderesse aurait dû être avertie. A défaut, la forclusion lui était inopposable, ce qui lui avait permis de déclarer valablement sa créance.

Les acquéreurs ainsi que leur commissaire à l'exécution du plan de redressement se sont alors pourvus en cassation en faisant grief à l'arrêt d'appel d'avoir jugé la créance régulièrement déclarée. Au soutien du pourvoi, plusieurs arguments étaient soulevés, offrant l'occasion à la Chambre commerciale de se prononcer clairement sur deux points.

Le premier point a trait à la notion de sûreté publiée au sens de l'ancien article L. 621-43 et, désormais, de l'article L. 622-24 du Code de commerce. En l'espèce, les auteurs du pourvoi soutenaient que, puisque la résolution de la vente était acquise avant l'ouverture de la procédure collective, le privilège de vendeur d'immeuble n'avait plus lieu d'être, de sorte qu'au jour du jugement d'ouverture, le créancier n'était plus titulaire d'une sûreté publiée. Le raisonnement repose sur le caractère rétroactif de la résolution : les parties étant remises en l'état antérieur, la vente s'était trouvée rétroactivement anéantie, emportant avec elle la disparition de la sûreté garantissant le prix de vente de l'immeuble. Cet argument ne convainc pas la Cour de cassation qui considère que "la qualité de créancier titulaire d'une sûreté publiée au sens de l'article L. 621-43 du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 [désormais C. com., art. L. 622-24, al. 1er, réd. loi du 26 juillet 2005], s'apprécie à la date du jugement d'ouverture de la procédure collective, peu important que la validité de la publicité de la sûreté puisse ultérieurement être contestée". Puisqu'en l'espèce le privilège de vendeur demeurait inscrit -à tort certes puisque la vente était résolue-, l'avertissement au créancier devait être effectué au titre de cette sûreté publiée.

La Chambre commerciale réaffirme ainsi sa position. Elle avait en effet déjà jugé, en la matière, qu'il importait peu que la publicité ait été régulièrement effectuée (4), dès lors qu'aucune décision de justice n'était intervenue pour affirmer l'irrégularité de la publicité. Elle juge aujourd'hui qu'il importe peu que la sûreté n'ait plus lieu d'être au jour du jugement d'ouverture. Le mandataire n'a ainsi pas à se faire juge de la régularité de la publicité au stade de l'avertissement (5). Ainsi, dès lors que la sûreté a été inscrite -même irrégulièrement- avant jugement d'ouverture (6) et qu'elle n'a pas été atteinte par la péremption (7), ni fait l'objet d'une radiation au jour de l'ouverture de la procédure (8), elle doit obligatoirement conduire le mandataire à avertir le créancier. A défaut, le délai de déclaration ne pourra commencer à courir à l'égard du créancier ainsi protégé.

La seconde question tranchée par la Cour est non seulement plus novatrice mais également de première importance pratique. Elle concerne la nature de la créance bénéficiant de la protection : la protection évoquée concerne-t-elle exclusivement la créance garantie par la sûreté ou, au contraire, toute créance -même chirographaire- détenue par le créancier par ailleurs titulaire d'une sûreté publiée (ou d'un contrat publié) ?

En l'espèce, aux termes de l'acte de vente, la venderesse était titulaire d'un privilège du vendeur en garantie du paiement de la rente viagère. Or, la créance qui devait être déclarée au passif était une créance de dommages et intérêts en application de la clause pénale incluse au contrat, créance qui -contrairement à la créance de prix de vente- n'était pas garantie par l'inscription du privilège de vendeur. Les auteurs du pourvoi soutenaient, en conséquence, que cette créance indemnitaire aurait dû encourir la forclusion puisqu'elle n'était pas garantie par la sûreté publiée.

La Cour de cassation balaie l'argument en considérant que la cour d'appel a, à bon droit, retenu que la forclusion était inopposable à la venderesse après avoir constaté, d'une part, qu'elle était titulaire d'une créance antérieure (la "créance indemnitaire fondée sur une clause pénale contractuelle trouvait son origine dans le contrat de vente conclu antérieurement au redressement judiciaire") et, d'autre part, qu'elle "avait la qualité de créancier titulaire d'une sûreté publiée, à savoir le privilège de vendeur d'immeuble".

La solution est particulièrement intéressante.

On aurait pu croire, en effet, que le mécanisme protecteur instauré par le législateur ne pouvait jouer qu'à l'égard de la créance garantie par la sûreté dont est titulaire le créancier. Ainsi, en l'espèce, le privilège de vendeur n'aurait pu garantir que la créance de prix de vente et non pas la créance chirographaire de dommages et intérêts issue de la résolution de la vente. C'est d'ailleurs en ce sens que s'étaient prononcés certains juges du fond (9). Cette position apparaissait cohérente et conforme à la ratio legis : pour que le créancier titulaire d'une sûreté soit protégé, il semble naturel que la créance qu'il doit déclarer soit elle-même garantie par la sûreté publiée. Il ressort de l'arrêt rapporté que cela n'est pas exigé par la Cour de cassation, sans doute parce que ce n'est pas une exigence expressément posée par le texte. Ce serait certes ajouter au texte que de cantonner la "protection anti-forclusion" des créanciers titulaires de sûreté à leur seule créance garantie par la sûreté publiée. Le texte énonce en effet que "les créanciers titulaires d'une sûreté publiée [...] sont avertis personnellement [...]. Le délai de déclaration court à l'égard de ceux-ci à compter de la notification de cet avertissement" sans préciser que le délai de déclaration en question est exclusivement celui de la créance assortie d'une sûreté. Ainsi, à la stricte lecture du texte, le délai de déclaration -qui court à compter de l'avertissement- s'entend non seulement comme celui de la créance garantie par la sûreté publiée mais également de celui de la créance, quelle qu'elle soit, dont est titulaire le créancier. La solution est importante. Cela signifie que, dès lors que le créancier est titulaire d'une sûreté publiée (ou d'un contrat publié), il n'a plus à être un lecteur assidu du BODACC. Sa qualité de créancier titulaire d'une sûreté publiée (ou d'un contrat publié) lui permettra semble-t-il, même au titre de créances non garanties par la sûreté publiée (ou sans rapport avec le contrat publié), de bénéficier de la protection de l'article L. 622-24, alinéa 1er, faisant courir le délai de déclaration de la créance à compter de l'avertissement adressé en recommandé avec accusé de réception (10).

Il n'est pas certain que soit respectée la ratio legis. La Cour de cassation va peut-être trop loin dans la protection du créancier titulaire de sûreté publiée. Cependant, puisque le législateur n'a pas pris le soin de préciser la nature -chirographaire ou privilégiée- des créances concernées par le texte, il n'y a pas lieu à distinguer là où la loi ne distingue pas...

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var, Directrice du Master 2 Droit de la banque et de la société financière

  • La résiliation du bail commercial par la voie du droit commun et l'octroi de délais de grâce au liquidateur (Cass. com., 6 décembre 2011, n° 10-25.689, F-P+B N° Lexbase : A1984H4A)

Comment concilier le droit commun des baux commerciaux et la législation spéciale du droit des entreprises en difficulté ? Voilà une question récurrente, qui a déjà fait couler beaucoup d'encre.

On s'était interrogé, au lendemain de la loi de sauvegarde des entreprises, sur la coordination des règles du droit commun de continuation des contrats en cours et des règles spécifiques de résiliation des baux commerciaux. Cette interrogation a, depuis lors, été résolue, d'abord par l'ordonnance du 18 décembre 2008 (ordonnance n° 2008-1345, portant réforme du droit des entreprises en difficulté, art. 28 N° Lexbase : L2777ICT), qui a procédé à la réécriture complète des articles L. 622-14 (N° Lexbase : L8845INW) et L. 641-12 (N° Lexbase : L8859ING) du Code de commerce, puis, par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, qui a épousé les solutions de l'ordonnance, alors pourtant qu'elle statuait sous l'empire de la législation de sauvegarde des entreprises, dans sa rédaction d'origine (11).

Mais une autre interrogation surgit, où il est encore question de coordination. Comment conjuguer le droit commun des baux commerciaux et la législation spéciale du droit des entreprises en difficulté, lorsqu'il est question d'obtenir la résiliation du bail ? Au coeur du débat, dans le présent arrêt, la possibilité pour le liquidateur d'obtenir les délais de grâce prévus par l'article L. 145-41 du Code de commerce (N° Lexbase : L5769AII).

En l'espèce, une société est placée en liquidation judiciaire, en juin 2009. Le bailleur fait délivrer au liquidateur, deux mois plus tard, en août 2009, un commandement d'avoir à payer les loyers échus après le jugement d'ouverture, en visant la clause résolutoire insérée au bail. En septembre 2009, le bailleur assigne le liquidateur aux fins de faire constater l'acquisition de la clause résolutoire. Les juges du fond accordent alors au liquidateur un délai de quatre mois pour s'acquitter des loyers et charges échus postérieurement au jugement de liquidation judiciaire et suspendent, pendant ce délai, les effets de la clause résolutoire. Ce délai est mis à profit par le liquidateur pour vendre le fonds de commerce, en ce compris le droit au bail.

Le bailleur forme un pourvoi en cassation, en reprochant aux juges du fond d'avoir fait usage de prérogatives du droit commun, au lieu d'avoir appliqué la législation spéciale du droit des entreprises en difficulté.

La question qui se pose en l'espèce est de savoir si le juge, appelé à se prononcer sur le constat de l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail commercial, peut accorder au liquidateur les délais de grâce de l'article L. 145-41 du Code de commerce. A cette question, la Cour de cassation répond par l'affirmative, en énonçant que "l'article L. 622-14 du Code de commerce n'interdit pas au liquidateur de se prévaloir des dispositions de l'article L. 145-41 du code et de solliciter des délais de paiement ainsi que la suspension des effets de la clause résolutoire tant que la résiliation du bail n'est pas constatée par une décision passée en force de chose jugée".

La décision rendue par la Cour de cassation fait clairement apparaître que les dispositions de droit commun de l'article L. 145-41 du Code de commerce, régissant le constat de la résiliation du bail, peuvent se combiner avec les dispositions spéciales de l'article L. 622- 14 du Code de commerce. On peut d'ailleurs s'étonner, en l'espèce, du visa de l'article L. 622-14, alors que l'action tendant au constat de la résiliation du bail a été intentée en liquidation judiciaire. Le texte en cause est donc plutôt celui de l'article L. 641-12. On peut encore s'étonner que la Cour de cassation reprenne, sans observation particulière, la formule employée par les juges du fond visant le non paiement de loyers échus après le jugement d'ouverture, là où il aurait fallu, plus juridiquement, viser le non paiement de loyers afférents à une occupation postérieure au jugement d'ouverture.

La solution de la Cour de cassation nous semble s'inscrire dans une problématique plus large, qui est celle de la double compétence reconnue, en cas de procédure collective, au juge-commissaire, d'une part, au président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés, d'autre part, pour constater le jeu de la clause résolutoire insérée au bail.

On se souvient, en effet, que la Cour de cassation a offert au bailleur, désireux de faire constater l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail, une option de compétence (12).

Il peut d'abord utiliser la règle spécifique du droit des entreprises en difficulté, qui prévoit que le juge-commissaire peut constater la résiliation du contrat de bail, comme il peut constater la résiliation d'autres contrats. A l'époque où la solution a été rendue par la Cour de cassation, sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985, les dispositions en cause étaient celles de l'article 61-1 du décret n° 85-1388 du 27 décembre 1985 (N° Lexbase : L5351A4X). Ces solutions existent toujours. Elles sont désormais posées par l'article R. 622-13, alinéa 2 (N° Lexbase : L9319IC7), tant dans la sauvegarde, texte applicable en redressement judiciaire (C. com., art. R. 631-20 N° Lexbase : L1003HZ8), qu'en liquidation judiciaire (C. com., art. R. 641-21, al. 2 N° Lexbase : L9312ICU). Selon le dernier de ces textes, "le juge-commissaire constate, sur la demande de tout intéressé, la résiliation de plein droit des contrat dans les cas prévus au III de l'article L. 641-11-1 (N° Lexbase : L3298IC7) et à l'article L. 641-12 (N° Lexbase : L8859ING)". Or, l'article L. 641-12, 3° du Code de commerce prévoit que "le bailleur peut [...] faire constater la résiliation de plein droit du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement de liquidation judiciaire, dans les conditions prévues aux troisième à cinquième alinéa de l'article L. 622-14". Il faut donc que le bailleur, en application de l'article L. 622-14, alinéa 3, attende l'expiration d'un délai de trois mois pour agir. La résiliation est, selon le 4ème alinéa, évitée si dans ce délai le paiement des sommes dues intervient.

Mais le bailleur peut aussi, s'il préfère, utiliser la voie du droit commun, c'est-à-dire la disposition de l'article L. 145-41 du Code de commerce, pour faire constater la résiliation du bail. En ce cas, il doit faire délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire (13) et, si ce commandement ne lui permet pas d'obtenir satisfaction, il doit ensuite assigner le locataire devant le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés. Ces prérogatives de droit commun continuent à pouvoir être utilisées, nonobstant l'ouverture d'une procédure collective à l'encontre du locataire, ainsi que l'a décidé la Cour de cassation, dans l'arrêt commenté.

Il reste alors à mesurer les conséquences du choix opéré par le bailleur.

Si le bailleur emprunte la voie du droit commun, c'est-à-dire le commandement visant la clause résolutoire, puis l'assignation devant le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés, il se soumet intégralement aux dispositions de l'article L. 145-41 du Code de commerce. En conséquence, et conformément à ce droit commun, le président du tribunal, ou la cour d'appel, à sa suite, peuvent accorder au locataire, à son administrateur judiciaire ou à son liquidateur, les délais de grâce pour régulariser les arriérés de loyers et charges, correspondant à la jouissance procurée après le jugement d'ouverture. C'est la solution que pose, en l'espèce, la Cour de cassation. Favorable à la procédure collective, elle l'est évidemment beaucoup moins pour le bailleur. En contrepartie, si le débiteur, l'administrateur ou le liquidateur, ne respectent pas les délais accordés pour régulariser l'arriéré, la suspension des effets de la clause résolutoire cesse et la résolution est alors acquise. L'avantage de la solution est alors pour le bailleur de pouvoir obtenir l'expulsion du locataire et, par voie de conséquence, de son liquidateur.

Au contraire, si le bailleur utilise la technique du constat de la résiliation du bail commercial en saisissant par requête le juge-commissaire, il sait qu'il ne pourra obtenir l'expulsion, en cas de résistance du locataire ou de son liquidateur. Le juge-commissaire excéderait ses pouvoirs à prononcer l'expulsion. Mais le juge-commissaire n'a pas davantage le pouvoir d'accorder des délais de grâce. Cela n'entre pas dans son office. Cet octroi constituerait, de sa part, un excès de pouvoir. Ainsi, le constat de la résiliation du bail par devant le juge-commissaire, qui ne nécessite pas, à notre sens la délivrance d'un commandement visant la clause résolutoire, ne peut davantage permettre au locataire, à son administrateur ou à son liquidateur, d'obtenir des délais de grâce pour régulariser les arriérés. La régularisation ne pourra intervenir que dans les conditions restrictives prévues au texte spécial du droit des entreprises en difficulté, c'est-à-dire à l'expiration d'un délai de trois mois à compter du jugement d'ouverture, que ce jugement soit une sauvegarde (C. com., art. L. 622-14, al. 4) ou un redressement (C. com., art. L. 631-14, al. 1er (N° Lexbase : L2453IEL), rendant applicable en redressement l'article L. 622-14), ou qu'il s'agisse d'une liquidation judiciaire (C. com., art. L. 641-12, 3°). Le juge-commissaire n'a d'autre choix que de constater la résiliation du bail, si les conditions légales sont réunies, c'est-à-dire à défaut de paiement de loyers ou charges afférents à une occupation postérieure au jugement d'ouverture, passé le délai de trois mois à compter du jugement d'ouverture.

Il ne nous semble pas, contrairement à ce qui a été soutenu sur la question par un auteur éminent de la matière (14), que la solution posée par la Cour de cassation, en cas d'utilisation de la technique du droit commun de l'article L. 145-41 du Code de commerce, soit exportable dans le domaine du constat de la résiliation par devant le juge-commissaire. La raison fondamentale, qui fait obstacle à la solution, tient aux pouvoirs du juge-commissaire : il n'entre pas dans l'office de ce juge d'accorder des délais de grâce.

Le bailleur devra donc bien choisir sa voie et les avocats des bailleurs, parfois plus au fait du droit des baux commerciaux que du droit des entreprises en difficulté, comprendront que cette dernière solution ouvre des perspectives sans doute plus intéressantes que celles du droit commun, même si, en aval, le bailleur peut, çà et là, s'exposer à une difficulté l'obligeant à saisir à nouveau le juge pour obtenir l'expulsion. Mais il ne s'agit plus là que d'une poche de résistance : il a déjà gagné la guerre !

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises


(1) Ainsi, Cass. com., 4 octobre 2005, n° 04-17.817, F-D (N° Lexbase : A7160DKE).
(2) Cass. com. 14 mars 2000, n° 97-20.715, publié (N° Lexbase : A3504AUC), Bull. civ. IV, n° 56 ; D. 2000, AJ 168, obs. A. Lienhard.
(3) "A partir de la publication du jugement, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture [...] adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire [dans le délai de deux mois à compter de la publication du jugement d'ouverture au BODACC]. Les créanciers titulaires d'une sûreté publiée ou liés au débiteur par un contrat publié sont avertis personnellement ou, s'il y a lieu, à domicile est élu. Le délai de déclaration court à l'égard de ceux-ci à compter de la notification de cet avertissement".
(4) Cass. com., 15 avril 2008, n° 07-10.174, F-P+B (N° Lexbase : A9636D7Z), D., 2008, AJ 1344, note A. Lienhard ; Gaz. proc. coll., 2008/3, p. 45, nos obs. ; Act. proc. coll., 2008/8, n° 125, note C. Régnaut-Moutier ; JCP éd. E, 2008, chron. 2062, n° 9, obs. M. Cabrillac ; RTDCom., 2008, 621, n° 2, obs. A. Martin-Serf ; RDBF, septembre/octobre 2008, p. 41, n° 144, note S. Piedelièvre ; nos obs. in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté, Lexbase Hebdo n° 305 du 22 mai 2008 - édition privée (N° Lexbase : N9582BEM).
(5) Cette question sera, en revanche, étudiée au stade de la vérification de la créance pour décider d'une admission du créancier à titre privilégié ou non.
(6) CA Paris, 3ème ch., sect. B, 20 juin 2003, n° 2002/11518.
(7) CA Nîmes, 2ème ch., sect. B, 10 janvier 2002, RD banc. et fin., 2003, p. 29, n° 30, note F.-X. Lucas. La solution est la même en cas de péremption d'une inscription de crédit-bail : CA Orléans, ch. com., éco. et fin., 20 décembre 2001, RJDA 2002/3, n° 279, p. 235 ; CA Nîmes, 2ème ch., sect. B, 10 janvier 2002, préc. et les obs. préc..
(8) Cass. com., 13 décembre 2005, n° 01-13.044, F-D (N° Lexbase : A9785DLY) ; Gaz. proc. coll., 2006/2, p. 43, obs. P.-M. Le Corre.
(9) CA Paris, 3ème ch., sect. A, 18 novembre 1997 et CA Paris, 6 juin 1998, RTDCom., 1998, 935 et 936, obs. C. Martin-Serf ; CA Paris, 3ème ch., sect. B, 5 décembre 2003, n° 2002/17989 (N° Lexbase : A9419DA4) ; CA Paris, 3ème ch., sect. A, 27 janvier 2004, n° 2003/02648 (N° Lexbase : A4413DB3) ; CA Paris, 3ème ch., sect. A, 14 septembre 2004, n° 04/1177 (N° Lexbase : A7888DEU).
(10) Sur la sanction du non respect de cette forme, v. not. P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action, 2012/2013, n° 665.83 et, sur le contenu de cet avertissement, n° 665.84.
(11) Cass. com. 2 mars 2010, n° 09-10.410, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6008ESC), Bull. civ. IV, n° 44 ; D., 2010, AJ 649, note A. Lienhard ; Gaz. Pal. éd. sp. Droit des entreprises en difficulté, 2 et 3 juillet 2010, n° 183 et 184, p. 24, note F. Kendérian ; RTDCom.,. 2010/2, p. 278, n° 2, note F. Kendérian ; Act. proc. coll., 2010/7, n° 95, note G. Blanc ; JCP éd. E, 2010, chron. 1742, obs. M. Cabrillac ; JCP éd. E, 2010. 1553, note P.-H. Brault ; Dr. et patr., 2010, n° 196, p. 89, note C. Saint-Alary-Houin et M.-H. Monsérié-Bon ; Defrénois, 2010, chron. 39138, p. 1482, note D. Gibirila ; nos obs. in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté, Lexbade Hebdo n° 387 du 18 mars 2010 - édition privée (N° Lexbase : N5949BNN).
(12) Cass. com., 10 juillet 2001, n° 99-10.397, publié (N° Lexbase : A1717AU7), Bull. civ. IV, n° 133, D., 2001, AJ 2830, obs. A. Lienhard, Act. proc. coll., 2001/14, n° 177, obs. C. Régnaut-Moutier, JCP éd. E, 2001, pan. p. 1602, Gaz. Pal., 8-9 février 2002, jur. p. 31, note P.-H.Brault ; JCP éd. E, 2002, chron. 175, p. 174, n° 14, obs. Ph. Pétel ; Cass. com., 13 mars 2007, n° 05-21.117, F-D (N° Lexbase : A6892DUS).
(13) Sur le rappel de cette obligation, Cass. com., 28 juin 2011, n° 10-19.331, F-D (N° Lexbase : A6449HUE) ; Gaz. pal., 7 octobre 2011, n° 280, p. 26, note F. Kendérian.
(14) F. Kendérian, note préc., sous Cass. com., 28 juin 2011, n° 10-19.331, F-D, préc..

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