La lettre juridique n°469 du 19 janvier 2012 : Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] A la recherche d'un fondement juridique à la nullité de la procédure de licenciement pour défaut de motif économique

Réf. : CA Reims, ch. civ., 3 janvier 2012, n° 11/00337( N° Lexbase : A9340H8G)

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N9719BSR

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 19 Janvier 2012

De manière particulièrement audacieuse, plusieurs juridictions du fond ont récemment décidé que la procédure de licenciement est nulle lorsque l'employeur établit un plan de sauvegarde de l'emploi en l'absence de tout motif économique. Si la solution peut être jugée opportune, il reste très difficile, pour ne pas dire impossible, de lui trouver un fondement juridique adéquat dans le Code du travail, aucun texte dudit code ne prévoyant la nullité dans cette hypothèse. Aussi a-t-il pu être proposé de faire application dans ces circonstances à la théorie de l'inexistence. Cette idée a visiblement séduit la cour d'appel de Reims qui, dans une décision rendue le 3 janvier 2012, conclut à l'inexistence de la procédure de licenciement après avoir constaté l'inexistence du motif économique.
Résumé

Le juge civil doit veiller au respect de la loyauté des relations entre le chef d'entreprise et les institutions représentatives du personnel dont le contentieux lui est dévolu, et notamment à l'égard du projet de licenciement collectif soumis au comité d'entreprise. En contrôlant la réalité du motif économique du projet, le juge contrôle uniquement la légalité du projet poursuivi. Une consultation sur un projet présentant comme existant un motif économique qui est en réalité inexistant ne peut caractériser une consultation conforme à ce qui est exigé par le Code du travail.

Observations

I - De la nullité à l'inexistence de la procédure de licenciement

La nullité de la procédure. Ainsi que le précise l'article L. 1235-10 du Code du travail (N° Lexbase : L5743IAX), "la procédure de licenciement est nulle tant que le plan de reclassement des salariés prévu à l'article L. 1233-61 (N° Lexbase : L1236H9N) et s'intégrant au plan de sauvegarde de l'emploi n'est pas présenté par l'employeur aux représentants du personnel qui doivent être réunis, informés et consultés". Quoique fort mal rédigé, ce texte laisse entendre, ce qu'a au demeurant confirmé la Cour de cassation, que le juge doit annuler la procédure de licenciement lorsque le chef d'entreprise a omis de présenter un plan de reclassement au comité d'entreprise ou, lorsque cela ayant été fait, ce plan s'avère insuffisant. On sait que la nullité de la procédure s'étend alors à tous les actes subséquents et, en particulier, aux licenciements prononcés par l'employeur (1).

La nullité de la procédure de licenciement pour motif économique paraît ainsi clairement bornée par la loi et limitée à l'insuffisance du plan de sauvegarde de l'emploi. Pourtant, dans un arrêt pour le moins remarqué rendu le 12 mai 2011, la cour d'appel de Paris a jugé que la procédure doit également être annulée lorsqu'elle ne repose sur aucun motif économique (2). La solution peut être diversement appréciée. En opportunité, il n'est pas complètement illogique que l'on vienne sanctionner un employeur qui établit un plan de sauvegarde de l'emploi, aussi satisfaisant soit-il, en l'absence de motif économique (3). Mais de là à prononcer la nullité de la procédure, il y a un pas important, faute précisément qu'un texte, et certainement pas l'article L. 1235-10, le prévoit. Ne convainc pas plus le raisonnement selon lequel "si la nullité a été prévue en cas d'irrégularité du plan de reclassement, pièce d'une procédure, elle est a fortiori encourue lorsque l'irrégularité du plan affecte la procédure elle-même et le fondement même du plan" (4).

En réalité, aucun texte du Code du travail ne permet, sans discussion possible, de fonder la solution retenue par la cour d'appel de Paris dans l'arrêt "Viveo". L'adage selon lequel "il n'y a pas nullité sans texte" paraît par suite dresser ici une barrière infranchissable. Cela étant, et à supposer que l'on souhaite conserver une telle solution, il convient de ne pas oublier qu'un plan de sauvegarde de l'emploi est un acte juridique et que, comme tel, il doit aussi être conforme aux prescriptions du Code civil (5). Par ailleurs, un auteur a pu proposer d'en revenir en la matière à la théorie de l'inexistence ; idée qui a visiblement inspiré la cour d'appel de Reims.

L'inexistence de la procédure. En l'espèce, postérieurement à l'annulation d'un premier plan de sauvegarde de l'emploi (6), la société S. avait mis en route une nouvelle procédure de consultation du comité d'entreprise sur des projets de fermeture du site et de licenciement collectif pour motif économique et plan de sauvegarde de l'emploi. Cette procédure a été également annulée, le 9 février 2011, par le TGI de Troyes qui s'est toutefois fondé, cette fois, sur l'absence de motif économique (7).

Ayant fait appel de ce jugement, la société S. soutenait que l'annulation du plan de sauvegarde de l'emploi ne peut être prononcée pour absence de motif économique, le contrôle du juge de droit commun, lequel ne peut porter sur le choix effectué par l'employeur entre les diverses solutions possibles pour assurer la sauvegarde et la compétitivité de son entreprise, ne conduisant pas celui-ci à se prononcer sur la cause réelle et sérieuse des licenciements projetés. De son côté, le comité d'entreprise de la société S. arguait que sa consultation en vue d'engager une procédure de licenciement collectif doit être loyale et sincère, ce qui n'avait pas été le cas, car aucune cause économique au sens de l'ancien article L. 1233-3 du Code du travail (N° Lexbase : L8772IA7) n'existait, en l'espèce, alors que c'est par un choix délibéré de la société mère, la société L. et R., que la société S. avait été mise en concurrence avec les autres unités de production du groupe, situées en Chine et en République Tchèque où sont délocalisés les emplois.

La cour d'appel confirme le jugement entrepris. Pour ce faire, elle commence par affirmer que "le juge civil doit veiller au respect de la loyauté des relations entre le chef d'entreprise et les institutions représentatives du personnel dont le contentieux lui est dévolu, et notamment à l'égard du projet de licenciement collectif soumis au comité d'entreprise, qu'en contrôlant la réalité du motif économique du projet, le juge contrôle uniquement la légalité du projet poursuivi ainsi que l'a fait le tribunal de grande instance de Troyes dans le jugement attaqué". Elle précise, ensuite, qu'"une consultation sur un projet présentant comme existant un motif économique qui est en réalité inexistant ne peut caractériser une consultation conforme à ce qui est exigé par le code du travail".

La cour d'appel poursuit en relevant que la société S. évoque la fermeture de son site aux motifs principaux qui suivent : "confronté à un ralentissement de ses performances sur des marchés très concurrentiels, et plus particulièrement en France où les résultats de ses deux filiales présentes sur le marché [...] sont très fortement déficitaires, le groupe doit reconsidérer son organisation. C'est pourquoi un plan de réorganisation mondial a été initié au sein du groupe L. et R. avec pour objectifs de rationaliser la production et de développer les économies d'échelles"

Toutefois, le rapport établi en novembre 2010 par la société C., expert-comptable désigné par le comité d'entreprise, indique que la transformation de S., entre 2005 et 2006, en simple sous-traitant du groupe mis en concurrence avec les autres fournisseurs sans aucune marge de manoeuvre est une condamnation pure et simple du site, que la société S. réplique qu'il s'agit d'une estimation partisane, mais que la société S. ne rapportant aucun élément contraire qui viendrait à l'appui des constatations citées plus haut, la procédure de licenciement pour motif économique est inexistante ainsi que tous les actes subséquents, et le jugement est confirmé.

II - Une solution discutable

Discutable quant à son fondement. Tel qu'il est rédigé, l'arrêt commenté n'emporte pas la conviction. Tout d'abord, on ne comprend pas bien la référence faite à la "loyauté" qui doit présider aux relations entre l'employeur et les institutions représentatives du personnel. A supposer que l'employeur soit en la matière tenu d'une telle obligation, il est difficile de sanctionner sa méconnaissance par la nullité de la procédure ou son inexistence. En revanche, on peut comprendre l'idée selon laquelle la procédure d'information-consultation du comité d'entreprise en la matière n'a de sens que si existe en amont un motif économique.

On en revient dès lors à la question de principe qui défraie les chroniques et agite la doctrine depuis l'arrêt "Vivéo" : l'absence de motif économique remet-elle en cause la validité de la procédure de licenciement ? A l'instar des magistrats parisiens dans cette dernière affaire, la cour d'appel de Reims répond aussi par l'affirmative (8). Toutefois, et ainsi que cela a déjà été relevé, elle ne conclut pas à la nullité de la procédure de licenciement, mais à son inexistence.

De prime abord, le recours à la théorie de l'inexistence peut séduire (9), nonobstant la grande réserve avec laquelle elle est habituellement accueillie par les auteurs civilistes contemporains. L'inexistence peut être présentée comme une inefficacité de l'acte juridique. Celui-ci ne serait pas simplement nul mais inexistant lorsqu'il est dépourvu d'un élément sans lequel on ne peut concevoir qu'il y ait un acte juridique (10). On peut se demander si le cas de figure qui nous intéresse ici est conforme à cette présentation. En premier lieu, il faut admettre que la procédure de licenciement constitue un acte juridique ; ce qui reste à démontrer. En second lieu, cela aurait-il été fait, il n'est guère évident que le motif économique constitue cet élément sans lequel on ne peut concevoir que la procédure puisse exister. On est au contraire intuitivement tenté de dire qu'elle existe et qu'elle n'est alors pas, effectivement, loyale. Mais la sanction ne peut, en ce cas, résider dans l'inexistence de la procédure.

En fait d'inexistence, il serait sans doute plus pertinent de démontrer que ce qui ne peut exister en l'absence de motif c'est le plan de sauvegarde de l'emploi et, par voie de conséquence, le plan de reclassement qu'il contient (11). Or, faute d'un tel plan, la procédure est nulle. Mais, à supposer qu'un tel raisonnement soit recevable, il n'y a pas, à notre avis, besoin de se référer à la théorie de l'inexistence. L'absence de cause à cet acte juridique pourrait suffire, étant observé qu'un engagement unilatéral doit, comme un contrat, être causé.

Il reste que toutes ces discussions peuvent apparaître inutiles au regard du point de départ de la réflexion, à savoir l'absence de motif économique. En premier lieu, et pour s'en tenir à l'arrêt rapporté, la cour d'appel ne démontre pas véritablement en quoi il y avait absence de motif économique. Il existe, en effet, une différence notable entre l'absence de difficultés économiques et la situation dans laquelle ces difficultés économiques résultent de la légèreté blâmable de l'employeur ou de sa faute. Or, en l'espèce, on a plutôt l'impression, à lire les motifs de la décision, que l'on se situe dans cette dernière situation (12), même si c'est moins l'employeur qui est en cause que la société mère.

En second lieu, et de manière plus générale, il peut être soutenu que, dans tous les cas, un motif économique, au sens de l'article L. 1233-3 du Code du travail, existe bien, à tout le moins s'il a été formulé par l'employeur. Ce qui pose problème, en vérité, c'est l'absence de cause réelle et sérieuse. Il faut remarquer que la solution retenue par les magistrats rémois et, avant eux, la cour d'appel de Paris serait difficile à contenir et devrait s'appliquer à toutes les hypothèses où le juge constate qu'il n'y a pas de motif économique à l'origine de la procédure ; y compris donc dans les cas où l'employeur était de "bonne foi". Or, il semble que dans les deux affaires précitées, les juges du second degré ont plutôt voulu sanctionner des employeurs engageant un processus de licenciement pour motif économique en sachant pertinemment qu'il ne repose pas sur un tel motif. De telles pratiques ne peuvent être admises. Mais, en ce cas, la fraude à la loi ne suffit-elle pas à assurer la sanction de ces employeurs indélicats ?

Discutable quant à ses conséquences. Ainsi que nous l'avons relevé précédemment, l'arrêt sous examen ne constitue qu'un élément de ce que l'on peut appeler la "saga S.". Mais la solution qui y est énoncée en est l'élément majeur ou, pourrait-on dire, déclencheur. Cette "saga" peut être brièvement présentée (13). Le "vice originel" est à rechercher dans les conséquences tirées par les juges de l'absence de motif économique à l'origine de la procédure de licenciement. Que l'on opte pour l'inexistence ou la nullité de cette dernière, le résultat est le même : le juge peut ordonner la poursuite des contrats de travail ou prononcer la nullité du licenciement et ordonner la réintégration du salarié à sa demande. En d'autres termes, le défaut de validité de la procédure conduit finalement au résultat que l'employeur ne peut licencier.

Forte de ce constat, la société S. s'était essayée à une autre stratégie. Elle avait demandé aux juges compétents de prononcer sa liquidation judiciaire. Elle a été déboutée, tant par le tribunal de commerce de Troyes que par la cour d'appel de Reims (14). Ces deux juridictions ont considéré que, ce faisant, la société S. tentait de contourner les dispositions du Code du travail, dont on a vu qu'elles ne lui permettent pas de licencier, du moins selon l'interprétation qui en est donnée. Pour le dire autrement, c'est une manoeuvre frauduleuse qui a été reprochée à l'employeur.

Ne pouvant licencier, la société S. ne peut pas plus être placée en liquidation judiciaire. Pourtant, lorsque l'on regarde l'affaire de plus près, on constate que cette société connaît réellement de graves difficultés économiques, voire est effectivement en cessation des paiements. Mais le problème est ailleurs. Il est à situer dans le fait que cette société appartient à un groupe qui, quant à lui, est en parfaite santé. Bien plus, il apparaît que c'est la société mère du groupe qui, par sa gestion, a conduit sa filiale à ces difficultés. Sans entrer dans le détail, cette société a toutes les apparences d'un co-employeur. Les salariés de la société S. ne s'y sont pas trompés, sollicitant, avec succès, du juge des référés la condamnation de cette société à leur payer leurs salaires.

On l'aura donc compris, c'est dans une véritable impasse juridique et judiciaire que se trouve aujourd'hui la société S.. Celle-ci trouve son unique origine dans l'audacieuse solution retenue par les cours d'appel de Paris et de Reims, sur des fondements juridiques différents mais tout aussi discutables. Reste à savoir maintenant ce qu'en dira la Cour de cassation.


(1) Pour plus de développements sur la question, v. J. Pélissier, G. Auzero, E. Dockès, Droit du travail, Précis Dalloz, 26ème édition, 2012, § 486 et 487.
(2) CA Paris, 12 mai 2011, Pôle 6, 2ème ch., n° 11/01547 (N° Lexbase : A5778HRG) ; Dr. ouvr., 2011, p. 537, avec la chron., d'A. Lyon-Caen.
(3) Pour une critique en ce sens, v. P. Lokiec, De l'inexistence... , SSL, n° 1511, p. 11, spéc., p. 12.
(4) A. Lyon-Caen, art. préc., p. 538.
(5) Ainsi que nous le verrons plus avant, si nullité ou inexistence il peut y avoir ici, c'est d'abord celle du plan de sauvegarde de l'emploi et non de la procédure.
(6) Annulation qui était alors intervenue en raison d'une "classique" insuffisance du plan de reclassement. Sur ce jugement et, plus généralement, sur cette très intéressante affaire S., qui comporte plusieurs décisions de juridictions du fond, v. notre art., De quelques difficultés des relations mère-fille, SSL, n° 1519, p. 5.
(7) Sur ce jugement, v. notre art. préc..
(8) On a la nette impression que c'est, à chaque fois, un raisonnement téléologique qui est à l'oeuvre.
(9) Pour une forte argumentation en ce sens, v. l'art. préc. de P. Lokiec.
(10) F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit des obligations, Précis Dalloz, 10ème édition, 2009, § 87.
(11) C'est ce qu'avaient fait les juges du TGI de Troyes, annulant le plan de sauvegarde de l'emploi pour défaut de motif économique et non la procédure.
(12) Une telle ambiguïté pouvait déjà être relevée dans le jugement du TGI de Troyes (v. à cet égard notre art. préc.).
(13) Pour plus de développements, v. notre art. préc..
(14) Cour d'appel qui a aussi rejeté une demande de mise en liquidation judiciaire sollicitée par des créanciers de la société S..

Décision

CA Reims, ch. civ., 3 janvier 2012, n° 11/00337( N° Lexbase : A9340H8G)

Appel de TGI Troyes, 4 février 2011

Textes concernés : C. trav., art. L. 1233-3 (N° Lexbase : L8772IA7) et L. 1235-10 (N° Lexbase : L5743IAX)

Mots-clés : licenciements économiques, plans de sauvegarde de l'emploi, procédure, inexistence, absence de motif économique

Liens base : (N° Lexbase : E9332ESG)

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