La lettre juridique n°625 du 17 septembre 2015 : Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] Rupture conventionnelle : confirmation du caractère exceptionnel de la nullité de la convention de rupture

Réf. : Cass. soc., 8 juillet 2015, n° 14-10.139, FS-P+B (N° Lexbase : A7439NMH)

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par Gilles Auzero, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux

le 17 Septembre 2015

Aux termes de l'article L. 1237-11 du Code du travail (N° Lexbase : L8512IAI), la rupture conventionnelle résulte d'une convention signée par les parties au contrat de travail, soumise aux dispositions subséquemment énoncées par la loi, "destinées à garantir la liberté du consentement des parties". Sur le fondement de ce texte, il pourrait être tentant de considérer que la méconnaissance de l'une ou l'autre de ces exigences légales doit inéluctablement entraîner la nullité de la convention de rupture. Ce n'est, cependant, pas ainsi que l'entend la Cour de cassation, qui considère qu'une telle nullité ne peut intervenir en dehors des conditions du droit commun. Confirmation en est, une nouvelle fois, donnée dans un arrêt rendu le 8 juillet 2015, dans lequel la Chambre sociale affirme que la stipulation par les deux parties d'une indemnité dont le montant est inférieur à celle prévue par l'article L. 1237-13 du Code du travail (N° Lexbase : L8385IAS) et l'erreur commune de date fixée par les parties antérieurement au lendemain de l'homologation n'entraînent pas, en elles-mêmes, la nullité de la convention de rupture.
Résumé

Si la stipulation par les deux parties d'une indemnité dont le montant est inférieur à celle prévue par l'article L. 1237-13 du Code du travail, et si l'erreur commune de date fixée par les parties antérieurement au lendemain de l'homologation n'entraînent pas, en elles-mêmes, la nullité de la convention de rupture, il appartient à la cour d'appel, saisie de demandes en annulation et en paiement de sommes, non pas de procéder à un double donné acte dépourvu de portée, mais, par application de ce texte, de rectifier la date de la rupture et de procéder, en cas de montant insuffisant de l'indemnité de rupture conventionnelle, à une condamnation pécuniaire.

Observations

I - Le formalisme de la convention de rupture

Les exigences légales. Lorsqu'il a institué la rupture conventionnelle du contrat de travail, le législateur a pris soin de la soumettre à un certain nombre d'exigences "destinées à garantir la liberté du consentement des parties" (C. trav., art. L. 1237-11, al. 2). Outre que l'on devine sans peine que c'est la liberté du consentement du salarié qui ait, d'abord, été visée, les exigences en cause tendent à assurer que ce consentement est donné, non seulement de manière libre, mais aussi éclairée. Il en résulte que le consentement des parties à la rupture conventionnelle ne peut être donné qu'au terme d'un processus encadré, marqué d'un formalisme informatif certain.

Parmi les différentes étapes qui, en application de la loi, jalonnent la procédure conduisant à la rupture conventionnelle du contrat de travail, figure en bonne place la rédaction d'une convention de rupture. En application de l'article L. 1237-13 du Code du travail, cet acte juridique définit les conditions de la rupture, notamment le montant de l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle qui ne peut être inférieur à celui de l'indemnité prévue à l'article L. 1234-9 (N° Lexbase : L8135IAK). La convention doit aussi fixer la date de rupture du contrat de travail, qui ne peut intervenir avant le lendemain du jour de l'homologation.

On constate, ce faisant, que le législateur a laissé une certaine marge de manoeuvre aux parties à la convention de rupture, qu'il s'agisse de la détermination du montant de l'indemnité ou de la date de rupture. Il n'en demeure pas moins qu'elles sont tenues au respect d'exigences minimales qui, précisément, avaient été méconnues dans l'affaire ayant conduit à l'arrêt rapporté.

L'affaire. Après avoir été mis à la disposition de la société Snecma dans le cadre de contrats de mission, M. X avait été engagé, le 7 juillet 1975, par cette société en qualité d'ajusteur-monteur, avec reprise d'ancienneté au 21 avril 1975. A la suite de deux refus d'homologation d'une rupture conventionnelle, les parties avaient signé, le 26 juillet 2010, une troisième convention de rupture du contrat de travail fixant la date de rupture au 6 août 2010. Celle-ci avait été homologuée par l'autorité administrative le 9 août 2010. Le salarié a, postérieurement, saisi la juridiction prud'homale.

Pour débouter le salarié de l'ensemble de ses demandes relatives à la rupture du contrat de travail, l'arrêt attaqué a retenu, d'une part, que diverses primes ayant pu être omises dans le cadre de la convention de rupture du mois d'août 2010, il convenait de donner acte à l'employeur de ce qu'il serait redevable d'une somme à titre de complément d'indemnité de rupture conventionnelle, et, d'autre part, que le formulaire homologué le 9 août 2010 maintenant la rupture au 6 août 2010, il y avait lieu de donner acte à cet employeur de ce qu'il allait régulariser la rupture au 10 août 2010, lendemain du jour de l'homologation.

Cette décision est censurée par la Cour de cassation au visa des articles 455 (N° Lexbase : L6565H7B) et 12 (N° Lexbase : L1127H4I) du Code de procédure civile. Ainsi que l'affirme la Chambre sociale, "en statuant ainsi, par des motifs dubitatifs et inopérants, alors que si la stipulation par les deux parties d'une indemnité dont le montant est inférieur à celle prévue par l'article L. 1237-13 du Code du travail et si l'erreur commune de date fixée par les parties antérieurement au lendemain de l'homologation n'entraînent pas, en elles-mêmes, la nullité de la convention de rupture, la cour d'appel, saisie de demandes en annulation et en paiement de sommes, à qui il appartenait, non pas de procéder à un double donné acte dépourvu de portée, mais, par application de ce texte, de rectifier la date de la rupture et de procéder, en cas de montant insuffisant de l'indemnité de rupture conventionnelle, à une condamnation pécuniaire, a, méconnaissant son office, violé les textes susvisés".

La solution retenue ne surprend guère. Confirmant une jurisprudence désormais bien établie relativement aux hypothèses de nullité de la convention de rupture, elle apporte des précisions sur l'office du juge en la matière.

II - Absence de nullité et office du juge

Le rejet de la nullité. Le premier enseignement de l'arrêt sous examen tient dans l'affirmation que ni la stipulation d'une indemnité inférieure à celle prévue par la loi, ni l'erreur commise dans la date de rupture ne peuvent conduire à la nullité de la convention de rupture. Cela ne saurait surprendre. Ainsi que nous l'avons indiqué précédemment, la Cour de cassation considère que la nullité de la convention de rupture ne peut intervenir en dehors des conditions du droit commun (1), c'est-à-dire les conditions requises par le Code civil pour la validité des actes juridiques. Pour le dire autrement, la nullité ne sera prononcée que si, principalement, le consentement des parties et, singulièrement du salarié, n'a pas été donné de manière libre et éclairée.

S'agissant du caractère éclairé du consentement du salarié qui, seul, nous intéresse ici (2), il conduit à revenir sur le formalisme prescrit par la loi en matière de rupture conventionnelle. Le non-respect de celui-ci peut être cause de nullité de la convention de rupture à la condition que la formalité omise ait, effectivement, empêché le salarié de manifester un consentement éclairé (3). C'est ce que signifie la Cour de cassation en énonçant que la minoration de l'indemnité et l'erreur dans la date n'entraînent pas, "en elles-mêmes", la nullité de la convention. Sans doute en irait-il différemment en cas d'omission pure et simple de ces mentions. Mais, il y a là une hypothèse d'école, étant observé que l'on peine à imaginer que la convention franchisse alors la barrière de l'homologation.

Il est vrai que, s'agissant de la stipulation d'une indemnité de rupture inférieure aux exigences légales, un doute avait pu naître quant au fait qu'elle soit de nature à entraîner la nullité de la convention de rupture, à la lecture d'un arrêt rendu le 10 décembre 2014. Dans cette décision la Cour de cassation avait, en effet, considéré que l'absence de demande en annulation de la rupture conventionnelle, et partant, d'invocation de moyens au soutien d'une telle demande, n'interdit pas à un salarié d'exiger le respect par l'employeur des dispositions de l'article L. 1237-13 du Code du travail, relatives au montant minimal de l'indemnité spécifique d'une telle rupture (4). La décision sous examen lève tout doute quant à la position de la Cour de cassation qui pouvait, au demeurant, se deviner au regard de sa jurisprudence antérieure (5).

L'office du juge. Les juges du fond avaient adopté une bien curieuse position en donnant acte à l'employeur, d'une part, de ce qu'il serait redevable d'une somme à titre de complément d'indemnité de rupture conventionnelle et, d'autre part, de ce qu'il allait régulariser la rupture au 10 août 2010 soit, en conformité avec la loi, au lendemain du jour de l'homologation.

Le jugement de donner acte peut être défini comme le "jugement qui fait état, à la demande d'une partie (ou des deux) et comme venant d'elle(s) d'une constatation, ou d'une déclaration (donner acte d'une réserve, d'une affirmation, d'une concession, d'un accord, etc.)" (6). Ce n'était certainement pas ce qu'avait demandé le salarié qui attendait des juges qu'ils tranchent le litige, conformément aux règles de droit applicables.

Aussi ne peut-on qu'approuver la Cour de cassation, lorsqu'elle affirme que, par application de l'article L. 1237-13 du Code du travail, qui ne souffre guère d'interprétation à cet égard, il appartenait aux juges du fond de rectifier la date de rupture et de procéder à une condamnation pécuniaire de l'employeur afin que le montant de l'indemnité de rupture soit en adéquation avec les exigences légales.


(1) Cass. soc., 29 janvier 2014, n° 12-27.594, FS-P+B (N° Lexbase : A2279MDR) ; RDT, 2014, p. 255, note G. Auzero ; JCP éd. S, 2014, 1078, avec l'art. de G. Loiseau.
(2) Pour ce qui est du caractère libre, qui renvoie, pour l'essentiel, au vice de violence, v. G. Auzero et E. Dockès, Droit du travail, Précis D., 29ème éd., 2015, § 401 et la jurisprudence citée.
(3) C'est ce qui explique que la convention doit être annulée lorsque un exemplaire de l'écrit la matérialisant n'a pas été remis au salarié (Cass. soc. 6 février 2013, n° 11-27.000, FS-P+B+R N° Lexbase : A5796I7S ; Bull. civ. V, n° 29). Seule la détention de cet écrit permet au salarié de bien mesurer son engagement et, le cas échéant, d'exercer son droit de rétractation.
(4) Cass. soc., 10 décembre 2014, n° 13-22.134, FS-P+B (N° Lexbase : A6058M7I).
(5) V. en ce sens, nos obs. ss. Cass. soc., 3 juin 2015, n° 13-26.799, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2216NKB) ; RDT, 2015, p. 458.
(6) Voc. Jur. G. Cornu, v° Jugement de donner acte.

Décision

Cass. soc., 8 juillet 2015, n° 14-10.139, FS-P+B (N° Lexbase : A7439NMH).

Cassation partielle (CA Paris, pôle 6, 1ère ch., 6 novembre 2013).

Textes visés : C. proc. civ., art. 455 (N° Lexbase : L6565H7B) et 12 (N° Lexbase : L1127H4I).

Mots-clefs : rupture conventionnelle ; convention de rupture ; erreur dans la date de rupture ; minoration de l'indemnité de rupture ; absence de nullité ; office du juge.

Lien base : (N° Lexbase : E0210E7W).

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