La lettre juridique n°713 du 28 septembre 2017 : Droit des étrangers

[Jurisprudence] Transmission de la QPC relative à l'assignation à résidence des étrangers faisant l'objet d'un arrêté d'expulsion : conclusions du Rapporteur public

Réf. : CE, 2° et 7° ch.-r., 20 septembre 2017, n° 411774 (N° Lexbase : A2844WS7)

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par Xavier Domino, Rapporteur public au Conseil d'Etat

le 28 Septembre 2017

Dans une décision rendue du 21 septembre 2017, le Conseil d'Etat a transmis au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité relative aux modalités d'assignation à résidence des étrangers faisant l'objet d'un arrêté d'expulsion. Lexbase Hebdo - édition publique vous propose de retrouver les conclusions anonymisées du Rapporteur public sur cet arrêt, Xavier Domino.

1. Le présent litige pose la question de la transmission au Conseil constitutionnel d'une QPC (question prioritaire de constitutionnalité) mettant en cause la constitutionnalité des dispositions de l'article L. 561-1 (N° Lexbase : L9292K4W) relatives à l'assignation à résidence des étrangers faisant l'objet d'une interdiction de territoire qui sont dans l'impossibilité de quitter le territoire français ou ne peuvent ni regagner leur pays d'origine ni se rendre dans aucun autre pays. Pour ces personnes, la loi ne prévoit pas de limitation de durée de l'assignation à résidence.

Ressortissant algérien, M. D. a été condamné par arrêt de la cour d'appel de Paris du 14 décembre 2005 à six ans d'emprisonnement et à l'interdiction définitive du territoire français pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme. Déchu de la nationalité française qu'il venait d'acquérir, il devait être expulsé vers l'Algérie par un arrêté du préfet de police du 16 avril 2008. Mais par un arrêt du 3 décembre 2009 (CEDH, 3 décembre 2009, Req. 19576/08 N° Lexbase : A2876EP9), la Cour européenne des droits de l'Homme a jugé qu'il existait des motifs sérieux et avérés de croire que M. D. courrait un risque réel d'être soumis à un traitement contraire à l'article 3 de la CESDH (N° Lexbase : L4764AQI) s'il était expulsé vers l'Algérie.

Depuis le 25 avril 2008, M. D., qui ne peut être expulsé vers l'Algérie et dont les demandes d'asile auprès d'autres Etats ont échoué, fait l'objet d'assignations à résidence successives prises sur le fondement de l'article L. 561-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers. Il est, donc, assigné à résidence depuis plus de 9 ans.

A l'occasion d'une perquisition menée dans le cadre de l'état d'urgence à son domicile de Carmaux (Tarn) où il était assigné à résidence depuis décembre 2011, les services de police ont trouvé des indices tendant à montrer que M. D. avait recherché des informations personnelles sur les agents de police du commissariat de Carmaux et des informations relatives à des personnes condamnées pour terrorisme. M. D. a alors fait l'objet d'une nouvelle assignation à résidence à Saint-Jean d'Angély (Charente-Maritime) par arrêté du ministre de l'Intérieur du 24 novembre 2016, afin de l'éloigner de Carmaux. Un arrêté du 30 janvier 2017 a étendu l'assignation au territoire de la commune voisine de La Verne.

M. D. a depuis demandé la suspension et l'annulation de ces deux arrêtés à quatre reprises au juge des référés du TA de Paris. Toutes ces demandes ont été rejetées (1). A l'appui de sa dernière demande, il a présenté une QPC mettant en cause l'article L. 561-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sur le fondement duquel il est assigné à résidence. Dans les deux cas, la QPC a été présentée à l'appui de sa requête en référé et au fond.

En référé et cassation de référé de sa dernière demande de suspension, cette QPC n'a pas été transmise, (CE, 2ème ch., 12 juillet 2017, n° 410425 N° Lexbase : A6450WN9 ; aux conclusions de Béatrice Bourgeois-Machureau) pour des motifs de procédure (2), et n'a donc pas été examinée. Elle est, aujourd'hui, transmise par le tribunal administratif de Paris saisi au fond de la première demande d'annulation de l'arrêté d'assignation formée par M. D. et vous pourrez cette fois l'examiner.

2. La QPC met en cause l'article L. 561-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers au motif que cet article, qui ne fixe pas de limite de durée à l'assignation à résidence qui peut être prononcée sur son fondement et laisse à l'administration le libre choix du lieu d'assignation à résidence, porte atteinte à la liberté d'aller et venir, au droit au respect de la vie privée, est entaché d'une incompétence négative et méconnaît l'article 66 de la Constitution (N° Lexbase : L0895AHM).

Ces dispositions, que vous pouvez circonscrire sans trahir la portée de la critique de M. D., à la dernière phrase du 8ème alinéa et la troisième phrase du 9ème alinéa de l'article L. 561-1 sont applicables au litige et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution.

Elles posent assurément à nos yeux une difficulté sérieuse de constitutionnalité.

A l'origine, l'article 28 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 (ordonnance relative aux conditions d'entrée et de séjour en France des étrangers et portant création de l'Office national d'immigration N° Lexbase : L4788AGG), dont sont issues les dispositions de l'article L. 561-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers, ne prévoyaient aucune limitation de durée à l'assignation à résidence, quelle que soit la catégorie d'étrangers visés. Mais en 2011, le législateur a fait de la limitation dans le temps des assignations à résidence le principe (six mois renouvelable une fois) et de l'absence de limitation l'exception, limitée à des hypothèses précises, notamment celle qui nous intéresse aujourd'hui d'interdiction du territoire prononcée par le juge pénal.

2.1 Il nous semble résulter de façon assez certaine de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui identifie les assignations à résidence comme des mesures seulement restrictives de liberté, ne mettant ainsi pas en jeu la garantie de la liberté individuelle, que la seule prolongation dans le temps d'une mesure d'assignation à résidence n'a pas pour effet de modifier sa nature et de la rendre assimilable à une mesure privative de liberté (Cons. const., décision n° 2017-624 QPC, du 16 mars 2017 N° Lexbase : A3171T8X, cons. 7). Ce qui rend dans notre litige l'invocation de l'article 66 de la Constitution assez peu convaincante à nos yeux.

2.2 Nous semble, en revanche, sérieux le grief tiré de l'atteinte excessive à la liberté d'aller et venir.

Le Conseil constitutionnel juge de manière constante qu'il "appartient au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties, au nombre desquelles figurent la liberté d'aller et venir et le respect de la vie privée, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1370A9M), ainsi que la liberté individuelle, que l'article 66 de la Constitution place sous la surveillance de l'autorité judiciaire" (Cons. const., décision n° 2003-467, du 13 mars 2003, loi pour la sécurité intérieure N° Lexbase : A4715A7R précitée, cons. 8) et que "les mesures de police administrative susceptibles d'affecter l'exercice des libertés constitutionnellement garanties doivent être justifiées par la nécessité de sauvegarder l'ordre public et proportionnées à cet objectif" (id., cons. 9 id. et Cons. const., décision n° 2010-13 QPC, du 9 juillet 2010 N° Lexbase : A1250E43, cons. 8).

Et s'il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel "qu'aucune règle de valeur constitutionnelle n'assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d'accès et de séjour sur le territoire national ; que les conditions de leur entrée et de leur séjour peuvent être restreintes par des mesures de police administrative conférant à l'autorité publique des pouvoirs étendus et reposant sur des règles spécifiques" (Cons. const., décision n° 93-325 DC, du 13 août 1993, loi relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France N° Lexbase : A8285ACT, cons. 2 ; Cons. const., décision n° 2011-631 DC, du 9 juin 2011, loi relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité N° Lexbase : A4307HTP cons. 64), cette possibilité ne peut s'exercer que dans un cadre législatif qui assure la conciliation de l'objectif de sauvegarde de l'ordre public et du respect des libertés : "si le législateur peut, s'agissant de l'entrée et du séjour des étrangers, prendre des dispositions spécifiques destinées notamment à assurer la sauvegarde de l'ordre public, qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle, il lui appartient de concilier cet objectif avec le respect des libertés et droits fondamentaux reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République ; que figurent parmi ces droits et libertés, la liberté d'aller et venir, laquelle n'est pas limitée au territoire national mais comporte également le droit de le quitter, et la liberté du mariage" (Cons. const., décision n° 97-389 DC, du 22 avril 1997, cons. 10).

S'agissant de l'atteinte portée par les assignations à résidence à la liberté d'aller et venir, le Conseil constitutionnel a jugé qu'elle n'était pas disproportionnée :

- s'agissant de l'assignation prévue à l'article L. 561-2 (N° Lexbase : L9293K4X), cette mesure étant alternative à la rétention et placée sous le contrôle du juge (Cons. const., décision n° 2011-631 DC, du 9 juin 2011, loi relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité, cons. 79) ;

- s'agissant des assignations à résidence relevant de l'état d'urgence, sous réserve que "d'une part, que le comportement de la personne en cause constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics, d'autre part, que l'autorité administrative produise des éléments nouveaux ou complémentaires, et enfin que soient prises en compte dans l'examen de la situation de l'intéressé la durée totale de son placement sous assignation à résidence, les conditions de celle-ci et les obligations complémentaires dont cette mesure a été assortie" (Cons. const., décision n° 2017-624 QPC, du 16 mars 2017, cons. 17).

Mais les dispositions, aujourd'hui contestées, ont ceci de particulier qu'elles ne prévoient pas de bornage dans le temps des assignations à résidence qu'elles autorisent de prononcer à l'égard des étrangers ayant fait l'objet d'une interdiction du territoire prononcée par le juge judiciaire. Nous convenons bien volontiers avec le ministre que les assignations à résidence prononcées en raison de l'impossibilité dans laquelle l'administration se trouve d'exécuter une telle interdiction de territoire ne sont pas totalement comparables à celles prononcées dans le cadre de l'état d'urgence. Et nous convenons, en outre, que la possibilité pour l'étranger faisant l'objet de cette mesure d'en demander le relèvement au juge judiciaire après un an atténue aussi l'absence de limitation de durée qui ressort à la seule lecture des dispositions contestées. Enfin, et bien entendu, il va de soi que l'hypothèse d'assignations à résidence de personnes faisant l'objet d'une interdiction de territoire prononcée par le juge pénal pour des actes en lien avec une entreprise terroriste obéit à des motifs d'ordre public d'une particulière importance. En réalité, les choses sont donc plus nuancées, et moins univoques qu'il n'y paraît à la seule lecture des dispositions contestées.

Mais il nous semble, toutefois, que la question de constitutionnalité, qui appelle une appréciation de proportionnalité particulière est sérieuse, et qu'il est dans l'ordre des choses que le Conseil constitutionnel ait l'occasion de se prononcer sur ces dispositions.

Par ces motifs, nous concluons donc à la transmission au Conseil constitutionnel de la QPC posée par M. D..


(1) Référé-suspension contre l'arrêté du 24 novembre 2016 : rejet par ordonnance devenue définitive du 16 décembre 2016 ; deux référés-liberté contre les arrêtés du 24 novembre et du 30 janvier 2016 : rejet par deux ordonnances du 24 février et du 1er mars 2017 ; référé-suspension contre l'arrêté du 24 novembre 2016, avec de nouveaux moyens et QPC mettant en cause l'article L. 561-1 : rejet et non-renvoi de la QPC, par conséquent, par ordonnance du 6 avril 2017.
(2) En première instance, rejet de la demande de suspension pour défaut d'urgence et non-renvoi, par conséquent, de la QPC (ordonnance du 6 avril 2017) ; en cassation, le requérant a, à nouveau, présenté la même QPC en cassation de référé (CE 2ème ch., 12 juillet 2017, n° 410425 N° Lexbase : A6450WN9) : vous avez jugé, conformément à votre jurisprudence "Prototech", que cette QPC ne pouvait être transmise, le requérant ayant seulement la faculté de contester le refus de transmission par les premiers juges.

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