La lettre juridique n°740 du 3 mai 2018 : Assurances

[Chronique] Chronique de droit des assurances - Mai 2018

Réf. : Cass. civ. 1, 21 mars 2018, n° 16-12.948, F-D (N° Lexbase : A7844XHY) ; Cass. civ. 2, 8 mars 2018, n° 17-13.554, F-P+B (N° Lexbase : A6750XG4) ; CE, 26 mars 2018, n° 405109 (N° Lexbase : A8574XHZ)

Lecture: 9 min

N3822BXT

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Chronique] Chronique de droit des assurances - Mai 2018. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/45527703-chronique-chronique-de-droit-des-assurances-mai-2018
Copier

par Didier Krajeski, Professeur à l'Université de Toulouse

le 02 Mai 2018

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique mensuelle de droit des assurances de Didier Krajeski, Professeur à l'Université de Toulouse. Trois décisions ont retenu l’attention de l’auteur ce mois-ci : la première traite de la question du secret médical en matière de déclaration des risques (Cass. civ. 1, 21 mars 2018, n° 16-12.948, F-D) ; la deuxième, relative à la mise en œuvre du droit à garantie dans le cadre d’un accident de chantier causé par la grue d'un camion, concerne la possibilité de mise en oeuvre de l'assurance de responsabilité civile du commettant au lieu de l'assurance automobile obligatoire (Cass. civ. 2, 8 mars 2018, n° 17-13.554, F-P+B) ; la troisième et dernière décision, rendue par le Conseil d’Etat, apporte, d’une part, une indication importante en matière de prescription biennale, d’autre part, des précisions dans le domaine de l’assurance des dommages à l’ouvrage (CE, 26 mars 2018, n° 405109).

I - Déclaration des risques

 

  • L'assureur ne peut produire un document couvert par le secret médical intéressant le litige qu'à la condition que l'assuré ou son ayant-droit ait renoncé au bénéfice de ce secret (Cass. civ. 1, 21 mars 2018, n° 16-12.948,  F-D N° Lexbase : A7844XHY)

Le mécanisme de l’assurance met à l’épreuve le secret médical conçu comme un droit du patient par l’article L. 1110-4, I, du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1611LII). On le sait, l’assureur, en particulier l’assureur de personnes, a besoin d’informations sur ses assurés notamment à l’occasion de la formation du contrat ou de la survenance du sinistre : la connaissance de certaines données de santé relatives à l’assuré est indispensable pour lui. Après de nombreuses recherches d’un point d’équilibre permettant de satisfaire les intérêts en présence, la jurisprudence a fini par adopter une position très respectueuse du droit au secret : «si le juge civil a le pouvoir d'ordonner à un tiers de communiquer à l'expert les documents nécessaires à l'accomplissement de sa mission, il ne peut, en l'absence de disposition législative spécifique, contraindre un médecin à lui transmettre des informations couvertes par le secret lorsque la personne concernée ou ses ayants droits s'y sont opposés ; qu'il appartient alors au juge saisi sur le fond d'apprécier si cette opposition tend à faire respecter un intérêt légitime ou à faire écarter un élément de preuve et d'en tirer toute conséquence quant à l'exécution du contrat d'assurance» [1]. Il ressort de ces décisions que l’assuré, ou ses ayants-droit, ne pourront jamais être contraints de délivrer une information relevant du secret médical. En revanche, le juge peut tirer toute conséquence du refus de communiquer des informations.

Cette conception du secret produit des conséquences intéressantes que l’espèce illustre.

Dans notre affaire, l’assureur ne tente pas d’obtenir communication d’informations couvertes par le secret médical. Il cherche, au contraire, à légitimer leur non-communication ! L’assuré décédé a souscrit une assurance emprunteur et déclaré sur l’honneur «ne pas être actuellement suivi médicalement -avec ou sans traitement- ne pas recevoir de soins médicaux, ne pas avoir été traité ou soigné médicalement pendant une durée d’au moins trente jours au cours des cinq dernières années».  Le médecin conseil de l’assureur obtient du médecin traitant de l’assuré un certificat médical post mortem qui contredit manifestement la déclaration. L’assureur ne produit pas ce certificat mais se prévaut du simple avis du médecin conseil donné en application de la règle de l’article R. 4127-104 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L9211GTC). Les ayants-droit de l’assuré lui reprochent ce défaut de production. Les juges du fond considèrent que l’assureur n’apporte pas la preuve, qui lui incombe, de la fausse déclaration intentionnelle. Leur décision est cassée et la Cour de cassation fonde sa décision sur le principe rappelé en exergue. La solution est logique [2]. Il est vrai que l’assureur doit démontrer l’existence d’une fausse déclaration intentionnelle [3]. La règle est souvent rappelée dans la présente rubrique. Lorsque la preuve se fonde sur des documents relevant du secret médical, il convient cependant d’aménager cette règle. En raison de la force du secret médical, il faut partir du principe que, si un document relève de ce dernier, l’assureur n’est pas autorisé à le produire en justice. Il en découle logiquement qu’il ne peut lui être reproché de ne pas le faire. Il découle de la décision qu’il peut se borner à faire valoir un avis médical tiré de ce document.  Le raisonnement consistant, dans certaines décisions, à affirmer que le secret est une protection que seul peut invoquer son bénéficiaire est erroné. Le secret doit être respecté même si cela va parfois à l’encontre des intérêts de la personne concernée par lui. C’est ce qu’implique aussi la force du secret. Il importe peu, comme le font valoir les ayants-droit en l’espèce, qu’ils ne prévalent pas du secret médical. La Cour de cassation le précise clairement dans sa décision : la renonciation est une condition à la production du document couvert par le secret.

En l’espèce, on peut d’ailleurs se demander si la décision n’apporte pas une réponse à une question qui n’aurait pas dû se poser. L’application stricte et correcte du principe posé par la jurisprudence depuis 2004 aurait dû empêcher la création de la situation jugée. En effet, ce principe postule désormais que des informations relevant du secret ne peuvent être transmises sans que l’assuré ou ses ayants droit aient consenti à cette circulation. Il reste encore à déterminer quelle emprise peut avoir le contrat d’assurance sur cette circulation des informations relevant du secret [4]. Cependant, il apparaît, en l’espèce, qu’un certificat médical a circulé entre deux médecins sans que les ayants-droit n’en soient informés et qu’ils aient pu y consentir sinon le problème ne se poserait pas. Ce procédé n’est pas compatible avec l’état du droit qui attribue aux personnes concernées par l’information le droit de décider : autoriser la divulgation au risque de perdre le droit à garantie ; la refuser au risque d’aboutir au même résultat si ce refus est jugé illégitime. C’est ce qu’impose désormais le respect du droit au secret.

 

II - Mise en œuvre du droit à garantie

 

  • La garantie due par l'assureur de responsabilité civile du commettant n'est pas exclue lorsque le dommage est susceptible de relever aussi de la garantie de l'assureur du véhicule manoeuvré par le préposé dont la faute a causé le dommage (Cass. civ. 2, 8 mars 2018, n° 17-13.554, F-P+B N° Lexbase : A6750XG4)

La présente solution est le prolongement d’un arrêt du 21 novembre 2013 [5]. Sur le fondement de l’article R. 211-5 du Code des assurances (N° Lexbase : L0266AA4), la Cour de cassation a décidé que la garantie obligatoire souscrite concernant les véhicules terrestres à moteur est plus large que la responsabilité qu’elle couvre. Contrairement à celle-ci qui s’applique en cas d’accident de la circulation [6], «les accidents causés par les accessoires ou la chute d'objets sont, depuis l'intervention du décret de 1986, garantis même si le véhicule ne circule pas et si l'accident ne constitue pas un accident de la circulation au sens de la loi du 5 juillet 1985». Cette position parfaitement justifiée au regard de la rédaction du texte crée une perspective de chevauchement des garanties comme l’ont souligné certains commentateurs de la solution [7]. La présente solution illustre cette situation et la façon de régler la situation.

En l’espèce, un ouvrier maçon est blessé lors du déchargement d’un bloc de béton manipulé à l’aide d’un camion grue. Ce dernier appartient à une entreprise de transports ayant souscrit une assurance de responsabilité civile pour son activité auprès d’un assureur, et une assurance obligatoire pour les véhicules terrestres à moteur auprès d’un autre. La victime sollicite la garantie de l’assureur de responsabilité générale. Ce dernier la dénie, prétendant que la garantie du véhicule terrestre à moteur a vocation à s’appliquer par priorité puisque le dommage entre dans son champ d’application. On connaît la réponse des juges : une garantie n’exclut pas l’autre. Il en découle, dans cette hypothèse, que la victime a la possibilité de recourir contre l’assureur de son choix. La solution se justifie parfaitement. Le système d’indemnisation mis en place concernant les véhicules terrestres à moteur tend à favoriser l’indemnisation des victimes. Il serait paradoxal que le caractère impératif d’une loi, le caractère obligatoire d’une assurance, justifient un refus de garantie opposé à une victime sous le prétexte que la garantie qu’elle sollicite, couvrant par ailleurs le dommage subi, est simplement facultative. L’obligation d’assurance impose qu’un type donné d’activité soit couvert, elle n’implique pas la prise en charge exclusive des dommages causés par cette activité. Une garantie n’excluant pas l’autre, la situation entre dans les prévisions de l’article L. 121-4 du Code des assurances (N° Lexbase : L0080AA9) : il existe un cumul d’assurances qui doit se résoudre selon les règles posées par le texte. En l’occurrence, la victime, bénéficiaire de la garantie en vertu de l’article L. 124-3 (N° Lexbase : L4188H9Y), demande l’indemnisation de ses dommages à l’assureur de son choix.

 

III - Prescription

 

  • Les stipulations du contrat omettent de rappeler les causes ordinaires de prescription prévues par le Code civil et méconnaissent ainsi les dispositions de l'article R. 112-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L6794ITS), applicables aux contrats d'assurance dommages ouvrage. La prescription prévue par l'article L. 114-1 (N° Lexbase : L2640HWP) ne peut être opposée (CE, 26 mars 2018, n° 405109, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8574XHZ)

 

Cette décision du Conseil d’Etat, par ailleurs intéressante en matière d’assurance construction, apporte une indication importante en matière de prescription biennale. La juridiction administrative y manifeste son intention d’appliquer, en matière d’information sur la prescription, la même exigence que la Cour de cassation : l’information doit être précise (et notamment intégrer les causes ordinaires d’interruption de la prescription), sinon, la prescription est inopposable à l’assuré. Le Conseil d’Etat s’approprie la construction jurisprudentielle élaborée par la Cour de cassation à partir de l’article R. 112-1 du Code des assurances et régulièrement décrite dans la présente chronique. On ne peut que se féliciter de cette unité qui n’avait rien d’évident tant la construction est audacieuse et poussée à son paroxysme devant le juge judiciaire [8]. On peut d’ailleurs se demander si la juridiction administrative poussera elle aussi jusqu’à l’absurde l’exigence d’information. Il reste à lui demander…

 

IV - Assurance construction

 

  • Les dispositions de l’article L. 242-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L1892IBP) instituent une procédure spécifique de préfinancement des travaux de réparation des désordres couverts par la garantie décennale avant toute recherche de responsabilité. L'assureur ne peut exiger de l'assuré la réalisation de ces travaux avant le versement de l'indemnité prévue par ces dispositions (CE, 26 mars 2018, n° 405109, précité)

 

La décision du Conseil d’Etat, intéressante sous l’angle de la question de la prescription, apporte des précisions dans le domaine de l’assurance des dommages à l’ouvrage. Cette assurance, on le sait, a pour objectif le préfinancement des réparations des dommages de nature décennale. Plusieurs conséquences découlent de ce mécanisme. Elles sont régulièrement rappelées : la plus importante est certainement le principe d’affectation de l’indemnité que l’arrêt évoque. L’assuré est tenu d’utiliser les fonds remis pour réparer les désordres. Une autre conséquence découle de cette affectation : la restitution des sommes qui excèdent ce qui est nécessaire à la remise en état [9]. Ces décisions impliquent une dernière conséquence sous-jacente que l’arrêt du Conseil d’Etat met en évidence : l’assureur doit verser les sommes pour que les travaux puissent être exécutés. Il ne peut subordonner le versement à la preuve que ces travaux ont été effectués. Autrement dit, le préfinancement exclut l’idée de remboursement et implique un versement préalable de l’indemnité. C’est bien ce que décrivent les clauses types prévues à l’annexe de l’article A. 243-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L9756IE3).

Un détail de l’espèce était à prendre en compte : en vertu de l’article L. 242-1, alinéa 2, la commune assurée, personne morale de droit public réalisant des travaux de construction pour un usage autre que l’habitation n’avait pas l’obligation de souscrire une assurance des dommages à l’ouvrage. Le Conseil d’Etat estime que les parties ont volontairement adhéré à cette forme d’assurance !  

 

[1] Cass. civ. 1, 15 juin 2004, n° 01-02.338, FS-P (N° Lexbase : A7298DCB), Bull. civ. I, n° 171 ; RCA, 2004, chron. 18, H. Groutel ; Cass. civ. 1, 7 décembre 2004, n° 02-12.539, FS-P+B (N° Lexbase : A3430DER), Bull. civ. I, n° 306 ; RGDA, 2005, 105, note J. Kullmann ; RCA, 2005, 75, note H. Groutel. Sur la question : M. Cauchy et A. Dionisi-Peyrusse, Le droit au secret médical et son application en matière d’assurances, D., 2005, 1313.

[2] Déjà : Cass. civ. 2, 2 juin 2005, n° 04-13.509, FS-P+B (N° Lexbase : A5208DIQ), Bull. civ. II, n° 142 ; RGDA, 2005, 693, note J. Kullmann ; RCA, 2005, 269, obs. H. Groutel.

[3] Cass. civ. 1, 10 mars 1987, n° 85-16.194 (N° Lexbase : A7031CQH), RGAT, 1987, 391, note J. Bigot.

[4] B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, Droit des assurances, Montchrestien, 2ème éd., 2015, n° 214.

[5] Cass. civ. 2, 21 novembre 2013, n° 12-14714, FS-D (N° Lexbase : A0401KQW), RCA, 2014, 70, obs. H. Groutel ; LEDA janvier 2014, p. 4, obs. S. Abravanel-Jolly.

[6] Sur la question : Ph. Le Tourneau et alii, Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action, 2018/2019, n° 6211.21 et s..

[7] H. Groutel, précité.

[8] Cass. civ. 2, 8 février 2018, n° 16-25.547, F-D (N° Lexbase : A6770XCQ), et nos obs. in chron., Lexbase, éd. priv., n° 736, 2018 (N° Lexbase : N3390BXT).

[9] Sur les deux règles : Cass. civ. 3, 4 mai 2016, n° 14-19.804, FS-P+B (N° Lexbase : A3451RN7) ; Constr. Urb., 2016, 92, obs. M.-L. Pagès de Varenne.

newsid:463822

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus