La lettre juridique n°752 du 6 septembre 2018 : Aide juridictionnelle

[Jurisprudence] Caprice, c’est fini. Les limites du bénéfice de l’aide juridictionnelle

Réf. : CA Aix-en-Provence, 3 juillet 2018, n° 17/11899 (N° Lexbase : A6946XUS)

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par Pierre-Louis Boyer, Maître de conférences HDR, CREO-IODE Rennes I, ancien avocat, UCO Angers

le 05 Septembre 2018

Il résulte des dispositions des articles 25 et 103 de la loi du 10 juillet 1991 (N° Lexbase : L8607BBE) que l'avocat assistant le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, en cas de refus de l'auxiliaire de justice choisi, doit être désigné par le Bâtonnier ; à défaut, le justiciable faisant appel aux services d'un avocat refusant d'être rémunéré au titre de l'aide juridictionnelle, est supposé renoncer au bénéfice de cette aide. Telle est la solution d'un arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, rendu le 3 juillet 2018 (CA Aix-en-Provence, 3 juillet 2018, n° 17/11899 N° Lexbase : A6946XUS).

La liberté du choix de l’avocat est un principe fondamental inhérent au fonctionnement de la justice française. C’est d’ailleurs cette liberté de choix qui rend la profession d’avocat si «libérale», permettant la liberté du client pour l’un, et la liberté de l’avocat pour l’autre.

 

Ce principe permet au justiciable de pouvoir changer d’avocat, peu importe le moment de la procédure, et ce même si l’article 13 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 sur la déontologie de l'avocat (N° Lexbase : L6025IGA) souligne implicitement l’importance du lien qui unit le client à son avocat : «l’avocat conduit jusqu’à son terme l’affaire dont il est chargé, sauf si son client l’en décharge ou s’il décide de ne pas poursuivre sa mission» [1]. L’avocat déchargé, au nom du principe essentiel de diligence [2], doit alors restituer les pièces en sa possession.

 

Quand un client est bénéficiaire de l’aide juridictionnelle, ce dernier jouit de la volonté d’un Etat qui fait de la gratuité un principe fondamental de la Justice au nom de l’égalité de tous les citoyens devant la loi.

 

Les règles du choix de l’avocat et de changement d’avocat pour les personnes bénéficiant de l’aide juridictionnelle sont assez simples. Si le bénéficiaire de l’aide juridictionnelle peut changer d’avocat en cours de procédure car le choix du conseil reste gouverné par le principe de la liberté, c’est uniquement pour une «raison légitime» [3] -comme, par exemple, la perte de confiance entre le client et son avocat- que ce changement pourra se faire, faute de quoi il perdra le bénéfice de cette aide [4]. De plus, si le conseil a été désigné par le Bâtonnier au titre de l’aide juridictionnelle, c’est au moyen d’une demande adressée au Bâtonnier que le changement pourra se faire à la suite d’une nouvelle désignation par le Bâtonnier de l’Ordre.

 

La cour d’appel d’Aix-en-Provence, vraisemblablement coutumière des litiges relatifs aux changements d’avocats par les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle [5], a, une nouvelle fois, dû trancher une contestation et rappeler les dispositions en vigueur. En effet, dans l’arrêt qui nous préoccupe ici, Mme Z avait confié à Me Y, avocate au barreau de Toulon, la défense de ses intérêts dans le cadre de son divorce. Or, Mme Z était bénéficiaire de l’aide juridictionnelle et Me Y devait être rémunérée à ce titre. Dans le cadre de cette procédure de divorce, après une audience de conciliation tenue le 9 juin 2016, une ordonnance de non conciliation a été rendue en date du 14 octobre 2016, ordonnance qui n’a pas semblé satisfaire la cliente car cette dernière a souhaité interjeter appel de cette décision. Non-satisfaite par l’ordonnance, la cliente le fut aussi de son conseil, raison pour laquelle elle décida de changer d’avocat ; mais l’avocat nouvellement choisi n’acceptait pas d’être rémunéré au titre de l’aide juridictionnelle.

 

Et c’est là que tout se complique.

 

Le conseil initial, Me Y, a facturé ses honoraires à la cliente transfuge, incluant dans ces derniers (720 euros TTC) des réceptions au cabinet, la rédaction de la requête en divorce ainsi que l’assistance à l’audience de conciliation du 9 juin 2016. Mme Z a contesté le paiement de ces honoraires, affirmant qu’elle «ignorait que le fait de changer d’avocat la privait du bénéfice de l’aide juridictionnelle». Mais ce n’est pas le fait de changer d’avocat qui a privé Mme Z de l’aide juridictionnelle, c’est le choix de son second avocat, comme nous le verrons par la suite.

 

Le Bâtonnier de l’Ordre des avocats de Toulon a rendu une décision de fixation des honoraires en date du 29 mai 2017, sur laquelle la cliente a interjeté appel.

 

Le premier président de la cour d’appel d’Aix, en tant que juge de l’honoraire, a rappelé dans sa décision les dispositions légales en vigueur relatives au choix de l’avocat par un bénéficiaire de l’aide juridictionnelle.

 

D’une part, l’article 25 de la loi n° 91-647, 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique dispose que «à défaut de choix ou en cas de refus de l’auxiliaire de justice choisi, un avocat ou un officier public ou ministériel est désigné, sans préjudice de l’application des règles relatives aux commissions ou désignations d’office, par le Bâtonnier ou par le président de l’organisme professionnel dont il dépend» [6] ; et d’autre part, l’article 103 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 (N° Lexbase : L0627ATE), décret d’application de la loi susvisée, dispose que «lorsqu’un avocat désigné ou choisi au titre de l’aide juridictionnelle est, en cours de procédure, remplacé au même titre pour raison légitime par un autre avocat, il n’est dû qu’une seule contribution de l’Etat. Cette contribution est versée au second avocat, à charge pour lui de la partager avec le premier dans une proportion qui, à défaut d’accord, est fixée par le Bâtonnier» [7].

 

Au regard de ces dispositions, le premier président aixois a mis en exergue que le conseil du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle, «en cas de refus de l’auxiliaire de justice choisi, doit être désigné par le Bâtonnier», et que ledit bénéficiaire, s’il fait dans un second temps appel à un avocat qui refuse d’être rémunéré au titre de l’aide juridictionnelle, est supposé renoncer au bénéfice de l’aide juridictionnelle.

 
Il en a alors conclu que, la première avocate ne pouvant plus être rémunérée au titre de l’aide juridictionnelle du fait de la renonciation tacite du client au bénéfice de cette aide, celle-ci était légitime à réclamer des honoraires à son ancienne cliente.

 

Dans un arrêt récent du 14 juin 2018, la Cour de cassation avait déjà rappelé que la perception d’honoraires par un avocat déchargé par son client en cours de procédure n’était envisageable qu’à la condition que ce client, s’il était bénéficiaire de l’aide juridictionnelle, ait renoncé au bénéfice de l’aide juridictionnelle : «l’avocat, qui avait été désigné au titre de l’aide juridictionnelle, n’ayant pas mené sa mission jusqu’à son terme, ne pouvait prétendre à la perception d’honoraires s’il n’était pas justifié que sa cliente avait renoncé rétroactivement au bénéfice de l’aide juridictionnelle» [8].

 

Cette solution dégagée par la Cour de cassation n’était pas sans rappeler une décision bien antérieure de la deuxième chambre civile de la même juridiction en date du 3 juillet 2008 qui soulignait que c’était à la seule condition d’une renonciation à l’aide juridictionnelle par un client changeant de conseil en cours de procédure que l’avocat délaissé pouvait réclamer des honoraires : «Qu’en se déterminant ainsi, sans constater qu’en choisissant Me X..., M. Y... avait renoncé au bénéfice de l’aide juridictionnelle, le premier président a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés» [9].

 

Quelques jours après l’arrêt du 14 juin de la Cour de cassation, le 26 juin 2018, c’était au tour de la cour d’appel de Paris de trancher un litige de la même espèce, s’appuyant une nouvelle fois sur l’article 103 du décret du 19 décembre 1991 et précisant, comme le fait la cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans le cas qui nous occupe ici, qu’il résulte bien a contrario de cet article que le conseil qui aurait été choisi par le bénéficiaire de l’aide juridictionnelle ou désigné par le Bâtonnier à ce titre, s’il est remplacé en cours de procédure par un autre avocat qui refuserait d’être rémunéré au titre de l’aide juridictionnelle, ne peut recevoir aucune contribution de l’Etat. Or, ne pouvant percevoir aucune contribution de l’Etat, et ayant cependant accompli des diligences, l’avocat dessaisi est alors bien fondé à réclamer des honoraires à son client mécontent [10].

 

L’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence vient, dans la continuité de l’arrêt précité et sans heurter le principe de liberté du choix de l’avocat, préciser qu’un changement d’avocat par un bénéficiaire de l’aide juridictionnelle, en cours de procédure et au profit d’un avocat refusant d’être rémunéré au titre de l’aide juridictionnelle, est assimilable à une renonciation à l’aide juridictionnelle.

 

Il apparaît, en effet, complètement aberrant qu’un justiciable puisse, pour un premier avocat, bénéficier d’une aide de l’Etat, et, pour un second avocat, avoir les moyens financiers de payer les honoraires d’un conseil qui refuserait d’être rémunéré au titre de l’aide juridictionnelle.

 

La liberté de choix de l’avocat n’est pas entre les mains des individualités : c’est un principe qui préside à la société et au fonctionnement de nos institutions judiciaires.

 

De plus, rappelons ici que l’avocat n’est pas un bien de consommation. Les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle ne sont pas au supermarché de la Justice. Ils bénéficient des largesses sociales de l’Etat afin que tous aient accès à la justice à moindre frais, selon l’un des principes fondamentaux des institutions juridictionnelles françaises, à savoir la gratuité. Le citoyen n’a pas à faire la fine bouche en exigeant, selon ses lubies du moment, tel ou tel professionnel. Il doit se plier aux règles d’une République bienveillante et pleine de largesses. Plus de fantaisies du justiciable, place aux caprices de Marianne.

 

[1] Décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005.

[2] Décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005, art. 3 et Règlement intérieur national de la profession d’avocat, art. 1.3 ({LXB=L2105HYM]).

[3] Décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991, portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, art. 103 (N° Lexbase : L0627ATE).

[4] Voir, entre autres, CA Bordeaux, 22 janvier 2013, n° 12/02712 (N° Lexbase : A5803I3C).

[5] CA Aix-en-Provence, 9 avril 2013, n° 12/12023 (N° Lexbase : A7639KBK ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E9859ETC) et CA Aix-en-Provence, 6 septembre 2016, n° 15/04816 (N° Lexbase : A8452RZ3 ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E0427E7X).

[6] Loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l’aide juridictionnelle, art. 25.

[7] Décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991, art. 103.

[8] Cass. civ. 2, 14 juin 2018, n° 17-21.318, F-P+B+I (N° Lexbase : A9314XQZ ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E1715E7N et N° Lexbase : E0422E7R).

[9] Cass. civ. 2, 03 juillet 2008, n° 07-13.036, FS-P+B (N° Lexbase : A4849D9H ; cf. l’Ouvrage «La profession d’avocat» N° Lexbase : E0422E7R). On consulter aussi une décision de la même chambre en date du 11 février 2010, dans laquelle il est rappelé que c’est uniquement en cas de renonciation à l’aide juridictionnelle que des honoraires peuvent être réclamés par le premier avocat : «l’exercice, en cours de procédure, de la liberté de choix de son avocat par le bénéficiaire de l’aide juridictionnelle n’emporte pas renonciation à cette aide ; qu’en condamnant Mme X... à verser des honoraires à M. Y... sans constater qu’elle aurait renoncé, en choisissant un nouvel avocat, au bénéfice de l’aide juridictionnelle, le premier président a privé sa décision de base légale au regard des dispositions susvisées» (Cass. civ. 2, 11 février 2010, n° 09-65.078, F-D N° Lexbase : A7877ER8).

[10] CA Paris, Pôle 2, 6ème ch., 26 juin 2018, n° 17/00395 (N° Lexbase : A7637XUE).

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