La lettre juridique n°696 du 27 avril 2017 : Contrat de travail

[Jurisprudence] La stipulation d'une condition suspensive dans le contrat de travail

Réf. : Cass. soc., 15 mars 2017, n° 15-24.028, FS-P+B (N° Lexbase : A2584UCP)

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par Sébastien Tournaux, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux

le 28 Avril 2017

Tout contrat peut être assorti de l'une des deux grandes catégories de modalités contractuelles que sont le terme et la condition. Le contrat de travail ne déroge pas à cette règle et s'intéresse depuis fort longtemps à la première, depuis que le législateur a choisi d'encadrer les contrats à durée déterminée en 1979 puis en 1982. La stipulation d'une condition résolutoire ou suspensive dans le contrat de travail soulève davantage d'incertitudes en ce que ces clauses pourraient être destinées à mettre en échec les règles protectrices de la rupture du contrat, qu'il soit conclu à durée déterminée ou à durée indéterminée. Encore faut-il, pour que la question se pose véritablement, que la réalisation de la condition aboutisse véritablement à la rupture du contrat, ce qui ne semble pas être le cas lorsqu'est en cause une condition suspensive. C'est, en tous les cas, ce que juge la Chambre sociale de la Cour de cassation par un arrêt rendu le 15 mars 2017, qui considère que les dispositions d'ordre public relatives à la rupture anticipée du contrat à durée déterminée ne font pas obstacle à la stipulation d'une condition suspensive dans le contrat (I). La solution rendue est parfaitement défendable d'un point de vue technique. On peut, toutefois, regretter qu'une autre question soit passée sous silence, faute que les parties n'aient interrogé la Cour de cassation à son propos. En effet, l'événement constitutif de la condition était la réalisation d'un examen médical approfondi comme en subissent la majorité des sportifs professionnels au moment de leur recrutement. L'état de santé du candidat à l'embauche peut-il vraiment faire l'objet d'une condition sans tomber sous le coup de la prohibition des discriminations en raison de l'état de santé ? (II).
Résumé

Les dispositions d'ordre public de l'article L. 1243-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0887I7Y), dont il résulte que le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l'échéance du terme que dans les seuls cas visés par ce texte, ne prohibent pas la stipulation de conditions suspensives.

Commentaire

I - La faculté de stipuler une condition suspensive au contrat à durée déterminée

Contrat de travail et stipulation d'une condition. Comme l'illustrent les nombreuses réflexions relatives à l'application de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations au contrat de travail (N° Lexbase : L4857KYK) (1), le droit civil demeure une ressource essentielle en droit du travail, ce dont témoigne toujours l'article L. 1221-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0767H9B) qui dispose que "le contrat de travail est soumis aux règles du droit commun" (2). A moins que le législateur ait souhaité les exclure du champ des relations de travail, l'ensemble des techniques contractuelles peuvent être utilement mobilisées et la stipulation de conditions n'échappe pas à cette règle.

Il n'est ainsi pas rare que la Chambre sociale admette, plus ou moins explicitement, la stipulation de conditions au contrat de travail. L'exécution d'un contrat à durée indéterminée peut être subordonnée à la réalisation d'une condition suspensive (3), auquel cas le contrat de travail s'approche d'une promesse d'embauche suspendue à la réalisation de tel ou tel événement (4). La stipulation d'une condition suspensive semble également permise dans un contrat de travail à durée déterminée, quoique la plupart des illustrations jurisprudentielles concernent des conditions stipulées par convention collective et non par le contrat de travail lui-même (5).

L'affaire. Une basketteuse est engagée par un club professionnel en 2008 pour deux saisons. A l'issue de ce premier contrat, elle conclut un nouveau contrat à durée déterminée pour une durée d'un an. Ce contrat stipule que l'engagement ne deviendra définitif qu'une fois remplies les conditions d'enregistrement par la fédération française de basket-ball et de passage, par la joueuse, d'un examen médical. Victime d'un accident de travail, la salariée prend "acte de la rupture de son contrat de travail (sic)" et saisit le juge prud'homal de demandes au titre de la rupture mais aussi, pour ce qui nous intéresse, de l'exécution de son contrat.

Déboutée en appel, la salariée forme pourvoi devant la Chambre sociale de la Cour de cassation. Elle soutient, d'abord, que l'existence d'une condition suspensive est incompatible avec les dispositions de l'article L. 1243-1 du Code du travail, qui limite les cas de rupture du contrat de travail à durée déterminée et, ensuite, que l'examen médical ne pouvait intervenir après l'embauche, faute qu'une période d'essai ait été stipulée dans le contrat de travail.

Par un arrêt rendu le 15 mars 2017, la Chambre sociale rejette le pourvoi. Dans un chapeau de tête, elle énonce que "les dispositions d'ordre public de l'article L. 1243-1 du Code du travail, dont il résulte que le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l'échéance du terme que dans les seuls cas visés par ce texte, ne prohibent pas la stipulation de conditions suspensives". Elle poursuit en approuvant les juges d'appel d'avoir considéré que l'examen médical constitutif de l'événement auquel le contrat était suspendu devait être "pratiqué au plus tard trois jours après l'arrivée de la joueuse pour sa prise de fonction", prise de fonction n'ayant jamais eu lieu en raison de l'accident du travail subi quelques semaines avant la date auquel le nouveau contrat devait commencer, si bien que "ce second contrat n'avait pas pris effet".

D'un point de vue de la technique contractuelle, la décision de la Chambre sociale nous semble devoir être approuvée.

Les conséquences de réalisation de la condition sur le contrat de travail. A la différence de la condition résolutoire dont la réalisation aboutit à la résolution du contrat et, qui est plus difficilement admissible en ce qu'elle écarte les règles spécifiques de rupture du contrat de travail, la condition suspensive a pour conséquence de paralyser l'exécution d'un contrat légalement formé. La rétroactivité qui accompagnait systématiquement la réalisation de la condition avant l'ordonnance du 10 février 2016, avait pour conséquence que le contrat était réputé ne jamais avoir ni existé, ni avoir été exécuté (6), ce qui semblait ne pas entrer en conflit avec les règles spécifiques de rupture des contrats de travail.

L'article L. 1243-1 du Code du travail dispose que, "sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l'échéance du terme qu'en cas de faute grave, de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail". Sont donc seulement et limitativement envisagées par le Code du travail la rupture par l'échéance du terme, la force majeure ou la résiliation unilatérale motivée par une faute ou l'inaptitude médicale du salarié. Tout autre mode de rupture du contrat à durée déterminée devrait, par conséquent, être interdit, ce qui n'a jamais empêché la Chambre sociale d'admettre les clauses libératoires, véritables conditions résolutoires stipulées dans les contrats de travail de nombreux sportifs professionnels (7).

A plus forte raison, la stipulation d'une condition suspensive ne contrevient pas au texte spécial en ce qu'elle ne constitue pas, à proprement parler, un mode de rupture du contrat de travail. Tant que l'événement constitutif de la condition ne s'est pas réalisé, que la condition est pendante, "l'obligation est, en réalité, inexistante" (8). La défaillance de la condition a des conséquences radicales puisque "le droit qui lui était subordonné est mort-né : le contrat est définitivement privé d'effet" (9). Le contrat, qui n'a jamais été exécuté, n'existe pas et est réputé n'avoir jamais existé. Le nouvel article 1304-6 du Code civil (N° Lexbase : L0655KZB), qui n'était certes pas applicable à l'espèce, dispose d'ailleurs qu'"cas de défaillance de la condition suspensive, l'obligation est réputée n'avoir jamais existé". Il est difficile de rompre ce qui n'a jamais existé et, chercher à apparenter les effets de la condition à un mode de rupture du contrat de travail qui viendrait concurrencer ceux prévus par l'article L. 1243-1 du Code du travail, n'a pas de sens.

Il n'en demeure pas moins que l'on peut s'interroger sur la licéité de la condition stipulée, quoique cette question n'ait pas été formellement posée à la Chambre sociale de la Cour de cassation.

II - La faculté d'ériger un examen médical comme événement permettant la réalisation de la condition

La licéité de la condition suspensive. Avant la réforme du droit des obligations, l'article 1172 du Code civil (N° Lexbase : L1274ABS) disposait que "toute condition d'une chose impossible, ou contraire aux bonnes moeurs, ou prohibée par la loi est nulle, et rend nulle la convention qui en dépend" (10). Est-il admissible de subordonner la naissance des obligations résultant d'un contrat de travail à la réalisation d'un examen médical ?

Si cette question peut légitiment être posée, c'est que l'article L. 1132-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1000LDE) prohibe toute discrimination directe ou indirecte en raison de l'état de santé du salarié ou du candidat à un emploi. Le Code du travail n'aménage qu'une exception à cette prohibition, à l'article L. 1133-3 (N° Lexbase : L6057IAL), qui dispose que "les différences de traitement fondées sur l'inaptitude constatée par le médecin du travail en raison de l'état de santé ou du handicap ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectives, nécessaires et appropriées". En d'autres termes, seule l'inaptitude constatée par un médecin du travail permet d'empêcher le recrutement d'un salarié en raison de son état de santé.

Or la clause contractuelle en cause ne conditionnait pas le recrutement à une visite médicale d'embauche telle qu'elle était encore imposée à l'époque des faits (11), mais à une visite médicale spéciale destinée à apprécier la capacité médicale à s'adonner au sport pour lequel la salariée était recrutée. Pour être parfaitement conforme à ces dispositions, la condition suspensive ne devrait pouvoir produire effet qu'à la condition que l'inaptitude soit confirmée par un médecin du travail et non, seulement, par un médecin habilité par le club.

Des conditions suspensives conventionnelles. Par extension, ces interrogations peuvent également s'étendre aux dispositions de la grande majorité des conventions collectives de branche encadrant la pratique de tel ou tel sport collectif professionnel. L'article 2.3 de l'accord collectif "handball masculin de 1e division - saison 2014-2015" stipule, par exemple, que le contrat doit prévoir "que le joueur doit, à titre de condition suspensive, être déclaré comme ne présentant pas de contre-indication à la pratique du handball en compétition par le médecin désigné par le club distinct du médecin du club". L'article 9.1 de la Convention collective de branche du basket professionnel prévoit, pour sa part, que le contrat n'entrera en vigueur qu'à condition que le joueur subisse "un examen médical approfondi démontrant l'absence de contre-indication médicale à la pratique du basket dans les compétitions professionnelles".

La question de la contrariété à l'ordre public, qualité dont est évidemment pourvu l'article L. 1132-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1000LDE), se pose donc également à l'égard de ces textes conventionnels. On comprend évidemment bien la nécessité que des précautions médicales spécifiques soient prises pour ces salariés très particuliers qui exposent leurs corps à des contraintes hors du commun. Il faut, toutefois, regretter que la loi n° 2015-1541 du 27 novembre 2015, visant à protéger les sportifs de haut niveau et professionnels et à sécuriser leur situation juridique et sociale (N° Lexbase : L5025KRK), ne se soit pas intéressée à la question, soit pour légitimer une nouvelle exception à l'article L. 1132-1 du Code du travail, pour les seuls sportifs professionnels, soit pour imposer qu'un examen médical du médecin du travail vienne "confirmer" la position du médecin du club, pratique spontanée qui nous semble de nature à désamorcer tout risque de contentieux futur.


(1) Sans exhaustivité, v. les obs. de Ch. Radé, Lexbase, éd. soc., n° 645, 2016 (N° Lexbase : N1492BW8) ; L. Bento de Carvalho, L'incidence de la réforme du droit des contrats sur le régime du contrat de travail : renouvellement ou statu quo ?, RDT, 2016, p. 258 ; Y. Pagnerre, Impact de la réforme du droit des contrats sur le contrat de travail, Dr. soc., 2016, p. 727.
(2) Sur l'articulation entre droit commun et droit du contrat de travail, v. notre étude à paraître au BICC du mois de septembre 2017.
(3) "A défaut de stipulation expresse contraire, l'exécution d'un contrat n'est subordonnée à la réalisation d'aucune condition", Cass. soc., 14 décembre 2016, n° 15-26.676, F-D (N° Lexbase : A2168SXL) ; Cass. soc., 23 mai 1995, n° 91-44.659, inédit (N° Lexbase : A1261CZQ).
(4) Par ex., Cass. soc., 13 mai 2003, n° 01-42.729, F-D (N° Lexbase : A0290B7U) ; Cass. soc., 9 juillet 2015, n° 13-25.606, FS-D (N° Lexbase : A7591NM4).
(5) Par ex., Cass. soc., 5 janvier 1995, n° 91-40.201, inédit (N° Lexbase : A4777AUH).
(6) La rétroactivité n'intervient plus, désormais, qu'à la condition d'avoir été prévue par les parties, v. C. civ., art. 1304-6 (N° Lexbase : L0655KZB).
(7) Sur la question, v. G. Auzero, La validité des clauses de rupture anticipée dans les contrats de travail à durée déterminée, Dr. soc., 2001, p. 17. Ces clauses sont désormais admises, par interprétation a contrario de l'article article L. 222-2-7 du Code du sport (N° Lexbase : L8134KRP) issu de la loi n° 2015-1541 du 27 novembre 2015, visant à protéger les sportifs de haut niveau et professionnels et à sécuriser leur situation juridique et sociale (N° Lexbase : L5025KRK), v. les obs. de G. Auzero, Lexbase, éd. soc., n° 636, 2015 (N° Lexbase : N0320BWR).
(8) J. Flour, J.-L. Aubert et E. Savaux, Les obligations. 3. Le rapport d'obligation, Sirey, 9ème éd., 2015, p. 304.
(9) Ibid., p. 306.
(10) La règle figure désormais à l'article 1304-1 du Code civil (N° Lexbase : L0650KZ4) en ces termes : "La condition doit être licite. A défaut, l'obligation est nulle".
(11) La loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels (N° Lexbase : L8436K9C) a, sauf exceptions, supprimé l'obligation de soumettre le salarié recruté à une visite médicale d'embauche.

Décision

Cass. soc., 15 mars 2017, n° 15-24.028, FS-P+B (N° Lexbase : A2584UCP)

Rejet (CA Montpellier, 1er juillet 2015, n° 13/03191 N° Lexbase : A3118NMG)

Texte concerné : C. trav., art. L. 1243-1 (N° Lexbase : L0887I7Y).

Mots-clés : contrat à durée déterminée ; condition suspensive ; sportif professionnel ; examen médical.

Liens base : (N° Lexbase : E6121ETU), (N° Lexbase : E7856ESR) et (N° Lexbase : E4971EXE).

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