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N0442BXN
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par Eulalie Mazigui Ngoue-Nzameyo, Chargée de cours à l'Université de Yaoundé II
le 05 Octobre 2017
Il s'agit d'une mission permanente qu'il exerce tout au long de l'exercice. Elle ne se limite pas à l'appréciation de la matérialité des écritures. Elle doit conduire à certifier que les états financiers de synthèse de la société contrôlée ou même, le cas échéant, de ses filiales sont réguliers et sincères et partant, reflètent la réalité. Le devoir d'information qui lui est assigné permet au commissaire aux comptes de porter à la connaissance des dirigeants sociaux et des actionnaires les faits découverts au cours de ses investigations. C'est à ce niveau que s'inscrit l'obligation de dénoncer au ministère public ceux des faits constitutifs de délits qu'il découvrirait au cours de ses investigations. Enfin, dans le cadre précis de son devoir d'alerte, le commissaire aux comptes prévient les dirigeants et associés, dès lors qu'il a connaissance, dans l'exercice de ses fonctions, des faits de nature à compromettre la continuité de l'exploitation. En tout état de cause, les missions du commissaire aux comptes se résument dans la prévention des difficultés de l'entreprise afin d'éviter sa cessation de paiement.
Toutefois, l'adoption d'un nouvel Acte Uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique le 30 janvier 2014 reconsidère la profession du commissaire aux comptes en qualité d'organe contrôleur externe des sociétés commerciales. Le renouvellement de la confiance accordée au commissaire aux comptes par le législateur OHADA prouve à quel point ce professionnel exerce désormais une fonction importante en matière de contrôle légal des sociétés commerciales. Il est juste de parler de fonction dans la mesure où l'organisation professionnelle aujourd'hui milite en faveur de la spécialisation. Cette spécialisation, correspondant aux aptitudes de chacun, sera considérée comme susceptible de faire avancer énormément le progrès économique et social, évitant ainsi la dispersion des efforts. Il est opportun à ce niveau de qualifier la nature des fonctions des commissaires aux comptes dans les sociétés. Agissent-ils en vertu d'un mandat de la société ? Le contrat de mandat est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour elle et en son nom (10). Cette qualification ne peut être admise dans la mesure où ils ne sont pas chargés d'accomplir des actes juridiques au nom de la société, ils n'effectuent que des opérations de vérification (11). Le commissaire aux comptes n'est par conséquent pas un mandataire contractuel de la société, mais un organe institutionnel (12). Cependant, le terme mandat est utilisé dans l'AUDSCGIE et doit être pris dans le sens de la mission confiée à quelqu'un. Dans ce sens, deux éléments sont importants, l'objet de la mission et sa durée (13).
Il est propice à ce niveau de distinguer le commissaire aux comptes des notions voisines. Il s'agit en l'occurrence de l'expert-comptable, de l'expert judiciaire en comptabilité qui ont néanmoins en commun d'être des métiers de la profession comptable, et du commissaire aux apports. En effet, la loi n° 2011/009 du 6 mai 2011, relative à l'exercice de la profession comptable libérale et au fonctionnement de l'ordre national des experts-comptables du Cameroun (14) clarifie les attributions de ces professionnels. Dans cette optique, l'article 7 de ladite loi dispose que le travail de l'expert-comptable consiste à tenir, centraliser, ouvrir, arrêter, surveiller, redresser, consolider les comptabilités des entreprises et organismes auxquels les experts-comptables ne sont pas liés par un contrat de travail ; réviser et apprécier les comptabilités des entreprises et organismes auxquels ils ne sont pas liés par un contrat de travail ; faire des travaux et consultations d'ordre statistique, économique, financier et administratif. Les experts judiciaires en comptabilité quant à eux sont principalement chargés de conduire les travaux d'expertise comptable auprès des tribunaux (15). Les commissaires aux comptes en ce qui les concerne ont une mission générale d'audit externe conduisant à la formulation d'une opinion sur les comptes des entreprises et organisations, ainsi qu'à la rédaction des rapports ; des missions de vérifications spécifiques et des autres interventions définies par la loi (16). Commissaire aux apports et commissaire aux comptes sont deux organes chargés d'assurer le contrôle des sociétés commerciales. Mais la mission du commissaire aux apports consiste en l'évaluation des apports en nature (17). Il s'agit d'une fonction totalement différente du commissaire aux comptes dans une société (18).
Au regard de ce qui précède, il est aisé de déduire que la mission traditionnelle du commissaire aux comptes réside dans le contrôle des comptes d'une entreprise soumise à la gestion des dirigeants sociaux. Il joue par ricochet le rôle de gardien du risque social. Le risque étant inhérent à l'activité spéculative de la société, le risque social s'entendra comme le risque de gain et le risque de perte qui s'attache au processus micro-économique (19).
Toutefois, l'on assiste à un élargissement progressif des missions du commissaire aux comptes (20). De contrôleur de comptes, il tend à devenir le contrôleur global de la société dans le but de garantir la bonne marche sociale. Conformément à cette tendance, le législateur OHADA a pris en considération deux principaux impératifs qui semblent s'opposer, l'efficacité et l'indépendance. Tandis que la recherche de l'efficacité postule pour le dynamisme des fonctions, la préservation de son indépendance a pour souci de contenir ces missions dans certaines limites. En tenant compte de ces impératifs, il a maintenu les missions légales du commissaire aux comptes tout en réaménageant spécialement la procédure d'alerte, et en consacrant l'institution du commissariat aux comptes dans toutes les sociétés commerciales. De même, le législateur OHADA le promeut progressivement en qualité de gardien de l'intérêt social, non seulement dans l'intérêt des associés, mais aussi dans celui de la société.
Dès lors, au regard de la réforme intervenue, quelle appréciation peut être faite des dispositions que le législateur OHADA consacre aux missions du commissaire aux comptes ? Quelles seraient les implications inéluctables tirées de l'intérêt renouvelé de la fonction de commissaire aux comptes par le nouvel AUDSCGIE en qualité d'organe contrôleur externe des sociétés commerciales ?
Au lendemain de la révision de l'AUDSCGIE, ce sujet présente un intérêt indéniable. Il est approprié de s'interroger sur le bien-fondé de l'intérêt renouvelé de la fonction du commissaire aux comptes. Assez tôt et de manière fort opportune, les législateurs ont compris l'intérêt à ne pas limiter ce professionnel à l'activité comptable. Le législateur OHADA a certainement suivi la même logique et tend à investir le commissaire aux comptes de missions qui vont au-delà de la simple certification des comptes. Cette approche se justifie par le souci d'accroître les chances d'une détection précoce des signes de défaillance de l'entreprise (21) par le commissaire aux comptes. Par ailleurs, ce sujet valorise la profession de commissaire aux comptes qui est en train de devenir incontournable dans toutes les sociétés commerciales. Cette tendance d'ouverture fonctionnelle du commissaire aux comptes dans l'AUDSCGIE se fait-elle dans l'intérêt de l'entreprise ou dans l'intérêt commun des associés ? La réponse impose de s'aligner à l'opinion d'un auteur qui souligne qu'il semblerait qu'il faille concevoir dans le cadre de l'AUDSCGIE l'intérêt social comme l'intérêt de l'entreprise. Cette approche offre plus de flexibilité puisqu'elle permet une réelle protection de la société en assurant son fonctionnement et sa pérennité, non pas exclusivement l'intérêt des associés (22). En somme, cette confiance renouvelée au commissaire aux comptes est sans doute tributaire de sa qualité d'organe indépendant dont la neutralité présumée en l'absence d'intérêt personnel de sa part, laisse présager d'un meilleur contrôle.
Dès lors, il ressort que le commissaire aux comptes dans la réforme de l'AUDSCGIE a obtenu une plus-value revalorisant sa fonction. L'analyse de celle-ci, laisse apparaître sa reconsidération avérée qui se manifeste par la consolidation de sa mission légale et par la consécration graduelle de son rôle en qualité de gardien de l'intérêt social (I), et démontre par ailleurs, que celle-ci impactera tant sur le statut du commissaire aux comptes que sur la gestion de la société (II) (cf. pour la seconde partie N° Lexbase : N0443BXP).
I - La revalorisation de la fonction de commissaire aux comptes
La revalorisation de la fonction du commissaire aux comptes consiste à donner une valeur plus grande à son activité. Le législateur OHADA dans l'AUDSCGIE révisé reconduit les missions du commissaire aux comptes. Cette reconduction s'est vue sanctionnée d'un regain d'intérêt de celles-ci par celui-là. Il a sans doute compris que ce magistrat du chiffre peut être d'un apport indéniable dans la stabilité générale de la société, ce d'autant plus que l'heure semble être à l'exigence de plus de transparence dans les entreprises. Cette affirmation est observable dans la consolidation de sa mission légale (A), et dans sa promotion progressive au rôle de gardien de l'intérêt social (B).
A - La consolidation de la mission légale du commissaire aux comptes
Avant la réforme de 2014, le commissaire aux comptes se limitait à exercer dans les sociétés par actions et dans les SARL (24). Aujourd'hui, sa mission fondamentale, dont le caractère est permanent, qui se résume à la certification des comptes, s'est vue maintenue. Seulement la logique voudrait que l'on constate le penchant actuel du législateur OHADA à l'accroissement du contrôle à travers la généralisation de l'institution dans toutes les sociétés commerciales de droit OHADA (1). De même sa mission légale liée à la prévention des difficultés s'est vue réorganisée (2).
1 - La généralisation de l'institution du commissariat aux comptes dans toutes les sociétés commerciales OHADA
La présence d'un commissaire aux comptes dans toutes les sociétés commerciales consiste prioritairement à exercer sa mission permanente. L'analyse de la consécration légale de ladite présence suppose de prime abord de présenter les sociétés nouvellement concernées. Il s'agira par la suite de rechercher la nature du caractère permanent de cette mission comptable.
Dans l'AUDSCGIE de 1997, en dehors de la société anonyme, la SARL pour l'évaluation de ses finances n'était tenue de faire appel au commissaire aux comptes qu'à certaines conditions. Depuis la réforme de l'AUDSCGIE, la société en nom collectif (25) est également visée. Quoique cette nomination ne soit pas obligatoire, l'intention du législateur OHADA d'instituer systématiquement un commissaire aux comptes dans toutes les sociétés commerciales pour une mission de contrôle comptable est révélée. Il importe de relever la nomination conditionnée de cet acteur dans les sociétés autres que par actions, et dans la société par actions simplifiée.
Avant l'AUDSCGIE de 2014, le contrôle comptable dans la SNC se faisait exclusivement par les associés eux-mêmes, lesquels pouvaient se faire assister par un expert-comptable ou un commissaire aux comptes. Certainement dans le souci de pérenniser l'entreprise, le législateur OHADA a estimé que le contrôle devait se faire désormais par une personne ayant l'expertise appropriée. Dans cette optique, il a introduit dans l'AUDSCGIE révisé la possibilité de désigner un commissaire aux comptes. Le régime de désignation du commissaire aux comptes dépend non seulement de la volonté des associés, mais aussi de la taille de l'entreprise. En effet, l'article 289-1-1 dispose que "les sociétés en nom collectif qui remplissent, à la clôture de l'exercice social, deux (2) des conditions suivantes : 1°) total du bilan supérieur à deux cent cinquante millions (250 000 000) de francs CFA ; 2°) chiffre d'affaires annuel supérieur à cinq cents millions (500 000 000) de francs CFA ; 3°) effectif permanent supérieur à 50 personnes, sont tenues de désigner au moins un (1) commissaire aux comptes". Ce sont les mêmes règles qui seront appliquées aux sociétés en commandite simple en vertu de l'article 293-1 de l'AUDSCGIE.
Il est indiqué de marquer un temps d'arrêt sur ce régime juridique du commissaire aux comptes dans les SNC.
De ces conditions, peuvent logiquement résulter trois combinaisons. La première combinaison regroupe la première et la deuxième condition qui renvoient à la santé financière de l'entreprise. S'ensuit la deuxième qui regroupe la première et la troisième condition, et enfin la troisième combinaison qui réunissant les deuxième et troisième conditions, renvoyant toutes à la jonction de l'aspect financier et de l'aspect personnel. Une analyse de celles-ci démontre que le commissaire aux comptes qui sera nommé sur la base du respect des deux dernières combinaisons corrobore le particularisme de la SNC fondé sur l'intuitu personae. Par contre, celui qui sera nommé sur la base du respect de la première combinaison, fait fi de cet aspect personnel, au profit de l'aspect financier. Cette manière de voir présente là un risque de dénaturation de la SNC dont la vitalité est tributaire de la personne des associés. A l'appui de cette affirmation, l'omission du législateur OHADA de créer un titre singulier qui traiterait du contrôle par le commissaire aux comptes ; il s'est contenté d'intégrer ledit contrôle, de manière inappropriée à la suite de celui des associés. Il semblerait que c'est la traduction concrète de la réalité selon laquelle aucune appréciation, aucune action ne peut être entreprise dans la SNC en dehors des ressources humaines. Dès lors, il serait indiqué pour la nomination d'un commissaire aux comptes de prendre en compte le respect des combinaisons deux et trois. Le deuxième paragraphe de cet article dispense la SNC de désigner un nouveau commissaire aux comptes dès lors qu'elle n'a pas rempli deux des conditions susvisées pendant les deux exercices précédant l'expiration du mandat du commissaire aux comptes. Quant au troisième paragraphe de cette disposition, il révèle que la désignation du commissaire aux comptes est facultative pour les SNC ne remplissant pas les critères ci-dessus. Toutefois, cette désignation n'est possible judiciairement que par la volonté exprimée d'un ou plusieurs associés détenant au moins le dixième du capital social.
Il demeure clair que, malgré la volonté du législateur OHADA d'imposer la désignation conditionnée d'un commissaire aux comptes dans cette société, l'on décèle toujours ce désir des associés de garder le monopole dudit contrôle.
Dans la société par actions simplifiée (28) nouvellement introduite dans l'AUDSCGIE de 2014, le régime de désignation du commissaire aux comptes est aligné sur celui de la SARL qui a été modifié. En effet, l'article 853-13-1 dispose que les SAS sont tenues de désigner les commissaires aux comptes à la clôture de l'exercice social à moins de remplir deux des conditions suivantes : total du bilan supérieur à cent vingt-cinq millions (125 000 000) ; chiffre d'affaire annuel supérieur à deux cent cinquante millions (250 000 000) de francs CFA ; effectif permanent supérieur à cinquante (50) personnes. Le paragraphe II de cet article est l'équivalent de l'article sus analysé. Quant au paragraphe III, il impose la désignation d'un commissaire aux comptes dans les SAS qui contrôlent une ou plusieurs sociétés, ou qui sont contrôlées par une ou plusieurs sociétés. La SARL, en partageant les conditions du paragraphe 1 avec la SAS, constitue l'une des raisons de son appellation en qualité de société hybride. Mais avec les sociétés de personne, elle partage les conditions d'incompatibilité qui frappe les commissaires aux comptes (27).
Le législateur OHADA, en généralisant l'institution du commissariat aux comptes dans toutes les sociétés commerciales démontre par-là que la mission comptable est la fonction permanente du commissaire aux comptes. Celle-ci doit être accomplie conformément aux principes énoncés à l'article 3 (28) de l'Acte uniforme relatif au droit comptable et à l'information financière (N° Lexbase : L2911LGW) (29). Elle consiste non seulement au contrôle des états financiers de synthèse classique, mais peut aussi concerner les comptes consolidés (30) ou combinés (31), ou encore examiner la sincérité des états financiers de synthèse, des informations comptables et financières diffusées par les dirigeants.
Le caractère permanent est justement axé autour de l'idée d'amoindrissement des cas de malversation financière, et est considéré comme la garantie d'un contrôle efficace du commissaire aux comptes. C'est en réalité une épée de Damoclès que le législateur OHADA a volontairement posée sur la tête des dirigeants sociaux en leur adjoignant un surveillant, idée qui n'est sans doute pas dans le but de leur plaire. C'est à juste titre que le professeur Nemedeu affirme que la consécration du caractère permanent du contrôle s'est faite dans la douleur au regard de l'histoire du droit français, qui a inspiré sensiblement le droit OHADA (32).
Toutefois, le législateur OHADA n'a pas tranché le débat qui consiste à savoir si l'exercice de ce contrôle permanent serait une faculté ou une obligation (33). Donner un point de vue sur la question revient d'abord à identifier la nature de la prérogative reconnue au commissaire aux comptes à ce sujet. Le commissaire aux comptes exerce sa mission dans l'intérêt d'autrui, c'est-à-dire de la société et de ses associés. Par conséquent, la prérogative à lui dévolue ici ne peut pas être un droit ou une liberté, mais plutôt un pouvoir.
Dès lors, par rapport à la lettre de la loi, le législateur OHADA en insérant cette prérogative dans la section des "droits du commissaire aux comptes", le fait à tort, puisqu'il vient d'être vu qu'il s'agit en réalité d'un pouvoir. Il oriente ainsi le lecteur vers l'exercice facultatif de ce contrôle permanent. L'argument majeur qui militerait en faveur d'un contrôle-facultatif réside dans la réalité d'après laquelle lorsqu'une personne est titulaire d'un droit ou plutôt d'un pouvoir, elle n'est pas obligée de l'exercer. Par ailleurs, le commissaire aux comptes est astreint à une obligation de moyens. En effectuant le contrôle comptable, aucun résultat précis n'est escompté à l'avance, nonobstant les moyens mis à sa disposition notamment en termes de large pouvoir d'investigation dans le but de former son opinion qui s'exprime dans les différents rapports qu'il est appelé à rédiger. Par rapport à l'esprit de la loi qui étend de plus en plus la fonction du commissaire aux comptes, il ne serait pas usurpé d'affirmer qu'il y a accroissement sous-jacent de sa responsabilité. Dans cette optique, la faute ou la négligence minimisable hier, deviendrait déterminante, et par conséquent, attribuerait au contrôle une nature obligatoire. Suivant cette logique, le défaut de permanence du contrôle constituerait, en lui-même un fait générateur de responsabilité civile du commissaire aux comptes (34). En définitive, le contrôle permanent du commissaire aux comptes serait à mi-chemin entre son exercice facultatif et son exercice obligatoire.
Cette généralisation de l'institution du commissariat aux comptes dans toutes les sociétés commerciales OHADA n'est pas la seule innovation de l'AUDSCGIE révisé. Elle doit être complétée par la restructuration de la procédure d'alerte.
2 - La réorganisation de la procédure d'alerte
Le commissaire aux comptes est le pivot de la procédure d'alerte (35) nonobstant l'existence d'autres acteurs susceptibles de la déclencher. Le législateur OHADA dans l'AUDSCGIE révisé, en réglementant l'alerte, entérine l'idée de reconsidération de sa mission légale. A cet effet, il a pris en compte deux éléments : le rôle du juge et la question des délais de réponse.
S'agissant du rôle du juge, celui-ci a été renforcé à travers son implication précoce dans la prévention des difficultés de l'entreprise, notamment dans les sociétés autres que les sociétés par actions. En effet, l'article 151, alinéa 2, de l'AUDSCGIE révisé impose au commissaire aux comptes d'informer la juridiction compétente de ses démarches indépendamment d'une réponse reçue des dirigeants sociaux à la suite de sa demande d'explication. Une question s'impose à ce niveau, pourquoi le législateur OHADA a trouvé utile de convoquer le juge au stade de la détection des difficultés de l'entreprise ? La mission traditionnelle du juge consiste à interpréter les faits et le droit, d'apaiser les conflits, de trancher les litiges et de légitimer par son autorité les solutions retenues. Cette convocation peut se justifier en faveur de l'implication raffermie de son rôle préventif dans les difficultés de l'entreprise. Il intervient désormais en qualité d'allié du commissaire aux comptes, dont la collaboration en amont des soucis de l'entreprise vise un seul objectif, celui d'éviter la faillite de l'entreprise. Le juge devient donc plus actif dans la résolution des difficultés de l'entreprise aussi bien en amont qu'en aval de celles-ci. Cette intervention précoce du juge est également observée en droit étranger, notamment en droit français (37).
S'agissant des délais de réponse à la demande d'explication adressée aux dirigeants sociaux, ils mettent en exergue la question théorique de l'intervention du temps dans le droit. La tendance à l'heure actuelle est de raccourcir les délais face à l'accélération de la vie moderne, à la rapidité des communications et aux progrès de la technique (38). C'est certainement en tenant compte de cette réalité que s'est inscrit le législateur OHADA en mutant le délai de réponse suite à la demande d'explication adressée aux dirigeants sociaux par le commissaire aux comptes. En effet, que ce soit dans les sociétés autres que les sociétés par actions (39) ou dans les sociétés par actions (40), le délai passe d'un mois à quinze jours. C'est le même délai que l'on observe aussi en droit français (41). C'est une manière de dire que le législateur OHADA, constatant qu'il était à la traîne, s'est senti obligé de s'arrimer à la nouvelle donne.
De l'analyse de ces deux éléments, il ressort que la réponse des dirigeants sociaux à la demande d'explication qui leur est transmise dans les délais prescrits, n'influence en rien l'information de la juridiction compétente, qui s'avère être obligatoire. Dès lors, il est indiqué d'affirmer que la procédure d'alerte a élargi sensiblement la mission du commissaire aux comptes. Celui-ci s'est vu confier le diagnostic de l'entreprise, et cela, au demeurant, quelles que soient les modalités de sa désignation obligatoire, volontaire ou judiciaire (42).
En dernière analyse, il y a lieu d'évoquer l'implication de la restructuration de la mission d'alerte sur le principe de non immixtion dans la gestion. L'alerte a toujours été considérée comme la limite phare au principe de non immixtion dans la gestion.
Il convient avant tout de présenter les différentes catégories de gestion existantes. Il s'agit de la gestion déterminante à distinguer de la gestion appliquée. La gestion déterminante, plus large comprend la définition des objectifs à poursuivre et la définition des moyens à mettre en oeuvre. Dans cette acception, la gestion s'apparente à la direction, au management. La gestion appliquée, plus étroite, est une application de la précédente. Elle s'entend de la mise en oeuvre des moyens préalablement définis, dans le cadre de la poursuite des objectifs fixés. En quelque sorte, la gestion déterminante, c'est la définition de la politique sociale, la gestion appliquée, c'est sa mise en oeuvre (43). Il est généralement admis que le commissaire aux comptes peut apprécier la gestion déterminante et non la gestion appliquée. Cependant, il semble opportun de dire que ce principe est plus théorique que pratique.
Justement, à ce titre l'appréciation de la gestion déterminante peut se faire de deux façons, soit à titre accessoire, soit à titre autonome. Dans le premier cas, la mission comptable est impossible sans la connaissance de la gestion déterminante. En bref, aucune information comptable de quelque importance n'a de réelle signification sans la connaissance de la gestion déterminante, des grandes lignes de la politique sociale, cadre dans lequel l'opération qui est traduite vient s'inscrire, ou le cas échéant vient contrarier (44). Dans le second cas, c'est la loi elle-même qui autorise une implication dans la gestion notamment à l'article 713 (45) de l'AUDSCGIE. Une révision de l'interdiction faite aux commissaires aux comptes de s'immiscer dans la gestion de l'entreprise est nécessaire, car la contrainte de la non-immixtion des commissaires aux comptes semble incompatible avec une mission d'alerte efficace (46). Il y a lieu d'affirmer que le principe de non immixtion porte en lui-même les germes de sa restriction. D'où il semble logique de corroborer les propos du Professeur Du Pontavice qui estime que la notion d'immixtion dans la gestion est évolutive. Selon lui, il ne faut pas dire que le commissaire aux comptes va s'immiscer dans la gestion, mais simplement constater qu'est modifiée la ligne de partage entre ce qui est immixtion dans la gestion et ce qui reste en dehors de l'immixtion (47). A la suite de cet auteur, il y a lieu de dire que l'impératif d'efficacité recherché par le législateur dans la revisitation de la procédure d'alerte, conduira le commissaire aux comptes à apprécier de plus près la gestion des dirigeants sociaux. Ce qui aura pour risque de voir le commissaire aux comptes participer à la gestion, or cela ne relève pas de sa responsabilité.
Le législateur OHADA dans sa réforme après avoir consolidé la mission légale, s'est attelé à promouvoir graduellement le commissaire aux comptes au rôle de gardien de l'intérêt social.
B - La promotion progressive au rôle de gardien de l'intérêt social
L'intérêt social n'a pas de définition unitaire, c'est une notion à contenu variable (48), ayant une finalité protectrice (49), indiquant ce qui est bon pour la société (50). Comme la bonne foi ou l'intérêt de la famille, l'intérêt social est un impératif de conduite, une règle déontologique et même morale qui impose de respecter un intérêt supérieur à son intérêt personnel (51). La summa divisio en droit des sociétés oppose l'associé qui a un droit dans la société et le créancier qui a un droit contre la société. Puisque le commissaire aux comptes a un rôle préventif et non curatif dans les difficultés des entreprises, il n'y a aucun intérêt à traiter du créancier. Dès lors, la promotion au rôle de gardien de l'intérêt social est progressive parce que déjà effective s'agissant de l'intérêt de la société (2), et tend à le devenir s'agissant de l'intérêt des associés (1) au regard de la philosophie du législateur OHADA.
1 - Dans l'intérêt des associés
Il y a lieu de préciser d'emblée que le commissaire aux comptes est l'oeil des associés auprès des dirigeants sociaux. Cela semblerait paradoxal ou plutôt inutile d'évoquer ici son rôle de gardien de l'intérêt des associés. En réalité, l'on voudrait relever qu'il tend à dépasser son rôle de gardien des intérêts financiers des associés pour devenir aussi gardien de leurs intérêts non pécuniaires. Cette protection des associés par le commissaire aux comptes a déjà été amorcée par le commissaire aux comptes dans l'ancien AUDSCGIE en vertu de l'article 714 (52) et 350 (53) et suivants, pas nécessairement pour prévenir les difficultés de l'entreprise, mais plutôt pour vérifier si la réglementation est bien appliquée.
L'on envisage ici exclusivement l'action future du commissaire aux comptes vis -à-vis des associés. Ainsi, le commissaire aux comptes surveillerait tacitement l'intérêt social en faveur des associés en les protégeant contre eux-mêmes.
Même si le législateur OHADA ne le dit pas encore expressément, il y a lieu d'affirmer que c'est au commissaire aux comptes que reviendra la charge du respect de l'affectio societatis. Cette notion qui marque l'engagement des associés à créer une société connaît encore aujourd'hui un rayonnement (54) certain. En effet, lorsque l'alinéa 2 de l'article 4 de l'AUDSCGIE révisé, quoiqu'inchangé, dispose que "la société commerciale est créée dans l'intérêt commun des associés", c'est la mise en exergue de l'une des conditions de formation du contrat de société. C'est en même temps la condition sine qua non de la pérennité de la société commerciale au-delà du partage des bénéfices et des pertes escomptées. Cette volonté des associés de former une société et de coopérer dans leur intérêt commun, doit être protégée. Malheureusement, cette protection n'est pas encadrée par le législateur OHADA. Tout porte à croire que c'est au commissaire aux comptes que reviendra cette mission, dans sa nouvelle posture de protecteur de l'intérêt social. En appui à cette affirmation, lorsque l'article 8 de la loi camerounaise n° 2011/009 du 6 mai 2011 donne au commissaire aux comptes des missions de vérifications spécifiques, nul doute qu'une de ces missions pourra consister au contrôle du respect de l'affectio societatis.
De même, toujours dans la perspective du respect de l'intérêt social dans l'intérêt des associés, le commissaire aux comptes devra gérer les abus de droit. Il devra contrôler que l'exercice des droits des minorités et des majorités se fait dans le strict respect de l'intérêt social. La tendance hier en droit des sociétés jetait un regard accusateur sur les associés majoritaires qui croyaient être les seuls à détenir les pouvoirs au détriment des associés minoritaires. Il n'en est rien conformément à une étude qui a démontré que les faibles présumés étaient plus tyranniques (55). De toute façon, ces deux catégories d'abus de droit poursuivent un seul but, celui de bloquer la bonne marche de la société. Le législateur OHADA a déjà tranché ce conflit d'intérêt en prévoyant la nullité des décisions collectives constitutives d'abus de majorité (56) et d'abus de minorité ou d'égalité (57). L'abus d'égalité, nouveau concept introduit dans l'AUDSCGIE révisé produit les mêmes effets que l'abus de minorité, à telle enseigne qu'il ne serait pas usurpé de dire que l'abus d'égalité serait une variété de l'abus de minorité. Seulement, il y a lieu de noter que pour que ces différents abus soient sanctionnés, il faudrait au préalable qu'ils soient identifiés, et ce serait certainement le commissaire aux comptes en qualité de surveillant de l'intérêt social qui s'en chargerait.
L'interpellation est faite ici au législateur OHADA dans son souci d'investiture du commissaire aux comptes comme protecteur de l'intérêt non pécuniaire des associés, de lui attribuer expressément ces missions qui vont au-delà des missions comptables. Le résultat escompté serait de responsabiliser les associés qui se seraient regroupés de manière complaisante.
En fin de compte, le commissaire aux comptes protège les intérêts pécuniaires des associés, mais tend déjà vers la protection de leurs intérêts moraux. L'effectivité de cette protection de l'intérêt social s'observe dans l'intérêt de la société elle-même.
2 - Dans l'intérêt de la société
Le législateur OHADA dans l'AUDSCGIE révisé s'inscrit dans la logique de pérenniser la société en renforçant le rôle du commissaire aux comptes. Ce renforcement s'observe non seulement par le regain d'intérêt accordé aux rapports dressés, ou par les avis sollicités, mais surtout par la nullité des actes pris dans l'ignorance de ceux-ci. Il ne suffit pas de l'affirmer, encore faudrait-il le démontrer.
Le rapport se définit comme un exposé dans lequel on relate ce qu'on a vu ou entendu (58). La rédaction d'un rapport qui est un travail purement administratif lui attribue un peu le rôle d'administrateur. Par ailleurs, c'est le rapport qui donne l'état des lieux réel de la santé ou du handicap de la société. Par conséquent, le rapport qui est fait de manière complaisante contribue à la mort de la société. Les rapports que les commissaires aux comptes sont appelés à rédiger se subdivisent déjà même dans l'ancien AUDSCGIE, en rapports spéciaux et en rapports généraux. S'agissant des rapports spéciaux rédigés dans l'intérêt de la société, l'on peut convoquer ici les nouveaux articles 778-2 et 778-15 de l'AUDSCGIE qui traitent des actions de préférence introduit dans la réforme. La première disposition démontre l'influence du rapport spécial du commissaire aux comptes sur le pouvoir de décision de l'assemblée générale extraordinaire des actionnaires pour décider de l'émission, du rachat et de la conversion des actions de préférence. La seconde disposition met en exergue l'exigence d'établissement d'un rapport spécial du commissaire aux comptes par les porteurs d'actions de préférence constitués en assemblée spéciale. Celui-ci a pour but le respect par la société des droits particuliers attachés auxdites actions. Quant aux rapports généraux, l'on peut convier ici le nouvel article 822-5-3 qui traite des valeurs mobilières composées. Dans le cas d'émission de valeurs mobilières donnant droit à l'attribution de titres de créances composées uniquement de titres de créances, le rapport du commissaire aux comptes porte sur la situation d'endettement de la société.
Le législateur OHADA démontre son regain d'intérêt aux rapports du commissaire aux comptes en frappant de nullité relative toute délibération de l'assemblée générale d'une société anonyme prise en l'absence de son rapport (59). De même, les délibérations prises à défaut du même rapport en cas de création des actions de préférence sont également nulles (60). C'est une nullité relative qui frappe aussi les délibérations prises en cas d'émissions de valeurs mobilières en l'absence dudit rapport (61). En annulant ainsi ces décisions prises dans le mépris du rapport du commissaire aux comptes, le législateur OHADA prouve à quel point ce document qui sanctionne le travail du commissaire aux comptes, est le seul à même de donner l'état réel de la société.
Par ailleurs, l'avis du commissaire aux comptes est requis sur quatre points concernant les actions de préférence dans la société anonyme. D'abord, il doit donner son avis sur l'augmentation de capital envisagée, les caractéristiques des actions de préférence et l'incidence de l'opération sur la situation des titulaires de titres de capital et de valeurs mobilières donnant accès au capital (62). Ensuite, il doit donner son avis sur les modalités de conversion, de rachat ou de remboursement des actions de préférence (63). En outre, le commissaire aux comptes donne son avis sur la conversion ainsi que sur l'incidence de l'opération sur la situation des titulaires de titres de capital et de valeurs mobilières donnant accès au capital. Il indique également si les modalités de calcul du rapport de conversion sont exactes et sincères (64). Enfin, il donne son avis sur l'offre de rachat ou de remboursement selon les mêmes modalités qu'en matière de conversion d'actions de préférence (65).
Ce rôle nouvellement attribué au commissaire aux comptes par le législateur OHADA s'assimile à celui de conseiller en gestion. Si l'avis renvoie à l'expression de la pensée d'une personne sans obligation d'adhésion des destinataires de cette pensée, le conseil s'analyse comme une opinion donnée à quelqu'un sans contrainte sur ce qu'il doit faire. Seulement, ce conseiller en gestion institué par le législateur OHADA brise deux tabous en matière de gestion des sociétés commerciales. D'une part, c'est une invite au commissaire aux comptes à s'immiscer dans la gestion de la société commerciale, dans la mesure où l'opinion qu'il est censé donner parce qu'il a une expertise avérée oriente inéluctablement le dirigeant social dans sa prise de décision. Techniquement, le commissaire aux comptes n'a jamais l'obligation de donner un conseil, il a "la possibilité de...", "il peut, si on le lui demande..." donner tel conseil (66). Or, le présent de l'indicatif utilisé par le législateur OHADA prouve que c'est une obligation légale et non un conseil d'opportunité. D'autre part, ce conseiller en gestion institué risque d'entraver sa réforme d'indépendance du commissaire aux comptes. En effet, en exigeant du commissaire aux comptes d'apprécier la conduite des affaires sociales sans obligations de dénonciation notamment lorsqu'il est appelé à évaluer le rapport de conversion des actions de préférence, établi par le conseil d'administration ou l'administrateur général, on ouvre une porte pour une évaluation de complaisance. Dans ce cas, il ne serait pas aisé de rechercher sa responsabilité.
En tout état de cause, le commissaire aux comptes ne devrait pas devenir un conseiller permanent de la société facteur de compromission de son indépendance. Le législateur OHADA ne peut détruire d'une main, ce qu'il a construit d'une autre. Au sortir de la réforme de l'AUDSCGIE, il s'est efforcé d'étendre les interdictions et les incompatibilités à la profession de commissaire aux comptes. Peut-être comme déjà relevé, parce qu'il est un organe extérieur et indépendant à la société, et qu'a priori il devrait être neutre, le législateur OHADA a décidé de s'appuyer sur lui pour la bonne conduite des affaires sociales. Inéluctablement, cet appui ne manque pas d'impacter sur la société.
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