La lettre juridique n°752 du 6 septembre 2018 : Éditorial

L'univers juridique d'Astérix : de la sensibilisation au droit grâce au Gaulois le plus célèbre du monde

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L'univers juridique d'Astérix : de la sensibilisation au droit grâce au Gaulois le plus célèbre du monde. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/47685273-l-univers-juridique-d-asterix-de-la-sensibilisation-au-droit-grace-au-gaulois-le-plus-celebre-du-mon
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par Fabien Girard, Directeur de la publication

le 06 Septembre 2018

Dans la lignée de mon plaidoyer pour de nouveaux formats en matière juridique, où je faisais la promotion, il y a peu, des infographies Lexbase et de Lexradio, la première webradio du droit en France, je suis persuadé que ce qui manque à l’édition juridique, non seulement pour que le droit soit intelligible par tous ceux qui s’y intéressent car le droit innerve toute la société et chacun veut comprendre son environnement sans faire l’impasse sur ses aspects juridiques fondamentaux… sans que cela soit trop professoral et trop technique ; mais aussi ce qui manque aux réseaux sociaux qui peinent, comme Facebook, à convaincre de la fiabilité des informations partagées et à rassembler l’exhaustivité et la régularité de l’information  juridique : ce sont de nouveaux formats originaux d’information juridique.

La bande dessinée est de ceux-ci.

 

Pour Serge Tisseron, la BD trouve sa place, non pas simplement comme une nouvelle forme de discours à la mode où trouverait à s'articuler un savoir ancien, mais comme un instrument privilégié permettant de réintroduire dans la pédagogie l'invitation faite à chacun d'explorer ses propres sentiers.

 

Et de conclure dans son article consacré à La bande dessinée peut-elle être pédagogique ? : le problème posé sur la place publique ne sera plus « pour ou contre la BD pédagogique », mais « quelle BD, pour quelle pédagogie ? ».

 

Alors, comme j’ai pu déjà le dire, lorsque l’on m’a demandé d’intervenir lors d’une conférence sur l’égalité femme-homme à l’Université de Rouen en 2016, c’est affalé dans un canapé en vieux cuir de l'âge canonique de ces albums d'Astérix qui se présentaient devant moi qu’après un éditorial sur les vessies, les lanternes, l'illusion et la manipulation documentaire, Astérix et le devin me paraissait des plus opportuns pour entamer ma quête de quiétude. A priori, pas de raison d'être happé par l'actualité juridique estivale, souvent riche de la précipitation avec laquelle nos Parlementaires souhaitent clore nombre de débats, avides de faire un break, il est vrai de plus en plus raccourci par des sessions qui n'ont plus d'extraordinaires que le nom. Bref, tout se passait pour le mieux : je retrouvais le trait réaliste d'Uderzo et les bons mots des bulles du conteur Goscinny, quand, "patatras" -le droit se nichant en tout et partout-, je vis pour la première fois, dans la série, les femmes boire de la fameuse potion magique qui rendait les hommes du village si "supérieurs". On est en 1972, juste après la libéralisation de mai 68, et 10 ans après ses premiers pas, l'égalité homme-femme faisait son entrée dans Astérix, au même titre que l'ensemble des autres libertés fondamentales qui jalonneront la série : d'aucuns n'estiment-ils pas que "La France des Lumières est tout entière dans Astérix" comme l'écrivait Nicolas Rouvière, Maître de conférences en littérature française et didactique de la littérature. Certes, les hommes, à l'image d'Ordralfabetix, s'offusquent d'une telle égalité, maugréant clairement être "contre l'égalité de la femme et de l'homme" ; mais Bonemine cloue aussitôt le bec du poissonnier en l'envoyant au tapis d'une seule baffe.

 

La méthode est expéditive, mais le ton est trouvé et le message passe bien : désormais la place des femmes dans le village ira croissante jusqu'à l'apogée féministe dans La rose et le glaive, en 1991, album dans lequel les femmes prennent le savoir et le pouvoir, dans lequel les hommes quittent le village et les centuries romaines sont, elles-mêmes, des cohortes féminines.

En relisant Astérix, sous le prisme de cette égalité, on perçoit, dès lors, toute la richesse des planches d'Uderzo et le talent mythologue de Goscinny. Que penser du couple d'Agecanonix, par exemple ? Un vieux monsieur marié à une fabuleuse jeune femme : cliché sexiste absolu, s'il en est ? Ou plus subtilement le choix réfléchi de cette femme, sans nom -comme pour se confondre avec l'identité de toute les femmes-, qui porte la culotte et qui clairement ne désire pas d'enfant ? Tout l'esprit avant-gardiste des Gaulois, et plus singulièrement la liberté des femmes à disposer de leurs corps ici, sont finement repris au sein de la série.

C’est pourquoi, les aventures d'"Astérix" doivent être lues et relues par nos petites têtes blondes ou brunes, comme vecteur d'acculturation des droits fondamentaux pour que l'obscurantisme des camps de Babaorum, Aquarium, Laudanum et Petibonum demeure bien à distance.

 

Dès lors, l’idée de passer en revue chaque album de la série pour y déceler les aspérités juridiques m’a semblé intéressante.

 

Alors, soyons honnête sur le sujet : 30 % des aventures ne recèlent aucune référence explicite ou latente à un quelconque point de droit, si l’on excepte le fait que tout rapport social est le fruit d’un rapport juridique, et que tout pourrait être droit dans les aventures d’Astérix, de ce simple fait (Le tour de Gaule d’Astérix ; Astérix chez les bretons ; Astérix et les normands ; Astérix légionnaire, Le bouclier Arverne, Astérix en Hispanie, La zizanie, L’odyssée d’Astérix, Astérix chez Rahazade, La rentrée Gauloise, Le ciel lui tombe sur la tête,  L’album anniversaire).

Mais, la majorité d’entre elles recèle bien, à grand trait, une vision, parfois un fantasme, des rapports juridiques au sein du village, comme avec les Romains ou ces peuples si exotiques que les héros rencontrent au cours de leurs péripéties.

 

Alors, certains domaines du droit sont plus à l’honneur que d’autres : le droit public et notamment la gouvernance, la commande publique et le droit de l’urbanisme sont plusieurs fois évoqués et dans divers albums (Astérix en Corse, Le grand fossé, Le cadeau de César ou encore le Domaine des Dieux). Il en va également ainsi du droit fiscal et du consentement à l’impôt (Astérix et le chaudron, Astérix chez les Helvètes, Astérix en Corse ou encore Astérix et les Goths) comme du droit des étrangers et du droit d’asile (Astérix le Gaulois, Astérix chez les belges, La galère d’Obélix ou bien Astérix chez les pictes). Plus étonnant, et peu couru, le droit des affaires et la concurrence sont également une facette des rapports juridiques développée par Goscinny et Uderzo (Astérix et la serpe d’or, Obélix et compagnie, Astérix le Gaulois, mais aussi Astérix, le gladiateur ou Astérix chez les Helvètes) ; idem, mais dans une moindre mesure pour le droit du travail et les droits collectifs (Astérix et Cléopâtre et Astérix et la grande traversée). On a vu que l’égalité femme-homme est une dynamique forte de la série (Le devin, La rose et le glaive), au même titre que les libertés publiques dans leur ensemble (Le papyrus de César et Astérix et Latraviata). Parent pauvre, mais présent toutefois dans Le fils d’Astérix, quelques développements relevant du droit de la famille naturellement. Reste la caricature de l’avocat dans Les lauriers de César, un portrait presque à la Daumier de la profession où l’art oratoire constitue l’alpha et l’oméga du sacerdoce.

Episode 1 – Astérix, le droit public et la gouvernance (à écouter sur Lexradio)

 

Dans Droit et bande dessinée, l’univers juridique et politique de la bande dessinée, aux éditions Presses Universitaires de Grenoble, Patrice Cugnetti revient sur les institutions romaines dans l’univers d’Astérix.

Il fait une présentation de l’administration, révélatrice de la corruption de la République ; il explique combien Goscinny et Uderzo dépeignent une administration territoriale caricaturée et évoque la manière dont Astérix se moque régulièrement du cursus honorum (la carrière des honneurs) dans cette administration décriée et jugée incompétente.

Patrice Cugnetti évoque aussi la représentation du pouvoir personnel comme un pouvoir au-dessus du pouvoir institutionnel, celui de César donc, avec un Sénat et une armée aux ordres.

C’est une analyse très instutionalo-historique qui critique des libertés prises par les auteurs du célèbre Gaulois, plus qu’une analyse constructive des influences et de l’art de la parodie au sein des aventures tant chéries.

Plus piquante et plus pertinente est l’analyse d’Olivier et Michel Rousset qui considèrent le village d’Astérix comme une collectivité au statut atypique. D’abord, les auteurs y décèlent une organisation du pouvoir avec un pouvoir partagé entre le chef (qui préside -Abraracourcix donc) et le conseil consultatif et disciplinaire, comprenant Panoramix, le druide, Assurancetourix, le barde et Agecanonix, l’ancien -à l’image du maire, du curé, de l’instituteur et du vieux, dans un village traditionnel-.

Puis, Olivier et Michel Rousset décrive la conquête du pouvoir qui suscite d’âpres rivalités (avec un cadre démocratique et un processus électoral minutieux, dans le Combat des chefs essentiellement)

Mais attention, l’administration du village d’Astérix serait en fait un champ d’intervention de la puissance publique limité ; avec une priorité à l’ordre et à la sécurité des habitants. Les autres secteurs traditionnels sont délaissés et non pris en compte par la collectivité ; les moyens dont dispose la collectivité sont naturellement réduits : il n’y a notamment pas de personnel permanent (même les porteurs d’Abraracourcix changent au fur et à mesure des aventures)

Il faut le reconnaître, c’est donc plus un point de science politique sur la description d’une approche démocratique presque en opposition avec Rome, mais surtout un Etat libéral dont les structures se limitent au nécessaire pour vivre ensemble, à laquelle procèdent les auteurs, toujours dans Droit et bande dessinée, l’univers juridique et politique de la bande dessinée, sous la conduite de Catherine Ribot.

Alors qu’avec facétie et si l’on s’attache plus à une approche album après album qu’à une synthèse de l’œuvre de Goscinny et d’Uderzo, Astérix en Corse raille aussi les élections truquées au sein des villages de l’ile de beauté : « Content de te voir Carferrix » dit Ocatarinetabelatchixtxhix en rentrant dans son village en Corse ; « Quand je pense qu’on allait faire des élections pour choisir un nouveau chef. Les urnes sont déjà pleines » lui répond Carferrix).

 

Et Le cadeau de César de traiter aussi des élections et des manœuvres visant à fausser le résultat à travers une propagande orientée et éhontée.

Il n’y a qu’à voir Orthopedix défier le chef Abraracourcix : « Nos lois sont formelles : n’importe qui a le droit de demander aux autres de le choisir comme chef, s’il a la majorité il remplace l’autre chef ! » prévient Panoramix. « Je vais le jeter hors du village, oui » s’écrie aussitôt le virevoltant chef aux nattes rousses. On notera au passage que les élections sont alors une affaire d’homme, s’emporte Bonemine face à la femme d’Orthopedix, Angine. Dès lors, la femme du tout nouvel aubergiste du village propose cervoises et sangliers à tour de bras et corrompt Ordralphabetix en lui achetant par douzaine ses poissons (nauséabonds, comme chacun le sait) ; tandis que Bonemine fait de même avec les enclumes de Cétautomatix, espérant toutes deux glaner des voix pour leurs maris respectifs.

 

Le thème des élections truquées est d’ailleurs un thème fort des aventures du Gaulois, puisqu’on le retrouve encore dans Le grand fossé, avec la promesse faite par l’un des deux chefs (Segregationnix) d’un village Gaulois partagé entre deux factions, telles les Capulet et les Montaigu, d’instaurer un SMIG (Sesterce Minimum d’Intérêt Gaulois) pour l’ensemble des villageois.

 

Mais, avancée démocratique, et non des moindre, l’arrivée des urnes pour le vote dans La rose et le glaive.

 

Autre thème également lié à la puissance publique : l’abandon de la conscription dans Le cadeau de César. Nicolas Kada fait une comparaison, opportune en 1997, avec la remise en cause du service national obligatoire ; mais convenons que l’étude est hors de propos et l’album est un prétexte pas l’objet d’une analyse.

Plus étonnant est l’abord du droit de l’urbanisme pour laquelle l’album phare est sans conteste Le domaine des dieux. On y évoque l’aménagement du territoire et l’accès à la propriété privée.

« Ces Gaulois, aidés par une potion magique qui leur donne une force surhumaine, protégés par une forêt qui les nourrit, refusent la civilisation romaine… » regrette César ; et celui-ci de poursuivre « J’ai décidé de les forcer à accepter la civilisation ! La forêt sera détruite pour faire place à un parc naturel ! » ; « Enfin, des immeubles habités par des Romains, entoureront le village, qui ne sera plus qu’une amphoreville condamnée à s’adapter ou disparaître ! ».

Entre en scène Anglaigus, l’architecte chargé de la déforestation et de la construction des immeubles environnant le village des irréductibles Gaulois.  Au passage les auteurs soulèvent la question du droit de l’environnement ; Idéfix pleurant à chaque arbre arraché : « Pauvre Idéfix ! Cet arbre abattu ça lui a fait un choc » s’accable Astérix.

A ne pas manquer le prospectus faisant la promotion du Domaine des Dieux : centre commercial, thermes, gymnase, et l’incontournable « Gaulisée ». « Un logement vide dans le Domaine des Dieux ? Ah non, tout est plein ; c’est un succès » s’exclame Anglaigus devant Astérix.

 

Mais il ne faut pas non plus oublier les origines de La transitalique, le dernier des 37 opus de la série, sous la plume de Ferri et le pinceau de Conrad. On y parle corruption du Sénat et de l’administration romaine, mais surtout du rôle des collectivités dans l’investissement et le développement des infrastructures routières ; ce qui oblige le Sénateur Bifidus à organiser une course dans toute l’Italie pour montrer que les routes romaines sont bien entretenues.

« J’accuse le sénateur Lactus Bifidus, ici présent, de financer ses orgies avec les fonds publics destinés à l’entretien des voies romaines ! »… « F-Faux ! En tant que responsable des voies romaines, moi, Lactus Bifidus, je ne puis laisser passer de telles allégations ! » ; « Je profite d’ailleurs de la parole qui m’est donnée pour annoncer une course de chars exceptionnelle ! » ; « Cette course traversera toute la péninsule et sera ouverte à tous les peuples du monde connu ! » ; et de finir « Elle prouvera ainsi de manière éclatante au monde, l’excellence de nos voies romaines ! ».

Et César, masqué, de briser son char sur un nid-de-poule devant la ligne d’arrivée de la course ; offrant la victoire à nos héros, Astérix et Obélix.

 

Episode 2 – Astérix, le droit fiscal et le consentement à l’impôt (à écouter sur Lexradio)

 

Bon alors là, l’impôt cristallise habituellement un tel mécontentement et suscite de telles railleries, qu’il était facile pour Goscinny et Uderzo de s’en donner à cœur joie sur le rapport à la chose fiscale.

Geneviève Gondouin l’a très bien analysé dans son article sur l’impôt dans la BD.

Elle revient sur quelques éléments tirés d’Astérix et le chaudron pour ce qui de l’appréhension du percepteur et d’Astérix chez les Helvètes pour le système de la collecte. Bien entendu, Astérix en Corse caricature à l’excès la gabegie fiscale et magnifie la résistance à l’impôt.

« La Corse est une province romaine gouvernée par un préteur nommé pour un an. Pendant cette année, sous prétexte d’impôts, le préteur pille la Corse, histoire d’être bien vu par Jules César à son retour à Rome… » explique Ocatarinetabelatchixtxhix au village des irréductibles Gaulois qui l’ont libéré du camp de Babaorum.

« Les entrepôts d’Aléria sont pleins de toutes les rapines du préteur Suelburnus. Il ne nous reste plus beaucoup de temps ; le préteur retourne bientôt à Rome » peste Carferrix.

Du coup, par opposition le village des irréductibles Gaulois est décrit comme un paradis fiscal : il n’y a pas de revenu à proprement parlé ; donc pas d’impôt. Il n’y même pas de monnaie propre au village ; les échanges résultent du troc où la monnaie est le plus souvent le menhir ; quelque fois le sesterce romain vient jouer les troubles faits comme dans Astérix et le chaudron, justement.

« Jules César a de gros ennuis d’argent. Pour équiper ses armées qui doivent partir pour de nouvelles conquêtes, il s’est servi de l’argent des impôts qui était destiné à payer la solde des garnisons en Gaule… » entame Moralélastix devant Abraracourcix. « J’ai appris que César allait lever de nouveaux impôts. Alors, j’ai mis tout le trésor de mon peuple dans ce chaudron et je suis venu le mettre à l’abri chez vous… car je crois que vous ne payez pas d’impôts ?... » poursuit-il. Et le facétieux chef du village de rétorquer « Un jour, un collecteur d’impôts est venu… Depuis, nous sommes dispensés d’impôts ! » ; « Ah oui !... Je m’en souviens… Hi, hi, hi ! » s’esclaffe Panoramix. « Et il n’est jamais revenu ? » interroge Moralélastix ; « Jamais ! Donc, pas de revenu, pas d’impôt » répond Astérix, comme pour mieux marteler l’adage fiscal populaire.

Dans cet album important de la série, tout y passe : tribut dû à César, la fraude et l’évasion fiscale au sein du village, les escroqueries fiscales, jusqu’à la 2042 elle-même, la déclaration fiscale à cocher pour chaque contribuable. Il faut voir la 43ème page de l’album consacrée au collecteur d’impôt dont les bulles ressemblent à s’y méprendre aux lignes et case d’une déclaration d’impôt des particuliers (la 2042 donc). Astérix dérobant le butant fiscal du collecteur, ce dernier lui rétorque : « Cet acompte provisionnel sera déductible de la somme exigible ultérieurement ».

 

On sait que Moralélastix entendait surtout confondre Astérix à lui rembourser la somme dérobée avec le chaudron qui lui avait confié ; versant son tribut à Rome pour éviter tout ennui avec la République, récupérant l’argent grâce au courage et pariant sur l’honneur d’Astérix.

 

Dans Astérix chez les Helvètes : on ne s’attend pas moins à une caricature de l’impôt confiscatoire et omniprésent. Le gouverneur de Condate (Rennes), Gracchus Garovirus, sortant d’une orgie digne du film La grande bouffe, de Marco Ferreri, demande « Avé, Caius Eucaliptus ! La récolte a été bonne ? » ; et celui-ci de répondre : « Très bonne, O Garovirus ! Voici l’or des impôts, des amendes, du stationnement payant, du péage sur les voies romaines, et de la redevance pour avoir le droit d’écouter les crieurs publics ! ». S’ensuit un partage du butin à la Don Salluste.

 

Nos héros arrivant en terre helvétique sont contrôlés en douanes : « Maintenant, il s’agit du contrôle des frontières pour entrer en Helvétie. Descendez de voiture ». « Vous n’avez rien à déclarer ? » ; « Vos vêtements, vos armes, ils sont d’où ? » « De notre village, en Gaule » rétorque Astérix ; « Vous auriez dû les déclarer. Importation frauduleuse, votre compte est bon. Continuons ».

 

Bien entendu, le secret bancaire est à l’honneur chez Petisuix : « Vous pouvez dormir sur vos quatre oreilles » rassure-t-il Astérix et Obélix avant de les enfermer dans l’un de ses coffres.

 

On peut noter, aussi, dans Astérix et les Goths, l’évocation des droits de douanes : « Bien sûr que nous avons quelque chose à déclarer : un druide ! » ; « Veuillez ouvrir le colis » ; « C’est de la marchandise étrangère, ça… » ; « Nous avons été chargés de ramener un druide en vue des prochaines invasions. Laisse-nous passer, espèce d’ostrogoth ! ». On rappellera que, dans cette troisième aventure, Astérix et Obélix partent à la recherche de Panoramix enlevé par les sbires de Téléféric, le chef goth paré d’un casque à pointe…

 

 

Episode 3 – Astérix, le droit des étrangers et le droit d’asile (à écouter sur Lexradio)

 

Pour ce domaine du droit, il n’y a clairement rien dans Droit et bande dessinée, l’univers juridique et politique de la bande dessinée.

 

Pourtant quatre albums abordent cette lourde thématique, fondement de l’identité française… pardon Gauloise.

 

Astérix le Gaulois, d’abord : et oui, dès le premier volet des aventures du petit Gaulois et de son copain « enveloppé », on parle de droit d’asile, lorsque le village accueille le soldat romain Caligula, alias Caliguliminix, faux Gaulois, pensant qu’il est persécuté par les Romains, alors qu’il vient faire de l’espionnage industriel, en voulant dérober la formule de la célèbre potion magique. « Sois le bienvenu frère chez nous, tu es chez toi ! » lui dit Abraracourcix.

 

Astérix chez les belges est l’occasion d’évoquer le droit des étrangers et la xénophobie, alors qu’Abraracourcix, Astérix, Obélix, et… Idéfix vont en Belgique pour comprendre les raisons ayant conduit César à dire que les belges étaient le peuple le plus brave. Piqués au vif dans leur orgueil, nos héros s’allient finalement aux tribus locales pour donner une correction aux légions de Jules… après avoir eu du mal se faire accepter par les chefs locaux.

 

Le sujet est à nouveau évoqué dans La galère d’Obélix ; c’est cette fois le droit d’asile en Atlantide qui est décrit avec Spartakis, l’esclave aux traits de Kirk Douglas, qui après s’être enfui sur la galère de César lui-même, se réfugie dans le village des irréductibles Gaulois, puis décident de partir au large de l’Armorique rejoindre cette île mystérieuse.

 

« Ecoutez-moi ! Nous sommes obligés de nous réfugier là où les Romains ne sont pas ! Or ils sont partout, c’est bien connu ! » regrette Spartakis. Et le neveu de Jolitorax, breton de son état, de lui parler du fameux village. Il est accueilli avec hospitalité par le village : « Car forts de notre sens profond du devoir, nous nous devons d’accueillir les peuples opprimés, les martyrs et les orphelins d’une patrie écrasée, piétinée par les caligae de légion r… » « …omaines » et Abraracourcix de tomber de sa chaise de premier édile du village.

 

Et une fois l’équipage de Spartakis accosté sur l’île d’Atlandide où règne la fontaine de Jouvence, celui-ci de clamer : « Voilà ! Si le Grand prêtre le permet, l’équipage et moi souhaiterions rester sur l’Atlandide où il semble régner tant de Liberté ! ».

 

Enfin et surtout Astérix et les pictes : l’album fait lui aussi clairement référence à la tradition d’accueil des Gaulois. Après avoir trouvé un homme emprisonné dans la glace sur les bords de plage, proches du village, Obélix ramène l’inconnu que Panoramix prend d’abord pour un hibernien (irlandais) puis qu’il reconnaît comme étant un picte (écossais), grâce à ces tatouages. Le picte réanimé, là encore, Abraracourcix fait œuvre d’hospitalité : « Dorénavant, tu es ici chez toi, car sache que pour nous, Gaulois, le droit d’asile n’est pas un vain mot ! ». « Peuh ! Toi et tes beaux discours » se moque Assurancetourix.

On connaît la suite des aventures, Astérix, Obélix et Panoramix, mais sans Idéfix, accompagne Mac Oloch dans son village, en grand danger face à l’odieux Mac Abbeh. Une histoire shakespearienne sur fond de romance avec la fille du roi défunt Mac II, Camomilla… Ou disons plutôt que les hommes du village en avaient assez que leurs femmes n’aient d’yeux que pour cet étranger qui avait fini par imposer la mode du tartan et du kilt dans tout le village ! Et qu’ils étaient pressés de le voir partir…

 

Episode 4 – Astérix, le droit des affaires et de la concurrence (à écouter sur Lexradio)

 

L’approche du droit des affaires a bien retenue l’attention des intervenants du colloque Droit et bande dessinée, l’univers juridique et politique de la bande dessinée, organisé à Grenoble en 1997 sous l’égide de Catherine Ribot. Mais c’est essentiellement le droit de la propriété intellectuelle qui fut mis à l’honneur.


Plus précisément, Françoise Bastien-Rabner, Jean-Marie Furt et Jean-François Poli se sont attachés aux biens culturels dans le phénomène social, pour décrire les aspects relatifs à la propriété intellectuelle dans Astérix et la serpe d’or et Obelix et compagnie.

Dans leur essai, les auteurs reviennent sur les éléments de contrefaçon de biens symboliques de la Gaule (la serpe et le menhir). L’analyse conclue sur une protection efficace impossible.

Pour autant, nous l’avons déjà vu, dans Astérix, le Gaulois, Caligula/Caliguliminix pénètre sous couvert du droit d’asile dans le village des irréductibles Gaulois pour faire de l’espionnage industriel. Il met tout en œuvre pour découvrir la recette de la potion magique qui rend les Gaulois invincibles et tient César, lui-même, en échec. Sans succès pour le romain qui n’arrive pas percer le secret du village.

 

« Il y a un mystère dans la puissance de ces Gaulois ! Il faut découvrir ce secret ! » ; « Tu as raison, Marcus Sacapus ! Il faut le découvrir et vite ! César, de Rome, m’a fait savoir son mécontentement ! Il me faut un volontaire pour aller espionner chez les Gaulois ! » fait savoir Caius Bonus, centurion de Petibonum.

 

Dans la même lignée, dans Astérix et les Goths, ces derniers enlèvent Panoramix pour obtenir le secret industriel de la potion magique, afin d’envahir la Gaule… puis Rome. Là encore, les goths en sont pour leurs frais et le secret de la potion magique est bien gardé.

 

« Acceptes-tu de mettre ta magie à notre service ? » demande Clodiric à Panoramix kidnappé par les hommes de Téléféric, le chef des goths. Ce dernier et son interprète boiront de la potion, mais c’est pour mieux se battre l’un contre l’autre, perdus dans des querelles internes ourdies par nos héros.

 

A côté du droit de la propriété intellectuelle, les auteurs d’Astérix évoquent tantôt le droit des sociétés, tantôt le droit bancaire.

En effet, dans Astérix, le gladiateur, on peut voir dans une galère phénicienne dans laquelle s’embarque nos héros, le commandant de bord évoquer le contrat de société qui le lie aux autres membres de l’équipage, tous rameurs. Il marque, ce faisant la différence entre lui PDG et les autres galériens.

« Ce sont des esclaves ? » demande Astérix ; et le phénicien de répondre : « Oh non ! Ce sont mes associés… C’est moi qui ai rédigé le contrat d’association et ils n’ont pas très bien lu le contrat avant de le signer… Moi je suis Président-Directeur-Général… »

On est d’ailleurs plus proche du droit du travail, puisque les membres de l’équipage contestent la modification substantielle de leur contrat de mission visant à ramer sur la galère ; modification qui les obligerait à combattre les pirates.

« Ah non, mon cher Président-Directeur-Général ! Par contrat, nous devons ramer, mais il n’est dit nulle part que nous devons nous battre !... » lance l’un des rameurs. « Ou alors, changeons de contrat, j’ai une modification importante à y apporter… ».

On a pu voir que, dans Astérix chez les Helvètes, le contrat de dépôt et le secret bancaire sont largement abordés. Petisuix est l’archétype de ce que peut proposer la discrétion, en principe, des coffres suisses. «

« Oui bien sûr… vous avez toute notre sympathie. Nous avons souvent combattu les Romains, et Jules César nous considère comme des adversaires redoutables… Mais où vous cacher ? » s’interroge le banquier ; « Il faudrait ouvrir un compte. » ; « Pour nous cacher dans un coffre ? » rétorque Astérix. « Ce que vous mettez dans le coffre, ne me concerne pas. La discrétion est totale ; pour moi, vous ne serez que deux numéros anonymes. Vous prenez un coffre chacun, ou un compte à deux signatures ? » lui répond Petisuix.

 

Surtout, Goscinny et Uderzo consacrent un épisode entier au droit des affaires et au droit de la concurrence en particulier. C’est ainsi qu’Obélix et compagnie nous plonge dans l’univers consumériste obligeant nos Gaulois à devenir des business men.

 

Pour éviter que les Gaulois irréductibles ne pensent à batailler contre les camps des alentours, César imagine de les occuper en éveillant chez eux le sens des affaires. C’est ainsi que Caius Saugrenus, envoyé de César, se rapproche d’Obélix -à ses risques et périls- pour lui acheter de plus en plus de menhirs -dont il n’a, par ailleurs, que faire-. Devant les succès commerciaux d’Obélix, le monopole de fait éclate et d’autres villageois se mettent à tailler et livrer des menhirs : c’est l’introduction de la concurrence.

« Qu’est-ce que c’est ça ? » demande Obélix en voyant Ordralaphabétix ; « Drôle de question venant de toi. C’est un menhir. » répond le poissonnier. « Tu portes des menhirs, toi ? »… « ça alors ! » s’exclame Obélix. « Où est Cétautomatix ? » demande à nouveau Obélix ; « Il est allé livrer ses menhirs ! » répond également la femme du forgeron.   « Livrer ses… ? Mais c’est moi qui… ».

 

L’album aborde aussi le cas des intermédiaires : « Qu’est-ce que je vais en faire de tous ces menhirs ? » demande César à Caius Saugrenus, une fois les menhirs achetés en grand nombre ramenés à Rome. « Tu vas les vendre, O César. » ; « Les vendre ? » ; « Mais oui. Comme ça, non seulement tu récupèreras l’argent dépensé mais en plus, tu feras des bénéfices. »

 

Mais également le marketing : « Qui en voudra de ces menhirs ? Ils ne servent à rien ! » rétorque César. « Justement ! Il faut préparer une campagne, mettre au point une stratégie, choisir une cible » lui conseille Caius Saugrenus. Et s’en suit la description d’une campagne marketing pour vendre une chose complètement… inutile pour les Romains. « Une campagne découlant d’une stratégie de positionnement devrait nous permettre de toucher rapidement une masse de clientèle susceptible d’absorber rapidement nos stocks… ».

 

En outre, cette aventure ne fait pas l’impasse sur la concurrence et la protection nationale, avec la crise du menhir en Italie : « MENHIR NATIONAL – MOINS CHER QUE LE MENHIR IMPORTE – ACHETEZ ROMAIN » peut on lire sur une réclame. « Depuis quand les Romains fabriquent des menhirs ? » demande César. « Depuis que les gens en achètent O César » lui répond le représentant de la corporation en colère. César lui interdisant de vendre des menhirs romains pour écouler ses stocks se retrouve avec l’opinion contre lui. Pour Caius Saugrenus, il faut passer l’offensive… sur les prix : « Il faut faire de la concurrence, vendre meilleur marché, faire flotter le menhir ! »… Jusqu’à la crise : « Même en solde, les gens n’en veulent plus… Tant pis !… J’ai perdu une fortune, mais n’en parlons plus… ».

 

Enfin, dans La serpe d'or, Goscinny et Uderzo évoque aussi la question du monopole et la spéculation, mais cette fois sur les serpes d'Amorix à Lutèce.

 

« Une serpe, premier choix 3 000 pièces d’or. D’accord ? » lance Avoranfix à Astérix, chargé de trouver une serpe d’exception, fabriqué exclusivement par Amorix, pour que Panoramix puisse rituellement couper le gui. Le valeureux Gaulois est surpris : « Comment ? Je n’ai que 100 pièces d’or. C’est le prix pour les serpes ! »  « C’est à prendre ou à laisser ! Avec l’approche de la réunion de la forêt des carnutes, les serpes sont introuvables à Lutèce » lui rétorque Avoranfix. Et pour cause, de mèche avec les Romains, Amorix fabrique ses serpes dans une cellule de prisons et Avoranfix et ses sbires les cachent pour organiser la rareté et faire augmenter les prix.

 

Episode 5 – Astérix, le droit du travail et les droits collectifs (à écouter sur Lexradio)

 

Etrangement le droit du travail est le parent pauvre des aventures d’Astérix. On aurait pu imaginer que les tribulations des rapports sociaux puissent être une source d’inspiration pour les auteurs. Assez peu finalement.

 

On remarque immanquablement, dans Astérix et Cléopâtre, l’exercice du droit de grève des ouvriers égyptiens chargés d’édifier le plus beau palais d’Egypte, sur ordre d’une Cléopâtre en furie devant la condescendance de César.

 

Encore que ceux-ci fassent grève en revendiquent tout juste moins de coups de fouet pour les « motiver » à la tâche. Notons qu’ils ne sont pas esclaves pour autant, mais bien des ouvriers payés par Numérobis.

 

« Maître ! Les ouvriers refusent de reprendre le travail ! Je crois que quelqu’un les a montés contre nous ! » ; … « C’est bien ce que je pensais : ils demandent encore une diminution. » se désespère Numérobis. « Une augmentation vous voulez dire » rétorque Astérix ; « Non, il ne s’agit pas de salaires ; ils sont très bien payés. Ils demandent une diminution des coups de fouet… Et si je diminue les coups de fouet, ils travailleront moins vite et le palais ne sera jamais fini à temps ! ».

 

L’album aborde également…

 

… le chômage technique : « Pourquoi les ouvriers ne travaillent plus ? » demande Astérix ; « Il n’y a plus de pierre. Je suis inquiet ; la caravane qui doit amener de nouvelles pierres des carrières du sud est en retard. » lui répond l’égyptien.

 

… et le licenciement pour faute du goûteur de la reine au nez ma foi « fort beau » : « J’ai été injuste envers vous, Gaulois. Je vous rends la liberté et je congédie ce goûteur dont l’estomac a fait commettre une faute à la reine des reines ! » telle est la sentence de Cléopâtre, convaincue d’abord que le gâteau offert soi-disant par les Gaulois était empoisonné ; ensuite que son goûteur ayant eu simple malaise… lui avait donc fait perdre la face devant les trois Gaulois (Panoramix, Astérix et Obélix).

 

L’autre aventure qui traite du droit travail, rapidement cette fois, c’est Astérix et la grande traversée. Dans ce 22ème épisode, Astérix et Obélix vont pêcher du poisson frais pour Panoramix, car c'est un ingrédient essentiel pour la potion magique. Cependant une tempête les emporte sur la mer loin de la Gaule. Ils échouent sur une terre inconnue peuplée par une étrange tribu et des dindons qu'ils nomment « glouglou ».

Et bien la trame de base, l’origine de ce voyage fantastique, c’est la grève des livreurs de poissons (car Ordralphabetix, bien qu’habitant sur les côtes de l’Armorique, fait venir son poisson de Lutèce (Paris)) ; c’est dernier organisant même des opérations « escargot ».

« J’attendais un arrivage, mais les chars à bœufs qui apportent le poisson font la grève ; ils roulent lentement sur les voies romaines pour protester contre le prix du foin » s’inquiète Ordralphabetix.

 

Episode 6 – Astérix et l’égalité femme-homme (à écouter sur Lexradio)

 

On a déjà évoqué l’éveil de l’égalité femme-homme dans Le devin. Enfin les femmes peuvent boire de la potion magique et se battre avec les hommes pour défendre leur village. « Les femmes aussi ? » demande Bonemine ; « Les femmes surtout ! » répond Panoramix.

 

Encore que, moqueur, Goscinny fasse dire à la femme d’Agecannonix : « ça fait grossir la potion magique ? »

 

Mais, l’apogée féministe c’est bien entendu La rose et le glaive. L’arrivée d’une femme barde pour enseigner à l’école du village chamboule toutes les mentalités. Une femme barde ? Et pourquoi pas une femme porteuse de menhir ? ou même une femme druide ?

« Et alors ? Les femmes bardes, ça existe non ? » ; « Non madame ! Une barde ça n’existe pas, ou alors c’est une tranche de lard !!! » s’emporte Assurancetourix.

 

Dans cet album les femmes prennent le pouvoir : la femme du chef, Bonemine, s’affirme et veut prendre part aux décisions importantes du village.

« Le pavois qui est à toi est à moi ! » s’exclame Bonemine auprès de son chef de mari. Ou encore : « C’est décidé ! Dorénavant je siègerai également au conseil du village. Je suis la femme du chef, non ? ».

 

L’album aborde également, subtilement, les violences faites aux femmes.

« Par tous les Dieux ! Qu’ai-je fait ?!... J’ai frappé une femme !... Ce n’est pas vrai !... Ce n’est pas moi ça ! » se morfond Astérix, après que Maestria l’ait embrassé, sans son consentement (hashtagmetoo).

 

Bon, il faut reconnaître que la fin de l'album apparaît, de prime abord, quelque peu misogyne puisqu'Astérix comprenant que les légionnaires sont des femmes, les détourne de leur mission première en les incitant à faire du... shopping ! Le cliché peut paraître ainsi grossier, alors qu'en fait il met en exergue une différence fondamentale du comportement et par induction du statut de la femme antique, entre Gauloises libérées et Romaines soumises.

La prédominance de la culture romaine, par l'intermédiaire de César lui-même et de sa Guerre des Gaules, a longtemps présenté les celtes au mieux comme un peuple rustre mais valeureux, le plus souvent comme des barbares. Même en rappelant que les Gaulois avaient droit de vie et de mort sur leurs femmes, comme à Rome du reste, souhaitant ainsi relativiser le progrès social que pourrait traduire une prétendue égalité homme-femme en Gaule, l'Imperator est obligé de reconnaître que les Gauloises ont un vrai statut indépendant, une véritable reconnaissance sociale et politique, alors que les Romaines sont proprement inféodées à leurs pères puis maris.

La Gauloise dispose ainsi d'une certaine indépendance financière et assume une part de son destin à la mort de son mari. Sa place n'est pas exclusivement domestique, mais aussi économique, dirigeant elles-mêmes des exploitations de centaines d'hectares et des dizaines d'ouvriers, quand elles ne prenaient tout simplement pas le pouvoir vacant au sein du clan. Les normes régissant les dots, "contre-dots", fruits et rapports étaient d'une complexité telle au service de l'égalité patrimoniale entre maris et femmes ; l'idée d'une captation éhontée par l'homme étant exclue. Et que dire de la liberté retrouvée de la Gauloise veuve, en capacité de se remarier... si elle le souhaite. Du côté transalpin ? Une dépendance morale et financière totale régissant les rapports hommes/femmes.

 

Episode 7 – Astérix et les libertés publiques (à écouter sur Lexradio)

 

Là encore, on ne peut pas dire que les libertés publiques soient un thème de prédilection pour les auteurs de la saga. Encore que le village des irréductibles et la morgue de nos héros font montre d’une aspiration à la liberté de tous les instants.

 

C’est dans Le papyrus de César, l’avant-dernier opus de la série, que sont clairement abordées les notions de liberté d’expression, de liberté de la presse et de censure.

 

L'histoire débute à Rome, au moment où César s'apprête à publier ses Commentaires sur la Guerre des Gaules. Bonus Promoplus, son conseiller et éditeur, lui conseille d'occulter alors un chapitre intitulé « Revers subis face aux irréductibles Gaulois d'Armorique », car il estime que ce passage fait tache sur le curriculum de César. Ce dernier finit par céder mais précise que nul ne devra savoir que ce chapitre gênant a été censuré, sans quoi Promoplus ira conseiller les lions dans le cirque.

 

Mais un des scribes numides de Promoplus parvient à s'emparer d'une copie sur papyrus du précieux chapitre qu'il confie à un « colporteur sans frontières », un activiste Gaulois nommé Doublepolémix, correspondant à Rome du Matin de Lutèce.

« Le scribe écrit avoir agi par idéal, maître. » ; « Il se dit solidaire du peuple Gaulois et refuse qu’on censure un chapitre clé de son Histoire. »

 

Doublepolémix, traqué par les hommes de la censure de Promoplus, parvient tant bien que mal au village d'Astérix avec le précieux document. Ce chapitre, s'excite-t-il, constitue un vrai « scoop ». Il est la preuve formelle que César a menti dans son livre et que toute la Gaule n'est pas conquise.

 

La réaction des Gaulois, plutôt de tradition orale, est mitigée... C’est Bonemine qui insiste sur l'enjeu historique : il faut que le papyrus soit diffusé, car les générations futures doivent savoir que César a menti dans sa Guerre des Gaules, et qu'un petit village résistait encore et toujours.

 

« Un scribe en fuite me l’a confié tandis que j’étais en colportage à Rome.. Depuis, la censure romaine me traque ! » confie Doublepolémix au chef du village.

 

Abraracourcix confie alors le précieux papyrus à Astérix et à Obélix. Il leur donne pour mission d'accompagner Panoramix vers la forêt des Carnutes, où le doyen des druides, Archéoptérix, gravera dans sa mémoire le précieux document afin qu'il soit transmis de bouche à oreille.

 

« Après avoir, euh… mûrement réfléchi, j’ai décidé que le mensonge de César ne pouvait rester ignoré… » ; « Il est important que nos descendants sachent que César n’avait pas conquis TOUTE la Gaule ! » poursuit Abraracourcix, flanqué de son bonnet de nuit… et sur les conseils avisés de sa femme.

 

À la fin de l'album, un post-scriptum semble prouver que le papyrus, contant les revers de César en Armorique, est bien, au fil des siècles, parvenu jusqu'à nous. Deux scribes modernes (Goscinny et Uderzo) en auraient même tiré une série d'albums à succès.

 

A côté du papyrus de César, on peut noter que Astérix et Latraviata fait référence à l’usurpation d’identité et à l’emprisonnement arbitraire.

Pompée, l'ennemi juré de César, veut lever secrètement une armée en Gaule mais un soldat ivrogne, Roméomontaigus, a subtilisé ses armes en espérant pouvoir les revendre. Quand les armes se retrouvent dans le village d'Astérix, Pompée a l'idée d'utiliser une actrice, sosie de Falbala, pour les récupérer.

« Que fait cette femme déguisée en Falbala ? Qui est-elle ? » demande Tragicomix ; … « Bon d’accord ! Je m’appelle Latraviata, la Grande Tragédienne du théâtre de Rome ! Et alors ? il n’y a pas de quoi en faire un drame ! ».

 

C’est l’album où l’on découvre les parents de nos héros : le père d'Astérix se prénomme Astronomix, celui d'Obélix Obélodalix. Quant aux mères d'Astérix et Obélix, elles se prénomment respectivement Praline et Gélatine.

Soupçonnés d’avoir trempé dans le vol des armes de Pompée, les deux pères sont enfermés arbitrairement et sans autre forme de procès en prison.

« Par Toutatis !!! On nous a cambriolés ! » s’exclame Astronomix devant son échoppe. « Tout est sens dessus dessous mais il semble qu’il ne manque rien ! » précise Obélodalix son associé. « C’est étrange ! Peut-être cherchait-on quelque chose ! » ; « C’est exact ! et ce ‘quelque chose’, nous ne l’avons pas trouvé ! » intervient un soldat romain. « Alors, vous allez nous suivre chez Bonusmalus, le Préfet ! »… « J’ai l’impression que nous finirons nos jours dans ce trou à rats, Obélodalix ! » peste Astronomix dans sa cellule.

 

Episode 8 – Astérix et le droit de la famille (à écouter sur Lexradio)

 

Il est certain que puisque les deux héros de la série sont célibataires et sans enfant -encore que-, il est difficile de déceler quelques aspérités en droit de la famille.

 

Certes les derniers albums, comme Astérix et Latraviata, ou La rentrée Gauloise, nous font découvrir les parents de nos deux compères. Mais les rapports décrits par Uderzo sont essentiellement filiaux, axés sur les sentiments qui animent les protagonistes ou les ambitions des parents pour leurs enfants.

 

C’est alors dans Le fils d’Asterix que l’on peut relever quelques concepts de droit de la famille.

D’abord avec l’abandon d’enfant. Astérix découvre sur son seuil un berceau avec dedans un chérubin blond. Pas une lettre d'explication. « Ah ! Tu vois que les cigognes livrent et peuvent se tromper ! » lui dit Obélix.

On jase dans le village sur l’inconduite du valeureux guerrier mais, très vite, les Gaulois comprennent que les Romains recherchent à tout prix l’enfant. Les Gaulois comprennent alors que le bébé leur a été confié pour la garantie de sécurité qu'ils offrent. C’est Brutus lui-même qui veut s’emparer de… Césarion (Ptolémée XVI), le fils de César et de Cléopâtre… qui arrive magistrale sur son char, telle Elizabeth Taylor dans le film de Joseph L. Mankiewicz, sorti 20 ans plus tôt.

 

Il est donc affaire d’enlèvement d’enfant : « En fait, ce n’est qu’un prétexte. Ce Préfet m’a avoué qu’il était chargé de rechercher un enfant qui pourrait bien être celui-ci ! » révèle le centurion d’Aquarium, après un échange musclé avec nos héros. « Mais j’aurai cet enfant dussè-je brûler la Gaule entière » s’emporte Brutus. « Eh bien puisque cet enfant aime les hochets, tu vas lui en apporter, Taxensus ! Tu vas te déguiser en colporteur Gaulois et entrer dans le village des irréductibles ! Là, il te sera facile de prendre l’enfant et de nous le ramener ! » conspire Epinedecactus.

 

 

… et de tutelle (Astérix, le tuteur !) : « C’est alors que j’ai eu l’idée de faire mettre notre fils à l’abri, dans le seul endroit encore apte à assurer sa sécurité : le village des irréductibles Gaulois qui résiste encore et toujours à l’envahisseur. » révèle Cléopâtre à César venu constater les exactions de son fils adoptif, Brutus.

 

Episode 9 – Astérix et l’avocat (à écouter sur Lexradio)

 

Avec Les lauriers de César, c’est la consécration de l’Avocat. Enfin sa consécration, disons sa caricature bien trempée.

 

C’est donc le rôle tenu par Titus Résidus, avocat commis d’office, chargé de défendre nos héros dans l’affaire médiatique des « deux mages Gaulois ».

« Vous allez être jugés aujourd’hui même, et j’ai reçu l’ordre de vous défendre. C’est très bon pour moi ; deux mages Gaulois, ça va attirer du monde ! ». Et Titus Résidus de poursuivre : « J’ai un très bon discours ; ça commence comme cela : Delenda Carthago, disait le grand Caton… » ; « Et tu veux nous faire mettre en liberté ? » s’interroge Astérix ; « Vous voulez rire ! Il y a des tas de fauves qui sont arrivés au cirque et qui n’ont rien de sérieux à se mettre sous la dent… Alors, deux mages Gaulois, pensez ! Quelle fête ! ».

 

Y sont dépeints le tribunal… « La parole est au delator » ; « Confiance » dit Titus Résidus à ses clients ; « Delenda Carthago comme disait Caton le Grand… » entonne alors le delator/procureur ; « Co… Comment : Delenda Carthago ? Mais c’est moi qui… » s’énerve l’avocat ; « Silence, Avocat ! Ton tour viendra ; tu parleras après. » rétorque le juge. « Je peux continuer, oui ? » ; « Délator, tu as la parole » ; « C’est donc Caton qui parle par ma bouche… Delenda Carthago disions-nous, et… ».

 

Et le parangon de la procédure : la suspension de séance. « Je demande une suspension d’audience ; je voudrais revoir mon système de défense. » entonne l’avocat ; « …Delator, es-tu d’accord avec la requête de l’avocat défenseur ? » demande le juge ; « Je le suis » lui répond le procureur…

 

Conclusion : d’aucuns diront que, bien que d’essence infantile, l’univers peu à peu construit de notre bande dessinée permet de tirer un cadre plus évident, une analyse plus pragmatique de la vision du droit tels que nous, européens, nous l’envisageons.

Je cite Catherine Ribot : « Deux mondes qui semblent antagonistes, deux univers que rien ne devrait rapprocher. Comment le juriste, assoiffé de jurisprudence, noyé dans l’activité législative et réglementaire, égaré dans les subtilités de la réflexion doctrinale, pourrait-il se risquer à perdre don sérieux dans le monde débridé des cases, au milieu des phylactères et des onomatopées ?

Le code côtoierait l’album sur le même bureau universitaire ? »

Si la bande dessinée a pour vocation de distraire le lecteur, elle véhicule également des messages artistiques et politiques, elle reflète la réalité sociale perçue par le dessinateur et le scénariste. Ainsi, les mondes de la bande dessinée suscitent une réflexion sur le contenu de notre univers juridique et sur les pratiques politiques. Et non, Astérix ne permet pas uniquement de parler des institutions Romaines ou Gauloises ; mais les aventures du célèbre guerrier permettent de s’initier, aussi, à de nombreux concepts, de nombreuses problématiques juridiques qui, bien que simplifiées et souvent caricaturées, ne révèlent pas moins les aspérités, qualités et défauts, de notre système de droit.

L'utilisation de ce format permet au passage de prendre le risque de communiquer en (s')amusant, tout en pariant que le lecteur saurait retenir de la caricature ce qu'elle est : une charge, autrement dit une vérité subjectivement proclamée. Celle de deux auteurs (quatre maintenant) au talent fou pour nous emporter, au fil des épisodes, dans un univers croquignolet, mais en accord avec leur temps.

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