Jurisprudence : CEDH, 26-10-1984, Req. 8/1983/64/99, De Cubber

CEDH, 26-10-1984, Req. 8/1983/64/99, De Cubber

A6678AWA

Référence

CEDH, 26-10-1984, Req. 8/1983/64/99, De Cubber. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1063597-cedh-26101984-req-819836499-de-cubber
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Cour européenne des droits de l'homme

26 octobre 1984

Requête n°8/1983/64/99

De Cubber



En l'affaire De Cubber *,

* L'affaire porte le n° 8/1983/64/99. Les deux premiers chiffres désignent son rang dans l'année d'introduction, les deux derniers sa place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement **, en une chambre composée des juges dont le nom suit:

** Il s'agit du nouveau règlement, entré en vigueur le 1er janvier 1983 et applicable en l'espèce.

MM. G. Wiarda, président,
W. Ganshof van der Meersch,
Mme D. Bindschedler-Robert,
MM. F. Gölcüklü F. Matscher,
Sir Vincent Evans,
M. R. Bernhardt,

ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 25 mai et 2 octobre 1984;

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:


PROCEDURE

1. L'affaire a été portée devant la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 12 octobre 1983, dans le délai de trois mois ouvert par les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 9186/80) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant de cet Etat, M. Albert De Cubber, avait saisi la Commission le 10 octobre 1980 en vertu de l'article 25 (art. 25).

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration belge de reconnaissance de la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour but d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent ou non un manquement de l'Etat défendeur aux obligations qui lui incombent aux termes de l'article 6 par. 1 (art. 6-1).

2. En réponse à l'invitation prescrite à l'article 33 par. 3 d) du règlement, le requérant a exprimé le désir de participer à l'instance pendante devant la Cour et a désigné son conseil (article 30).

3. La chambre de sept juges à constituer comprenait de plein droit M. W. Ganshof van der Meersch, juge élu de nationalité belge (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. G. Wiarda, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le 27 octobre 1983, celui-ci en a désigné par tirage au sort les cinq autres membres, à savoir M. M. Zekia, Mme D. Bindschedler-Robert, M. G. Lagergren, M. F. Gölcüklü et M. F. Matscher, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43). Par la suite, Sir Vincent Evans et M. R. Bernhardt, juges suppléants, ont remplacé MM. Zekia et Lagergren, empêchés (articles 22 par. 1 et 24 par. 1 du règlement).

4. Ayant assumé la présidence de la Chambre (article 21 par. 5 du règlement), et après avoir consulté chaque fois l'agent du gouvernement belge ("le Gouvernement"), le délégué de la Commission et l'avocat de M. De Cubber par l'intermédiaire du greffier, M. Wiarda

- a constaté, le 17 novembre 1983, qu'il n'y avait pas lieu à ce stade de prévoir le dépôt de mémoires (article 37 par. 1);

- le 9 février 1984, a fixé au 23 mai la date d'ouverture de la procédure orale (article 38).

Le 16 avril, le greffier a reçu du conseil du requérant les prétentions de ce dernier au titre de l'article 50 (art. 50) de la Convention.

5. Les débats se sont déroulés en public le jour dit, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu immédiatement auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu:

- pour le Gouvernement

M. J. Niset, conseiller juridique au ministère de la Justice,
agent,

Me André De Bluts, avocat,
conseil;

- pour la Commission

M. M. Melchior,
délégué;

- pour le requérant

Mme F. De Croo-Desguin, avocat,
conseil.

La Cour a entendu en leurs plaidoiries et déclarations, ainsi qu'en leurs réponses à ses questions et à celles de plusieurs de ses membres, Me De Bluts pour le Gouvernement, M. Melchior pour la Commission et Me De Croo-Desguin pour le requérant.

6. Le 4 avril puis les 7, 14, 18 et 23 mai, la Commission, le Gouvernement et le requérant, selon le cas, ont produit diverses pièces tantôt à la demande du greffier, agissant sur les instructions du président, tantôt spontanément.

FAITS

I. Les circonstances de l'espèce

7. Le requérant, ressortissant belge né en 1926 et domicilié à Bruxelles, exerce la profession de directeur commercial.

8. Le 4 avril 1977, la police l'appréhenda chez lui et le conduisit à Audenarde où il subit un interrogatoire relatif à un vol de voiture.

Des mandats d'arrêt pour faux et usage de faux furent décernés contre lui le lendemain, puis les 6 mai et 23 septembre 1977. Le premier - notice n° 10.971/76 - émanait de M. Pilate, juge d'instruction au tribunal correctionnel d'Audenarde, les deuxième et troisième - notices n° 3136/77 et 6622/77 - de M. Van Kerkhoven, l'autre magistrat instructeur de cette juridiction.

9. M. Pilate avait déjà connu par le passé, en qualité de juge assesseur au même tribunal qui statuait, selon le cas, en appel (jugement du 3 mai 1968) ou en première instance (jugements des 17 janvier, 7 mars et 28 novembre 1969), de poursuites pénales ouvertes contre l'intéressé pour diverses infractions; elles avaient abouti tantôt à une relaxe totale (17 janvier 1969) ou partielle (7 mars 1969), tantôt à des condamnations.

Plus récemment, il avait eu à examiner, en tant que juge d'instruction, une plainte de M. De Cubber (16 novembre 1973) et, à titre de juge des saisies, certaines affaires civiles concernant ce dernier (1974-1976). Le requérant avait prié la Cour de cassation d'en dessaisir, pour cause de suspicion légitime (article 648 du code judiciaire), ledit magistrat puis le tribunal d'Audenarde tout entier; elle avait déclaré chacune de ces demandes irrecevable ou mal fondée.

10. Au début M. Van Kerkhoven traita les affaires 3136/77 et 6622/77, mais des ennuis de santé l'éloignèrent à plusieurs reprises de son cabinet. M. Pilate le remplaça de manière d'abord occasionnelle et temporaire puis, à partir d'octobre 1977, définitive tout en demeurant chargé de l'affaire 10.971/76.

11. Dans l'affaire 6622/77, une chambre à juge unique (M. De Wynter) du tribunal d'Audenarde infligea, le 11 mai 1978, un an d'emprisonnement et 4.000 FB d'amende à M. De Cubber qui n'interjeta pas appel.

12. Quant aux affaires 10.971/76 et 3136/77, la chambre du conseil les joignit et les renvoya au tribunal le 11 mai 1979, après plus de deux années d'instruction. Elles portaient sur des centaines d'actes reprochés à quinze inculpés, en tête desquels le requérant; il n'y avait pas moins de dix-neuf parties civiles.

Le tribunal, qui comptait neuf ou dix magistrats selon l'époque, siégea en une chambre comprenant un président et deux assesseurs, dont M. Pilate. M. De Cubber affirme avoir protesté de vive voix contre la présence de celui-ci, mais il n'utilisa aucun des moyens légaux - telle une procédure de récusation (article 828 du code judiciaire) - dont il disposait en la matière.

Après deux demi-journées d'audience (8 et 22 juin 1979), le tribunal rendit son jugement le 29 juin 1979. Acquittant l'intéressé de deux préventions, il le reconnut coupable pour le surplus et constata qu'il se trouvait en état de récidive. En conséquence il le condamna, pour un groupe de faits, à cinq ans d'emprisonnement et 60.000 FB d'amende et, pour un second, à un an d'emprisonnement et 8.000 FB d'amende; il ordonna son arrestation immédiate.

13. Le requérant et le parquet interjetèrent appel. Le 4 février 1980, la cour de Gand ramena la première peine à trois ans d'emprisonnement et 20.000 FB d'amende, confirma la deuxième et, à l'unanimité, en prononça une troisième, à savoir un mois d'emprisonnement et une amende fiscale, du chef d'infractions que le tribunal avait, à tort selon elle, rattachées à d'autres en concluant à l'existence d'une unité d'intention délictueuse.

14. M. De Cubber se pourvut en cassation; il invoquait une dizaine de moyens. Par l'un d'eux, fondé sur les articles 292 du code judiciaire (paragraphe 19 ci-dessous) et 6 par. 1 de la Convention, il alléguait que M. Pilate avait été en l'espèce à la fois juge et partie puisqu'après avoir mené l'instruction préparatoire il avait figuré parmi les juges du fond.

La Cour de cassation statua le 15 avril 1980 (Pasicrisie 1980, I, pp. 1006-1011). Elle estima que pareil cumul ne violait ni l'article 292 du code judiciaire, ni aucune autre disposition légale - tel l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention - ni les droits de la défense. Elle accueillit en revanche un grief relatif à la confiscation de certaines pièces à conviction; dans cette mesure, elle renvoya la cause à la cour d'appel d'Anvers qui depuis lors (4 novembre 1981) a prescrit la restitution desdites pièces. Elle annula en outre, d'office et sans renvoi, la décision attaquée en tant que celle-ci avait frappé le demandeur d'une amende fiscale; elle rejeta le restant du pourvoi.

II. La législation pertinente

A. Statut et pouvoirs des juges d'instruction

15. Désignés par le Roi "parmi les juges au tribunal de première instance" (article 79 du code judiciaire), les juges d'instruction conduisent l'instruction judiciaire préparatoire (articles 61 et suivants du code d'instruction criminelle). Elle a pour but de réunir les preuves et de constater les charges pesant sur l'inculpé tout comme les circonstances plaidant en sa faveur, de manière à fournir à la chambre du conseil ou à la chambre des mises en accusation, selon le cas, les éléments nécessaires pour apprécier s'il échet de le renvoyer devant la juridiction de jugement. De caractère secret et non contradictoire, elle se déroule hors la présence d'un avocat.

Le magistrat instructeur possède aussi la qualité d'officier de police judiciaire. A ce titre, il a compétence pour rechercher crimes et délits, en rassembler les preuves et recevoir les plaintes de quiconque se prétend lésé par de telles infractions (articles 8, 9 in fine et 63 du code d'instruction criminelle); en la matière, il se trouve placé sous la "surveillance du procureur général" (articles 279 du code d'instruction criminelle et 148 du code judiciaire), laquelle n'implique cependant pas un pouvoir de direction. "Dans tous les cas réputés flagrant délit", il peut accomplir "directement" et en personne "tous les actes attribués au procureur du Roi" (article 59 du code d'instruction criminelle).

16. Sauf dans cette dernière hypothèse, le juge d'instruction ne peut intervenir qu'une fois saisi soit par un réquisitoire du procureur du Roi aux fins d'informer (articles 47, 54, 60, 61, 64 et 138 du code d'instruction criminelle), soit par une plainte assortie d'une constitution de partie civile (articles 63 et 70).

Si un tribunal compte plusieurs magistrats instructeurs, la répartition des dossiers entre eux relève du président. Elle s'opère en principe à tour de rôle, de semaine en semaine, mais cette règle n'a rien d'absolu: il arrive au président d'y déroger, par exemple en cas d'urgence ou s'il existe un lien de connexité entre une cause nouvelle et une affaire déjà distribuée.

17. En vue de la recherche de la vérité, le juge d'instruction jouit de prérogatives étendues; d'après la jurisprudence de la Cour de cassation, il peut "faire tout ce qui ne lui est pas interdit par la loi, ni incompatible avec la dignité de ses fonctions" (arrêt du 2 mai 1960, Pasicrisie 1960, I, p. 1020). Il peut notamment décerner contre la personne poursuivie un mandat de comparution, de dépôt, d'amener ou d'arrêt (articles 91 et suivants du code d'instruction criminelle); procéder à son interrogatoire, à l'audition de témoins (articles 71 à 86 et 92 du même code), à des confrontations (article 942 du code judiciaire), à des descentes sur les lieux (article 62 du code d'instruction criminelle), à des perquisitions et visites domiciliaires (articles 87 et 88 du même code), à des saisies de pièces à conviction (article 89), etc. Tenu de rendre compte à la chambre du conseil des affaires dont il a la charge (article 127), il statue par voie d'ordonnance sur l'opportunité des mesures demandées par le parquet, sans préjudice d'un recours éventuel à la chambre des mises en accusation de la cour d'appel.

18. L'instruction terminée, il communique le dossier au procureur du Roi qui le lui retourne avec ses réquisitions (article 61, premier alinéa).

Il incombe alors à la chambre du conseil, composée d'un juge unique appartenant au tribunal de première instance (lois des 25 octobre 1919, 26 juillet 1927 et 18 août 1928), de prononcer - sauf si elle estime devoir ordonner un complément d'instruction - soit le non-lieu (article 128 du code d'instruction criminelle), soit le renvoi en jugement devant le tribunal de police (article 129) ou le tribunal correctionnel (article 130), soit la transmission du dossier au procureur général près la cour d'appel (article 133), selon le cas.

A la différence de son homologue français, le juge d'instruction belge n'a donc point compétence pour saisir lui-même la juridiction de jugement. Avant de trancher, la chambre du conseil - laquelle siège à huis clos - l'entend en son rapport. Celui-ci revêt la forme d'un exposé oral sur l'état de l'instruction; le magistrat instructeur n'y exprime pas d'opinion sur la culpabilité de l'intéressé: c'est au parquet qu'il appartient de requérir à telles fins que de droit.

B. Juges d'instruction et incompatibilités

19. L'article 292 du code judiciaire de 1967 prohibe "le cumul des fonctions judiciaires (...), sauf les cas prévus par la loi"; il frappe de nullité "la décision rendue par un juge qui a précédemment connu de la cause dans l'exercice d'une autre fonction judiciaire".

Ce principe vaut notamment pour le magistrat instructeur. L'article 127 précise qu'"à peine de nullité, les magistrats qui ont rempli dans l'affaire les fonctions de juge d'instruction (...) ne peuvent ni présider les assises, ni être assesseur (...)".

Le juge d'instruction ne saurait non plus "participer en qualité de conseiller au jugement de l'appel", sans quoi il aurait "à examiner en degré d'appel et donc en tant que juge du fond siégeant en instance supérieure et dernière, la légalité des mesures d'instruction (...) accomplies ou ordonnées [par lui] en première instance" (Cour de cassation 18 mars 1981, Pasicrisie 1981, I, p. 770, et Revue de droit pénal et de criminologie 1981, pp. 703-719).

20. En revanche, aux termes du troisième alinéa de l'article 79 du code judiciaire, amendé par une loi du 30 juin 1976, "les juges d'instruction peuvent continuer à siéger à leur rang pour le jugement des affaires soumises au tribunal de première instance". D'après les travaux préparatoires et la jurisprudence, peu importe à cet égard qu'il s'agisse de causes instruites par eux auparavant: ils n'exerceraient pas là "une autre fonction judiciaire", au sens de l'article 292, mais bien la même fonction de juge au sein du tribunal; seule varierait leur affectation (Documents parlementaires, Chambre des Représentants, n° 59/49 du 1er juin 1967; Cour de cassation 8 février 1977, Pasicrisie 1977, I, pp. 622-623; Cour de cassation 15 avril 1980, rendu en l'espèce, paragraphe 14 ci-dessus).

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