La lettre juridique n°450 du 28 juillet 2011 : Baux commerciaux

[Jurisprudence] La destruction de la chose louée entraîne la perte du droit à l'indemnité d'éviction

Réf. : Cass. civ. 3, 29 juin 2011, n° 10-19.975, FS-P+B (N° Lexbase : A6478HUH)

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N7305BSD

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par Julien Prigent, avocat à la cour d'appel de Paris, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Baux commerciaux"

le 04 Avril 2012

En application de l'article 1722 du Code civil (N° Lexbase : L1844ABW), la destruction totale du bien loué entraînant la résiliation de plein droit du bail et la perte par le preneur de ses droits contractuels et statutaires, ce dernier ne peut plus prétendre au versement d'une indemnité d'éviction qui ne lui est pas définitivement acquise au jour du sinistre et n'est pas entrée dans son patrimoine. Tel est le rappel effectué par la Cour de cassation dans un arrêt du 29 juin 2011, qui précise également que cette solution n'est pas contraire à l'article 1er du premier protocole additionnel de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L1625A29), ni à l'article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (N° Lexbase : L8117ANX).
En l'espèce, une commune, propriétaire d'une parcelle de terrain donnée à bail commercial à une discothèque, avait, par acte du 26 août 2004, délivré un congé au preneur pour le 30 avril 2005 avec refus de renouvellement et offre d'indemnité d'éviction. Une expertise, ordonnée en vue de déterminer le montant de celle-ci était en cours lorsqu'un incendie, survenu dans la nuit du 1er au 2 juin 2005, avait totalement détruit l'immeuble loué. Par acte du 5 octobre 2005, la commune a assigné le locataire en constatation de la résiliation du bail sur le fondement des dispositions de l'article 1722 du Code civil. Le liquidateur du preneur a sollicité, à titre reconventionnel, la condamnation de la commune à lui verser une certaine somme à titre d'indemnité d'éviction. En cours d'instance un département, cessionnaire du bien en cause, est intervenu volontairement à l'instance et a repris à son compte l'action de la commune en dénégation du droit à indemnité d'éviction.
Les juges du fond ayant constaté la résiliation de plein droit du bail et dit n'y avoir lieu au paiement d'une indemnité d'éviction au profit du locataire, ce dernier s'est pourvu en cassation. I - Sur la notion de chose louée détruite en totalité par cas fortuit

Aux termes de l'article 1722 du Code civil, "si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n'est détruite qu'en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l'un et l'autre cas, il n'y a lieu à aucun dédommagement".

Ce texte distingue en conséquence la destruction totale par cas fortuit, qui entraîne la résiliation du bail de "plein droit", et la destruction partielle qui ouvre une option au preneur, à savoir, solliciter une diminution du prix ou la résiliation du bail. Dans les deux cas, il n'y a lieu à aucun dédommagement.

Dans l'arrêt rapporté, le bailleur, pour échapper au règlement de l'indemnité d'éviction, soutenait que la chose louée avait été détruite en totalité. Aucune discussion, à tout le moins devant la Cour de cassation, n'avait porté sur la question de savoir si le bien loué avait été détruit en totalité au sens de l'article 1722 du Code civil. Cette qualification ne semblait en effet pas contestable, l'immeuble ayant été détruit en totalité par un incendie. Il existe toutefois des hypothèses où cette qualification peut susciter des interrogations.

La Cour de cassation a été amenée à préciser la notion de "chose louée détruite en totalité" en assimilant à la destruction totale de la chose louée, l'impossibilité absolue et définitive d'user de cette dernière conformément à sa destination ou la nécessité d'effectuer des travaux dont le coût excède la valeur de cette chose (Cass. civ. 3, 2 juillet 2003, n° 02-14.642, FP-P+B N° Lexbase : A0383C93 ; Cass. civ. 3, 9 décembre 2009, n° 08-17.483, FS-P+B N° Lexbase : A4396EPI). Lorsque les lieux ont été détruits en totalité, il n'est pas nécessaire, en revanche, de rechercher si les frais de remise en état des locaux litigieux constituent pour le bailleur une dépense excessive, même s'il a perçu, pour cette remise en état, une indemnité d'assurance substantielle (Cass. civ. 3, 1er mars 1995, n° 93-14.275 N° Lexbase : A7727ABS).

En outre, et pour que la résiliation du bail de plein droit puisse intervenir, il faut que la chose louée ait été détruite en totalité par un cas fortuit. S'il a été jugé que la vétusté peut s'assimiler à un cas fortuit (Cass. civ. 3, 7 juin 2000, n° 98-20.379 N° Lexbase : A9365ATZ), c'est à la condition qu'il n'y ait pas une faute ou de défaut d'entretien imputable au bailleur (Cass. civ. 3, 3 octobre 1978, n° 77-11.120 N° Lexbase : A7299AGG), la preuve du manquement du bailleur à ses obligations à cet égard incombant au preneur (Cass. civ. 3, 3 avril 2001, n° 99-17.939 N° Lexbase : A1748ATW). L'existence d'un cas fortuit n'a pas non plus suscité de discussion devant la Haute cour dans l'arrêt commenté. Les juges du fond, selon le moyen annexé au pourvoi, avaient relevé que la destruction totale du bien avait une origine indéterminée.

II - Sur les conséquences de la destruction de la chose louée par cas fortuit

L'article 1722 du Code civil prévoit que la destruction totale de la chose louée entraîne la résiliation de plein droit du bail sans dédommagement.

Le preneur ne pourra obtenir la réparation du préjudice subi du fait de la destruction de la chose louée, la résiliation intervenant sans dédommagement (Cass. civ. 3, 1er juin 1988, n° 87-11.306 N° Lexbase : A8256AGU ; Cass. civ. 3, 13 juillet 1994, n° 91-10.568, inédit N° Lexbase : A6280CSE). Il s'agit ici de l'un des effets attachés à la survenance d'un cas de force majeure, l'article 1148 du Code civil (N° Lexbase : L1249ABU) énonçant du reste, de manière générale, que "il n'y a lieu à aucuns dommages et intérêts lorsque, par suite d'une force majeure ou d'un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit".

La résiliation du bail étant de plein droit, elle intervient dès la destruction de la chose en application de l'article 1722 du Code civil et aucun loyer n'est en conséquence dû après cette date (Cass. civ. 3, 20 février 2007, n° 06-14.338, F-D N° Lexbase : A3078DUK). Il s'agit ici, concernant les effets de la destruction totale de la chose louée quant aux obligations du preneur, de l'application de l'adage res perit debitori : le débiteur de l'obligation impossible à exécuter (le bailleur) doit supporter l'inexécution. En réalité, et compte tenu de l'affranchissement du bailleur de ses obligations à l'égard du preneur, les risques sont partagés.

Le preneur, qui a réglé par avance des sommes au titre des loyers, verra son obligation au règlement de ces derniers limitée à la période précédant la survenance du sinistre. Il pourra obtenir la restitution des sommes versées en trop, cette demande ne constituant pas une demande de réparation d'un préjudice (Cass. civ. 3, 1er avril 1998, n° 96-10.399 N° Lexbase : A2607ACK).

Une autre conséquence de la résiliation du bail sur le fondement de l'article 1722 du Code civil consiste en l'absence d'obligation du bailleur de régler au preneur une indemnité d'éviction. La question s'est posée dans des hypothèses où, comme dans l'arrêt rapporté, la destruction de la chose louée intervient alors qu'il a été mis fin au bail par un congé ou une demande de renouvellement et que le preneur se maintient dans les lieux loués dans l'attente du paiement d'une indemnité d'éviction (C. com., art. L. 145-28 N° Lexbase : L5756AIZ).

La Cour de cassation a affirmé que le preneur ne pouvait prétendre au paiement d'une indemnité d'éviction dès lors que le bail se trouvait résilié en raison de la destruction totale de la chose louée (Cass. civ. 3, 29 septembre 1999, n° 98-10.237 N° Lexbase : A8161AGD ; Cass. civ. 3, 29 septembre 2004, n° 03-13.997, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4861DDE ; Cass. civ. 3, 1er avril 2008, n° 06-20.067, F-D N° Lexbase : A7652D7K). Cette solution peut paraître curieuse puisqu'elle aboutit à admettre qu'un bail qui a cessé peut être résilié. Elle peut se justifier par le fait que le maintien dans les lieux du preneur s'effectue aux clauses et conditions du bail expiré (C. com., art. L. 145-28), comme le rappelle la Cour de cassation dans ses arrêtés précités des 29 septembre 1999 et 29 septembre 2004. Ainsi, il est admis que le bailleur puisse se prévaloir à l'encontre du preneur, pendant son maintien dans les lieux dans l'attente du paiement de l'indemnité d'éviction, de la clause résolutoire du bail (Cass. civ. 3, 1er mars 1995, n° 93-10.172 N° Lexbase : A7501ABG).

L'arrêt rapporté est plus précis sur ce point puisqu'il vise la résiliation du bail par l'effet de la destruction de la chose louée, mais également "la perte par le preneur de ses droits contractuels et statutaires", perte qui constituerait ainsi le "pendant" de la résiliation du bail durant la phase de maintien dans les lieux au cours de laquelle, bien qu'ayant cessé, le bail continue de produire certains effets.

La Cour de cassation, rappelant la motivation des juges du fond, relève également que le preneur ne pouvait prétendre au versement de l'indemnité d'éviction qui ne lui était pas définitivement acquise au jour du sinistre. A contrario, il semblerait que le bailleur reste tenu de régler l'indemnité d'éviction, même en cas de destruction de la chose louée, si cette indemnité se trouvait définitivement acquise au preneur au jour du sinistre. Il pourra s'agir, par exemple, du cas dans lequel une décision judiciaire condamnant le bailleur à régler cette indemnité serait devenue définitive avant le sinistre. Un accord des parties sur le montant de cette indemnité et l'engagement du bailleur à la régler pourrait également constituer un droit définitivement acquis à son versement.

III - Sur la conformité aux normes supra-législatives de la perte du droit au paiement de l'indemnité d'éviction en cas de destruction totale de la chose loué

Enfin, cet arrêt du 29 juin 2011 se prononce également sur la conformité de la solution qu'il rappelle aux normes supra-législatives.

La Cour de cassation précise, en effet, que la perte du droit au paiement de l'indemnité d'éviction en cas de destruction de la chose louée n'est contraire ni à l'article 1er du premier protocole additionnel de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, ni à l'article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. La Haute cour ne justifie pas les raisons pour lesquelles cette solution ne serait pas contraire à ces normes qui protègent le droit de propriété. Le droit à l'indemnité aurait pourtant vocation à être protégé, notamment par l'article 1er du premier protocole additionnel, cette indemnité pouvant vraisemblablement être qualifiée de "bien" au sens de ce texte. La Cour européenne des droits de l'Homme, dans une affaire "Tre Traktörer Aktiebolag" (CEDH, 7 juillet 1989, Req. 4/1988/148/202 N° Lexbase : A6485AW4) a ainsi consacré une conception extensive de la notion de "bien" en y incluant "les intérêts économiques" liés à la gestion d'un commerce.

La Cour de cassation avait déjà eu l'occasion d'affirmer que le fait, pour un bailleur, de dénier le bénéfice du droit au renouvellement à deux époux séparés de biens sur le fondement du défaut d'immatriculation d'un seul d'entre eux à la date de leur demande de renouvellement ne constitue pas une atteinte disproportionnée au droit à la "propriété commerciale" reconnu aux locataires au regard des dispositions de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, dès lors que les dispositions du Code de commerce relatives au renouvellement du bail commercial réalisent un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et les impératifs de sauvegarde des droits fondamentaux de la personne (Cass. civ. 3, 18 mai 2005, n° 04-11.349, FS-P+B+I N° Lexbase : A3028DIY ; nos obs., La propriété commerciale est-elle protégée par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ?, Rev. Loyers, 2005/859, n° 164).

Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt commenté, la Cour de cassation avait également précédemment déjà refusé le renvoi au Conseil constitutionnel de la question de la constitutionnalité des dispositions de l'article 1722 du Code civil, au motif qu'en excluant tout dédommagement lorsque le bail est résilié de plein droit par suite de la disparition fortuite de la chose louée, ce texte ne faisait que tirer la conséquence nécessaire de la disparition de l'objet même de la convention que les parties avaient conclu et poursuivait un objectif d'intérêt général en assurant, lors de l'anéantissement de leurs relations contractuelles dû à une cause qui leur est étrangère, un équilibre objectif entre leurs intérêts respectifs (Cass. civ. 3, 4 janvier 2011, n° 10-19.975, F-D).

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