Réf. : Cass. soc., 9 novembre 2011, n° 09-43.528, FS-P+B (N° Lexbase : A8921HZG)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 24 Novembre 2011
Résumé
Lorsque les parties contractantes conviennent de l'application au contrat de travail d'une convention collective autre que celle applicable de droit, l'indemnité de licenciement prévue par ladite convention collective revêt la nature d'une indemnité conventionnelle non susceptible d'être réduite par le juge. |
Commentaire
I - La Cour de cassation et l'analyse de l'indemnité conventionnelle de licenciement voulue par les parties au contrat de travail
L'application de la qualification de clause pénale. La jurisprudence a depuis toujours qualifié de clause pénale la clause du contrat de travail accordant au salarié des indemnités de licenciement d'un montant supérieur aux dispositions légales ou conventionnelles applicables (1). Pour la Cour de cassation, en effet, "l'indemnité contractuellement prévue à la charge de l'employeur, qui met fin au contrat de travail, constitue la réparation forfaitaire d'un préjudice résultant de la cessation de l'exécution du contrat" (2). Cette solution ne s'est jamais démentie (3) dès lors que la clause litigieuse entre bien dans la qualification de clause pénale en raison de sa fonction comminatoire (4).
La jurisprudence a, en revanche, refusé d'appliquer l'article 1152 du Code civil (N° Lexbase : L1253ABZ) aux indemnités versées spontanément en fin de contrat par l'employeur dans la mesure où elles trouvent leur cause dans son intention libérale (5). Un même refus a été formulé à propos des indemnités prévues par le règlement intérieur (6) ou par une convention collective (7).
Problème posé. Mais qu'en est-il lorsque le salarié prétend bénéficier d'une indemnité conventionnelle de licenciement en vertu d'une clause de son contrat de travail qui lui en reconnaît le bénéfice, et ce alors que l'accord collectif en cause n'est pas normalement applicable dans l'entreprise ?
Solutions admises antérieurement. Jusqu'à présent, la Cour de cassation n'avait pas fourni de réponse très claire à cette question.
Dans une affaire précédente, la qualification de clause pénale avait été retenue par les juges du fond alors que le salarié tirait également le droit à l'indemnité conventionnelle de son contrat de travail (8). La Cour de cassation avait également admis la qualification de clause pénale dans une hypothèse où l'indemnité avait été accordée au salarié par une "délibération du conseil d'administration de la société [...] prévoyant qu'en cas de licenciement de l'intéressée, l'indemnité de licenciement ne pourra être inférieure à vingt quatre mois de salaire" et qui "avait été soumise à la salariée qui avait donné son agrément" (9).
L'exclusion de la clause pénale. Cette fois-ci, la qualification de clause pénale est écartée de la manière la plus claire qui soit, ce qui nous semble extrêmement discutable.
Les faits. Une salariée avait été engagée le 6 juillet 1988, avec reprise d'ancienneté de quinze années, par la Mutuelle française des professions de santé (MFPS) dont elle avait été nommée directrice en octobre 1997. Son contrat de travail, régi par la Convention collective de la mutualité , prévoyait qu'elle pouvait se prévaloir des dispositions plus favorables de la Convention collective des cadres de direction des sociétés d'assurances . Elle avait été licenciée le 14 octobre 2005 et obtenu en appel la condamnation de son employeur à lui payer intégralement l'indemnité de licenciement prévue par la Convention collective des cadres de direction des sociétés d'assurance.
Parmi les arguments avancés dans le pourvoi pour contester le refus de réduire le montant de cette indemnité au titre des pouvoirs que le juge tire de la qualification de clause pénale, l'employeur prétendait notamment que "l'indemnité de licenciement, lorsqu'elle est prévue par le contrat de travail, a le caractère d'une clause pénale et peut être réduite par le juge si elle présente un caractère manifestement excessif".
Or, tel n'est pas l'avis de la Chambre qui réaffirme le principe selon lequel "lorsque les parties contractantes conviennent de l'application au contrat de travail d'une convention collective autre que celle applicable de droit, l'indemnité de licenciement prévue par ladite convention collective revêt la nature d'une indemnité conventionnelle non susceptible d'être réduite par le juge".
C'est cette analyse qui nous semble discutable.
II - La qualification d'indemnité conventionnelle de licenciement en question
Justification de la solution. Dans l'hypothèse qui nous intéresse ici, les parties s'entendent pour faire application au salarié des dispositions d'un accord collectif autre que celui qui doit normalement s'appliquer. Elles pourraient décider de contractualiser purement et simplement l'indemnité conventionnelle de licenciement, mais elles ne le font pas et préfèrent faire application de l'indemnité stipulée par un autre accord que celui qui s'applique de plein droit dans l'entreprise. Il s'agit donc, pour la Cour de cassation, de l'hypothèse d'une application volontaire de l'accord collectif en cause ; si les dispositions de l'accord collectif viennent à être révisées, le salarié ne pourra ainsi pas prétendre que son contrat de travail a été modifié car celui-ci, en acceptant la référence à une source externe, accepte par là même que l'objet de cet accord puisse varier.
Critique. L'analyse nous paraît toutefois très artificielle et peu conforme à la nature réelle de cette indemnité.
La possibilité reconnue au juge par l'article 1152 du Code civil de modérer les clauses pénales suppose que l'on soit bien en présence d'une disposition contractuelle, c'est-à-dire qui puise son caractère obligatoire dans la volonté commune des parties et non dans une source externe, comme peut l'être la loi ou le règlement. Appliqué en droit du travail, ce raisonnement suppose que la clause en question ne puise pas son caractère obligatoire dans une source externe à la volonté des parties. Selon la Cour de cassation, tel est le cas lorsque les parties au contrat de travail s'entendent pour faire application de tout ou partie des dispositions d'un accord collectif qui n'est normalement pas applicable dans l'entreprise ; dans cette hypothèse, et toujours à en croire la Cour de cassation, l'indemnité de licenciement conserve sa nature conventionnelle puisqu'elle résulte de l'application de l'accord collectif.
C'est ici que le raisonnement nous semble pêcher. La qualification d'indemnité "conventionnelle" ne peut, en effet, valoir que si l'accord collectif qui contient cette indemnité s'impose à la volonté des parties, c'est-à-dire si l'entreprise s'y trouve soumise en raison du champ d'application de ce dernier. Dans ce cas, les critères d'application de l'accord sont d'ordre public et les parties ne sauraient s'y soustraire ; tout au plus peuvent-elle mettre l'accord en concours avec le contrat de travail et privilégier l'application de ce dernier en stipulant au bénéfice du salarié des dispositions plus favorables que celles concurrentes de l'accord ; mais dans cette hypothèse l'accord collectif demeure applicable, simplement ses dispositions moins favorables ne s'appliqueront pas en raison de leur caractère moins favorable.
Tel n'est pas le cas dans cette affaire. Si l'indemnité de licenciement devait ici s'appliquer, c'était, en effet, uniquement parce que les parties au contrat de travail l'avaient voulu, et nullement parce qu'elles y étaient contraintes. La force obligatoire de l'indemnité résidait donc non pas dans le caractère impératif de l'accord collectif, qui ne s'appliquait pas dans l'entreprise, mais dans la volonté commune des parties, peu important que cette clause soit issue d'un autre accord collectif ; en jugeant le contraire, la Cour de cassation semble donc confondre l'instrumentum, ici l'accord collectif porteur de la clause, et le negotium, c'est-à-dire le contenu même de l'accord qui, en réalité, n'était obligatoire que par le biais du contrat de travail.
(1) H. Blaise, La révision judiciaire des indemnités contractuelles de licenciement, Dr. soc., 1980, p. 365 et s..
(2) Cass. soc., 27 février 1986, n° 84-41.794, publié (N° Lexbase : A7688AGT), Bull. civ. V, n° 49.
(3) Cass. soc., 17 mars 1998, n° 95-43.411, publié (N° Lexbase : A2545ACA), Bull. civ. V, n° 142 ; Cass. soc., 31 mars 1999, n° 97-41.011, inédit (N° Lexbase : A8098C73) ; Cass. soc., 3 décembre 2002, n° 00-44.423, inédit (N° Lexbase : A1981A47) ; Cass. soc., 21 septembre 2005, n° 03-45.827, inédit (N° Lexbase : A5107DKD) ; Cass. soc., 20 décembre 2006, n° 05-43.409, inédit (N° Lexbase : A1131DT3); Cass. soc., 21 février 2007, n° 04-48.103, inédit (N° Lexbase : A2818DUW) ; Cass. soc., 5 juin 2008, n° 06-45.316, inédit (N° Lexbase : A9240D8Q) ; Cass. soc., 7 juillet 2009, n° 07-45.555, inédit (N° Lexbase : A7236EIT) ; Cass. soc., 18 novembre 2009, n° 08-42.830, inédit (N° Lexbase : A7577ENX) ; Cass. soc., 24 mars 2010, n° 08-41.861, inédit (N° Lexbase : A1503EU9) ; Cass. soc., 18 janvier 2011, n° 09-40.426, inédit (N° Lexbase : A2782GQ4) ; Cass. soc., 1er février 2011, n° 09-67.144, inédit (N° Lexbase : A3549GRU).
(4) Cass. soc., 28 septembre 2010, n° 09-41.406, inédit (N° Lexbase : A7625GAN) : n'est pas une clause pénale "la clause en litige [...] convenue dans le but d'inciter le salarié à quitter un emploi stable pour occuper un emploi dans une entreprise dont les difficultés étaient notoires, et qu'elle n'avait pas pour objet de déterminer à l'avance quelle serait la sanction pécuniaire applicable au cas où l'une des parties n'exécuterait pas ses obligations".
(5) Cass. soc., 10 juin 1976, n° 74-40.577, publié (N° Lexbase : A9262CG7), Bull. civ. V, n° 359.
(6) Cass. soc., 26 mai 1999, n° 96-43.614, publié (N° Lexbase : A0841CKD), Bull. civ. V, n° 236.
(7) Cass. soc., 28 mai 2008, n° 07-41.079, inédit (N° Lexbase : A7923D8X). Dans cette affaire le salarié tirait son droit de son contrat de travail.
(8) Cass. soc., 12 janvier 2005, n° 02-42.722, inédit (N° Lexbase : A0148DGL) : "contrat de travail précisant que la 'convention collective des industries des métaux n'est pas applicable au présent contrat en vertu de l'article 1, 6', et stipulant en son article 9 que tout licenciement non motivé par une faute professionnelle grave et notamment en cas de fermeture de l'établissement [...] donnera lieu au versement d'une indemnité de licenciement calculée selon la convention collective précitée, avec reprise d'ancienneté à compter du 1er janvier 1964 [...] la cour d'appel a relevé que l'indemnité litigieuse résultait d'une clause contractuelle prévoyant uniquement son mode de calcul par référence à la convention collective visée au moyen et que cette convention était par ailleurs expressément écartée par le contrat de travail, ce qui excluait tout engagement unilatéral de l'employeur ; qu'ayant retenu que cette clause ne profitait qu'au salarié et limitait la liberté de licenciement, elle a pu décider, sans dénaturation et sans avoir à répondre à des conclusions inopérantes, qu'il s'agissait d'une clause pénale".
(9) Cass. soc., 18 décembre 2001, n° 99-46.366, inédit (N° Lexbase : A7312AX4).
Décision
Cass. soc., 9 novembre 2011, n° 09-43.528, FS-P+B (N° Lexbase : A8921HZG) Rejet, CA Paris, Pôle 6, 10ème ch., 20 octobre 2009, n° 07/04809 N° Lexbase : A6981EMI) Textes concernés : C. civ., art. 1152 (N° Lexbase : L1253ABZ) Mots-clés : accord collectif, indemnité de licenciement, clause pénale Liens base : (N° Lexbase : E2279ETL) |
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