La lettre juridique n°300 du 10 avril 2008 : Rel. individuelles de travail

[Questions à...] La clause de mobilité... questions à Maître Le Dimeet, avocat spécialisé en droit social

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par Charlotte Figerou, Juriste en droit social

le 07 Octobre 2010



La clause de mobilité permet à un employeur d'anticiper les flux migratoires dans son entreprise et de se prémunir contre les éventuels réticences de ses salariés à voir leur lieu de travail modifié. Depuis quelques années déjà, la clause de mobilité est à l'origine d'un contentieux abondant devant les tribunaux et, notamment, devant la Chambre sociale de la Cour de cassation. Afin de faire le point sur ce sujet brûlant, Lexbase Hebdo - édition sociale a choisi, cette semaine, de recueillir le point de vue d'une praticienne du droit, Maître Maryline Le Dimeet, avocat spécialisé en droit social au barreau de Bordeaux.


Lexbase : Quels sont, en pratique, les contrats de travail contenant une clause de mobilité ? Les cadres sont-ils les seuls à être concernés ?

Maître Le Dimeet : La clause de mobilité est une clause qui peut être insérée dans tous les contrats de travail, qu'il s'agisse d'employés ou d'ouvriers, d'agents de maîtrise ou de cadres. En revanche, si cette possibilité est laissée à la faculté de l'employeur, il est évident que, pour la Chambre sociale de la Cour de cassation, la clause de mobilité trouve son intérêt dans des fonctions, d'une part, commerciales et, d'autre part, d'encadrement. Mais, on peut trouver des clauses de mobilité dans des contrats basiques, sans qu'elles soient pour autant remises en cause.

Lexbase : Quelles sont les exigences rédactionnelles requises pour que la clause de mobilité soit valablement insérée dans le contrat de travail ?

Maître Le Dimeet : Avant tout, l'employeur doit veiller à ne pas stipuler une clause de mobilité qui serait contraire aux dispositions de la convention collective, si ces dernières sont plus favorables. Ensuite, la clause de mobilité doit être énoncée de manière à ce que le salarié, au cours de l'évolution de sa carrière, sache très précisément où on peut le muter. C'est toute la portée d'une évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation depuis une décision rendue le 19 avril 2000 (Cass. soc., 19 avril 2000, n° 98-41.078, Caisse régionale d'Aquitaine du crédit maritime c/ Mme Maïté Ugarte, inédit N° Lexbase : A9042AGY), qui estime qu'une salariée ayant signé, lors de son engagement, une clause de mobilité, puis qui est mutée dans un établissement qui n'existait pas lors de la signature du contrat, est en droit de refuser la mutation, son licenciement étant, dès lors, dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Le salarié doit donc avoir, dès la signature de la clause de mobilité, parfaitement connaissance de l'étendue de son engagement. De deux choses l'une : soit la clause de mobilité est extrêmement précise et vise les établissements et les zones géographiques concernés par la clause ; soit la clause de mobilité indique la mention "dans les établissement actuels et tous ceux qui pourraient être créés". Mais, cette dernière hypothèse suppose que, au fil de la création des établissements, l'employeur précise que la clause de mobilité s'étend, désormais, à tel établissement créé récemment, afin d'éviter toute équivoque lors de sa mise en jeu.

Cette jurisprudence a été confirmée par un arrêt rendu le 12 mai 2004 (Cass. soc., 12 mai 2004, n° 02-42.018, F-D N° Lexbase : A1684DCD), dans lequel la Cour de cassation a estimé qu'une clause de mobilité couvrant tous les établissements de la société, mais n'ayant pas précisé qu'elle pouvait s'appliquer aux établissements ouverts postérieurement à la signature du contrat, n'était pas opposable au salarié, son application étant cantonnée aux établissements existant lors de la signature du contrat.

Cette jurisprudence a, par la suite, été consacrée par deux arrêts rendus le 7 juin 2006 (Cass. soc., 7 juin 2006, n° 04-45.846, FS-P+B N° Lexbase : A9457DPX ; lire les obs. de G. Auzero, La clause de mobilité doit définir de façon précise sa zone géographique d'application, Lexbase Hebdo n° 221 du 29 juin 2006 - édition sociale N° Lexbase : N0070AL8) et le 12 juillet 2006 (Cass. soc., 12 juillet 2006, n° 04-45.396, F-P+B N° Lexbase : A4407DQB ; lire les obs. de S. Tournaux, La précision de la zone géographique de la clause de mobilité : principe et sanction, Lexbase Hebdo n° 227 du 14 septembre 2006 - édition sociale N° Lexbase : N2633AL4). Le but est, pour la Cour suprême, de renforcer encore la protection des droits attachés au salarié, puisqu'elle indique qu'"une clause de mobilité doit définir de façon précise sa zone géographique d'application et qu'elle ne peut conférer à l'employeur le pouvoir d'en étendre unilatéralement la portée".

On est, ici, même s'il ne s'agit pas du même type de clause, sur un pouvoir de contrôle accru de la Cour de cassation sur la clause de non-concurrence, la clause de mobilité, la clause de domicile -dont on sait qu'elle est invalidée par la Cour suprême (Cass. soc., 15mai 2007, n° 06-41.277, FS-P+B N° Lexbase : A2639DWN).

Lexbase : La clause de mobilité doit donc prévoir la zone géographique dans laquelle la mutation peut s'opérer. Quels peuvent être les contours de cette zone ? Est-elle limitée ?

Maître Le Dimeet : Dès lors que le contrat de travail du salarié comporte une clause de mobilité, même s'il faut qu'elle soit limitée géographiquement, ce n'est pas pour autant qu'elle doit être cantonnée à une zone précise. Tout dépend des responsabilités confiées au salarié. Si celui-ci travaille à l'international, il est possible d'étendre la zone géographique de la clause de mobilité à l'étranger. En revanche, il est évident qu'un salarié occupant des responsabilités plus limitées pourra difficilement être muté au-delà des limites du territoire national.

Mais, là encore, tout dépend des particularités de la relation de travail, car une société étrangère, qui a son siège à l'étranger, et qui comporte plusieurs établissements en France, peut prévoir une clause de mobilité avec un rattachement au siège social. Tout est fonction des spécificités de la situation de la société et des responsabilités confiées au salarié. Le plus important étant, au final, la bonne foi de l'employeur dans la mise en oeuvre de la clause.

Lexbase : Quid de la clause de mobilité insérée uniquement dans la convention collective ? A quelles conditions peut-elle valablement s'appliquer à la relation de travail ?

Maître Le Dimeet : Si la convention collective prévoit, pour certaines catégories de salariés ou pour l'ensemble de ceux-ci, l'introduction d'une clause de mobilité, le contrat de travail peut s'y référer sans reprendre textuellement la disposition conventionnelle, à condition néanmoins que le contrat de travail soit suffisamment précis en renvoyant à tel ou tel article de la convention collective qui réglemente la clause de mobilité, et, surtout, en indiquant bien que le salarié a parfaitement connaissance de la disposition conventionnelle (Cass. soc., 27 juin 2002, n° 00-42.646, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0076AZT).

Donc, au final, il faut quand même aborder, dans le contrat de travail, la question de la clause de mobilité, même si n'y figure qu'un simple renvoi aux articles concernés de la convention collective. Omettre cette formalité reviendrait à placer l'employeur dans une insécurité juridique, car le salarié pourra toujours arguer que son contrat de travail ne prévoyait pas de clause de mobilité.

Lexbase : La Cour de cassation impose à l'employeur de respecter un délai de prévenance suffisant pour actionner la clause. Quelle est, en pratique, la durée de ce délai de prévenance ?

Maître Le Dimeet : Le lieu de travail n'est pas, en soi, un élément intégré au socle contractuel, autrefois qualifié d'"élément substantiel du contrat de travail". Il relève du simple changement des conditions de travail, à tout le moins lorsque l'on reste dans le même secteur géographique. Au-delà, c'est l'application de la clause de mobilité, si le contrat en prévoit une. S'agissant du changement d'affectation dans le même secteur géographique, l'employeur étant, ici, dans son plein pouvoir de direction, on trouve des délais de prévenance très courts, de l'ordre de 24 ou 48 heures, ou 7 jours. En revanche, s'agissant de la mise en oeuvre d'une clause de mobilité, et même si l'on reste, ici encore, dans le domaine du simple changement des conditions de travail, dès lors que l'affectation du salarié à un lieu de travail assez éloigné du précédent est envisagée, il faut respecter un délai suffisant, pour lui permettre de s'organiser sur le plan personnel, notamment.

A mon sens, un délai d'un mois constitue un grand minimum. Mais, ici encore, c'est la bonne foi de l'employeur qui prévaut. Plus la distance sera importante par rapport au nouveau lieu de travail, et plus l'employeur sera considéré comme étant de bonne foi en donnant au salarié un temps suffisant pour s'organiser.

Lexbase : Compte tenu de la position de la Cour de cassation, qui se veut très protectrice des intérêts du salarié lors de la mise en oeuvre d'une clause de mobilité, cet outil, qui est censé faciliter la mutation, ne devient-il pas source de difficultés pour l'employeur ?

Maître Le Dimeet : Effectivement, la Cour de cassation est de plus en plus protectrice des intérêts du salarié. Néanmoins, la clause de mobilité régulièrement insérée dans le contrat de travail, c'est-à-dire prenant en compte les derniers éléments tranchés par la Cour de cassation, ne peut être qu'un atout pour l'employeur. Dans certaines situations, elle favorise grandement la mobilité des salariés.

Par exemple, en cas de fermeture de sites sur le territoire national, si on ne peut pas mettre en oeuvre la procédure de licenciement économique, parce que toutes les conditions propres à un tel licenciement ne sont pas réunies, il est très intéressant d'user de la clause de mobilité pour rapatrier un salarié d'un site fermé à un nouveau site. Il faut simplement établir que cette mise en jeu s'effectue dans l'intérêt de l'entreprise. Au final, si la clause de mobilité est conforme aux dispositions de la convention collective, qu'elle est en adéquation avec la dernière jurisprudence de la Cour de cassation et que sa mise en oeuvre est loyale, il serait dommage de se priver de cet avantage. Peu d'éléments relèvent, encore aujourd'hui, du pouvoir de direction de l'employeur et la clause de mobilité reste l'un des derniers bastions de ce pouvoir discrétionnaire.

Lexbase : Un arrêt récent a écarté la faute grave du salarié qui refuse la mise en jeu d'une clause de mobilité pourtant valablement insérée dans le contrat de travail. Que pensez-vous de cette jurisprudence ?

Maître Le Dimeet : L'arrêt du 23 janvier 2008, qui écarte la faute grave en cas de refus d'un salarié de se soumettre à sa clause de mobilité, pourtant valablement insérée dans le contrat de travail et conforme aux prescriptions légales et jurisprudentielles, consacre l'évolution de la Cour suprême (Cass. soc., 23 janvier 2008, n° 07-40.522, FS-P+B+R N° Lexbase : A1079D4Q). On considère que cette clause de mobilité emporte d'importantes conséquences, de nature à remettre en cause l'environnement à la fois professionnel et personnel du salarié. Le refus ne peut donc, selon la Cour de cassation, entraîner le licenciement pour faute grave, mais, simplement, une faute sérieuse.

Cette position s'inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence de notre Cour suprême. Prenons-en, pour exemple, le refus de reclassement, consécutif à une inaptitude d'origine professionnelle, ou non, et qui, auparavant, privait le salarié du droit à l'indemnité de licenciement majorée. Ce n'est, aujourd'hui, plus le cas.

La Cour de cassation est très sensible au fait que le salarié doit pouvoir, aujourd'hui, évoluer au sein d'une société, non plus par le seul fait du prince, même s'il est censé avoir connaissance de son engagement. On sort donc du terrain de la faute grave pour se placer sur celui de la faute sérieuse, tout en restant dans le domaine du droit disciplinaire.

Lexbase : Dans quelle mesure une clause de mobilité peut-elle être actionnée à des fins disciplinaires ?

Maître Le Dimeet : Dans une telle situation, on se place sur le terrain de la mutation disciplinaire, avec, ou non, clause de mobilité dans le contrat de travail. La mutation disciplinaire a, ici, pour conséquence de modifier le contrat de travail, modification que le salarié est en droit de refuser (Cass. soc., 16 juin 1998, n° 95-45.033, Société Hôtel Le Berry c/ Mme Khouhli N° Lexbase : A5390ACM). Dans ce dernier cas, l'employeur peut substituer à la première sanction, c'est-à-dire la mutation disciplinaire, une sanction autre, et plus grave, qui est le licenciement.

On est là sur un domaine où la Cour de cassation achève sa construction jurisprudentielle, en ce sens que tout ce qui relève de la modification contractuelle ne peut se faire sans l'aval du salarié.

Lexbase : Quelles conséquences va entraîner l'accord de modernisation du marché du travail sur les clauses de mobilité, lorsqu'il dispose que "les contrats de travail devront préciser les conditions de mise en oeuvre des clauses de non-concurrence, de mobilité, ou de délégation de pouvoir" ?

Maître Le Dimeet : Le législateur souhaite, ici, à mon sens, parachever la construction jurisprudentielle et il s'agirait donc de la consécration légale d'une jurisprudence déjà parfaitement établie. Le souci du législateur, comme celui de la Cour de cassation, est de ne pas laisser, au salarié, la place au doute. Celui-ci doit, dès le départ, avoir une entière connaissance de son engagement. Pour ce faire, il faut que les clauses, tant de non-concurrence que de mobilité, soient suffisamment précises pour que le salarié sache à quoi il s'engage. Dans l'exemple de la clause de mobilité, le salarié doit avoir connaissance, dès le départ, de l'endroit où il pourra être muté, des délais de prévenance applicables et des raisons de sa mutation, liées, bien évidemment, à l'intérêt de l'entreprise. Il lui appartiendra, le cas échéant, de prouver que la clause de mobilité serait détournée de ses fins.

Lexbase : Est-il possible d'imposer à un salarié protégé la mise en oeuvre d'une clause de mobilité ?

Maître Le Dimeet : La particularité est, qu'ici, à l'inverse du salarié ordinaire, que l'on soit dans le domaine du simple changement des conditions de travail ou dans celui de la modification contractuelle, l'inspecteur du travail doit intervenir en premier lieu.

Lexbase : Un arrêt de 1997 autorise la mise en oeuvre de la clause de mobilité de la salariée de retour de congé maternité (Cass. soc., 7 octobre 1997, n° 95-41.857, Mme Saadia Moutalib c/ Société Clarte Otor groupe N° Lexbase : A0521ABW). Pensez-vous qu'une telle solution pourrait être, aujourd'hui encore, d'actualité ?

Maître Le Dimeet : La salariée qui rentre de congé maternité doit retrouver son poste ou, à tout le moins, un poste équivalent. Néanmoins, si dans son contrat de travail, cette clause de mobilité est correctement insérée et si elle ne soupçonne pas son employeur de l'avoir mise en jeu pour l'inciter à démissionner (auquel cas elle devra prouver le détournement de la clause de mobilité), il n'y a pas de raison de considérer comme abusive cette mise en oeuvre. Bien entendu, le poste doit être identique ou similaire, la rémunération doit rester inchangée et aucune modification contractuelle ne doit être relevée.

Lexbase : Quels sont, en pratique, les éléments qui caractérisent l'abus de droit de l'employeur ?

Maître Le Dimeet : C'est un faisceau d'indices qui permettra d'indiquer si la clause de mobilité a été ou non mise en oeuvre de manière loyale. Si l'on est en présence d'un salarié qui a déjà fait l'objet de plusieurs sanctions disciplinaires, ou qui s'est manifesté par voie épistolaire pour déplorer certaines conditions de travail, ou réclamer le paiement d'heures supplémentaires ou autre, alors on peut considérer, le cas échéant, si le salarié produit les pièces adéquates, que la mise en oeuvre est déloyale. Mais ce faisceau d'indices est laissé à l'appréciation des juges du fond et il appartient au salarié d'établir que sa thèse prévaut sur l'intérêt de l'entreprise.

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