La lettre juridique n°361 du 30 juillet 2009 : Bancaire

[Jurisprudence] Non-conformité à l'article 6 § 1 de la CESDH de la procédure devant la Commission bancaire

Réf. : CEDH, 11 juin 2009, Req. 5242/04, Dubus SA c/ France (N° Lexbase : A1869EI3)

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N1487BLN

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par Alexandre Bordenave, Avocat au Barreau de Paris, Chargé d'enseignement à l'Ecole Normale Supérieure de Cachan

le 07 Octobre 2010

Une fois n'est pas coutume ! La présente chronique est consacrée à l'étude d'un arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme (la "Cour") : celui rendu le 11 juin 2009 par sa cinquième chambre dans l'affaire qui opposa la société Dubus SA (la "société") à la France. Au coeur des faits de l'espèce, la société est une entreprise d'investissement (1) ayant pour activité trois des services d'investissement de l'article L. 321-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L2983HZI) : la réception-transmission d'ordres pour compte de tiers (2), l'exécution d'ordres pour compte de tiers (3) et la négociation pour compte propre (4). Ses aventures judiciaires commencèrent en 2000 lorsqu'elle eut maille à partir avec la Commission bancaire, son autorité de surveillance (5). A la suite des inspections diligentées dans les locaux de la société et à la réaction quasi-nulle de cette dernière après les recommandations découlant desdits contrôles, la Commission bancaire décida de déclencher une procédure disciplinaire à l'encontre de la société. Les principaux griefs à l'appui de cette procédure étaient les suivants : infractions aux règles relatives aux capitaux propres et à la liquidité des entreprises d'investissement, absence en pratique d'un second dirigeant responsable et défaillance des procédures de contrôle interne. La procédure se conclut le 8 octobre 2001 lorsque la Commission bancaire frappa la société d'un blâme. Cette dernière forma un pourvoi en cassation contre cette décision devant le Conseil d'Etat. Son argumentation s'articulait autour de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (N° Lexbase : L7558IAR la "CESDH" ou la "Convention") : la société estimait contraire à cette disposition majeure de notre ordre juridique l'auto-saisine de la Commission bancaire, ainsi que le cumul par celle-ci de fonctions administratives et disciplinaires, susceptible de remettre en cause son impartialité.

La juridiction suprême de l'ordre administratif français ne l'entendit pas de cette oreille ; en témoigne son arrêt du 30 juillet 2003 (6). D'abord, étendant la portée de sa jurisprudence "Société Habib Bank Limited" (7), le Conseil d'Etat estima "qu'il résulte de l'ensemble des dispositions du Code monétaire et financier applicables à la Commission bancaire que celle-ci peut se saisir d'elle-même [...] ; qu'une telle possibilité de se saisir de son propre mouvement d'affaires qui entrent dans le domaine de compétence qui lui est attribué n'est pas, en soi, contraire à l'exigence d'équité dans le procès rappelé par l'article 6 § 1 [de la Convention]" (8). Ensuite, faits et cause furent pris par le Conseil d'Etat en faveur de l'organisation de la Commission bancaire, jugée conforme aux prescriptions de l'article 6 § 1 de la Convention. Enfin, la Haute juridiction administrative rejeta l'idée selon laquelle ce mélange des genres administratifs et juridictionnels serait nécessairement contraire à l'exigence d'impartialité dans le procès dont dispose la Convention, observant notamment que "ni le secrétariat général, chargé des contrôles [...], ni les personnes qui procèdent pour lui à ces contrôles ne prennent part à la décision de la Commission relative à la sanction".

Ayant épuisé les voies de recours internes (9), la société saisit la Cour, toujours en invoquant l'article 6 § 1 de la Convention. Jugeant la requête recevable, la Cour finit par conclure à l'unanimité à la violation de l'article 6 § 1 de la Convention au motif que, à l'occasion de la procédure disciplinaire décidée par la Commission bancaire, la société "[avait pu] nourrir des doutes objectivement fondés quant à l'indépendance et l'impartialité de la Commission du fait de l'absence de distinction claire entre ses différentes fonctions" (10).

Nous nous proposons de reprendre le raisonnement très pédagogique de la juridiction internationale en étudiant, dans un premier temps, ce qui l'amèna à faire subir à la procédure disciplinaire de la Commission bancaire à l'épreuve de son appréciation de l'impartialité (I), puis, dans un second temps, en réfléchissant à son verdict de partialité (II).

I - L'exigence d'impartialité imposée à la Commission bancaire

C'est en rappelant brièvement le rôle qui lui est dévolu et les principes procéduraux qui prévalent devant elle que l'on pourra se convaincre de la pertinence d'une plainte relative à la partialité éventuelle de la Commission bancaire (A), la notion d'impartialité restant à préciser (B).

A - Les rôles et principes procéduraux de la Commission bancaire

L'arrêt du 11 juin 2009 est l'occasion pour la Cour de revenir tant sur les rôles de la Commission bancaire que sur les règles procédurales applicables devant elle.

Comme le souligne l'arrêt étudié (§ 55) (11), le Code monétaire et financier attribue deux fonctions à la Commission bancaire (12) :

- tout d'abord, une fonction de contrôle du respect par les établissements de crédit et les entreprises d'investissement des règles financières, prudentielles et déontologiques applicables à ces entités (C. mon. fin., art. L. 613-1 N° Lexbase : L1275IC9 et L. 613-2 N° Lexbase : L3118HZI) (13). Pour ce faire, il est possible de faire procéder à des "contrôles sur pièces et sur place" (C. mon. fin., art. L. 613-6 N° Lexbase : L3119HZK). La Commission dispose, également, d'un pouvoir de mise en garde (C. mon. fin., art. L. 613-15 N° Lexbase : L3635HZN) et d'injonction (C. mon. fin., art. L. 613-16 N° Lexbase : L3636HZP). Ces attributions, tout comme la composition qui est la sienne (14), ont amené le Conseil d'Etat à qualifier la Commission bancaire, lorsqu'elle exerce cette fonction de contrôle, d'autorité administrative indépendante (15). Précisément, le déclenchement de l'affaire qui nous intéresse ici était lié à des contrôles sur place et des recommandations de la Commission bancaire ;

- ensuite, une fonction disciplinaire, puisque la Commission bancaire est habilitée à prononcer des sanctions à l'encontre des entités qu'elle contrôle, y compris, d'ailleurs, des sanctions pécuniaires (C. mon. fin., art. L. 613-21 N° Lexbase : L2781IBM). En l'espèce, la sanction infligée à la société fut un blâme : sanction de nature administrative, elle est située au deuxième niveau de l'échelle prévue par le Code monétaire et financier, échelle qui compte six degrés (de l'avertissement à la radiation). Le Code monétaire et financier précise qu'en pareil cas la Commission bancaire "est une juridiction administrative" (C. mon. fin., art. L. 613-23 N° Lexbase : L9184DYS).

Pour résumer : selon qu'elle contrôle ou qu'elle sanctionne, la Commission bancaire est tantôt une autorité administrative indépendante, tantôt une juridiction administrative (16). A ce titre, elle est soumise à l'exigence d'impartialité de l'article 6 § 1 de la Convention.

Puisque est mis en accusation, au sujet de cette fonction juridictionnelle, le non-respect par la Commission bancaire du principe d'impartialité, il est nécessaire d'exposer les règles procédurales en vigueur devant elle. Malheureusement, la moisson est maigre : la Cour, elle-même, souligne d'emblée "l'imprécision des textes qui régissent la procédure devant la Commission bancaire, quant à la composition et aux prérogatives des organes appelés à exercer les différentes fonctions qui lui sont dévolues" (§ 56).

Les rares règles connues en la matière sont issues de la jurisprudence du Conseil d'Etat grâce à laquelle on sait, par exemple :

- que les sanctions prononcées par la Commission bancaire sont des jugements décidant "du bien fondé [d'une] accusation en matière pénale", au sens de l'article 6 § 1 de la Convention. Cela impose, notamment, le respect par la Commission bancaire du principe de publicité des audiences, lequel implique que les décisions soient rendues publiquement (17) ;

- que l'acte d'auto-saisine, valable si impartial (18), n'est pas détachable de la procédure juridictionnelle qui s'ensuit, contrairement à la décision de poursuite qui n'est pas une décision juridictionnelle (19)

- et que le principe du contradictoire prévaut pendant la phase juridictionnelle devant la Commission bancaire (20) et, donc, pendant la phase de mise en état (CE sect., Banque de l'Ile-de-France, 3 décembre 2003).

Néanmoins, ces règles sont trop générales et imprécises pour former un corpus normatif satisfaisant. Le sentiment d'imprécision est à son paroxysme lorsque l'on se penche sur la distinction entre la phase d'instruction et la phase de jugement, distinction que les textes ne font pas clairement. En soi, ce n'est pas une difficulté au regard de l'article 6 § 1 de la Convention, pour autant, toutefois, que la personne en charge de l'instruction "compte tenu de la nature et de l'étendue [de ses] fonctions" ne fasse pas preuve "au regard de sa connaissance approfondie du dossier d'un parti pris quant à la décision à rendre", surtout si cette personne est présente au moment du jugement (21).

Aussi, existe-il un motif crédible permettant de douter de la complète indépendance de la juridiction administrative que peut être la Commission bancaire à l'égard de l'autorité administrative indépendante qu'elle est aussi (22). Le lien entre indépendance et impartialité étant bien connu (23), les soupçons de partialité pesant sur la Commission bancaire sont légitimement de mise. Encore faut-il s'entendre sur la notion d'impartialité.

B - La notion d'impartialité au sens de l'article 6 § 1 de la Convention

Un véritable classique du genre : si l'article 6 § 1 de la Convention dispose vertement que "toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial", le texte reste muet sur ce que recouvre l'impartialité. Logiquement, il est revenu à la Cour de fournir des éléments adéquats à ce sujet. Sur ce terrain, l'oeuvre principale des juges de Strasbourg a consisté en une distinction entre :

- d'une part, l'impartialité subjective qui suppose concrètement l'absence de conviction personnelle préétablie d'un juge face à un cas particulier qui lui est soumis (CEDH, 26 octobre 1984, Req. 8/1983/64/99, De Cubber c/ Belgique N° Lexbase : A6678AWA) ;

- et, d'autre part, l'impartialité objective qui implique que le ou les juges en charge d'une affaire donnée offrent aux justiciables des garanties procédurales suffisantes pour exclure leur partialité. En conséquence, il s'agit de "se demander si indépendamment de la conduite personnelle du juge, certains faits vérifiables autorisent à suspecter l'impartialité de ce dernier" (CEDH, 24 mai 1989, Req. 11/1987/134/188, Hauschildt c/ Danemark N° Lexbase : A8363AWN).

La distinction est rappelée par la Cour dans l'arrêt commenté (§ 53). Seule l'impartialité objective de la Commission bancaire était mise en cause en l'espèce : la société prétendait que "l'exercice simultané des fonctions de contrôle prudentiel et des fonctions disciplinaires conduit la Commission bancaire à préjuger de l'issue du litige qui lui est soumis" (§ 47).

Sur cette question, reprenant très exactement les termes utilisés dans ses arrêts "Hauschildt" et "Didier" (préc.), la Cour fit valoir que, en matière d'impartialité objective, "même les apparences peuvent revêtir de l'importance" (§ 53). Une fois encore, la Cour choisit ainsi de mobiliser sa "théorie des apparences de partialité" que le célébrissime arrêt "Kress" (24) avait remise au goût du jour. Application scrupuleuse de l'adage anglais "Justice must not only be done : it must also be seen to be done" (25), cette théorie consiste, de manière générale, à admettre que l'exigence d'impartialité ne peut être vérifiée qu'au titre de précautions multiples destinées à ne laisser aucune apparence pouvant laisser croire qu'une once de partialité s'est glissée dans la décision rendue, peu importe que l'impartialité soit effectivement assurée ou pas. A l'évidence, il s'agit d'une position extrême, voire regrettable (26). L'affaire "Société Dubus SA c/ France" voit cette doctrine être mobilisée à plein par la Cour.

Pour la Cour, il semble que la justification profonde de la théorie des apparences réside dans le fait qu'en dépend "la confiance que les tribunaux d'une société démocratique peuvent inspirer aux justiciables". Soit ! Pour autant, fallait-il condamner sur ce fondement la France en raison de la procédure disciplinaire en vigueur devant sa Commission bancaire ? La Cour répond par l'affirmative, sans grande surprise.

II - L'apparente partialité de la Commission bancaire

C'est essentiellement l'impression de confusion régnant au sein de la Commission bancaire qui a amené la Cour à condamner la France le 11 juin 2009 (A). Cela mérite réflexion quant aux les leçons qui pourraient en être tirées (B).

A - La sanction d'une confusion organisationnelle

Dans sa quête de vérité procédurale, la Cour s'attacha à rependre étape par étape le déroulement de la procédure dont fit l'objet la société (§ 59) :

- d'abord, les inspections de 2000 étaient de la responsabilité du secrétariat général de la Commission bancaire, en application de l'article L. 613-6 du Code monétaire et financier ;

- puis, la décision de poursuivre fut prise en séance (27) par le "collège" de la Commission bancaire, lui-même, le 28 septembre 2000, décision notifiée à la société le 24 novembre 2000, par lettre du président de la Commission bancaire (28) ;

- ensuite, la phase d'instruction fut, semble-t-il, conduite sans véritable rail -tout au plus, il apparaît que des échanges d'arguments eurent lieu entre la société et le secrétariat général de la Commission bancaire entre décembre 2000 et juin 2001- ;

- enfin, c'est la Commission bancaire, statuant "en qualité de juridiction administrative" (C. mon. fin., art. L. 613-23 N° Lexbase : L9184DYS), qui prononça le blâme à l'encontre de la société.

La Cour estima que la procédure décrite ci-dessus n'était pas compatible avec l'exigence d'impartialité de l'article 6 § 1 de la Convention dans la mesure où la société "pouvait raisonnablement avoir l'impression que ce sont les mêmes personnes qui l'ont poursuivie et jugée" (§ 60). La raison tient à la confusion qui paraît avoir voix au chapitre devant la Commission bancaire. La principale difficulté semble se concentrer sur son secrétariat général, au moins pour deux aspects.

En premier lieu, le bât semble blesser d'un point de vue procédural. En effet, les conditions d'ouverture de la procédure disciplinaire laissent apparaître une présence fugace du secrétariat général. En la matière, ce qui a pu poser problème c'est que le procès-verbal du 28 septembre 2000 fut établi sur un papier à en-tête faisant mention du secrétariat général de la Commission bancaire (29). C'est avec ce genre de détails que se créé l'apparence que ce sont les mêmes personnes qui ont pu formuler les griefs à l'encontre de la société et qui ont pu décider de la poursuivre.

En second lieu, il faut admettre une réelle incertitude organique puisque le secrétariat général, s'il a en charge les missions d'inspection, les effectue sur instructions de la Commission bancaire (C. mon. fin, art. L. 613-6).

Les arguments développés par la Cour ne manquent pas de convaincre. Oui : il existe un flou bien peu artistique en matière organique (et, partant, procédurale) au sein de la Commission bancaire. Toutefois, il convient d'observer que, en matière de contrôles -une des faiblesses soulignées par la Cour-, les personnels qui les réalisent ne dépendent pas de la Commission bancaire ou de son secrétariat général mais sont mis à sa disposition par la Banque de France (C. mon. fin. art. L. 613-7 N° Lexbase : L3120HZL). D'où, une réalité : il n'y a pas d'identité de personnes entre ceux qui contrôlent, qui formulent les griefs et ceux qui condamnent (la Cour relevant, à ce propos, que le secrétaire général ne semble pas être intervenu dans la prise de décision de sanction). C'est l'argument qu'avait mobilisé le Conseil d'Etat, dans son arrêt du 30 juillet 2003, pour rejeter le pourvoi de la société. Evidemment, la réalité n'exclut pas le jeu des apparences : ce jeu s'est révélé fatal pour la Commission bancaire, la Cour estimant que la société "pouvait nourrir des doutes objectivement fondés quant à l'indépendance et l'impartialité de la Commission du fait de l'absence de distinction claire entre ses différentes fonctions" (§ 61).

B - Les perspectives de rédemption

La solution retenue par la Cour, dans l'arrêt du 11 juin 2009, est rigoriste, mais peu surprenante lorsque l'on se remémore que des solutions similaires avaient été dégagées à l'occasion des affaires "Kress" et "Didier" (préc.). A l'image de la théorie des apparences dont elle dérive, elle ne peut pleinement contenter, par exemple en ce qu'elle pêche quelque peu en termes de cohérence : qu'y a-t-il de logique à condamner la confusion organisationnelle de la Commission bancaire tout en abondant simultanément dans le sens du Conseil d'Etat lorsqu'il valide le principe de l'auto-saisine ? Quant au fait qu'une simple apparence soit prise pour motif de condamnation... avouons que cela charrie quelque chose de dérangeant (30).

La condamnation prononcée (sans grande conséquence pour le contribuable français, puisque l'arrêt estime que "le dommage moral se trouve suffisamment réparé par le constat de la violation [de la Convention]", § 75 (31)), il n'en reste pas moins qu'une réaction devrait s'imposer. Le plus sage et le plus efficace pour remédier aux insuffisances dénoncées par la Cour serait sans doute de procéder à une réorganisation de la Commission bancaire. A cette fin, cette dernière pourrait être dotée d'une commission des sanctions, telle celle de l'Autorité des marchés financiers (32), afin de séparer clairement les fonctions de poursuite et de sanction.

Le hasard fait bien les choses : c'est le sens d'une partie des recommandations du rapport de la mission de réflexion et de propositions sur l'organisation et le fonctionnement des activités financières en France de janvier 2009 (dit "rapport Deletré", p. 33 s. (33)). Sur ce point, les principales suggestions du "rapport Deletré" sur ce point sont les suivantes :

- supprimer le statut de juridiction administrative attribué à la Commission bancaire lorsqu'elle prononce des sanctions ;

- créer une commission des sanctions au sein de la Commission bancaire (ladite commission pouvant être commune avec celle que le "rapport Deletré" propose de créer pour l'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles (34)) ;

- et mettre en place une procédure de récusation devant cette future hypothétique commission des sanctions.

Il est d'intéressant d'apprendre, à la lecture du "rapport Deletré", que le statu quo organisationnel avait la préférence de la Commission bancaire en janvier 2009 : nul doute qu'après la jurisprudence "Dubus", les choses sont différentes.

Au-delà du fait qu'il s'inscrive dans la continuité d'une position jurisprudentielle désormais bien établie au sein de la Cour, l'arrêt "Société Dubus SA contre France" a été rendu dans un climat général de défiance vis-à-vis du bilan des autorités de supervision financière. Aussi, bien qu'elle ne se fonde textuellement que sur des arguments procéduraux, la sévérité dont cette décision fait montre peut laisser penser que les juges de la Cour ont souhaité envoyer un message plus large en faveur d'une amélioration des procédures et des organes de supervision du secteur financier. De cela, on ne se plaindra pas. En France, très ambitieux, le "rapport Deletré" va jusqu'à proposer de transférer à la Commission bancaire les responsabilités actuellement confiées au Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement (p. 38) (35). Le tout devrait, espérons-le, convaincre les juges européens.

Moralité : une seule apparence procédurale vous habite et tout est dépeuplé ? (36) Face à l'article 6 § 1 de la Convention, même devant les instances financières, c'est parfois le cas. Fort heureusement, les solutions existent : le vide juridique a cela de confortable que l'on peut y remédier, contrairement à d'autres (37).


(1) A savoir : une personne morale autre qu'un établissement de crédit qui fournit des services d'investissement à titre de profession habituelle (C. mon. fin., art. L. 531-4 N° Lexbase : L4175APC). Les entreprises d'investissements et les établissements de crédit agréés pour fournir des services d'investissement sont regroupés au sein de la catégorie des prestataires de services d'investissement (C. mon. fin., art. L. 531-1 N° Lexbase : L9338DYI).
(2) La réception et transmission d'ordres pour compte de tiers (RTO, dans le jargon) consiste dans "le fait de recevoir et de transmettre à un prestataire de services d'investissement [...], pour le compte d'un tiers, des ordres portant sur des instruments financiers" (C. mon. fin., art. D. 321-1, 1 N° Lexbase : L5865HZA).
(3) L'exécution d'ordres pour compte de tiers est le service au titre duquel sont conclus "des accords d'achat ou de vente portant sur un ou plusieurs instruments financiers, pour le compte d'un tiers" (C. mon. fin., art. D. 321-1, 2).
(4) La négociation pour compte propre se définit comme "le fait de conclure des transactions portant sur un ou plusieurs instruments financiers en engagent ses propres capitaux" (C. mon. fin., art. D. 321-1, 3).
(5) Cf. C. mon. fin., art. L. 613-2 (N° Lexbase : L3118HZI).
(6) CE 4° et 6° s-s-r., 30 juillet 2003, n° 240884, Société Dubus SA (N° Lexbase : A2755C9W). A propos de cette décision et de la décision "Banque d'escompte et Wormser frères réunis" (CE 4° et 6° s-s-r., 30 juillet 2003, n° 238169, Banque d'escompte et Wormser frères réunis N° Lexbase : A2747C9M), rendue le même jour sur un sujet de droit tout à fait similaire, voir : A. Laget-Aannamayer, Les pouvoirs de sanction de la Commission bancaire, AJDA, 2004, p. 26.
(7) CE contentieux, 20 octobre 2000, n° 180122, Société Habib Bank Limited, (N° Lexbase : A9139AHX), AJDA, 2000, p. 1071, note P. Subra de Bieusses.
(8) C'est une lecture, certes, de bon sens mais qui n'en demeure pas moins généreuse du Code monétaire et financier : aucune disposition n'est explicitement en ce sens. Dans l'arrêt "Société Habid Bank Limited" (précité), le Conseil d'Etat avait pu s'appuyer sur l'article 17 de la loi n° 90-614 du 12 juillet 1990, relative à la participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment des capitaux provenant du trafic de stupéfiants (N° Lexbase : L4741AQN, que l'on retrouve, modifiée, sous l'article L. 561-1 N° Lexbase : L7095ICR et suivants du Code monétaire et financier), alors en cause, qui autorisait la Commission bancaire à agir d'office.
(9) Exigence première de saisine de la Cour, comme en dispose l'article 35 § 1 de la CESDH (N° Lexbase : L4770AQQ).
(10) En revanche, la Cour ne fut pas véritablement sensible aux autres arguments développés par la société relatifs à une prétendue rupture de l'égalité des armes devant la Commission bancaire et à l'iniquité de la procédure devant le Conseil d'Etat. Sur ces deux arguments, on peut lire S. Lavric, Procédure devant la Commission bancaire : apparences de partialité, D., 17 juin 2009.
(11) Nous signalons avec la mention "§ [nombre]" les références aux paragraphes de l'arrêt commenté.
(12) Pour ne citer que l'article L. 613-2 (N° Lexbase : L3118HZI), applicable en l'espèce, "la Commission bancaire veille [...] au respect des dispositions législatives et réglementaires prévues par le [Code monétaire et financier] ou qui prévoient expressément son contrôle par les prestataires de services d'investissement [...]. Elle sanctionne les manquements constatés [...]". La Cour ne fait donc qu'une lecture attentive de la loi française. Notons que, au demeurant, dans les faits de l'espèce, la Commission a exercé ses deux fonctions.
(13) En l'espèce, comme signalé plus avant, la société étant une entreprise d'investissement, c'était l'article L. 613-2 du Code monétaire et financier qui était applicable. Exception importante à la compétence matérielle de la Commission bancaire : les entreprises d'investissement exerçant une activité de gestion de portefeuille, placées sous la tutelle de l'Autorité des marchés financiers (C. mon. fin., art. L. 532-9 N° Lexbase : L6973ICA et s.).
(14) Soit : le gouverneur de la Banque de France, le directeur du Trésor, le président de l'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles, un conseiller d'Etat, un conseiller à la Cour de cassation et deux membres "choisis en raison de leur compétence en matière bancaire et financière" (C. mon. fin., art. L. 613-3 N° Lexbase : L6076HHI).
(15) Les autorités administratives indépendantes, Rapport public du Conseil d'Etat, 2001, p. 304.
(16) Observons que, dans l'affaire en cause, le Gouvernement français avait tenté de contester l'application de l'article 6 § 1 de la Convention (§ 33 et s.) au motif que, la sanction prononcée n'étant ni privative de liberté, ni pécuniaire, la Commission bancaire n'avait pas ici agit en qualité de juridiction. C'est évidemment une lecture très courte et très erronée de la loi française, contraire aux positions du Conseil d'Etat, qui ne parvint pas à emporter la conviction de la Cour, celle-ci se référant à sa célèbre jurisprudence "Sramek c/ Autriche" (CEDH, 22 octobre 1984, Req. 5/1983/61/95, Sramek c/ Autriche N° Lexbase : A6484AW3).
(17) CE contentieux, 29 novembre 1999, n° 194721, Société Rivoli Exchange (N° Lexbase : A3130AT4), Recueil Lebon, 1999, p. 366.
(18) CE contentieux, 20 octobre 2000, n° 180122, préc..
(19) CE 9° et 10° s-s-r., 7 juillet 2004, n° 225937, M. Legris (N° Lexbase : A0594DDD)
(20) CE contentieux, 29 juillet 1994, n° 115930, Société en nom collectif Jean Guiraud et compagnie et autres (N° Lexbase : A1969ASQ), AJDA 1994, p. 755.
(21) CEDH, 27 août 2002, décision, Didier c/ France : l'affaire "Didier" concernait les principes de la procédure disciplinaire valables devant l'ancien Conseil des marchés financiers. Une décision similaire a été rendue par la Cour au sujet de l'ancien Conseil de la concurrence (CEDH, 14 octobre 2003, Req. 53892/00, Lilly c/ France N° Lexbase : A8180C9T).
(22) On frôle le syndrome schizophrène !
(23) D'ailleurs, il est rappelé par la Cour (§ 54 ; cf. aussi CEDH, 6 mai 2003, Req. 39343/98, Kleyn et autres c/ Pays-Bas N° Lexbase : A9169B4D).
(24) CEDH, 7 juin 2001, Req. 39594/98, Mme Kress c/ France (N° Lexbase : A2964AUC), AJDA, 2001, p. 675, note F. Rolin.
(25) Que l'on peut traduire par "il ne faut pas seulement rendre la justice, il faut la rendre visible". L'adage est attribué à Lord Hewart (1870-1943), Lord Chief Justice of England and Wales de 1922 à 1940.
(26) A ce sujet, voir D. Chabanol, Théorie de l'apparence ou apparence de théorie ?, AJDA, 2002, p. 9.
(27) Pour qui s'intéresse aux règles de tenue des séances de la Commission bancaire, elles figurent aux articles L. 613-4 (N° Lexbase : L9165DY4) et L. 613-5 (N° Lexbase : L9166DY7) du Code monétaire et financier.
(28) L'article L. 613-3 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L6076HHI) précise que le président de la Commission est le gouverneur de la Banque de France (ou son représentant).
(29) Pour être parfaitement précis, l'en-tête du document était libellé comme suit : "Commission bancaire, Secrétariat Général, Services des études juridiques".
(30) D. Chabanol, op. cit..
(31) Solution dont le fondement réside dans l'article 41 de la Convention (N° Lexbase : L4777AQY).
(32) C. mon. fin., art. L. 621-2 IV (N° Lexbase : L6344ICX). La création de cette Commission fut une des grandes innovations de la loi n° 2003-706 du 1er août 2003, de sécurité financière (N° Lexbase : L3556BLB, art. 3).
(33) D'ailleurs, le "rapport Deletré" évoquait l'affaire Dubus et la présentait, peu ou prou, comme une épée de Damoclès : preuve supplémentaire que les insuffisances juridictionnelles de la Commission bancaire sont à l'esprit des experts français.
(34) L'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles (ACAM) ainsi dénommée par l'article 14 de la loi n° 2005-1564 du 15 décembre 2005, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de l'assurance (N° Lexbase : L5277HDS). Cette loi n'a fait que rebaptiser la Commission de contrôle des assurances, des mutuelles et des institutio
ns de prévoyance, née de la fusion en 2003 (par l'oeuvre de la loi n° 2003-706 du 1er août 2003, de sécurité financière) de la Commission de contrôle des assurances et de la Commission de contrôle des mutuelles et des institutions de prévoyance. C'est une autorité publique indépendante dotée de la personnalité morale, chargée de veiller au bon fonctionnement du secteur des assurances et des mutuelles (C. assur., art. L. 310-12 N° Lexbase : L6959ICQ).
(35) C. mon. fin., art. L. 612-1 (N° Lexbase : L9155DYQ) et s..
(36) Le poète déclamait : "Un seul être vous manque et tout est dépeuplé" (Lamartine, L'isolement in Méditations poétiques, 1820).
(37) Ce modeste article est dédié à la mémoire de ma mère, Véronique Bordenave (1958-2009), partie bien trop tôt.

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