La lettre juridique n°625 du 17 septembre 2015 : Avocats/Déontologie

[Jurisprudence] Perquisitions et saisie de documents en cabinet d'avocat : pas de violation du droit à la vie privée si les garanties procédurales sont respectées

Réf. : CEDH, 3 septembre 2015, Req. n° 27013/10 (N° Lexbase : A3761NNM)

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par Thierry Vallat, Avocat au barreau de Paris

le 17 Septembre 2015

L'arrêt "Sérvulo c/ Portugal" qui vient d être rendu par la Cour européenne des droits de l'Homme le 3 septembre 2015 peut plonger le lecteur dans les affres de la perplexité. En ces temps où les cabinets d'avocats ne constituent plus un sanctuaire inviolable et sont régulièrement visités par les magistrats et les officiers de police judiciaire, la question se pose, en effet, des saisies qui y sont pratiquées, notamment des données informatiques contenues dans les matériels informatiques. La solution de la décision de la CEDH selon laquelle de telles saisies de données informatiques ne violeraient pas le droit à la vie privée interroge donc les défenseurs du secret professionnel sur les garanties de son respect. I - Quels étaient les faits ?

Soupçonnant des faits de corruption, de prise illégale d'intérêts et de blanchiment d'argent lors de l'achat de deux sous-marins par le Gouvernement portugais à un consortium allemand, le Département central d'enquête et action pénale (DCIAP) ouvrit une enquête à l'encontre de plusieurs ressortissants portugais et allemands, dont un avocat ayant travaillé pour le compte de la société requérante.

Le DCIAP saisit alors le juge du Tribunal central d'instruction criminelle (TCIC) afin d'obtenir l'autorisation de perquisitionner, entre autres, dans les locaux professionnels de la société d'avocats S. et de saisir tout document pertinent pour l'enquête.

Le juge d'instruction du TCIC délivra alors des mandats permettant notamment la saisie de données informatiques sur la base d'une liste de 35 mots clés en lien avec l'enquête comprenant, entre autres, le nom de sociétés ou de banques en lien avec l'enquête, ou encore des mots tels que "contreparties" ou "financement".

Environ 90 000 documents sur support papier et informatisés et près de 30 000 mails furent saisis.

Les opérations de perquisition ont été réalisées sous le contrôle du juge d'instruction, dans un rôle assimilable à notre juge de la liberté et de la détention (JLD) et assisté d'experts en informatique.

L'un des avocats perquisitionnés fut mis en examen le jour même, permettant ainsi la saisie de documents couverts pourtant par le secret professionnel.

Les avocats formèrent opposition devant le président de la cour d'appel de Lisbonne, affirmant que ces mots clés étaient couramment utilisés par leur cabinet d'avocats, et conduiraient ainsi à une saisie disproportionnée de documents sans rapport avec l'enquête et couverts par le secret professionnel.

Le juge d'instruction du TCIC accepta l'opposition et ordonna la mise sous scellés, sans consultation, et la transmission de tous les documents saisis au président de la cour d'appel afin que celui-ci se prononce sur la validité de l'invocation du secret professionnel.

Le vice-président de la cour d'appel rejeta, cependant, la réclamation des requérants et ordonna la transmission des documents au juge d'instruction.

Lors du visionnage des fichiers informatiques, le juge d'instruction du TCIC ordonna la suppression de 850 fichiers présentant des informations de caractère personnel ou couverts par le secret professionnel, conformément à la législation nationale. Le Département classa finalement l'enquête sans suite et toutes les personnes mises en examen furent acquittées.

Tels étaient les faits ayant conduit les avocats à saisir la Haute Cour européenne afin de sanctionner, non la perquisition en soi, mais pour ce qu'ils considéraient être une violation caractérisée des dispositions relatives au secret professionnel, notamment par l'intermédiaire d'une saisie informatique utilisant une base de mots-clés trop large et la jonction de données saisies avec une autre procédure sans rapport avec l'enquête judiciaire qui les concernait.

II - Ingérence en cabinet d'avocat : violation ou non de l'article 8 ?

La Cour européenne des droits de l'Homme considère traditionnellement que la saisie globale de données électroniques dans le cadre d'une enquête pénale constitue une violation de l'article 8 de la CESDH (N° Lexbase : L4798AQR) (CEDH, 3 juillet 2012, Req. 30457/06, disponible en anglais).

Néanmoins, une ingérence en cabinet d'avocats sera permise si elle est prévue par la loi (CEDH, 27 septembre 2005, Req. 50882/99, disponible en anglais), poursuit un but légitime et est nécessaire dans une société démocratique (CEDH, 7 juin 2007, Req. 71362/01 N° Lexbase : A0450NPD).

Notamment la CEDH veille, s'agissant du cas particulier d'un cabinet d'avocats, à ce que la présence d'un observateur indépendant soit effective afin que des documents couverts par le secret professionnel ne puissent être soustraits (CEDH, 16 décembre 1992, Req. 72/1991, série A, n° 251-B N° Lexbase : A6532AWT).

La Cour a donc considéré que l'ingérence au cabinet "Sérvulo" était prévue par la loi portugaise et que le but était légitime, puisque les mandats de perquisition reposaient sur des motifs plausibles de soupçon, même si "l étendue des mandats de perquisition et de saisie apparaissaient larges".

Elle a également considéré que la présence du juge d'instruction au cours des opérations litigieuses constituait bien la garantie d'un observateur indépendant et que le contrôle effectué par ce dernier avait été renforcé par l'examen du vice-président de la cour d'appel qui avait ainsi constitué un recours adéquat et effectif audit contrôle.

Restait la difficulté de non-restitution des fichiers informatiques et courriels et leur utilisation en dehors de la procédure concernant l'avocat perquisitionné : la Cour relève qu'il n'y avait pas eu d utilisation abusive des données informatiques saisies, la loi portugaise permettant l'utilisation de messages électroniques appartenant au dossier d'une procédure pénale dans le cadre d une autre procédure sous couvert d une autorisation du juge et que ces garanties avaient été respectées en l'espèce.

Dès lors, les garanties procédurales mises en oeuvre ont été considérées comme compensant l'étendue des mandats de perquisition : il n'y avait donc pas eu de violation de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme dans cette affaire.

Cette affaire laisse néanmoins un goût amer en ce que, s'il est vrai que l'intervention du juge, observateur indépendant, serait le socle du respect du secret professionnel, il s'est agi en l'espèce d'un véritable détournement de procédure, pourtant légitimé par la CEDH.

L'opinion dissidente du juge Saragoça Da Matta (seule voix contraire contre 6 voix pour), jointe opportunément en annexe de l'arrêt, est éclairante et rappelle à cet égard que le motif originel de la perquisition était la circonstance "qu'aucun document n'avait été retrouvé au ministère de la Défense". Cela signifiait que la violation du secret professionnel trouvait son origine dans une irrégularité commise par l'Etat lui-même dans sa procédure administrative !

Pour ce juge dissident surtout, la perquisition n'aurait pas dû pouvoir permettre la saisie d'un aussi grand nombre de documents ; l'étendue du mandat étant trop large, sur la base de mots clés communs propres à l'activité des avocats d'affaires.

Au final, la CEDH a été sourde à cette opinion et a validé les opérations, réaffirmant sa jurisprudence antérieure, mais jetant à notre sens le manteau de Noé sur une procédure pas si indiscutable.

Cette décision "Sérvulo c/ Portugal" est bien sûr transposable en France et on rappellera que la mise en oeuvre des saisies a pu poser dans notre pays certaines difficultés ayant donné lieu, encore récemment, à l'arrêt de la Chambre criminelle du 25 juin 2013 (Cass. crim., 25 juin 2013, n° 12-88.021, FS-P+B N° Lexbase : A3071KIL).

Les règles spécifiques édictées par l'article 56-1 de notre Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3557IGT) imposent la présence d'un magistrat et du Bâtonnier ou de son délégué, ce dernier étant le garant du respect du secret professionnel des avocats et est érigé en organe de contrôle de la régularité des perquisitions et des saisies disposant d un droit exclusif, partagé avec le magistrat investigateur, de consultation des documents se trouvant sur les lieux perquisitionnés et pouvant s'opposer à toute saisie qu'il estimerait irrégulière.

La protection du secret professionnel de l'avocat doit donc impérativement pouvoir se concilier avec les pouvoirs d'investigation et d'efficacité de l'enquête : il est impératif que notre juge des libertés et de la détention dispose à ce titre pleinement d'un rôle décisif et central, celui que l'arrêt de la Chambre criminelle du 8 août 2007 (Cass. crim., 8 août 2007, n° 07-84.252, F-P+F N° Lexbase : A0577DYZ) lui a clairement confirmé, dans une affaire analogue à celle objet de la décision "Sérvulo c/ Portugal".

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