La lettre juridique n°469 du 19 janvier 2012 : Communautaire

[Jurisprudence] Chronique de droit communautaire - Janvier 2012

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N9694BST

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par Olivier Dubos, Professeur de droit public, Chaire Jean Monnet, CRDEI, Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 19 Janvier 2012

Au mois de décembre 2011, la Cour de justice a rendu un arrêt important relatif à la mise en oeuvre par les Etats membres de la réglementation de l'Union relative à l'examen des demandes d'asile. Il s'agit, en effet, d'une question délicate sur laquelle s'était déjà prononcée la Cour européenne des droits de l'Homme, car elle touche au respect des droits fondamentaux dans l'Union (CJUE, 21 décembre 2011, aff. C-411/10 et C-493/10). Par ailleurs, la Cour de justice a répondu à deux renvois préjudiciels initiés par le Conseil d'Etat français. La première portait sur l'articulation de la Directive sur la responsabilité du fait des produits défectueux avec les principes du droit administratif relatifs à la responsabilité des hôpitaux publics (CJUE, 21 décembre 2011, aff. C-495/10). La seconde concernait les règles applicables en cas de violation de passation des marchés publics par le bénéficiaire d'une subvention européenne (CJUE, 21 décembre 2011, aff. C-465/10).
  • Respect des droits fondamentaux et détermination de l'Etat compétent pour examiner une demande d'asile (CJUE, 21 décembre 2011, aff. C-411/10 et C-493/10 N° Lexbase : A6906H8B)

A - Les faits et les problèmes posés par ces deux affaires étaient largement analogues à ceux auxquels avait déjà été confrontés la Cour européenne des droits de l'Homme dans l'arrêt n° 30696/09 du 21 janvier 2011 (1). Des ressortissants d'Etat tiers étant entrés dans l'Union européenne par la Grèce, ils se déplacent ensuite dans un autre Etat membre et y déposent alors une demande d'asile. En application de l'article 10, paragraphe 2, du Règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers (N° Lexbase : L9626A9E) (JO L 50 du 25 février 2003), l'Etat compétent pour examiner la demande est celui par lequel l'intéressé est pour la première fois entré dans l'Union. Dès lors, en vertu de ces dispositions, l'Etat membre où a été déposée la demande d'asile devrait renvoyer les intéressés en Grèce.

B - Dans l'arrêt n° 30696/09, la Cour européenne des droits de l'Homme a constaté qu'en Grèce, les conditions de rétention des demandeurs d'asile étaient constitutives d'une violation de l'article 3 de la CESDH (N° Lexbase : L4764AQI) qui prohibe les traitements inhumains et dégradants. Or, selon une jurisprudence ancienne de la Cour de Strasbourg, remettre un individu à un Etat où il risque de subir des traitements contraires à l'article 3 précité constitue, également, une violation de la Convention (2). Il s'agissait donc de savoir si la Belgique, en renvoyant l'intéressé en Grèce, avait violé la CESDH, alors qu'elle avait appliqué le Règlement (CE) n° 343/2003.

Cette question relève du problème assez classique de la compétence de la Cour européenne des droits de l'Homme à l'égard des mesures nationales d'exécution du droit de l'Union. En vertu de la jurisprudence "Bosphorus" (3), un Etat est présumé respecter la Convention pour autant qu'il ne fait qu'exécuter une obligation juridique résultant du droit de l'Union et, dès lors, la Cour n'est pas compétente pour examiner la requête, sauf s'il est démontré, en l'espèce, que la protection des droits fondamentaux garantis par l'Union est entachée d'une insuffisance manifeste. Dans l'affaire n° 30696/09, la Cour européenne des droits de l'Homme a estimé que la Belgique ne se trouvait pas dans une situation dans laquelle elle ne faisait qu'exécuter une obligation juridique du droit de l'Union. Elle avait, en effet, souligné que le Règlement (CE) n° 343/2003 contient une clause dite de "souveraineté" qui permet toujours à un Etat membre de déroger aux critères qui déterminent l'Etat compétent pour connaître d'une demande d'asile (article 3, paragraphe 2). Dès lors, la Belgique avait la faculté, sur le fondement du Règlement, de ne pas renvoyer l'intéressé en Grèce alors qu'il risquait d'y subir des traitements inhumains et dégradants. La Cour européenne des droits de l'Homme en déduisait donc que la Belgique avait violé la Convention.

C - Dans les affaires du 21 décembre 2011, la Cour de justice de l'Union européenne était saisie à titre préjudiciel, de la même difficulté que la Cour européenne des droits de l'Homme dans l'affaire 21 janvier 2011 : un Etat membre doit-il renvoyer un demandeur d'asile en Grèce alors qu'il risque d'y subir des traitements inhumains et dégradants ?

La Cour de justice rappelle qu'il "ressort de l'examen des textes constituant le système européen commun d'asile que celui-ci a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l'ensemble des Etats y participant, qu'ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève [relative aux réfugiés, signée le 28 juillet 1951 (N° Lexbase : L6810BHPet le protocole de 1967, ainsi que dans la CESDH, et que les Etats membres peuvent s'accorder une confiance mutuelle à cet égard" (point n° 78). Il y a donc un "principe de confiance mutuelle" (point n° 79) qui fonde le Règlement (CE) n° 343/2003, et il "doit être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans chaque Etat membre est conforme aux exigences de la Charte, à la Convention de Genève, ainsi qu'à la CESDH" (point n° 80).

En dépit du rappel de ces principes, la Cour de justice fait preuve de réalisme et note qu'"il ne saurait, cependant, être exclu que ce système rencontre, en pratique, des difficultés majeures de fonctionnement dans un Etat membre déterminé, de sorte qu'il existe un risque sérieux que des demandeurs d'asile soient, en cas de transfert vers cet Etat membre, traités d'une manière incompatible avec leurs droits fondamentaux" (point n° 81). C'est à ce stade de la démonstration que le raisonnement de la Cour devient plus ambigu.

Elle affirme, en effet, qu'"il ne peut en être conclu que toute violation d'un droit fondamental par l'Etat membre responsable affecterait les obligations des autres Etats membres de respecter les dispositions du Règlement n° 343/2003" (point n° 82). Mais la Cour ajoute, ensuite, qu'il n'est pas possible pour un Etat, sauf à méconnaître le Règlement (CE) n° 343/2003, de refuser de renvoyer une personne vers un Etat membre dans lequel ne seront pas parfaitement respectés ses droits tels qu'ils découlent des Directives qui définissent le statut des demandeurs d'asile dans l'Union (4). Mais dans la mesure où ces Directives participent à la garantie des droits fondamentaux des demandeurs d'asile dans l'Union, cela signifie-t-il que la Cour de justice estime qu'un Etat doit renvoyer une personne vers un autre Etat membre, alors qu'il peut y subir une violation de ses droits fondamentaux ? En revanche, "dans l'hypothèse où il y aurait lieu de craindre sérieusement qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant, au sens de l'article 4 de la Charte, des demandeurs d'asile transférés vers le territoire de cet Etat membre, ce transfert serait incompatible avec ladite disposition". La Cour de justice estime que la Grèce se trouve bien dans une telle situation. Finalement, c'est la notion de "défaillances systémiques" qui fonde l'obligation ou non de renvoi.

Par la suite, la Cour de justice rappelle qu'un Etat membre qui ne pourrait transférer un demandeur d'asile vers un autre Etat membre en raison de ses "défaillances systémiques" dans la protection des demandeurs d'asile, doit appliquer le Règlement (CE) n° 343/2003, et donc renvoyer le demandeur vers un autre Etat membre qui sera déterminé en fonction des critères posés dans ce règlement. Ce n'est que si aucun Etat n'est compétent en fonction de ces critères que l'Etat membre sur le territoire duquel se trouve le demandeur d'asile est compétent pour examiner sa demande.

La Cour de justice s'est donc efforcée de ménager la Cour européenne des droits de l'Homme et le principe de confiance mutuelle applicable en matière d'examen des demandes d'asile. Il n'est pas certain que cet équilibre corresponde exactement à celui dessiné par la Cour européenne des droits de l'Homme dans l'affaire du 21 janvier 2011. Il n'y a certes pas de conflit entre les juridictions européennes, mais il n'y a probablement pas non plus parfaite harmonie.

D - Pour finir, on notera que, dans cette affaire, la Cour de justice a apporté d'intéressantes précisions sur l'interprétation de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Tout d'abord, l'on sait que celle-ci oblige les Etats membres "uniquement lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union" (article 52, paragraphe 1). La Cour confirme ici que cette formule signifie que la Charte s'impose aux Etats lorsqu'ils agissent dans le champ d'application du droit de l'Union, y compris lorsqu'ils agissent dans le cadre d'une dérogation posée par le droit de l'Union. La Cour de justice maintient donc sa jurisprudence antérieure relative au champ d'application des principes généraux du droit.

Elle s'est également prononcée sur la portée du protocole n° 30 sur l'application de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne à la Pologne et au Royaume-Uni. En effet, selon l'article 1er, paragraphe 1, de ce texte, "la charte n'étend pas la faculté de la Cour, ou de toute juridiction de la République de Pologne ou du Royaume-Uni, d'estimer que les lois, règlements ou dispositions, pratiques ou actions administratives de la République de Pologne ou du Royaume-Uni sont incompatibles avec les droits, les libertés et les principes fondamentaux qu'elle réaffirme". La Cour de justice estime que cette disposition "explicite l'article 51 de la Charte, relatif au champ d'application de cette dernière, et n'a pas pour objet d'exonérer la République de Pologne et le Royaume-Uni de l'obligation de respecter les dispositions de la charte, ni d'empêcher une juridiction de l'un de ces Etats membres de veiller au respect de ces dispositions" (point n° 120).

  • La Directive sur la responsabilité du fait des produits défectueux et la responsabilité des hôpitaux publics (CJUE, 21 décembre 2011, aff. C-495/10 N° Lexbase : A6909H8E)

A - Les faits à l'origine de cette affaire étaient relativement simples. M. X, alors âgé de 13 ans, a été victime, au cours d'une intervention chirurgicale pratiquée le 3 octobre 2000 dans un CHU, de brûlures causées par un défaut du système de régulation de la température du matelas chauffant sur lequel il se trouvait installé. Saisie sur renvoi préjudiciel du Conseil d'Etat, la Cour de justice estime que la première question à résoudre est celle de savoir si la responsabilité du CHU relève du champ d'application de la Directive (CE) 85/374 du Conseil du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux (JO n° L 210 du 7 août 1985). Plus précisément, la responsabilité d'un prestataire de services du fait de l'utilisation d'un produit défectueux relève-t-elle ou non de la Directive (CE) 85/374 ?

La Cour rappelle que l'objet de la Directive est d'harmoniser les règles relatives à la responsabilité des producteurs. Elle ajoute que, selon les considérants de la Directive, "la protection du consommateur exige que la responsabilité de tous les participants au processus de production soit engagée si le produit fini, ou la partie composante ou la matière première fournie par eux, présente un défaut et que, pour la même raison, il convient que soit engagée la responsabilité de l'importateur de produits dans la Communauté, ainsi que celle de toute personne qui se présente comme producteur en apposant son nom, sa marque ou tout autre signe distinctif ou de toute personne qui fournit un produit dont le producteur ne peut être identifié" (point n° 23). Ainsi, les personnes participant au processus de commercialisation du produit peuvent être déclarées responsables. Toutefois, la responsabilité d'un prestataire de services, comme le CHU en cause, qui fait usage d'un produit défectueux, n'est pas régie par la Directive (CE) 85/374.

B - Si le Conseil d'Etat avait posé cette question dont la réponse était finalement assez évidente, c'est parce qu'existait une autre difficulté. Le CHU soutenait, en effet, que cette situation relevait du champ d'application de la Directive (CE) 85/374 afin, en réalité, d'échapper au régime de responsabilité prévu par le droit administratif français dans une telle hypothèse. Selon la jurisprudence du Conseil d'Etat, en cas de dysfonctionnements d'un appareil utilisé dans le cadre d'un service public hospitalier, la responsabilité de ce dernier est engagée sans faute, et cette responsabilité est sans préjudice d'un éventuel recours en garanti contre le fabricant de l'appareil (5). Or, la première question préjudicielle posée par la Conseil d'Etat portait justement sur la compatibilité d'une telle solution avec la Directive 85/374.

Bien que la Cour de justice n'ait pas jugé utile de répondre directement à cette question dans la mesure où le litige pendant devant la juridiction nationale n'était pas régi par le droit de l'Union, dans sa réponse à la première question, elle donne toutefois sur ce point, d'utiles précisions. La Cour estime, en effet, que "la simple coexistence, à côté du régime de responsabilité du producteur institué par la Directive (CE) 85/374, d'un régime national prévoyant la responsabilité sans faute du prestataire de services ayant, dans le cadre d'une prestation de soins hospitaliers, causé un dommage au bénéficiaire de cette prestation en raison de l'utilisation d'un produit défectueux, n'est de nature à porter atteinte, ni à l'effectivité dudit régime de responsabilité du producteur, ni aux objectifs poursuivis par le législateur de l'Union au moyen de ce dernier régime" (point n° 29). Elle en déduit que la mise en cause de la responsabilité du producteur doit, ainsi, être ouverte non seulement à la victime, mais, également, au prestataire de services qui doit donc, à cette fin, notamment pouvoir disposer d'un mécanisme tel que celui du recours en garantie. Il faudrait, d'ailleurs, ajouter que, dans la mesure où la victime a exercé une procédure contre le producteur, il doit être possible pour l'hôpital public d'être subrogé dans les droits de la victime.

  • L'impact de la violation des règles de passation des marchés publics sur le bénéficiaire d'une subvention européenne (CJUE, 21 décembre 2011, aff. C-465/10 N° Lexbase : A6914H8L)

A - A l'origine de cet arrêt se trouve une série de questions préjudicielles posées par le Conseil d'Etat dans une affaire opposant un préfet à une chambre de commerce et d'industrie (CCI). Cette dernière avait bénéficié de subventions du fonds européen de développement régional (FEDER) pour une opération dite "objectif entreprises". Le versement de ces subventions avait fait l'objet d'une convention conclue entre le Préfet et la CCI. Pour la réalisation de ce projet, la CCI avait passé un marché avec une entreprise prestataire de services. La passation de ce marché avait été opérée sans respecter les règles de la Directive (CE) 92/50 du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de service (N° Lexbase : L7532AUI). Le préfet a demandé remboursement des fonds à la CCI qui s'y est opposée ; il a donc saisi la juridiction administrative.

La première difficulté à résoudre était donc de savoir si le préfet avait le droit, sur le fondement du droit de l'Union européenne, de procéder à une telle récupération de la subvention. La Cour de justice rappelle que, selon l'article 7, paragraphe 1 du Règlement (CEE) n° 2052/88 du Conseil du 24 juin 1988, concernant les missions des fonds à finalité structurelle (N° Lexbase : L7707IRU) (JO n° L 185 du 15 juillet 1988), leur efficacité, ainsi que la coordination de leurs interventions entre elles et celles de la Banque européenne d'investissement (BEI) et des autres instruments financiers existants, alors en vigueur, "les actions faisant l'objet d'un financement par les fonds structurels ou d'un financement de la BEI ou d'un autre instrument financier existant doivent être conformes aux dispositions des Traités et des actes arrêtés en vertu de ceux-ci, ainsi que des politiques communautaires, y compris celles concernant les règles de concurrence, la passation des marchés publics et la protection de l'environnement". En outre, l'article 23, paragraphe 1, du Règlement (CEE) n° 4253/88 du Conseil du 19 décembre 1988 (N° Lexbase : L7684IRZ), portant dispositions d'application du Règlement (CEE) n° 2052/88 en ce qui concerne la coordination entre les interventions des différents Fonds structurels, d'une part, et entre celles-ci et celles de la Banque européenne d'investissement et des autres instruments financiers existants, d'autre part, prévoit qu'"afin de garantir le succès des actions menées par des promoteurs publics ou privés, les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour [...] récupérer les fonds perdus à la suite d'un abus ou d'une négligence. Sauf si l'Etat membre et/ou l'intermédiaire et/ou le promoteur apportent la preuve que l'abus ou la négligence ne leur est pas imputable, l'Etat membre est subsidiairement responsable du remboursement des sommes indûment versées".

Pour la Cour de justice, ces dispositions fondent le pouvoir de récupération des autorités nationales qui se trouvent d'ailleurs, à cet égard, en situation de compétence liée et ne peuvent donc apprécier l'opportunité d'y procéder. En outre, le fait que l'opération ait déjà été intégralement réalisée ne constitue pas un élément susceptible de remettre en cause cette obligation de récupération. Enfin, comme lors de l'audience, la Commission avait remarqué qu'en application du principe de proportionnalité, la constatation d'une irrégularité mineure ne pouvait conduire qu'au remboursement partiel des fonds versés, la Cour estime ici que, "dans le cadre d'une action financée par le FEDER, est constatée une violation par le bénéficiaire de l'une des obligations fondamentales prévues par la Directive (CE) 92/50, telle que le fait d'avoir décidé de l'attribution d'un marché public de services avant le lancement de la procédure d'appel d'offres et l'absence de publication, par ailleurs, d'un avis au Journal officiel de l'Union européenne, la possibilité qu'une telle irrégularité soit sanctionnée par la suppression complète du concours est la seule à même de produire l'effet dissuasif nécessaire à la bonne gestion des Fonds structurels" (point n° 40).

Il faut, enfin, souligner que la Cour de justice a ici procédé à une reformulation de la question préjudicielle posée par le Conseil d'Etat français puisque celui-ci se fondait sur le Règlement (CE) n° 2988/95 du Conseil du 18 décembre 1995, relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes (N° Lexbase : L5328AUU) (JO n° L 312 du 23 décembre 1995). Pour la Cour, ce Règlement se borne à établir les règles générales de contrôles et de sanctions dans un but de protection des intérêts financiers de l'Union.

B - La Cour de justice a, toutefois, répondu sur le point de savoir si la violation par la CCI constituait une irrégularité au sens du Règlement (CE) n° 2988/95, car celui-ci détermine les règles de prescription applicables au point de départ du délai de prescription de l'action en restitution.

Selon son article 1er, paragraphe 2, "est constitutive d'une irrégularité toute violation d'une disposition du droit communautaire résultant d'un acte ou d'une omission d'un opérateur économique qui a, ou aurai,t pour effet de porter préjudice au budget général des Communautés ou à des budgets gérés par celles-ci, soit par la diminution ou la suppression de recettes provenant des ressources propres perçues directement pour le compte des Communautés, soit par une dépense indue". Pour la Cour, la CCI, bien qu'elle soit une personne morale de droit public au sens du droit français, peut ici être assimilée à un "opérateur économique". En outre, "dans la mesure où, ainsi qu'il résulte, notamment, de l'article 7, paragraphe 1, du Règlement (CE) n° 2052/88, les fonds structurels ne sauraient servir à financer des actions menées en violation de la Directive (CE) 92/50, la violation par le bénéficiaire d'une subvention FEDER, en sa qualité de pouvoir adjudicateur, des règles de passation des marchés publics de services en vue de la réalisation de l'action subventionnée entraîne une dépense indue et porte, ainsi, préjudice au budget de l'Union" (point n° 46). Enfin, le fait que le préfet ait été averti, avant la réalisation de l'opération, de l'existence de la violation de la Directive (CE) 92/50 n'est pas pertinent pour définir la notion d'irrégularité.

Le Règlement (CE) n° 2988/95 prévoit, en effet, un délai minimal de prescription de quatre ans. On soulignera que la juridiction administrative française ne peut donc appliquer les règles du droit administratif français relatives au retrait des décisions individuelles expresses créatrices de droit qui enferme ce retrait dans un délai de quatre mois. Le Conseil d'Etat interrogeait la Cour de justice sur le point de départ de ce délai de prescription : fallait-il retenir la date du versement de l'aide à son bénéficiaire ou la date à laquelle ce bénéficiaire a utilisé cette subvention pour rémunérer le prestataire recruté en méconnaissance des règles relatives à la passation des marchés publics de services prévues par la Directive (CE) 92/50 ? Pour la Cour, les fonds octroyés au bénéficiaire prennent un caractère indu à compter de la violation de ces dispositions par celui-ci. Mais il s'agit d'une violation "continue" qui persiste pendant toute l'exécution du contrat, au sens de l'article 3, paragraphe 1, deuxième alinéa, du Règlement (CE) n° 2988/95. Dès lors, le délai de prescription court à compter du jour où l'irrégularité a pris fin. La Cour de justice précise, toutefois, que la transmission d'un rapport de contrôle constatant la violation des règles de passation des marchés publics constitue un acte d'instruction ou de poursuite de l'irrégularité de nature à interrompre le délai de prescription en application de l'article 3, paragraphe 1, troisième alinéa, du Règlement (CE) n° 2988/95.

La Cour de justice se prononce, enfin, sur la question de savoir s'il était possible d'appliquer une règle de prescription plus longue, en l'occurrence la prescription trentenaire. Elle rappelle que, certes, "les Etats membres conservent un large pouvoir d'appréciation en ce qui concerne la fixation de délais de prescription plus longs qu'ils entendent appliquer dans un cas d'irrégularité portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union" (point n° 64), mais accorder un délai de trente ans, "va au-delà de ce qui est nécessaire à une administration diligente" (point n° 65).


(1) CEDH, 21 janvier 2011, Req. n° 30696/09 (N° Lexbase : A4543GQC).
(2) CEDH, 7 juillet 1989, Req. n° 14038/88 (N° Lexbase : A6141IAP).
(3) CEDH, 30 juin 2005, Req. n° 45036/98 (N° Lexbase : A1557DKU).
(4) Directives (CE) 2003/9 du 27 janvier 2003, relative à des normes minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile dans les Etats membres (N° Lexbase : L4150A9L), 2004/83 du 29 avril 2004, concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié (N° Lexbase : L7972GTG) et 2005/85 du 1er décembre 2005, relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres (N° Lexbase : L9965HDG).
(5) CE 5° et 7° s-s-r., 9 juillet 2003, n° 220437, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1898C98).

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