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N3813BXI
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par Jean-Jacques Bourdillat, Docteur en droit, Juriste consultant au Cridon-Lyon, Chargé de cours à l’Université Lumière-Lyon 2
le 02 Mai 2018
Depuis le 1er septembre dernier est entré en application l’arrêté du 6 juillet 2017 fixant les tarifs réglementés de postulation des avocats en matière de saisie immobilière, de partage, de licitation et de sûretés judiciaires (N° Lexbase : L2200LGL). Cet arrêté, signé conjointement par le ministre de l’Economie et des Finances, et la G0arde des Sceaux, ministre de la Justice, participe du décret n° 2017-862 du 9 mai 2017, relatif aux tarifs réglementés de postulation des avocats en matière de saisie immobilière, de partage, de licitation et de sûretés judiciaires (N° Lexbase : L2641LEK). Ce décret suit la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite «Macron» (N° Lexbase : L4876KEC), dont l’article 51, I, 6° alinéa 2, dispose : «en matière de saisie immobilière, de partage, de licitation et de sûretés judiciaires les droits et émoluments de l’avocat sont fixés sur la base d’un tarif déterminé selon des modalités prévues au titre IV bis du livre IV du Code de commerce».
Complexe en raison de son caractère à la fois disruptif et hautement technique, cet édifice vient encore récemment d’être complété par le décret n° 2018-200 du 23 mars 2018 modifiant certaines dispositions de la partie réglementaire du Code de commerce et du décret n° 2016-230 du 26 février 2016 relatif aux tarifs de certains professionnels du droit et au fonds interprofessionnels de l’accès au droit et à la justice (N° Lexbase : L7816K4A). Ce dernier texte est entré en vigueur le lendemain de sa publication, soit le 26 mars. Imprimé on ne peut mieux d’une volonté et d’un souci de parfaite adaptation politique, économique et financière, l’arrêté du 6 juillet 2017 vaut pour une durée qualifiée de «transitoire» de deux années qui se terminera le 1er septembre 2019. Avant cette date, et pour cette échéance, il faudra voir ce qui mérite d’être supprimé, modifié, ajouté et, bien entendu, reconduit. Pour l’heure, proposons-nous de faire un point sur une problématique qui se développe dans la pratique quotidienne de la vente amiable sur autorisation judiciaire et qui a pour seul objet l’application de l’article A. 444-191 V du Code de commerce (N° Lexbase : L2305LGH).
Issu de l’arrêté du 6 juillet 2017, ce texte indique qu’«en cas de vente amiable sur autorisation judiciaire, l’avocat poursuivant perçoit l’émolument perçu par les notaires en application de l’article A. 444-91». Ce dernier, créé par l’arrêté du 26 février 2016, fixant les tarifs réglementés des notaires (N° Lexbase : Z23947N7), prévoit un émolument proportionnel qui contient quatre tranches d’assiette et, de façon corrélative et correspondante, un taux applicable à caractère dégressif.
La mise en œuvre de ce texte ne nous paraît pas compliquée dès lors qu’elle est faite de façon responsable, c’est-à-dire objective, et telle que les règles dans lesquelles il s’insère le prescrivent. Considérer cet article de façon isolée et indépendante est une erreur. Il appartient à tous les acteurs de la vente amiable sur autorisation judiciaire de veiller, chacun pour ce qui le concerne, à la bonne, si ce n’est l’exacte application de cette norme. Tout le monde est intéressé sur un même plan : avocats, notaires et -surtout- juges de l’exécution. De la bonne application de ce texte d’ici le 1er septembre 2019 ne dépend pas seulement sa pérennité ; il en va aussi du maintien du principe même de la vente amiable sur autorisation judiciaire qui, depuis plus de douze années, et avec le succès qui lui est reconnu, reste une modalité majeure de la procédure de saisie immobilière.
Ce point que nous proposons portera sur l’application du texte dans le temps (1), sa confrontation et son articulation avec les frais de poursuite taxés (2) et son adaptation et son inclusion dans les dépens (3) ; nous terminerons sur les nécessaires réflexions qui dérivent de l’impact de cette norme et de ce que les praticiens en feront (4).
1. L’entrée en vigueur
Pour ce qui nous retient ici, l’article 7 du décret n° 2017-862 du 9 mai 2017 précité, comme à sa suite l’article 3 de l’arrêté du 6 juillet 2017, excluent formellement leur application «aux instances en cours» au 1er septembre 2017. Soit. La difficulté est qu’en matière de saisie immobilière, telle que la régissent aujourd’hui les articles L. 311-1 (N° Lexbase : L5865IRN) et suivants et R. 311-1 (N° Lexbase : L7882IUH) et suivants du Code des procédures civiles d’exécution, cette procédure a un caractère mixte, en ce sens qu’elle débute par une phase extrajudiciaire -la signification du commandement de payer valant saisie au débiteur ou au tiers détenteur-, et se poursuit par une autre, judiciaire celle-ci, caractérisée par l’attraction du débiteur en premier et le cas échéant celle des créanciers inscrits devant le juge de l’exécution. Et c’est à l’occasion de cette seconde phase, judiciaire, que nous trouvons une «instance» au sens du Code de procédure civile, et donc, par la suite, une instance «en cours», comme l’expriment les textes du décret et de l’arrêté.
Donnant tout son sens à l’article 54 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6845LEA) selon lequel «sous réserve des cas où l’instance est introduite par la présentation volontaire des parties devant le juge, la demande initiale est formée par assignation […]», et parce que les normes tarifaires emploient des termes et non pas des mots, respectons ceux-là. Pour nous, les tarifications qui nous intéressent sont applicables pour toute assignation du débiteur devant le juge de l’exécution statuant en matière de saisie immobilière délivrée après le 1er septembre dernier.
Dans la logique de notre interprétation, les tarifs nouveaux englobent donc, et selon l’article R. 321-1 du Code des procédures civiles d’exécution (N° Lexbase : L2398ITY), «la procédure d’exécution […] engagée par la signification au débiteur ou au tiers détenteur d’un commandement de payant valant saisie […]» signifié avant le 1er septembre 2017, mais dont l’assignation du débiteur est réalisée après cette date. De la même façon, sont exclus de cette tarification les dénonciations des créanciers inscrits et valant assignation de ces derniers devant le juge de l’exécution qui auraient été délivrées après le 1er septembre, alors que l’acte introductif d’instance l’avait été avant.
Ainsi, nous estimons que pour toute assignation du débiteur saisi à l’audience d’orientation devant le juge de l’exécution, signifiée à compter du 1er septembre 2017, l’avocat poursuivant a droit à percevoir l’émolument que désigne l’article A. 444-191.
2. La confrontation et l’articulation avec les frais de poursuite taxés
Dès lors que les dispositions nouvelles entrées en vigueur ce 1er septembre 2017 sont venues -bien tardivement, il faut le reconnaître- pallier l’abrogation tacite de l’article 37 b) du décret n° 60-323 du 2 avril 1960 portant règlement d’administration publique et fixant le tarif des avoués (N° Lexbase : L2132G8H) et son lot de partages d’émolument -le plus souvent par moitié- qui n’avait plus d’existence depuis le 1er janvier 2007, certains praticiens ont imaginé que l’émolument de l’article A. 444-91 du Code de commerce devait rejoindre les frais de poursuite taxés. Des frais de poursuite qu’en regard des dispositions de l’article R. 322-21, alinéa 2, du Code des procédures civiles d’exécution (N° Lexbase : L2440ITK), le juge de l’exécution taxe dans son jugement d’orientation à condition que l’avocat du créancier poursuivant le lui demande. Des frais de poursuite dont la Cour de cassation est venue fermement rappeler par un arrêt de censure partielle sans renvoi prononcé le 22 juin 2017 qu’au regard de cet article R. 322-21, ils devaient être taxés à cette occasion, voire dans le jugement octroyant au débiteur saisi un délai supplémentaire lui permettant la seule rédaction et la conclusion de l’acte authentique de vente amiable autorisée (Cass. civ. 2, 22 juin 2017, n° 16-12.882, F-P+B N° Lexbase : A1100WKX ; J.-J. Bourdillat, Acquéreur, les frais de poursuite taxés dans le jugement d’orientation seuls tu devras et seul tu les paieras, Lexbase, éd. prof., n° 245 du 27 juillet 2017 N° Lexbase : N9612BWW). Des frais de poursuite, enfin, dont la Haute juridiction, par le même arrêt, a dû préciser qu’au regard des dispositions impératives de l’article R. 322-24, ils n’incombaient qu’à l’acquéreur et à lui seul.
Nous ne partageons pas cet avis. L’émolument de l’article A. 444-191 V (N° Lexbase : L2305LGH) légalement dû à l’avocat poursuivant ne peut en rien être assimilé -de près, comme de loin- aux frais de poursuite que le juge de l’exécution taxe ici selon l’unique procédure sommaire qui s’applique là, et qui est identique à celle qui prévaut en matière de vente par adjudication et que développe l’article R. 322-42 (N° Lexbase : L2461ITC). A l’appui de notre négation, plusieurs moyens se complètent.
Le premier, évident, tient à la différence de nature : cet émolument ne participe pas des frais de procédure qu’a exposé l’avocat du créancier poursuivant. Il ne peut donc, ni ne doit être inclus dans ces frais qui n’en sont pas. Dans son office de taxe, le juge de l’exécution qui le verrait, doit donc le soustraire.
Il doit d’autant plus l’écarter qu’à ce stade de la procédure de vente amiable sur autorisation judiciaire, cet émolument dont on sait qu’il est proportionnel et qu’il induit un taux dégressif, ne peut être assis que sur le prix de vente. Or, à ce moment-là, le prix de vente n’est pas forcément connu ou arrêté, et le juge de l’exécution qui fait application du même article R. 322-21 ne fixe jamais que «le montant du prix en deçà duquel l’immeuble ne peut être vendu eu égard aux conditions économiques du marché […]».
Le second, tout aussi évident, tient à sa charge : de nulle façon les auteurs de la tarification et rédacteurs de l’article A. 444-191 V n’ont prescrit que cet émolument fût à la charge de l’acquéreur. A défaut de disposition particulière et expresse énonçant une telle prescription, rien n’autorise quiconque à faire supporter cet émolument à l’acquéreur via le fallacieux couvert de frais de poursuite taxés, ou pire, par l’application d’un diktat.
Répétons-le ici, le juge de l’exécution qui, selon la procédure sommaire de taxe des frais, fixe ces derniers, ne doit jamais oublier qu’il met une condamnation pécuniaire -le plus souvent importante- à la charge d’un tiers qui, par définition, est un tiers à l’instance. Les juges de l’exécution les plus aguerris n’ignorent pas qu’en étant juges de la taxe des frais de poursuite, ils sont en même temps les défenseurs de ce tiers à l’instance qu’est le potentiel acquéreur amiable d’un bien saisi. Une taxe erronée, parce que mal faite en raison de ce que le juge n’a pas complètement accompli sa tâche, peut conduire à ce qu’une vente amiable autorisée achoppe. Au regard du montant des frais non (ou mal) vérifiés portés dans la décision, l’acquéreur potentiel ne donnera pas suite à un projet de vente et personne ne pourra l’y contraindre. Par application de l’article L. 322-4 du Code des procédures civiles d’exécution (N° Lexbase : L5882IRB), face à un candidat acquéreur qui refuse d’avancer l’intégralité du montant des frais taxés par le juge de l’exécution dans sa décision, le refus de ministère du notaire s’impose.
En raison de ce que les textes que nous connaissons sont clairs, et que l’article A. 444-191 se suffit à lui-même, afin que ce texte ne reste pas lettre-morte, une seule issue demeure, il doit rejoindre le sort des dépens.
3. L’adaptation et l’inclusion dans les dépens
Sans que la solution nous paraisse résiduelle, ou pire, constitue un pis-aller, nous comprenons de la réforme tarifaire que l’émolument dû à l’avocat poursuivant doive donc rejoindre les dépens.
En raison de ce que les réformateurs du tarif n’ont pas entendu, et encore moins exprimé que l’émolument de l’article A. 444-191 tombe une nouvelle fois sur l’acquéreur comme ce fut le cas depuis l’entrée en application de la réforme de la saisie immobilière, c’est en toute logique que celui-là soit inclus dans les dépens de la procédure et soit finalement mis à la charge du débiteur saisi.
Cette solution participe du droit et de l’analyse des textes qui règlent la matière, des textes qui sont transversaux puisqu’ils participent du tarif (Code de commerce), de la vente amiable sur autorisation judiciaire (Code des procédures civiles d’exécution) et de la procédure civile proprement dite via les dépens (Code de procédure civile). Cette charge de l’émolument qui rejoint les dépens rétablit un équilibre économique que la réforme de la saisie avait rompu depuis le 1er janvier 2007.
Plus de douze années après l’entrée en application de la nouvelle saisie immobilière, de nombreux acteurs du droit, praticiens, chercheurs et enseignants peinent encore à trouver une raison quelconque, une explication ou une justification à ce que la charge des frais de poursuite taxés incombe à l’acquéreur. Appartient-il vraiment à ce dernier de supporter ces frais, a fortiori lorsqu’on sait qu’en pratique, il les découvre au dernier moment ? Nous n’avons jamais trouvé de réponse à cette question qui, somme toute, n’est que politique. Au-delà du fait que certains avancent qu’en matière de vente sur adjudication, le processus est le même, il n’y a dans cette assertion qu’une indication. Rien d’autre. Pas d’explication et encore moins de justification. Partant, et dès lors que l’acquéreur, comme l’adjudicataire, a accepté de prendre à sa charge personnelle, en sus du prix de vente et des frais inhérents à celle-ci, les frais de poursuite taxés, il nous paraît normal, en ce sens équitable, que l’émolument de l’article A. 444-191 que perçoit désormais l’avocat du créancier poursuivant, soit incorporé dans les dépens.
Cet avocat percevra alors son dû à l’occasion de la distribution du prix de vente, et cela conformément aux dispositions de l'article R. 331-1 du Code des procédures civiles d’exécution (N° Lexbase : L2492ITH). Un paiement qui suivra d’ailleurs de peu de temps le règlement des frais de poursuite exposés par ses soins et taxés par le juge, ce règlement devant être fait dès l’authentification par le notaire instrumentaire de l’acte de vente amiable sur autorisation, sans qu’il soit nécessaire d’attendre que le juge de l’exécution ait rendu sa décision ensuite de l’audience de rappel de l’article R. 322-25 (N° Lexbase : L7857IUK).
4. L’impact normatif, son utilisation et son devenir
En raison de ce que le temps politique -au sens étymologique- a changé, il nous faut garder à l’esprit que le texte qui nous occupe a vocation à s’appliquer jusqu’au 1er septembre 2019 en raison de son caractère «transitoire», et que peu ou prou, il reste encore une bonne année devant nous pour lui donner son sens. Mais ce texte s’inscrit aussi dans un contexte on ne peut plus ferme que certains oublient ou feignent d’omettre. A tort.
La principale dérive que nous avons pu entrevoir s’agissant de cet émolument de l’article A. 444-191 est qu’il devait être mis à la charge de l’acquéreur. Nous venons d’indiquer qu’aucune disposition quelconque n’autorisait ce fait et que tel n’était certainement pas le vœu des auteurs et rédacteurs de l’arrêté.
L’eût-ce été, ceux qui le prétendent, ou du moins l’ont prétendu sans trop d’approfondissement préalable, n’ont pas vu qu’une telle dérive pouvait conduire directement à la ruine, puis à l’abandon de la vente amiable sur autorisation judiciaire. En effet, qui entendrait se porter acquéreur d’un immeuble ou de droits réels immobiliers saisis en sachant qu’il doive supporter à la fois l’émolument dû au notaire instrumentaire de l’acte de vente amiable sur autorisation judiciaire et, en sus, le même émolument dû à l’avocat poursuivant au fondement de l’article A. 444-191 ? Il paierait là un double émolument alors qu’adjudicataire dans le cadre d’une poursuite de la saisie immobilière, il éluderait alors une telle charge financière.
A un moment où la chancellerie doit accomplir une nouvelle réforme de la saisie immobilière, et elle doit le faire, nous ne pensons pas qu’il soit opportun -sauf volonté délibérée, et donc éclairée- de porter une telle atteinte à la vente amiable sur autorisation judiciaire qui peut encore être améliorée en étant notamment rendue plus rapide et moins onéreuse.
De surcroît, imprimer à l’article A. 444-191 un sens que ses auteurs n’ont ni souhaité, ni exprimé, c’est enfin omettre ce qu’on appelle l’esprit de la loi. Ici, cet esprit on ne peut plus disruptif, a l’immense avantage d’être inscrit dans la lettre de la loi. Ici, la lettre n’a en rien trahi l’esprit. Au contraire, ils sont parfaitement raccords. Ce serait une erreur -et même une faute- d’oublier qu’au-delà du caractère temporaire -mieux que «transitoire»- des textes tarifaires, l’article L. 444-2, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L1586KGT), créé par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, dispose toujours que «les tarifs mentionnés à l’article L. 444-1 prennent en compte les coûts pertinents du service rendu et une rémunération raisonnable, définie sur la base de critères objectifs». Que nul ne l’oublie et que chacun s’efforce de comprendre le sens de ce texte en en pesant chaque mot.
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