Lexbase Social n°462 du 17 novembre 2011 : Droit disciplinaire

[Brèves] A propos de la géolocalisation des salariés : la CNIL et la Cour de cassation à l'unisson

Réf. : Cass. soc., 3 novembre 2011, n° 10-18.036, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5253HZL)

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N8765BSG

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[Brèves] A propos de la géolocalisation des salariés : la CNIL et la Cour de cassation à l'unisson. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/5629932-breves-a-propos-de-la-geolocalisation-des-salaries-la-cnil-et-la-cour-de-cassation-a-lunisson
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 15 Novembre 2011

Les développements technologiques contemporains permettent, via notamment le système GPS désormais présent dans la plupart des téléphones mobiles et dans de nombreux véhicules, de localiser en permanence leurs détenteurs, au risque de faire exploser les frontières entre vie privée et vie professionnelle. La Commission nationale de l'informatique et des libertés avait rendu en 2006 une recommandation fixant le cadre restrictif du recours à la géolocalisation des salariés. Reprenant les termes de celle-ci (I), la Chambre sociale de la Cour de cassation, dans un arrêt en date du 3 novembre 2011, précise les conditions dans lesquelles les employeurs pourront y avoir recours dans des termes qui nous semblent par certains aspects discutables (II).
Résumé

L'utilisation d'un système de géolocalisation pour assurer le contrôle de la durée du travail, laquelle n'est licite que lorsque ce contrôle ne peut pas être fait par un autre moyen, n'est pas justifiée lorsque le salarié dispose d'une liberté dans l'organisation de son travail.

Un système de géolocalisation ne peut être utilisé par l'employeur pour d'autres finalités que celles qui ont été déclarées auprès de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, et portées à la connaissance des salariés.

Commentaire

I - Géolocalisation des salariés et respect des obligations déclaratives des entreprises

Problématique. Qu'on se situe dans le cadre de la santé et de la sécurité au travail, ou dans celui du paiement des heures supplémentaires, l'employeur doit réaliser un décompte de la durée de travail de ses salariés et contrôler celle-ci pour s'assurer de bien respecter les nombreuses obligations qui pèsent sur lui.

Les bases textuelles de cette obligation de contrôle de la durée du travail sont nombreuses et résultent soit des dispositions du droit de l'Union (1), soit du droit interne. Certaines sont applicables à tous les salariés, comme l'article L. 3171-3 du Code du travail (N° Lexbase : L0780H9R) qui impose à l'employeur de tenir "à la disposition de l'inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié" (2), ou l'article L. 3171-4 du même Code (N° Lexbase : L0783H9U) aux termes duquel "en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié". Ce même texte précise d'ailleurs, dans son alinéa 3, que "si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable".

D'autres dispositions sont propres à certaines catégories de travailleurs, comme celles qui concernent les cadres soumis au régime des forfaits-jours car le contrôle de leur durée du travail constitue l'une des conditions de validité des accords collectifs qui les mettent en place et leur respect une nécessité pour que l'employeur puisse en opposer le régime au salarié (3), l'article L. 3121-46 du Code du travail (N° Lexbase : L3891IBQ) imposant, d'ailleurs, à l'employeur d'organiser un entretien annuel portant notamment sur sa "charge de travail".

L'employeur doit donc contrôler la durée de travail de ses salariés, personne ne le contestera ; mais peut-il utiliser pour ce faire les données de géolocalisation ?

C'est à cette question délicate que répond négativement la Cour de cassation dans cet arrêt en date du 3 novembre 2011, mais dans un contexte très particulier qu'il convient de bien analyser notamment pour en apprécier la portée.

Les faits. Un salarié, engagé en 1993 en qualité de vendeur niveau 4 échelon 2 de la convention collective du commerce de gros, a été affecté sur un secteur d'activité comprenant les départements de l'Yonne et de l'Aube, l'intéressé, tenu à un horaire de 35 heures par semaine, étant libre de s'organiser, à charge pour lui de respecter le programme fixé et de rédiger un compte-rendu journalier précis et détaillé, lequel, selon le contrat de travail, devait faire la preuve de son activité. Le 17 mai 2006, son employeur lui a notifié la mise en place d'un système de géolocalisation sur son véhicule afin de permettre l'amélioration du processus de production par une étude a posteriori de ses déplacements et pour permettre une optimisation des visites effectuées. Par lettre du 20 août 2007, le salarié a pris acte de la rupture de son contrat de travail en reprochant à son employeur d'avoir calculé sa rémunération sur la base du système de géolocalisation du véhicule.

La cour d'appel de Paris ayant considéré la prise d'acte justifiée et fait droit aux demandes d'indemnités diverses du salarié, l'employeur avait formé un pourvoi en cassation contre cette décision. Il reprochait à la cour d'appel d'avoir dénaturé les termes du contrat de travail et d'avoir mal apprécié la finalité de la mise en place du système de géolocalisation.

Ces arguments n'ont pas convaincu la Haute juridiction qui rejette le pourvoi et confirme ainsi l'impossibilité pour l'employeur d'invoquer, dans cette affaire, les informations collectées grâce au système de géolocalisation installé dans le véhicule du salarié dans le cadre du contentieux salarial.

Après avoir repris les termes de l'article L. 1121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0670H9P) ("nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché"), la Cour affirme que "l'utilisation d'un système de géolocalisation pour assurer le contrôle de la durée du travail, laquelle n'est licite que lorsque ce contrôle ne peut pas être fait par un autre moyen, n'est pas justifiée lorsque le salarié dispose d'une liberté dans l'organisation de son travail". Par ailleurs, la Cour indique "qu'un système de géolocalisation ne peut être utilisé par l'employeur pour d'autres finalités que celles qui ont été déclarées auprès de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, et portées à la connaissance des salariés".

Or, la cour d'appel avait constaté, d'une part, "que selon le contrat de travail, le salarié était libre d'organiser son activité selon un horaire de 35 heures, à charge pour lui de respecter le programme d'activité fixé et de rédiger un compte-rendu journalier précis et détaillé, lequel de convention expresse faisait preuve de l'activité du salarié", et, d'autre part, "que le dispositif avait été utilisé à d'autres fins que celles qui avait été portées à la connaissance du salarié". Dans ces conditions, "cette utilisation était illicite et [...] constituait un manquement suffisamment grave justifiant la prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur".

II - Géolocalisation et protection des données : le rôle central de la CNIL (recommandation du 16 mars 2006)

Géolocalisation et libertés des personnes. La géolocalisation porte évidemment atteinte à de très nombreuses droits ou libertés des personnes en général et des salariés en particulier (4). Dernièrement, la CEDH a d'ailleurs indiqué, comme on pouvait s'y attendre, qu'elle constituait "une ingérence dans la vie privée de l'intéressé, telle que protégée par l'article 8 § 1 de la Convention (N° Lexbase : L4798AQR)" (5), le droit français dispose, avec la loi dite "informatique et libertés", de règles destinées à concilier les différents intérêts en présence.

Recommandation du 16 mars 2006. L'article 6, 2° de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 (N° Lexbase : L8794AGS) modifiée pose d'une manière générale le principe selon lequel des données à caractère personnel ne peuvent être collectées que "pour des finalités déterminées, explicites et légitimes". La CNIL a émis le 16 mars 2006 une recommandation relative à la mise en oeuvre de dispositifs destinés à géolocaliser les véhicules automobiles utilisés par les employés d'organismes privés ou publics (6).

Détermination des motifs légitimes de recours à la géolocalisation. Dans cette recommandation, la CNIL a souligné les motifs professionnels légitimes qui peuvent justifier le recours à la géolocalisation des salariés, notamment "la spécificité du transport des personnes ou de marchandises par route dont les conditions d'exécution sont encadrées par une réglementation spécifique imposant, notamment, aux employeurs de détenir des informations précises sur l'activité des chauffeurs par l'intermédiaire de la mise en oeuvre de chronotachygraphes".

La CNIL rappelle qu'en raison des atteintes que réalise la géolocalisation aux droits et libertés des personnes, son admission doit être exceptionnelle et les motifs légitimes d'y recourir appréciés avec rigueur ; elle y définit d'ailleurs, elle-même, une liste de motifs considérés comme légitimes et présentés par la Commission comme étant limitative : il s'agit d'assurer "la sûreté ou la sécurité de l'employé lui-même ou des marchandises ou véhicules dont il a la charge (travailleurs isolés, transports de fonds et de valeurs, etc.)", de permettre "une meilleure allocation des moyens pour des prestations à accomplir en des lieux dispersés, (interventions d'urgence, chauffeurs de taxis, flottes de dépannage, etc.)", d'assurer "le suivi et la facturation d'une prestation de transport de personnes ou de marchandises ou d'une prestation de services directement liée à l'utilisation du véhicule (ramassage scolaire, nettoyage des accotements, déneigement routier, patrouilles de service sur le réseau routier, etc.)", et enfin "le suivi du temps de travail, lorsque ce suivi ne peut être réalisé par d'autres moyens" ; on aura reconnu au passage la justification également retenue par la Cour de cassation dans cet arrêt.

La Commission rappelle que, conformément aux dispositions de l'article 9 de la loi de 1978, les informations collectées ne peuvent être utilisées pour établir l'existence d'infractions pénales, notamment en matière de non-respect des vitesses maximales autorisées. Dans un arrêt rendu par la cour d'appel de Dijon le 14 septembre 2010 (CA Dijon, ch. soc.,, 14 septembre 2010, n° 09/0057 N° Lexbase : A6974E98), l'employeur prétendait, en effet, exploiter les données collectées notamment pour caractériser des infractions commises par le salarié au Code de la route.

Proportionnalité des atteintes aux libertés des salariés. La CNIL a directement relié "l'absence d'autonomie de l'employé dans l'organisation de son travail" et le caractère proportionné des atteintes à ses libertés en considérant en substance que la mise en oeuvre de la géolocalisation ne faisait pas peser sur ses salariés de contraintes supplémentaires, suggérant en creux que tel ne serait pas le cas de salariés disposant d'une réelle "autonomie dans l'organisation de son travail". C'est donc directement dans la délibération de 2006 que la Cour de cassation a trouvé son critère de l'autonomie du salarié dans l'organisation de son temps de travail présent dans l'arrêt du 3 novembre 2011 (cf. infra).

La CNIL a, également, introduit une différence entre les salariés chargés du transport de biens ou de personnes, et les autres, considérant qu'"il existe ainsi une différence de nature entre la géolocalisation des employés en charge d'une prestation directement liée à l'utilisation d'un véhicule (transport de personnes ou de marchandises mais aussi intervention sur le réseau routier, avec des véhicules spécifiques assurant notamment le déneigement, la collecte des ordures ménagères, etc.) et celle des employés pour lesquels l'utilisation d'un véhicule n'est qu'un moyen d'accomplir leur mission" et qui nécessitent une protection plus particulière.

La CNIL considère, en revanche, que "l'utilisation d'un système de géolocalisation ne saurait être justifiée lorsqu'un employé dispose d'une liberté dans l'organisation de ses déplacements (visiteurs médicaux, VRP, etc.)" car "l'utilisation d'un dispositif de géolocalisation ne doit pas conduire à un contrôle permanent de l'employé concerné", ce qui interdit de "collecter des données relatives à la localisation d'un employé en dehors des horaires de travail de ce dernier". La Commission considère donc que les salariés doivent avoir la "possibilité de désactiver la fonction de géolocalisation des véhicules à l'issue de leur temps de travail lorsque ces véhicules peuvent être utilisés à des fins privées", et rappelle que les salariés "investis d'un mandat électif ou syndical ne doivent pas être l'objet d'une opération de géolocalisation lorsqu'ils agissent dans le cadre de l'exercice de leur mandat", ce qui implique également un droit à la délocalisation lorsqu'ils sont dans l'exercice de ce mandat.

Durée de conservation. Les informations collectées ne peuvent être conservées "que pour une durée pertinente au regard de la finalité du traitement qui a justifié cette géolocalisation", durée estimée par la Commission à deux mois. Mais la CNIL admet que l'employeur puisse conserver cinq ans, dans le cadre de la prescription quinquennale des gains et salaires, les données destinées à assurer "le suivi du temps de travail" au travers des "horaires effectués".

Information préalable des salariés. Enfin, la Commission rappelle que "le responsable du traitement doit procéder, conformément aux dispositions du Code du travail et à la législation applicable aux trois fonctions publiques, à l'information et à la consultation des instances représentatives du personnel avant la mise en oeuvre d'un dispositif de géolocalisation des employés" et que "conformément à l'article 32 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée en août 2004 et à l'article 34-1 IV du Code des postes et des communications électroniques (N° Lexbase : L0097IRZ), les employés doivent être informés individuellement, préalablement à la mise en oeuvre du traitement : de la finalité ou des finalités poursuivie(s) par le traitement de géolocalisation ; des catégories de données de localisation traitées ; de la durée de conservation des données de géolocalisation les concernant ; des destinataires ou catégories de destinataires des données ; de l'existence d'un droit d'accès, de rectification et d'opposition et de leurs modalités d'exercice ; le cas échéant, des transferts de données à caractère personnel envisagés à destination d'un Etat non membre de la Communauté européenne". Chaque employé doit enfin "pouvoir avoir accès aux données issues du dispositif de géolocalisation le concernant en s'adressant au service ou à la personne qui lui aura été préalablement indiqué".

Procédure de déclaration. Les entreprises qui remplissent l'ensemble de ces conditions bénéficieront de la procédure de la déclaration simplifiée n° 51 (7).

Importance du respect de la loi "informatique et libertés". Dans cet arrêt qui conduit à écarter en l'espèce les données issues de la géolocalisation du salarié, la Chambre sociale de la Cour de cassation indique qu'"un système de géolocalisation ne peut être utilisé par l'employeur pour d'autres finalités que celles qui ont été déclarées auprès de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, et portées à la connaissance des salariés".

Sans même s'interroger sur la conformité de la géolocalisation au regard des dispositions propres au Code du travail assurant la protection des droits et libertés des salariés, les informations collectées par l'employeur grâce à un dispositif de géolocalisation ne pourront donc être exploitées et opposées au salarié qui ce dispositif a été régulièrement déclaré à la CNIL, comme cela avait déjà été jugé à propos des badgeuses (8), et que l'utilisation faite de la géolocalisation est conforme à celle qui a été déclarée, comme l'indique ici la Haute juridiction de manière inédite ; un système déclaré pour améliorer l'activité de l'entreprise ne pourra donc pas servir à mesurer la durée du travail, c'est désormais une certitude.

En refusant de prendre en compte des données collectées illégalement, et en en tirant comme conséquence le droit pour le salarié de prendre acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur, la Chambre sociale de la Cour de cassation confirme ainsi, dans le cadre particulier de la prise d'acte et de la mesure du temps de travail du salarié, des solutions adoptées par certaines juridictions du fond, singulièrement par la cour d'appel de Dijon qui, le 14 septembre 2010, avait considéré comme injustifié le licenciement d'un salarié justifié par des données collectées par un dispositif de géolocalisation non déclaré à la CNIL (9).

Cette solution est conforme en tous points à la position adoptée par la Commission nationale de l'informatique et des libertés en matière de géolocalisation.

Sanction du non-respect des obligations déclaratives. Dans son "guide" la CNIL avait d'ailleurs, elle-même, rappelé que les sanctions encourues par les employeurs qui ne respectent pas leurs obligations déclaratives sont, outre celles encourues sur le plan pénal (10), l'inopposabilité aux salariés.

Cet arrêt s'inscrit donc dans cette lignée et colle parfaitement aux conclusions de la CNIL, même si théoriquement rien ne l'y oblige puisque les questions en jeu sont distinctes.

Mais il suffit donc que l'employeur n'ait pas respecté les préconisations de la Haute autorité pour qu'il perdre le droit de se prévaloir des informations collectées, et ce sans que la question de la conformité de ces informations aux propres exigences du droit du travail ne soit ici en cause. Il ne s'agit donc ici que d'une application du principe de la légalité de la preuve civile qui interdit de retenir un élément qui aurait été obtenu de manière illicite.

Cette exigence est particulièrement intéressante car elle permet de répondre à certaines questions que l'on pourrait se poser à la lecture de la décision qui, rappelons-le, ne concerne que la géolocalisation comme mode de contrôle de la durée du travail.

Or, on sait que la mise en place de la géolocalisation peut reposer sur d'autres motifs : contrôler les conditions d'utilisation du véhicule assuré en vue d'adapter le calcul de la prime d'assurance, lutter contre le vol des véhicules ou des biens que celui peut transporter, apporter une assistance ou un secours d'urgence en cas d'incident ou d'accident, ou encore améliorer le service rendu par les entreprises à leurs clients.

Position de la CNIL à l'égard de la géolocalisation des véhicules par les assureurs auto. Par une délibération n° 2005-278 du 17 novembre 2005, la CNIL a refusé d'autoriser la mise en oeuvre d'un traitement par l'assureur d'informations collectées par géolocalisation des véhicules dans la mesure où celui-ci supposait la constatations d'infractions au Code de la route relatives aux limitations de vitesse, en contradiction avec l'article 9 de la loi de 1978 qui réserve cette compétence aux seules personnes morales gérant un service public.

La Cnil a, par ailleurs, considéré que la conservation systématiques de données relatives à la localisation des véhicules utilisés à titre privé à des fins de modulation de tarifs d'assurance automobile était de nature à porter atteinte à la liberté d'aller et venir anonymement dans des proportions injustifiées.

Dans sa délibération en date du 8 avril 2010, la CNIL a indiqué que "les données collectées dans le cadre de la mise en oeuvre d'un dispositif de géolocalisation des véhicules par les compagnies d'assurance et les constructeurs automobiles doivent être adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités pour lesquelles le traitement est mis en oeuvre" (11).

Par ailleurs, la CNIL souhaite que la collecte ne fasse pas peser sur les conducteurs un stress qui serait susceptible d'altérer la qualité de leur conduite, "concernant les autres items collectés, la Commission recommande de ne pas les multiplier et de s'en tenir à des dispositifs simples : la multiplication des données contrôlées serait en effet de nature à engendrer pour les conducteurs un sentiment de pression et de surveillance constante aboutissant à l'inverse du but poursuivi. Elle relève notamment que si la collecte des données relatives à la façon de conduire (par exemple, le recueil des accélérations ou décélérations du véhicule, généralement utilisé pour d'autres finalités comme l'éco-conduite) est possible techniquement, leur traitement afin de les traduire en termes de conduite à risque soulève de difficiles problèmes d'interprétation et de proportionnalité".

La durée de conservation doit être strictement limitée au temps nécessaire au traitement.

La CNIL rappelle également qu'en toutes hypothèses les automobilistes doivent être informés des conditions précises d'utilisation de la géolocalisation, et ce conformément à l'article 32 de la loi du 6 janvier 1978 (12). Cette information doit par ailleurs être précise ; dans l'arrêt rendu par la cour d'appel de Dijon le 14 septembre 2010, les magistrats avaient considéré que tel n'était pas le cas d'une note de service indiquant, "de manière sibylline", que "le service E. dispose de moyens informatiques destinés à gérer plus facilement les déplacements et suivi de clientèle".

La CNIL rappelle, d'ailleurs, le droit pour tout conducteur de refuser à tout moment d'être géolocalisé et singulièrement de désactiver le système. Ce droit se traduit par la mise en place d'un système manuel de désactivation, lorsqu'il s'agit de protéger le véhicule contre le vol, mais peut entraîner des conséquences contractuelles singulièrement lorsque les tarifs de l'assurance sont calculés sur le kilométrage exact des véhicules. On peut s'interroger sur la conciliation de ce droit avec l'obligation qui pourrait être faite au salarié d'être géolocalisé pour un motif professionnel légitime.

III - Géolocalisation et contrôle de la durée du travail

Cadre juridique applicable. Quelle que soit la finalité des dispositifs de géolocalisation installés à bord des véhicules d'entreprise confiés aux salariés, ces derniers portent incontestablement atteinte aux droits et libertés des salariés, à commencer par le droit au respect de la vie privée qui survit à la conclusion du contrat de travail (13). C'est dire s'il semble naturel de soumettre la mise en place de ces dispositifs aux conditions procédurales (14) et substantielles imposées à toutes les atteintes réalisées aux droits et libertés (15).

Reprenant, en se les appropriant, les analyses de la CNIL telles qu'elles ressortent explicitement de la recommandation en date du 16 mars 2006, la Chambre sociale de la Cour de cassation pose deux règles qui justifient, indépendamment cette fois-ci de la question du respect par l'employeur de ses obligations déclaratives, la solution adoptée : "l'utilisation d'un système de géolocalisation pour assurer le contrôle de la durée du travail, laquelle n'est licite que lorsque ce contrôle ne peut pas être fait par un autre moyen, n'est pas justifiée lorsque le salarié dispose d'une liberté dans l'organisation de son travail".

Or, le moins que l'on puisse dire est que cette analyse est loin d'être indiscutable.

"L'utilisation d'un système de géolocalisation pour assurer le contrôle de la durée du travail, laquelle n'est licite que lorsque ce contrôle ne peut pas être fait par un autre moyen". A en croire la Cour de cassation, la géolocalisation serait donc, lorsqu'il s'agit d'assurer le contrôle de la durée du travail (l'arrêt ne contient aucune indication sur d'autres motifs), le pire des moyens acceptables, très certainement parce que l'employeur sait à tout moment où se trouve son salarié.

L'affirmation est étrange car on ne comprend pas en quoi le fait que le salarié soit localisable en permanence serait attentatoire à ses libertés personnelles dès lors qu'il s'agit de mesurer et de contrôler son temps de travail. Certes, il est exclu que l'employeur puisse étendre sa surveillance pendant le temps où le salarié est en pause, ou, à plus forte raison, en dehors de son temps de travail, et le salarié doit pouvoir déconnecter le dispositif de géolocalisation lorsqu'il ne se trouve plus sur son temps de travail, y compris, serait-on tenté de dire, si l'employeur lui interdit l'usage personnel du véhicule professionnel ; il suffira alors à l'employeur de prouver que le véhicule n'a pas été ramené dans l'entreprise en temps et en heure pour caractériser la faute du salarié, sans qu'il soit nécessaire de le géolocaliser.

L'affirmation, par sa généralité, semble alors en décalage avec la méthode même devant conduire à déterminer si une atteinte aux droits et libertés du salarié est ou non justifiée, et proportionnée, car tout est affaire de circonstances.

Dans cette affaire, il semble toutefois que la présence dans le contrat de travail d'une clause lui faisant obligation de "rédiger un compte-rendu journalier précis et détaillé, lequel [...] devait faire la preuve de son activité" a joué un rôle important. Si les parties se sont entendues sur la preuve de l'activité du salarié, alors la mise en oeuvre d'un autre dispositif plus attentatoire aux libertés est discutable car l'employeur ne respecte alors pas le contrat de travail. Mais c'est alors vers l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) qu'il convient de rechercher la raison d'être de la décision, plutôt que dans l'article L. 1121-1 du Code du travail qui s'accommode mal de ce genre d'affirmations par trop générales.

Il n'est d'ailleurs pas certain que cette affirmation soit parfaitement opérationnelle dans la mesure où la Cour, reprenant les propres termes de la CNIL, fait exception au principe "lorsque ce contrôle ne peut pas être fait par un autre moyen". Il ne sert alors à rien de dire que la géolocalisation ne doit être admise pour mesurer la durée du travail que si elle apparaît comme le moyen efficace le moins attentatoire aux droits et libertés du salarié possible, car c'est de l'essence même du contrôle de proportionnalité que de n'admettre comme licite que les moyens les moins attentatoires aux libertés... Bref, la formule nous semble soit inadaptée, soit trop abstraite, soit inutile...

"L'utilisation d'un système de géolocalisation pour assurer le contrôle de la durée du travail, [...] n'est pas justifiée lorsque le salarié dispose d'une liberté dans l'organisation de son travail". La Cour de cassation ne motive pas non plus cette affirmation qu'elle reprend de la délibération de la CNIL du 16 mars 2006, et c'est sans doute dans cette dernière qu'il convient de la recherche ; or, pour la CNIL, il convient de ne pas infliger à un salarié bénéficiant d'une grande liberté d'organisation dans son travail de contrainte supplémentaire inutile.

Qu'il nous soit de nouveau permis de formuler des réserves concernant la pertinence de cette affirmation et de considérer qu'une affirmation exactement inverse semblerait plus juste. Un salarié qui ne dispose d'aucune liberté dans l'organisation de son travail (exemple du travail posté à heures fixes) n'a nullement besoin d'être géolocalisé dans la mesure où son employeur sait toujours où et quand le trouver, et peut ainsi contrôler de visu s'il respecte les durées légales en matière de travail et de repos. Lorsque le salarié bénéficie, au contraire, d'une large autonomie, c'est là que la géolocalisation présente un intérêt car elle permet de contrôler malgré tout le respect par le salarié de ses temps de travail, de pause et de repos. Il n'est donc pas contradictoire de lier ce mode de contrôle, qui implique une réelle dépendance du salarié, et sa liberté d'action, car les deux s'équilibrent bien au contraire.

Conclusion. Au final, s'il semble justifié de lier la production des éléments de preuve récoltés par le biais d'un système de géolocalisation au respect par l'employeur de ses obligations déclaratives vis-à-vis de la CNIL, il ne semble pas nécessaire de raisonner comme elle dans le cadre des règles de fond applicables aux relations de travail.


(1) Notamment la Directive 2003/88 du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail (N° Lexbase : L5806DLM), art. 22.
(2) La liste de ces documents est déterminée par les articles D. 3171-16 (N° Lexbase : L9116H9I) et D. 3171-17 (N° Lexbase : L9114H9G) du Code du travail.
(3) Cass. soc., 29 juin 2011, n° 09-71.107, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5499HU9), et voir les obs. de S. Tournaux, Forfaits-jours : compromis à la française !, Lexbase Hebdo n° 447 du 7 juillet 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N6810BSZ).
(4) Lire l'étude Les conditions de mise en place d'un système de géolocalisation, Lexbase Hebdo n° 117 du 21 avril 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N1330ABU). Lire également J.-E. Ray, Le droit du travail à l'épreuve des NTIC, Liaisons, 2ème édition, 2001, p. 112 s. ; M.-P. Fenoll-Trousseau et G. Haas, La cybersurveillance dans l'entreprise et le droit, Litec, 2002, n° 19 s. ; I. de Benalcazar, Droit du travail et nouvelles technologies, Montchrestien, 2003, n° 54 s..
(5) CEDH, 2 septembre 2010, Req. 35623/05 (N° Lexbase : A4238E8H). H. Matsopoulou, La surveillance par géolocalisation à l'épreuve de la Convention européenne des droits de l'Homme, D., 2011 p. 724.
(6) Délibération n° 2006-066 du 16 mars 2006. Sur laquelle lire notamment les conseils de S. Niel, Géolocalisation : outil de gestion RH, Les Cahiers du DRH 2008, n° 140.
(7) Délibération du 16 mars 2006, préc..
(8) Cass. soc., 6 avril 2004, n° 01-45.227, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8004DB3), v. nos osb., L'entreprise, espace privé d'exercice des libertés publiques, Lexbase Hebdo n° 116 du 14 avril 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N1239ABI).
(9) CA Dijon, ch. soc.,, 14 septembre 2010, n° 09/0057, préc., Gaz. Pal., 28 octobre 2010, n° 301, p. 3, note C. Kleitz.
(10) C. pén., art. 226-16 (N° Lexbase : L4476GTX), 5 ans d'emprisonnement et 300.000 d'euros d'amende.
(11) Délibération n° 2010-096 du 8 avril 2010, portant recommandation relative à la mise en oeuvre, par les compagnies d'assurance et les constructeurs automobiles, de dispositifs de géolocalisation embarqués dans les véhicules.
(12) L'information préalable doit porter sur la ou les finalités poursuivies par le traitement, les catégories de données collectées, la durée de conservation des données de géolocalisation les concernant, les destinataires ou catégories de destinataires des données, l'existence d'un droit d'accès, de rectification et d'opposition et de leurs modalités d'exercice et, le cas échant, des transferts de données à caractère personnel envisagés à destination d'un Etat non membre de l'Union européenne.
(13) Vie privée : Pour vivre heureux, vivons cachés, Gaz. Pal., 28 octobre 2010, n° 301, p. 3.
(14) Information et consultation du comité d'entreprise (C. trav., art. L. 2323-32 N° Lexbase : L2810H9X), et certainement du CHSCT au titre de ses compétences générales.
(15) Principe de nécessité et de proportionnalité des atteintes (C. trav., art. L. 1121-1).

Décision

Cass. soc., 3 novembre 2011, n° 10-18.036, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5253HZL)

Rejet, CA Paris, Pôle 6, 6ème ch., 24 mars 2010, n° 08/08498 (N° Lexbase : A2665EUA)

Textes concernés : C. trav., art. L. 1121-1 (N° Lexbase : L0670H9P)

Mots-clés : géolocalisation, licéité, CNIL, durée du travail

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