La lettre juridique n°641 du 28 janvier 2016 : Concurrence

[Chronique] Chronique de droit de la concurrence et de la distribution - Janvier 2016

Réf. : Décret n° 2015-1671 du 14 décembre 2015 (N° Lexbase : L7154KUI) ; Cons. const., décision n° 2015-510 QPC , 7 janvier 2016 (N° Lexbase : A3940N3C) ; CA Bourges, ch. civ., 7 janvier 2016, n° 15/00164 (N° Lexbase : A1993N39)

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par Pauline Le More, Avocate au barreau de Paris, Cabinet LeMore Avocat

le 28 Janvier 2016

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique de droit de la concurrence et de la distribution, animée par Maître Pauline Le More, avocate au barreau de Paris, Cabinet LeMore Avocat. Est, tout d'abord, signalé le décret n° 2015-1671 du 14 décembre 2015, rendant effective la nouvelle attribution de l'Autorité de la concurrence en matière d'accords d'achats groupés. L'auteur commente, ensuite, la décision du Conseil constitutionnel du 7 janvier 2016 ayant trait à la compatibilité du plafond des sanctions pécuniaires prononcées par l'Autorité de la concurrence avec la Constitution (Cons. const., décision n° 2015-510 QPC, 7 janvier 2016). Enfin, un arrêt de la cour d'appel de Bourges du 7 janvier 2016 (CA Bourges, ch. civ., 7 janvier 2016, n° 15/00164) permet de revenir sur l'importance de la dénonciation d'un défaut de conformité dans un délai raisonnable dans le cadre d'une vente internationale de marchandises soumise aux dispositions de la Convention de Vienne.
  • Entrée en vigueur de l'obligation de communication préalable des accords visant à négocier des achats groupés (décret n° 2015-1671 du 14 décembre 2015, relatif aux seuils de chiffres d'affaires fixés pour l'information préalable de l'Autorité de la concurrence en matière d'achats groupés N° Lexbase : L7154KUI)

Parmi les multiples dispositions encadrant les relations commerciales de certains secteurs économiques considérés comme sensibles, figure, dans la loi "Macron" (loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances N° Lexbase : L4876KEC), l'obligation d'information préalable de l'Autorité de la concurrence, avec effet suspensif, sur "tout accord entre des entreprises ou des groupes de personnes physiques ou morales exploitant, directement ou indirectement, un ou plusieurs magasins de commerce de détail de produits de grande consommation, ou intervenant dans le secteur de la distribution comme centrale de référencement ou d'achat d'entreprises de commerce de détail, visant à négocier de manière groupée l'achat ou le référencement de produits ou la vente de services aux fournisseurs" (C. com., art. L. 462-10, al. 1er, nouv. N° Lexbase : L1581KGN).

A la suite de la recommandation de l'Autorité de la concurrence dans son avis n° 15-A-06 du 31 mars 2015, relatif aux rapprochements des centrales d'achat et de référencement dans le secteur de la grande distribution (Aut. conc., avis n° 15-A-06 du 31 mars 2015 N° Lexbase : X3924APZ), celle-ci souhaite, grâce à cette nouvelle attribution, pouvoir, le cas échéant et en temps utile, intervenir sur des accords n'entrant pas dans le champ du contrôle des concentrations, mais susceptibles de poser des problèmes de concurrence.

Cette obligation, prévue à titre informatif, doit être respectée avant la mise en oeuvre de l'accord projeté, et au minimum deux mois avant. Elle trouve à s'appliquer au delà d'un certain seuil de chiffres d'affaires mondiaux et français (C. com., art. L. 462-10, al. 2, nouv., en liaison avec l'article R. 462-5 du Code de commerce N° Lexbase : L7928KU8). Selon le décret du 14 décembre 2015, publié au Journal officiel du 16 décembre 2015, les conditions suivantes de seuil suivantes doivent être cumulativement réunies sont :

- le chiffre d'affaires total mondial hors taxes de l'ensemble des entreprises ou des groupes de personnes physiques ou morales parties à de tels accords est supérieur à 10 milliards d'euros ;

- le chiffre d'affaires total hors taxes réalisé à l'achat en France dans le cadre de ces accords par l'ensemble des entreprises ou des groupes de personnes physiques ou morales parties à de tels accords est supérieur à 3 milliards d'euros.

L'obligation de communication préalable des accords visant à négocier des achats groupés est applicable depuis le 1er janvier 2016 (décret n° 2015-1671 du 14 décembre 2015, art.2)

  • Compatibilité avec la Constitution des sanctions pécuniaires imposées par l'Autorité de la concurrence à des personnes qui ne sont pas des entreprises (Cons. const., décision n° 2015-510 QPC , 7 janvier 2016 N° Lexbase : A3940N3C)

Par décision du 7 janvier 2016, le Conseil constitutionnel a, de nouveau, déclaré conforme à la Constitution le plafond servant de base au calcul des sanctions pécuniaires infligées par l'Autorité de concurrence aux auteurs de pratiques anticoncurrentielles, définies aux articles L. 420-1 (N° Lexbase : L6583AIN) et suivants du Code de commerce et réprimées en application de l'article L. 464-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L2049KGY).

La question prioritaire de constitutionnalité était posée à l'occasion du pourvoi en cassation (Cass. QPC, 6 octobre 2015, n° 15-15.005, F-D N° Lexbase : A0534NTX) formé contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 26 février 2015 (CA Paris, Pôle 5, 7ème ch., 26 février 2015, n° 2013/06663 N° Lexbase : A5497NCL) ayant rejeté les demandes de l'association Expert comptables media association (ECMA), qui s'était vue infligée une amende de 1,17 million d'euros en raison de pratiques d'abus de position dominante par l'Autorité de la concurrence (Aut. conc., décision n° 13-D-06 du 28 février 2013 N° Lexbase : X2157AMT). Etaient contestées au regard de la Constitution les dispositions de l'article L. 464-2, I, alinéa 4, du Code de commerce, lesquelles prévoient un régime de sanction applicable différent selon que l'auteur incriminé de pratiques anticoncurrentielles est une entreprise ou non. En effet, tandis que les entreprises encourent un montant maximum d'amendes s'élevant à 10 % du chiffre d'affaires mondial hors taxes, réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en oeuvre, les autres contrevenants encourent une sanction pécuniaire fixée en valeur absolue, à savoir un maximum de 3 millions d'euros. L'association requérante soutenait qu'une telle différence de traitement méconnaissait le principe d'égalité devant la loi et que le flou juridique entourant la notion d'entreprise contrevenait au principe de légalité des peines.

Dans un premier temps, en l'absence de changement de circonstances, le Conseil constitutionnel constate qu'il n'y a pas lieu à statuer sur la conformité à la Constitution des deuxième et troisième phrases de l'article L. 464-2, I, alinéa 4, du Code de commerce, lesquelles fixent le montant maximal des amendes encourues par les entreprises à 10 % du chiffre d'affaires hors taxe mondial. En effet, par décision n° 2014-489 QPC du 14 octobre 2015, le Conseil constitutionnel avait estimé que ces dispositions ne méconnaissaient ni le principe de nécessité, ni le principe de proportionnalité des peines compte tenu "de la nature des agissements réprimés" et "des gains illicites", perçus par l'entreprise du fait de ces agissements (Cons. constit., décision n° 2015-489 QPC, 14 octobre 2015 N° Lexbase : A1932NTQ, cons. 15 ; v. nos obs. in Chronique de droit de la concurrence et de la distribution - Novembre 2015, Lexbase Hebdo n° 445 du 26 novembre 2015 - édition affaires N° Lexbase : N0065BWC).

Dans un second temps, sur le fond, le Conseil constitutionnel confronte le principe d'égalité issu de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1370A9M) au régime de sanctions pécuniaires différencié selon que le contrevenant est ou non une entreprise. De jurisprudence constante, le principe d'égalité "ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit" (cons. 5 de la présente décision ; cf. déjà, par ex., Cons. const., décision n° 2011-180 QPC, du 13 octobre 2011 N° Lexbase : A7384HY7, cons. 5). Or, en matière de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles, le législateur poursuit "l'objectif de préservation de l'ordre public économique", ce qui implique "que le montant des sanctions fixées par la loi soit suffisamment dissuasif pour remplir la fonction de prévention des infractions assignée à la punition" (cons. 6 de la présente décision ; cf. également, Cons. const., décision n° 2015-489 QPC, 14 octobre 2015, préc. ). En outre, les entités ne poursuivant pas un but lucratif et ne disposant pas de "facultés contributives" identiques à celles des entreprises ne sont pas dans la même situation que les entreprises. La différence de traitement entre les entreprises, dont la sanction pécuniaire encourue est proportionnée au montant du chiffre d'affaires, d'une part, et les autres contrevenants qui se voient appliquer un quantum en valeur absolue, d'autre part, "est en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit" (cons. 7 de la présente décision). Le principe d'égalité n'est donc pas méconnu.

Dans un troisième temps et sur le fond toujours, le Conseil constitutionnel analyse le régime de sanctions applicable aux contrevenants qui ne sont pas des entreprises au regard du principe de légalité des peines, résultant de l'article 8 de la DDHC de 1789 (N° Lexbase : L1372A9P). A la différence de la matière pénale, le droit de la concurrence qui prévoit des sanctions administratives, considérées comme quasi-pénales, doit certes se référer "à des catégories juridiques précisent permettant de déterminer la peine encourue avec une certitude suffisante" (cons. 9 de la présente décision). De manière analogue, le Conseil a déjà jugé qu'en matière de sanctions disciplinaires, les termes doivent être "suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire" (Cons. const., décision n° 2014-385 QPC, du 28 mars 2014 N° Lexbase : A9892MHT). Mais, l'exigence de définition des infractions n'est pas comparable à celle, plus stricte, qui s'applique à la matière pénale où les crimes et délits doivent être définis "en termes suffisamment clairs et précis" (cf. par ex., Cons. const., décision n° 2014-448 QPC, du 6 février 2015 N° Lexbase : A9202NA3). En l'espèce, la notion de contrevenants qui ne sont pas des entreprises est suffisamment précise à la lumière de la pratique décisionnelle de l'Autorité de la concurrence et de la jurisprudence judiciaire, comme le rappellent l'Autorité de la concurrence, partie en défense, ainsi que le Conseil constitutionnel dans le commentaire de sa propre décision. Sont ainsi visées les personnes physiques, les associations régies par la loi de 1901, telles que l'association requérante (Aut. conc., décision n° 15-D-08, 5 mai 2015 N° Lexbase : X4155APL), les Ordres professionnels (Aut. conc., décision n° 09-D-07, 12 février 2009 N° Lexbase : X5082AEX), les fédérations professionnelles (Aut. conc., décision n° 12-D-08, 6 mars 2012 N° Lexbase : X1791AKK), les syndicats professionnels (Aut. conc., décision n° 12-D-02, 12 janvier 2012 N° Lexbase : X1099AKW), les collectivités territoriales (CA Paris, 1ère ch., sect . H, 31 mars 2009, n° 2008/11353 N° Lexbase : A6555EEI), voire l'Etat (CA Paris, 1ère ch., sect. H, 12 décembre 2006, n° 2006/01743 N° Lexbase : A9226DSI). Dès lors, le principe constitutionnel de légalité des peines ne saurait être davantage méconnu.

  • Délai raisonnable et défaut de conformité au regard de la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises (CA Bourges, ch. civ., 7 janvier 2016, n° 15/00164 N° Lexbase : A1993N39

La Convention des Nations-Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises du 11 avril 1980, dite Convention de Vienne (N° Lexbase : L6800BHC ci-après "CVIM") instaure un double délai à l'égard de l'acheteur qui dénonce un défaut de conformité. L'acheteur doit dénoncer "en précisant la nature de ce défaut, dans un délai raisonnable à partir du moment où il l'a constaté ou aurait dû le constater" (CVIM, art. 39, al. 1), d'une part. Il doit, dans tous les cas, dénoncer "au plus tard dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle les marchandises lui on été effectivement remises" (CVIM, art. 39 al. 2), d'autre part, sauf à ce que l'acheteur ait une "excuse raisonnable pour n'avoir pas procédé à la dénonciation requise" (CVIM, art. 44).

En cas de non-dénonciation dans les délais impartis et en l'absence d'excuse raisonnable, l'acheteur, lésé par un défaut de conformité, est alors déchu de ses prérogatives, à savoir (i) une réduction de prix (CVIM, art. 50) et/ou (ii) l'octroi de dommages et intérêts (CVIM, art. 47 al. 2 et art. 48, al. 1).

L'arrêt de la cour d'appel de Bourges du 7 janvier 2016, donnant lieu à l'infirmation de la décision de première instance, témoigne de la stricte application de ces textes dans le contrat de vente conclu entre une entreprise italienne et son client acheteur français.

En l'espèce, un exploitant agricole, a confié à une société (ci-après la SAS) la construction d'un bâtiment en charpente métallique, réalisé en mars 2006 pour un montant de 19 473,27 euros. Se plaignant d'infiltrations, l'exploitant agricole a, par exploit du 12 juin 2009, sollicité une mesure d'expertise judiciaire. Par exploit du 2 décembre 2009, la SAS a assigné la société de droit italien, son fournisseur des plaques de couverture en fibrociment mises en place, aux fins de lui voir déclarer opposables les opérations d'expertise. Aux termes de son rapport, l'existence d'infiltrations d'eau, dues à des fissurations en creux d'onde et au desserrement des vis, rendant l'immeuble impropre à sa destination, est confirmée. Selon l'expert, les fissures peuvent s'expliquer par plusieurs phénomènes, possiblement cumulatifs, à savoir un serrage excessif ou maladroitement exécuté, un défaut d'ordre géométrique, une zone de plus grande fragilité coïncidant avec des zones de plus fortes contraintes, un défaut de cohésion de matières.

Par exploit du 22 mars 2011, l'exploitant agricole a assigné la SAS aux fins d'obtenir sa condamnation à lui payer diverses sommes en réparation du préjudice qu'il estimait avoir subi, sur le fondement de l'article 1792 du Code civil (N° Lexbase : L1920ABQ). Par exploit du 5 juillet 2011, la SAS a assigné la société de droit italien, aux fins de la voir condamner à la relever de toutes les condamnations pouvant être prononcées à son encontre au profit de l'exploitant agricole. Par jugement du 28 novembre 2013, le tribunal de grande instance de Bourges condamnait, entre autres, la société de droit italien à garantir la SAS de la moitié des sommes mises à sa charge.

C'est cette décision de première instance qu'infirme sèchement la cour d'appel de Bourges en déclarant l'action diligentée par la compagnie d'assurance, subrogée dans les droits de la SAS, irrecevable à l'égard du fournisseur italien. En effet, la cour, faisant application de l'article 39 CVIM, constate qu'en l'espèce, "il résulte des termes du rapport d'expertise que la SAS [X] a été avisée par courrier du 25 octobre 2006 des désordres par le maître de l'ouvrage, date à partir de laquelle elle est intervenue sur les lieux à plusieurs reprises, pour tenter d'y remédier. Or, elle n'a assigné la SPA [Y] que par acte du 2 décembre 2009, soit plus de trois ans plus tard et n'établit pas, ni même ne prétend, avoir dénoncé à cette dernière les difficultés et la nature des défauts, antérieurement. Ce délai de trois ans ne peut être considéré comme raisonnable au sens de l'article 39 de la Convention de Vienne". La cour d'appel met de surcroît en exergue l'erreur du premier juge qui avait pris en considération l'existence d'une garantie contractuelle de dix ans, pourtant sans incidence sur la déchéance du droit de l'acheteur à l'égard de son fournisseur.

On ne peut donc que fortement conseiller à l'acheteur de porter la plus grande attention à ces délais de dénonciation, la jurisprudence ayant même considéré comme non raisonnable le délai de dénonciation s'élevant à sept mois (CA, Aix en Provence, 27 novembre 2014, n° 14/05990 N° Lexbase : A3012M4C)

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