La lettre juridique n°361 du 30 juillet 2009 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] L'obligation pour l'employeur de convoquer l'ensemble des syndicats représentatifs à la négociation collective

Réf. : Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 08-41.507, Fédération Sud des activités postales et des télécommunications et a. c/ Société Téléperformance France et a., FS-P+B (N° Lexbase : A7530EIQ)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010


En affirmant, dans un arrêt rendu le 8 juillet 2009, "qu'un accord collectif ne peut être conclu ou révisé sans que l'ensemble des organisations syndicales représentatives dans l'entreprise ou, le cas échéant, dans l'établissement, aient été invitées à la négociation", la Cour de cassation ne fait que reprendre une solution qu'elle a retenu antérieurement à plusieurs reprises. On pourrait, par conséquent, s'étonner que cette décision soit appelée à être publiée au bulletin et fasse l'objet d'un commentaire dans les colonnes de la présente revue. En réalité, cet arrêt est doublement intéressant, dès lors que l'on en fait une lecture attentive. Outre qu'il conduit la Chambre sociale à préciser les conséquences de la méconnaissance par l'employeur de son obligation, il offre d'utiles et précieuses indications sur les conditions de sa mise en oeuvre.


Résumé

Un accord collectif ne peut être conclu ou révisé sans que l'ensemble des organisations syndicales représentatives dans l'entreprise ou, le cas échéant, dans l'établissement, aient été invitées à la négociation.

Commentaire

I - L'obligation de convier à la négociation l'ensemble des syndicats représentatifs

  • Une solution de principe

En affirmant, dans l'arrêt rapporté, qu'"un accord collectif ne peut être conclu ou révisé sans que l'ensemble des organisations syndicales représentatives dans l'entreprise ou, le cas échéant dans l'établissement, aient été invitées à la négociation", la Cour de cassation ne fait que reprendre une solution de principe qu'elle avait antérieurement dégagée (1). On remarquera simplement que la Chambre sociale fait, en l'espèce, application du principe de concordance. Cela doit être approuvé. Dès lors que la négociation se déroule au niveau d'un établissement, ce sont tous les syndicats représentatifs à ce niveau qui doivent être convoqués à la négociation et non ceux qui le sont dans l'entreprise prise dans son ensemble.

L'employeur ne peut, ainsi, pas écarter de la négociation tel ou tel syndicat, quand bien même celui-ci ne serait pas en mesure de signer l'acte ayant fait l'objet de la négociation (2). Il en va du respect de la loyauté dans la négociation en contexte de pluralisme syndical (3), mais aussi du respect du "principe d'égalité de valeur constitutionnelle".

Cette solution nous paraît d'autant plus nécessaire que, désormais, les syndicats représentatifs qui ont participé à la négociation peuvent, dès lors qu'ils n'ont pas signé l'accord collectif, s'y opposer à la condition d'avoir recueilli la majorité des suffrages exprimés lors des élections professionnelles (C. trav., art. L. 2232-12 N° Lexbase : L3770IBA).

  • Une solution rigoureuse

Dans un arrêt rendu le 26 mars 2002, la Cour de cassation avait affirmé que "tous les syndicats représentatifs qui ont un délégué syndical dans l'entreprise doivent être appelés à la négociation des conventions et accords collectifs d'entreprise, y compris lorsque la négociation porte sur des accords de révision" (4). Ce faisant, la Chambre sociale introduisait une limite importante à l'obligation précitée puisque, pour être convoqués à la négociation les syndicats devaient non seulement être représentatifs dans l'entreprise, mais y être également représentés par un délégué syndical. Cette exigence pouvait se comprendre dans la mesure où c'est le délégué syndical qui dispose de la prérogative de négocier et conclure la convention ou l'accord collectif d'entreprise.

Il convient, cependant, de remarquer que cette exigence n'avait pas été reprise dans la décision précitée du 17 septembre 2003 et ne figure pas plus dans l'arrêt sous examen, dont les faits démontrent, par ailleurs, qu'il importe peu que le syndicat représentatif ne soit pas représenté au niveau où a lieu la négociation.

En l'espèce, la société Téléperformance France avait, à l'occasion du projet de fermeture du centre de télémarketing situé à Lyon, ouvert, le 31 juillet 2007, une négociation d'établissement, après consultation du comité d'entreprise de la société, à laquelle participaient les délégués syndicaux d'établissement de quatre organisations syndicales représentatives dans l'entreprise. La Fédération Sud des activités postales et des télécommunications (le syndicat Sud), qui n'avait plus de délégué syndical dans l'établissement de Lyon, s'étant étonnée de ne pas avoir été invitée à participer, par l'intermédiaire de son délégué syndical central, aux réunions de négociation, l'employeur lui avait demandé, le 2 octobre 2007, de faire connaître la composition de sa délégation, puis, à la suite de la désignation par le syndicat Sud de son délégué syndical central pour le représenter dans la négociation, avait convoqué ce dernier aux réunions suivantes. Le syndicat Sud avait, néanmoins, saisi le tribunal de grande instance statuant en référé, le 2 octobre 2007, pour voir dire illicite la négociation du projet, au motif qu'il n'avait pas été invité, dès l'origine, à y participer.

Pour rejeter les demandes du syndicat Sud, la cour d'appel avait énoncé, d'abord, que l'accord sur l'exercice du droit syndical dans l'entreprise prévoit que les organisations syndicales ont la possibilité de désigner des délégués de centre dans chacun des centres de l'entreprise, mais nullement qu'à défaut, les délégués centraux pourront, de droit, mener une négociation d'établissement. Il appartenait donc au syndicat Sud, après le départ de son délégué de centre à Lyon 7, de lui désigner un remplaçant pour que ce dernier puisse, sans désignation spéciale, participer à la négociation considérée. Les juges d'appel avaient relevé, ensuite, que le syndicat Sud, dont le délégué syndical central avait participé à toutes les réunions du comité d'entreprise au cours desquelles avaient été évoqués le projet litigieux et la négociation d'un accord local à laquelle il allait donner lieu ne pouvait donc prétendre ne pas avoir été avisé de ladite négociation.

La décision est censurée par la Cour de cassation au visa des articles L. 2231-1 (N° Lexbase : L3746IBD) et R. 1455-6 (N° Lexbase : L0819IAL) du Code du travail. Selon la Chambre sociale, "en statuant ainsi, par des motifs inopérants, et alors qu'il ressortait de ses constatations que le syndicat Sud, qui était représentatif au niveau concerné, n'avait pas été invité à participer à la négociation engagée au sein de l'établissement Lyon 7 par l'employeur le 31 juillet 2007 et aux réunions successives qui avaient eu lieu les 31 août, 4 septembre, 14 septembre et 4 octobre 2007, ce dont elle devait déduire l'existence d'un trouble manifestement illicite, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

Cette solution nous paraît riche d'un double enseignement relativement à la mise en oeuvre concrète de l'obligation rappelée dans le motif de principe de l'arrêt. En premier lieu, elle signifie clairement qu'un syndicat représentatif doit être convoqué à la négociation alors même qu'il n'est pas (ou plus) représenté au niveau où celle-ci a lieu. Cette règle, qui n'est pas sans rappeler les solutions retenues par la Cour de cassation en matière de négociation du protocole d'accord préélectoral, doit être approuvée. Ainsi que le précise l'article L. 2232-16 du Code du travail (N° Lexbase : L2299H9Z), la convention ou l'accord collectif d'entreprise est négocié, du côté des salariés, "par les organisations syndicales de salariés représentatives dans l'entreprise". Le fait de savoir si cette organisation syndicale est, ou non, représentée à ce niveau apparaît, dès lors, secondaire. Mais, à supposer qu'il souhaite y participer, le syndicat devra, néanmoins, être représenté à la négociation. Pour ce faire, il devra certainement avoir recours à la technique du mandat, sans qu'il soit nécessairement à exclure que le mandataire soit étranger à l'entreprise (5). La situation présentement évoquée doit être clairement distinguée des cas dans lesquels la loi organise la négociation en l'absence de délégué syndical (C. trav., art. L. 2232-21 et s. N° Lexbase : L3947IBS). Ces derniers intéressent les entreprises dépourvues totalement de délégués syndicaux, tandis que la situation visée par l'arrêt commenté concerne les entreprises (ou établissements) qui comportent un ou plusieurs délégués syndicaux, mais dans lesquelles un syndicat représentatif n'est pas représenté.

En second lieu, la Cour de cassation paraît signifier que la convocation du syndicat à la négociation doit être entourée d'un certain formalisme. A tout le moins, et contrairement à ce qu'avaient relevé les juges du fond en l'espèce, on ne saurait se contenter que l'un des représentants du syndicat dans l'entreprise (en l'occurrence son délégué central) ait été "au courant" des négociations menées au sein d'un établissement. Il appartient à l'employeur d'inviter expressément le syndicat représentatif à participer à la négociation. S'il est certainement préférable que cette invitation soit adressée au syndicat lui-même, rien ne paraît s'opposer à ce qu'elle soit remise à son délégué syndical central.

II - Les sanctions de la violation de l'obligation

  • La nullité de l'accord conclu

La violation par l'employeur de l'obligation de convoquer à la négociation collective l'ensemble des organisations syndicales représentatives pourrait certainement faire l'objet d'une sanction pénale au titre du délit d'entrave. Mais ce sont surtout les sanctions civiles qui doivent retenir l'attention.

La Cour de cassation considère qu'une convention ou un accord collectif conclu en méconnaissance de l'obligation précitée est nul (6).

Il s'agit d'une nullité absolue que sont recevables à demander ou invoquer les syndicats écartés de la négociation, mais aussi les organisations ayant participé au processus ou tout autre intéressé, qu'il s'agisse d'un salarié ou du ministère public. Une telle nullité est de nature à entraîner de graves conséquences, spécialement si elle intervient longtemps après que l'acte litigieux a été signé. Une telle issue n'a, cependant, rien d'inéluctable compte tenu de la possibilité de saisir le juge des référés.

  • La possibilité de saisir la formation des référés

Ainsi que l'énonce l'article R. 1455-6, "la formation de référé peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite" (7).

On sait qu'il appartient au juge des référés de caractériser "le dommage imminent" ou "le trouble manifestement illicite" qui justifient les mesures qu'il ordonne. Si le premier est une question de fait relevant de l'appréciation souveraine du juge des référés, le second est une notion de droit soumise au contrôle de la Cour de cassation (8).

Dans l'affaire qui nous intéresse, les juges du fond avaient précisément refusé de retenir le trouble manifestement illicite dénoncé par le syndicat Sud et son délégué syndical central. Ainsi qu'il ressort du moyen annexé à l'arrêt, cette décision procédait du constat que le syndicat demandeur ne pouvait, en fait, prétendre qu'il n'avait pas été avisé de la négociation menée au niveau de l'établissement de Lyon. On peut effectivement considérer que le syndicat était informé de cette négociation par l'intermédiaire de son délégué syndical central, qu'il avait, d'ailleurs, fini par désigner pour le représenter à celle-ci. Un tel raisonnement ne saurait, cependant, être admis. Ainsi que nous l'avons vu précédemment, il ne s'agit pas de se demander si tous les syndicats représentatifs sont au courant, par un moyen ou par un autre, qu'une négociation va avoir lieu, mais de constater qu'ils ont été invités en bonne et due forme à y participer par l'employeur. Si tel n'a pas été le cas, on ne peut qu'en déduire que l'on est en présence d'un trouble manifestement illicite (9).


(1) Cass. soc., 17 septembre 2003, n° 01-10.706, Fédération Chimie CGT FO atome c/ Union des industries chimiques (N° Lexbase : A5312C9M) ; Les grands arrêts du droit du travail, Dalloz, 4ème éd., 2008, n° 160. La solution est, en réalité, plus ancienne : Cass. soc., 1er juin 1994, n° 92-18.896, Société des Hôtels Concorde c/ Comité d'établissement de l'Hôtel Concorde Lafayette, et autres (N° Lexbase : A1938AAZ) ; Cass. soc., 10 mai 1995, n° 92-43.822, M. Plé Christian c/ Société Vandenostende (N° Lexbase : A8537CQA).
(2) Il convient, en effet, de rappeler qu'un avenant de révision ne peut être signé que par les syndicats signataires de l'acte initial ou qui y ont adhéré (C. trav., art. L. 2261-7 N° Lexbase : L2430H9U).
(3) V., en ce sens, Les grands arrêts du droit du travail, préc., p. 736, où il est souligné qu'"on peut voir dans cette obligation d'invitation [...] une requête du droit constitutionnel des travailleurs à la négociation collective, dont les titulaires sont les salariés eux-mêmes, plutôt que les syndicats".
(4) Cass. soc., 26 mars 2002, n° 00-17.231, Société Sanofi Synthelabo c/ Syndicat FO Sanofi, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3930AY9).
(5) Là encore, la négociation du protocole préélectoral pourrait servir de source d'inspiration.
(6) Cass. soc., 26 mars 2002, n° 00-17.231, préc. ; Cass. soc., 12 octobre 2006, n° 05-15.069, Fédération nationale des personnels des secteurs financiers CGT Case 537 c/ Fédération des syndicats chrétiens des organismes et professions agricultures CFTC et autres, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7816DRW) et nos obs., La loyauté dans la négociation collective n'interdit pas d'apporter des modifications unilatérales au projet d'accord adressé aux parties pour signature, Lexbase Hebdo n° 233 du 25 octobre 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N4277ALY).
(7) Cet article ne fait que reprendre les dispositions plus générales de l'article 809, alinéa 1er, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L3104ADC). Il convient, en outre, de souligner que, s'agissant de la question qui nous intéresse, c'est évidemment le tribunal de grande instance qui doit être saisi. On peut, par suite, se demander s'il n'aurait pas été plus opportun de viser l'article 809 du Code de procédure civile.
(8) Sur l'ensemble de ces questions, v. L. Cadiet et E. Jeuland, Droit judiciaire privé, Litec, 5ème éd., 2006, § 633.
(9) Le juge peut alors prendre les mesures conservatoires qui s'imposent et, notamment, interdire la signature de l'acte juridique qui clôt le processus de négociation.


Décision

Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 08-41.507, Fédération Sud des activités postales et des télécommunications et a. c/ Société Téléperformance France et a., FS-P+B (N° Lexbase : A7530EIQ)

Cassation partielle de CA Paris, 14ème ch., sect. A, 30 janvier 2008, n° 07/19071, Fédération Sud des activités postales et des télécommunications et a. c/ Société Téléperformance France SA (N° Lexbase : A6921D44)

Textes visés : C. trav., art. L. 2231-1 (N° Lexbase : L3746IBD) et R. 1455-6 (N° Lexbase : L0819IAL)

Mots-clefs : négociation collective ; parties à la négociation ; obligation de convoquer l'ensemble des syndicats représentatifs ; violation de l'obligation ; sanction ; juge des référés ; trouble manifestement illicite

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