La lettre juridique n°641 du 28 janvier 2016 : Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] Précisions autour de l'homologation de la rupture conventionnelle

Réf. : Cass. soc., 14 janvier 2016, n° 14-26.220, FS-P+B (N° Lexbase : A9536N3L)

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par Gilles Auzero, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux

le 28 Janvier 2016

Parce qu'elle suppose, par nature, que le salarié consente à la rupture de son contrat de travail, la rupture conventionnelle ne peut intervenir qu'au terme d'un processus précis, établi par la loi, destiné à garantir la liberté du consentement du salarié. Parmi les étapes qui jalonnent ce processus, figurent, en bonne place, le droit de rétractation donné aux parties postérieurement à la conclusion de la convention de rupture et, à l'issu du délai de quinze jours pendant lequel cette rétractation peut être exercée, la nécessité de soumettre la convention à l'autorité administrative pour homologation. Compte tenu de l'importance que revêtent ces prescriptions, elles doivent être scrupuleusement respectées. C'est ce que signifie la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 14 janvier 2015 en indiquant, d'abord, que l'homologation ne peut être demandée valablement qu'à l'expiration du délai de rétractation. La Chambre sociale souligne, ensuite, et peut-être surtout, qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du juge judiciaire de se substituer à l'autorité administrative pour donner l'homologation.
Résumé

Il n'entre pas dans les pouvoirs du juge judiciaire de prononcer, en lieu et place de l'autorité administrative, l'homologation d'une convention de rupture conclue en application des articles L. 1237-11 (N° Lexbase : L8512IAI) et suivants du Code du travail.

Il résulte de l'application combinée des articles L. 1237-13 (N° Lexbase : L8385IAS) et L. 1237-14 (N° Lexbase : L8504IA9) du Code du travail qu'une partie à une convention de rupture ne peut valablement demander l'homologation de cette convention à l'autorité administrative avant l'expiration du délai de rétractation de quinze jours prévu par le premier de ces textes.

Observations

I - Les étapes de la rupture conventionnelle

Un processus encadré. Consacrant la rupture amiable du contrat de travail, la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, portant modernisation du marché du travail (N° Lexbase : L4999H7B), l'a soumise à un certain nombre d'exigences procédurales destinées, ainsi que le rappelle l'article L. 1237-11 du Code du travail, "à garantir la liberté du consentement des parties". Nonobstant la généralité de la formule, on devine sans peine que c'est surtout le consentement du salarié qui est visé, étant simplement rappelé que le lien de subordination peut faire douter de la liberté de son consentement.

S'inspirant des techniques éprouvées du droit de la consommation, le législateur a, en conséquence, souhaité mettre en place un "processus contractuel successif", en contraignant le salarié "à l'hésitation" (1). C'est ainsi que la convention de rupture ne peut être conclue sans avoir été précédée d'un ou de plusieurs entretiens entre le salarié et l'employeur (C. trav., art. L. 1237-2 N° Lexbase : L1390H9D). Une fois signée, la convention de rupture ne lie pas pour autant les parties, qui disposent d'un droit de rétractation qui peut être exercé dans un délai de quinze jours calendaires à compter de la signature par les deux parties (C. trav., art. L. 1237-13). Une fois ce délai de rétractation achevée, la partie la plus diligente adresse une demande d'homologation à l'autorité administrative (C. trav., art. L. 1237-14).

A l'évidence, ces exigences n'avaient pas été respectées dans l'affaire ayant conduit à l'arrêt sous examen.

L'affaire. En l'espèce, un salarié engagé par l'Association aide à domicile aux personnes âgées et aux malades, en qualité de coordinateur des responsables de secteur, avait conclu avec son employeur une convention de rupture, le 8 mars 2010. Une demande d'homologation de cette convention avait été adressée à l'autorité administrative le 23 mars 2010. Celle-ci ayant, le 25 mars suivant, informé les parties de ce qu'elle refusait d'homologuer cette convention, le salarié avait finalement été licencié le 23 avril 2010.

L'employeur faisait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de sa demande tendant à l'annulation de la convention de rupture (2). A l'appui de son pourvoi, il soutenait que l'erreur commise dans la convention de rupture sur la date d'expiration du délai de rétractation de quinze jours ne peut entraîner la nullité de cette convention que si elle a eu pour effet de vicier le consentement de l'une des parties ou de la priver de la possibilité d'exercer son droit à rétractation. Par suite, l'envoi de la demande d'homologation à l'administration, avant l'expiration du délai de quinze jours, ne peut justifier un refus d'homologation que s'il a pour effet de vicier le consentement d'une partie ou de la possibilité d'exercer son droit de rétractation.

En l'espèce, la convention de rupture, conclue le 8 mars 2010, prévoyait que les parties peuvent exercer un droit de rétractation dans un délai de quinze jours. Or, ni l'Association, ni le salarié n'ont exercé leur droit de rétractation dans ce délai. En décidant que la remise à l'administration de la demande d'homologation avant l'expiration de ce délai de quinze jours et, plus précisément, le dernier jour de ce délai, justifiait le refus d'homologation de l'administration, sans faire ressortir en quoi le dépôt de la demande le jour de l'expiration du délai de rétractation avait eu pour effet de vicier le consentement de l'une des parties ou l'avait empêchée d'exercer son droit de rétractation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1237-13 et L. 1237-14 du Code du travail.

Le strict respect des étapes de la procédure. Les arguments développés par l'employeur sont écartés par la Cour de cassation, qui affirme qu'il "résulte de l'application combinée des articles L. 1237-13 et L. 1237-14 du Code du travail qu'une partie à une convention de rupture ne peut valablement demander l'homologation de cette convention à l'autorité administrative avant l'expiration du délai de rétractation de quinze jours prévu par le premier de ces textes".

La solution ainsi énoncée doit être pleinement approuvée. L'argumentation développée par l'employeur, qui n'était pas dénuée d'une certaine pertinence, prenait appui sur une décision rendue par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 29 janvier 2014. Celle-ci avait décidé, dans cet arrêt, "qu'une erreur commise dans la convention de rupture sur la date d'expiration du délai de quinze jours prévu par l'article L. 1237-13 du Code du travail ne [peut] entraîner la nullité de cette convention que si elle a eu pour effet de vicier le consentement de l'une des parties ou de la priver de la possibilité d'exercer son droit à rétractation" (3).

Les situations en cause dans les deux affaires sont cependant différentes. Dans la seconde, la demande d'homologation avait été adressée à l'autorité administrative à l'expiration du délai porté sur la convention de rupture affectée, comme il a été dit, d'une erreur matérielle. D'ailleurs, l'autorité administrative ne s'en était visiblement pas aperçue, puisqu'elle avait donné son homologation (4). On est presque tenté de dire que les prescriptions de l'article L. 1237-14 avait ainsi été respectées puisque, comme cela a été rappelé précédemment, ce texte dispose que la demande d'homologation est adressée "à l'issue du délai de rétractation".

Cette assertion est évidemment exagérée puisque ce délai doit nécessairement s'entendre du délai de quinze jours prévu par la loi. De notre point de vue, la solution retenue par la Cour de cassation dans l'arrêt du 29 janvier 2014 ne s'explique que par le fait que l'homologation avait été donnée. Au demeurant, l'autorité administrative aurait parfaitement été en droit de refuser cette homologation après avoir relevé l'erreur commise dans la convention de rupture relativement au délai de rétractation. En outre, la Cour de cassation ne délivre pas un blanc-seing, laissant une place à la nullité de la convention de rupture, sous réserve que soit démontré le vice du consentement ou le fait que le droit de rétractation n'a pu être utilement exercé.

En tout état de cause, il ne saurait être fait reproche à l'autorité administrative d'avoir respecté la loi en refusant d'accorder son homologation consécutivement à une demande adressée avant l'expiration du délai légal.

II - Le rôle de l'autorité administrative

La répartition légale des compétences. La décision de l'autorité administrative, qu'elle consiste à une homologation ou un refus d'homologation, peut, et c'est heureux, faire l'objet d'un recours. Toutefois, ce recours ne sera pas porté devant la juridiction administrative (5). La loi prend soin de préciser que tout litige concernant l'homologation ou le refus d'homologation relève de la compétence du conseil de prud'hommes, à l'exclusion de tout recours contentieux ou administratif (C. trav., art. L. 1237-14). Pour justifier cette anomalie, la loi a posé le principe que l'homologation ne peut pas faire l'objet d'un litige distinct de celui relatif à la convention.

Pour être, a priori, claire, cette répartition des compétences n'en fait pas moins naître certaines difficultés dont l'arrêt sous examen porte témoignage.

La compétence préservée de l'administration. L'employeur faisait encore grief à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de sa demande tendant à l'homologation de la convention de rupture. Il invoquait, à cette occasion, les dispositions de l'article L. 1237-14 du Code du travail, pour soutenir qu'il en résulte qu'en cas de recours contre un refus d'homologation, le conseil de prud'hommes est compétent, non seulement pour dire que la convention de rupture réunit toutes les conditions pour être homologuée, mais aussi accorder cette homologation.

Tel n'est pas l'avis de la Cour de cassation qui décide, au contraire, "qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du juge judiciaire de prononcer, en lieu et place de l'autorité administrative, l'homologation d'une convention de rupture conclue en application des articles L. 1237-11 et suivants du Code du travail".

La précision est d'importance. Compte tenu de la rédaction de l'article L. 1237-11 du Code du travail et de la décision du législateur de conférer un bloc de compétence à la juridiction prud'homale, on pouvait effectivement hésiter quant aux prérogatives de celle-ci. D'ailleurs, certaines juridictions du fond ont admis que le conseil de prud'hommes, saisi d'un recours contre un refus d'homologation, est compétent pour valider la rupture (6).

C'est cependant faire peu de cas du principe de la séparation des pouvoirs. En outre, et à dire vrai, l'article L. 1237-14 ne commande pas une telle lecture. Il se borne à donner compétence à la juridiction prud'homale pour statuer sur le refus d'homologation. Il reste alors à savoir ce qui est en son pouvoir dès lors qu'elle est saisie d'une telle contestation. Dans la mesure où le juge judiciaire ne peut se substituer à l'autorité administrative pour prononcer l'homologation, il semble seulement en mesure d'annuler le refus d'homologation, à charge pour l'une ou l'autre des parties de saisir à nouveau l'autorité administrative (7).

Il est vrai que ces mêmes parties n'ont nullement besoin d'en passer par le juge judiciaire pour saisir l'autorité administrative d'une nouvelle demande d'homologation, en ayant pris soin de prendre en compte les raisons du refus initial (8). Mais ce même juge peut aussi être saisi d'une contestation relative à la seule décision d'homologation. En ce cas, et on le conçoit mieux, il n'a d'autre choix que d'annuler l'homologation. Mais on peut penser que ce type de contentieux sera, en fait, absorbé par celui relatif à la convention de rupture.


(1) J. Flour, J.-L. Aubert, E. Savaux, Les obligations, 1. L'acte juridique, Sirey, 15ème éd., n° 187.
(2) On peut trouver curieux que l'employeur saisisse ainsi le juge d'un litige relatif à la rupture conventionnelle alors que le salarié avait été licencié. Le fait que ce licenciement ait été jugé sans cause réelle et sérieuse explique sans doute cela, l'arrêt étant cependant peu clair sur ce point.
(3) Cass. soc., 29 janvier 2014, n° 12-24.539, FS-P+B (N° Lexbase : A2278MDQ) ; JCP éd. S, 2014, 1078, avec les obs. de G. Loiseau ; RDT, 2014, p. 255, avec nos obs..
(4) Elément que les juges du fond n'avaient pas manqué de relever dans l'affaire ayant conduit à l'arrêt sous examen.
(5) Il en va différemment, on le sait, lorsque la rupture conventionnelle est signée par un représentant du personnel.
(6) CA Versailles, 14 juin 2011, n° 10/01005 (N° Lexbase : A8277HTQ) ; RJS 11/11, n° 871.
(7) Il restera alors à déterminer sa marge de manoeuvre, compte tenu des motifs de la décision d'annulation.
(8) La saisine du juge judiciaire, en raison du seul refus d'homologation, semble ainsi confiner à l'hypothèse d'école.

Décision

Cass. soc., 14 janvier 2016, n° 14-26.220, FS-P+B (N° Lexbase : A9536N3L).

Rejet (CA Toulouse, 12 septembre 2014, n° 12/04957 N° Lexbase : A3575MWC).

Textes concernés : C. trav., art. L. 1237-13 (N° Lexbase : L8385IAS) et L. 1237-14 (N° Lexbase : L8504IA9).

Mots-clefs : rupture conventionnelle ; homologation ; date de la demande ; pouvoir du juge judiciaire.

Lien base : (N° Lexbase : E0221E7C et N° Lexbase : E0220E7B).

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