Réf. : Cass. soc., 13 juin 2018, n° 16-24.830, FS-P+B (N° Lexbase : A3249XRR)
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par Sébastien Tournaux, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux
le 27 Juin 2018
Rupture conventionnelle/indemnité spécifique/droit de rétractation
Résumé
Une partie à une convention de rupture ne peut valablement demander l'homologation de cette convention à l'autorité administrative avant l'expiration du délai de rétractation de quinze jours prévu par l’article L. 1237-13 du Code du travail (N° Lexbase : L8385IAS), y compris lorsque cette convention a été conclue après une première qui a fait l’objet d’un refus d’homologation par l’autorité administrative. |
Les conditions de validité de la rupture conventionnelle du contrat de travail sont à la fois rigoureuses et très peu nombreuses. Rigoureuses, parce que la procédure de conclusion de l’accord doit être scrupuleusement respectée en raison, notamment, de sa vocation à garantir la liberté de consentement des parties. Peu nombreuses, parce que, si l’on met de côté les conditions procédurales, l’obligation de verser au salarié une indemnité spécifique minimale est la seule véritable exigence de fond, comme une contrepartie destinée à compenser la perte d’emploi. Cette dernière n’est pas toujours aussi bien garantie par la Chambre sociale de la Cour de cassation que ne sont protégées les conditions de forme de la convention. L’arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 13 juin 2018 permet de rappeler l’importance cardinale du droit de rétractation dans la procédure de rupture conventionnelle (I). Par l’exigence qu’un nouveau délai de repentir soit respecté à la suite d’un refus d’homologation en raison de l'insuffisance de l'indemnité spécifique, il impose de poser un regard renouvelé sur celle-ci et l'on finit par ne plus très bien savoir si le respect des minima légaux ou conventionnels en la matière constitue ou non une condition de validité de la convention de rupture (II).
Commentaire
I - L’impérativité du droit de rétractation après toute convention de rupture
Le droit de rétractation, élément clé de la rupture conventionnelle. Le consentement des parties à la rupture conventionnelle en constitue l’élément cardinal [1] et l’ensemble de la procédure légale de conclusion de la convention est ainsi focalisée sur sa validité [2]. Le ou les entretiens de préparation, la faculté des parties de s’y faire assister, l’existence d’un délai de rétractation et la procédure d’homologation administrative tendent tous vers l’objectif de s’assurer que les parties ont consenti librement et en connaissance de cause à la rupture du contrat de travail.
D’une manière générale, il en résulte qu’à de rares exceptions près, il ne peut plus aujourd’hui être conclu de rupture amiable du contrat de travail sans respecter les dispositions des articles L. 1237-11 et suivants du Code du travail (N° Lexbase : L8512IAI) [3]. Plus spécifiquement, le manquement à l’une des règles légales garantissant le consentement est généralement sanctionné par la nullité de la convention. Il en va naturellement ainsi de l’absence d’entretien de préparation qui entache la convention de nullité [4]. Le respect du délai de rétractation tient lui aussi une place fondamentale comme le démontrent de nombreuses décisions.
C’est au nom de celui-ci que la Chambre sociale a interprété les règles du Code du travail pour juger que la remise d’un exemplaire de la convention au salarié était une condition de validité de celle-ci, parce qu’elle est nécessaire pour lui permettre d’exercer son droit de rétractation [5]. C’est aussi parce que l’écoulement du délai de rétractation scelle le consentement du salarié à la rupture qu’il ne lui est plus permis, après ce terme, de prendre acte de la rupture de son contrat de travail, sauf à démontrer un manquement de l’employeur à ses obligations, postérieur à l’échéance du délai [6]. Enfin, la Chambre sociale garantit l’efficacité du droit de rétraction en interdisant que la demande d’homologation à l’administration du travail n’intervienne avant l’écoulement du délai de rétractation [7].
Puisque l’exercice du droit de rétractation correspond à une manifestation de volonté de retrait, il prend effet au jour où cette volonté est émise, c’est-à-dire au jour de l’envoi de la lettre de rétractation qui peut [8], toutefois, être formalisé par tout moyen permettant de lui conférer date certaine [9].
La Chambre sociale de la Cour de cassation n’a admis que de rares entorses au caractère impératif du droit de rétractation et aux modalités qui l’entourent. On se souviendra néanmoins qu’elle juge depuis 2014 que l’erreur dans la date d’échéance du délai de rétractation mentionné dans la convention ne permet pas d’obtenir la nullité de la convention, étant observé que dans l’affaire en cause, les parties avaient effectivement bénéficié d’un délai plein de rétractation malgré l’erreur matérielle [10].
L’affaire. Les parties au contrat de travail choisissent de conclure une convention de rupture le 27 juin 2013, laquelle mentionne un entretien de préparation ayant eu lieu le 26 juillet 2013 et l’échéance du délai de rétractation au 11 août 2013. La demande d’homologation présentée à l’administration du travail leur est refusée, non pas en raison de l’incohérence des dates mentionnées à l’acte [11], mais au motif que le montant de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle était inférieur au minimum conventionnel. Elles signent un second formulaire de rupture conventionnelle qui mentionne les mêmes dates d’entretien et d’échéance du délai de rétractation et envisage la date de rupture du contrat de travail au 9 octobre 2013.
La salariée conteste la rupture conventionnelle en raison d’un vice du consentement qui résulterait d’un harcèlement moral, ce que la cour d’appel de Douai refuse d’admettre. Elle juge, en revanche, que «l'importance du changement à opérer justifiait que [la salariée] bénéficie d'un nouveau délai de rétractation» et décide, par conséquent, d’invalider la convention et de faire produire à la rupture les effets d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. L’employeur forme pourvoi en cassation.
Par un arrêt rendu le 13 juin 2018, la Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle juge «qu'il résulte de l'application combinée des articles L. 1237-13 et L. 1237-14 (N° Lexbase : L8504IA9) du Code du travail qu'une partie à une convention de rupture ne peut valablement demander l'homologation de cette convention à l'autorité administrative avant l'expiration du délai de rétractation de quinze jours prévu par le premier de ces textes» et approuve, par conséquent, les juges d’appel d’avoir constaté que «la première convention avait fait l'objet d'un refus d'homologation par l'autorité administrative […] que la salariée devait bénéficier d'un nouveau délai de rétractation et que, n'en ayant pas disposé, la seconde convention de rupture était nulle».
II - Discussion relative aux conditions de validité de la convention de rupture
La réfaction d’une convention de rupture non homologuée. En fonction de quelles considérations doit-on imposer l’écoulement d’un nouveau délai de rétractation lorsqu’une convention initiale n’est pas homologuée par l’administration du travail et que les parties s’entendent pour modifier les éléments qui justifient ce refus ? Pour répondre à cette question, deux propositions peuvent être envisagées.
La première aboutirait à apprécier l’importance de la modification apportée par les parties : si elle est de faible importance, il est inutile de respecter un nouveau délai de rétractation alors qu’à l’inverse, si le changement touche aux fondements de la convention, un nouveau droit de repentir doit être accordé. Avec des résultats différents, c’est bien ce raisonnement qui était adopté par la cour d’appel et par l’employeur au soutien de son pourvoi. La première jugeait en effet que la modification du montant de l’indemnité était un changement d’une telle importance qu’il ne s’agissait plus d’une simple modification de la convention initiale. A l’inverse, l’employeur soutenait que l’insuffisance du montant de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle n’entachait pas la validité d’une rupture conventionnelle et qu’il ne s’agissait donc pas d’une modification d’une ampleur suffisante pour faire naître un nouveau droit de rétractation.
La seconde consisterait à prendre en considération non plus l’ampleur du changement apporté, mais les effets de la décision de refus d’homologation de l’administration du travail. La convention de rupture non homologuée est nulle et ne peut produire aucun effet, elle disparaît. Il est alors indispensable de conclure une nouvelle convention, de respecter à nouveau le formalisme du Code du travail et de s’astreindre à un nouveau délai de rétractation.
C’est cette seconde option que semble choisir la Chambre sociale de la Cour de cassation. A aucun moment de son argumentation, elle ne reprend le raisonnement fondé sur l’importance du changement apporté par la stipulation d’une nouvelle indemnité conforme aux minima imposés par le Code du travail. Au contraire, elle énonce clairement que la modification du montant de l’indemnité à la suite du refus d’homologation a fait naître une «seconde convention de rupture» qui devait donc être soumise à l’ensemble des conditions du Code du travail. En suivant ce raisonnement et au regard des faits de l’espèce, ce n’est d’ailleurs pas seulement l’absence de délai de rétractation qui fait difficulté, mais encore le défaut d’un nouvel entretien qui aurait pu être constaté, cela d’autant que la détermination du montant de l’indemnité spécifique est l’un des objectifs conférés à celui-ci par l’article L. 1237-12 du Code du travail (N° Lexbase : L8193IAP).
Sur ce plan, la décision de la Chambre sociale peut être approuvée. Elle permet de rappeler l’importance de l’homologation dans le processus de conclusion d’une rupture conventionnelle. Le refus d’homologation n’a pas pour simple effet d’exiger des parties de remettre l’ouvrage sur le métier ; elle est indissociable de la convention de rupture elle-même, comme en témoigne le bloc de compétence offert au juge prud’homal sur ces questions. Le refus d’homologation doit avoir pour effet de détruire intégralement la convention de rupture.
Là où le bât blesse, c’est que la cause de refus d’homologation avancée par l’administration du travail n’est pas toujours vue comme un élément conditionnant la validité d’une convention de rupture.
Les incertitudes relatives à l’importance de l’indemnité spécifique de rupture. Faut-il faire produire à l’insuffisance du montant de l’indemnité spécifique stipulé par la convention de rupture des conséquences comparables à celles qui résultent de la violation d’autres mesures imposées par le Code du travail et relatives à la négociation de la rupture conventionnelle ?
Techniquement, la réponse à cette question devrait être affirmative. En effet, l’autorité administrative ne délivre l’homologation qu’après avoir vérifié le «respect des conditions prévues à la présente section et de la liberté de consentement des parties» [12], parmi lesquelles figure la stipulation d’une indemnité spécifique minimale. Si une convention prévoit une indemnité dont le montant est insuffisant, elle ne peut être homologuée parce que l’une de ces conditions n’a pas été respectée [13]. En somme, dans ce cas de figure, la convention de rupture ne respecte pas l’une des rares conditions de fond imposées par le Code du travail.
Ce n’est pourtant pas la voie choisie par les juridictions judiciaires. La Chambre sociale de la Cour de cassation a d’abord admis la possibilité pour un salarié de demander le paiement de l’indemnité spécifique minimale au juge prud’homal sans quereller la validité de l’accord, ce qui semblait déjà dissocier les deux questions [14]. Plus clairement, elle a jugé par la suite que «la stipulation par les deux parties d'une indemnité dont le montant est inférieur à celle prévue par l'article L. 1237-13 du Code du travail […] [n’entraîne pas, en elle-même] la nullité de la convention de rupture» [15].
Il apparaît alors une forme de contradiction entre ces décisions et celle rendue le 13 juin 2018. Alors que les premières refusent de faire du respect de l’indemnité minimale une cause de nullité de la convention de rupture, la seconde avalise le raisonnement selon lequel la convention stipulant une indemnité insuffisante doit disparaître faute d’homologation et que la réfaction de celle-ci, par une nouvelle clause prévoyant une indemnité d’un montant adéquat, ne constitue pas une simple modification de la convention initiale, mais une nouvelle convention à part entière.
L’ombre du droit de rétractation, dont l’importance a été précédemment rappelée, plane sans doute sur le raisonnement de la Chambre sociale. La cohérence de l’ensemble exigerait toutefois que la stipulation d’une indemnité insuffisante permette, aussi bien devant l’autorité administrative que devant le juge prud’homal, d’obtenir la remise en cause intégrale de la convention et que soit prononcée sa nullité.
Décision
Cass. soc., 13 juin 2018, n° 16-24.830, FS-P+B (N° Lexbase : A3249XRR).
Rejet (CA Douai, 30 septembre 2016, n° 15/01538 N° Lexbase : A4177SQR).
Texte concerné : C. trav., art. L. 1237-13 (N° Lexbase : L8385IAS)
Mots-clés : rupture conventionnelle ; indemnité spécifique ; droit de rétractation.
Lien base : (N° Lexbase : E0220E7B). |
[1] V. notre étude, Rupture conventionnelle : consécration de la prééminence du consentement, Lexbase, éd. soc., n° 516, 2013 (N° Lexbase : N5793BTQ).
[2] La convention «est soumise aux dispositions de la présente section destinées à garantir la liberté du consentement des parties», C. trav., art. L. 1237-11 (N° Lexbase : L8512IAI).
[3] Cass. soc., 15 octobre 2014, n° 11-22.251, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6594MYU) et nos obs., La (quasi) disparition de la rupture amiable du contrat de travail, Lexbase, éd. soc., n° 589, 2014 (N° Lexbase : N4455BUK).
[4] Cass. soc., 1er décembre 2016, n° 15-21.609, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7976SLY) et les obs. de Ch. Radé, La nullité de la rupture conventionnelle en raison du défaut d'entretien préalable : la rigueur de la sanction tempérée par la mansuétude de la règle de preuve, Lexbase, éd. soc., n° 680, 2016 (N° Lexbase : N5643BWW).
[5] Cass. soc., 6 février 2013, n° 11-27.000, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5796I7S) et nos obs., Rupture conventionnelle : consécration de la prééminence du consentement, Lexbase, éd. soc., n° 516, 2013 (N° Lexbase : N5793BTQ) ; RDT, 2013, p. 258, obs. F. Taquet.
[6] Cass. soc., 6 octobre 2015, n° 14-17.539, FS-P+B+R (N° Lexbase : A0465NTE) et nos obs., Le rôle fondamental du délai de rétractation dans la rupture conventionnelle, Lexbase, éd. soc., n° 630, 2015 (N° Lexbase : N9546BU4).
[7] Cass. soc., 14 janvier 2016, n° 14-26.220, FS-P+B (N° Lexbase : A9536N3L) et les obs. de G. Auzero, Précisions autour de l'homologation de la rupture conventionnelle, Lexbase, éd. soc., n° 641, 2016 (N° Lexbase : N1108BWX).
[8] Cass. soc., 14 février 2018, n° 17-10.035, FS-P+B (N° Lexbase : A7669XDE) et nos obs., Rupture conventionnelle : efficacité de la rétractation au jour de l'envoi de la lettre, Lexbase, éd. soc., n° 733, 2018 (N° Lexbase : N2982BXQ).
[9] Cass. soc., 6 octobre 2015, n° 14-17.539, FS-P+B+R (N° Lexbase : A0465NTE) et nos obs., Le rôle fondamental du délai de rétractation dans la rupture conventionnelle, Lexbase, éd. soc., n° 630, 2015 (N° Lexbase : N9546BU4). Par ex., rétractation par courriel : CA Bourges, 16 septembre 2011, n° 10/01735 (N° Lexbase : A9102HZ7).
[10] «Une erreur commise dans la convention de rupture sur la date d'expiration du délai de quinze jours prévu par l'article L. 1237-13 du Code du travail ne pouvant entraîner la nullité de cette convention que si elle a eu pour effet de vicier le consentement de l'une des parties ou de la priver de la possibilité d'exercer son droit à rétractation», Cass. soc., 29 janvier 2014, n° 12-24.539, FS-P+B (N° Lexbase : A2278MDQ) et nos obs., Rupture conventionnelle : précisions procédurales et intégrité du consentement, Lexbase, éd. soc., n° 558, 2014 (N° Lexbase : N0766BUW).
[11] Le rappel des faits opéré par la Chambre sociale, parfaitement conforme à celui de la cour d’appel de Douai, montre en effet que la conclusion de rupture a été conclue antérieurement à l’entretien, ce qui semble contraire à la temporalité prévue par l’article L. 1237-12 du Code du travail. Par ailleurs, quoiqu’il n’y ait là rien d’illicite à accroître la durée du délai légal de rétractation, celui-ci aurait en principe dû courir pour une durée de 15 jours calendaires après la conclusion de la rupture et ainsi s’achever le 13 juillet 2013.
[12] C. trav., art. L. 1237-14 (N° Lexbase : L8504IA9).
[13] Faisant entrer le contrôle du montant de l’indemnité dans le champ du contrôle de l’administration du travail, v. circulaire DGT n° 2008-11 du 22 juillet 2008 (N° Lexbase : L7308IAW).
[14] Cass. soc., 10 décembre 2014, n° 13-22.134, FS-P+B (N° Lexbase : A6058M7I) et nos obs., Des conséquences de l'absence ou de l'insuffisance de l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle, Lexbase, éd. soc., n° 596, 2015 (N° Lexbase : N5316BUG).
[15] Cass. soc., 8 juillet 2015, n° 14-10.139, FS-P+B (N° Lexbase : A7439NMH) et les obs. de G. Auzero, Rupture conventionnelle : confirmation du caractère exceptionnel de la nullité de la convention de rupture, Lexbase, éd. soc., n° 625, 2015 (N° Lexbase : N8937BUK). V. également CA Grenoble, 8 janvier 2015, n° 13/02031 (N° Lexbase : A9793M89) et nos obs., Validité de la rupture conventionnelle : les juges du fond plus sévères que la Cour de cassation ?, Lexbase, éd. soc., n° 599, 2015 (N° Lexbase : N5708BUX).
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