La lettre juridique n°221 du 29 juin 2006 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] La clause de mobilité doit définir de façon précise sa zone géographique d'application

Réf. : Cass. soc., 7 juin 2006, n° 04-45.846, M. Emmanuel Graas, FS-P+B (N° Lexbase : A9457DPX)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Si la Cour de cassation s'est attachée, ces dernières années, à offrir des garanties aux salariés lors de la mise en oeuvre des clauses de mobilité géographique, elle se montrait relativement laxiste quant aux conditions de validité de ces clauses. L'arrêt rendu le 7 juin 2006 par la Chambre sociale représente, de ce point de vue, une rupture certaine dans sa jurisprudence. Désormais, en effet, "une clause de mobilité doit définir de façon précise sa zone géographique d'application et [...] elle ne peut conférer à l'employeur le pouvoir d'en étendre unilatéralement la portée". Si cette décision ne remet nullement en cause l'intérêt pour l'employeur de stipuler une clause de mobilité dans le contrat de travail de ses salariés (1), elle renforce, de manière évidente, ses conditions de validité (2).



Résumé

Une clause de mobilité doit définir de façon précise sa zone géographique d'application et elle ne peut conférer à l'employeur le pouvoir d'en étendre unilatéralement la portée.

Décision

Cass. soc., 7 juin 2006, n° 04-45.846, M. Emmanuel Graas, FS-P+B (N° Lexbase : A9457DPX)

Cassation (CA Metz, ch. soc., 29 mars 2004)

Textes visés : C. trav., art. L. 122-14-4 (N° Lexbase : L8990G74) ; C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC).

Mots-clés : clause de mobilité ; conditions de validité ; limitation géographique.

Lien bases :

Faits

M. Graas a été embauché le 8 septembre 1989 par l'Association interprofessionnelle d'aide à la construction (AIAC) Alsace-Lorraine, en qualité d'attaché de direction. Son contrat de travail stipulait que "la nature commerciale de votre fonction implique la mobilité géographique de votre poste, dans la zone d'activité de l'AIAC Alsace-Lorraine et qui pourra, le cas échéant, être étendue en cas d'extension d'activité". Ce contrat s'est poursuivi avec l'AIAC en 1991, après la fusion de ces deux organismes. Après avoir été nommé, en 1994, directeur adjoint de l'AIAC "région Alsace-Lorraine", chargé du secteur de Metz, il a été licencié le 18 décembre 2002, pour refus de mutation dans la région Rhône Alpes.

Pour débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt attaqué a retenu que la clause contenue dans son contrat de travail lui imposait une mobilité sur toute la zone d'activité de son employeur qui, depuis 1991, avait été étendue à l'ensemble du territoire national.

Solution

Cassation pour violation des articles L. 122-14-4 du Code du travail et 1134 du Code civil.

"Attendu, cependant, qu'une clause de mobilité doit définir de façon précise sa zone géographique d'application et qu'elle ne peut conférer à l'employeur le pouvoir d'en étendre unilatéralement la portée".

Observations

1. L'intérêt de stipuler une clause de mobilité dans le contrat de travail

  • Le lieu de travail, élément du contrat de travail

On sait que, depuis 1996, la Cour de cassation distingue les modifications du contrat de travail des changements des conditions de travail. Si les premières ne peuvent intervenir qu'avec l'accord des deux parties, les secondes peuvent être imposées de manière unilatérale par l'employeur (pour plus de précisions sur cette distinction, v., par ex., J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Précis Dalloz, 22ème éd., 2004, §§ 371 et s.). Cette distinction, qui repose sur une nette séparation entre la sphère contractuelle et le pouvoir de direction de l'employeur, suppose que l'on identifie clairement ce qui relève du contrat de travail et ce qui n'en relève pas. En effet, dès lors que la modification concerne un élément du contrat de travail, il s'agit d'une modification du contrat et l'accord des deux parties au contrat est exigé pour produire novation de celui-ci.

Les choses ne sont malheureusement pas aussi simples que cette présentation le laisse supposer et le lieu de travail, qui nous intéresse plus particulièrement ici, fournit une intéressante illustration de cette complexité.

Dès lors que le contrat de travail a fait l'objet d'un écrit et que le lieu de travail du salarié a fait l'objet d'une mention expresse dans ce dernier, toute modification de celui-ci paraît devoir être qualifiée de modification du contrat de travail. Ce n'est toutefois pas ce qui résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation. Celle-ci considère, en effet, que la mention du lieu de travail dans le contrat de travail a valeur informative, à moins qu'il ne soit stipulé, par une clause claire et précise, que le salarié exécutera son travail exclusivement en ce lieu (v., en dernier lieu, Cass. soc., 15 mars 2006, n° 02-46.496, Société trans'Ova c/ M. Christian Martin, publié N° Lexbase : A6000DNK). En conséquence, si la clause est simplement informative, il n'y aura modification du contrat de travail que si la mutation décidée par l'employeur conduit le salarié à travailler dans un autre secteur géographique (v., par ex., Cass. soc., 21 janvier 2004, n° 02-12.712, FP-P+B N° Lexbase : A8593DAI, lire les obs. de Sonia Koleck-Desautel, Confirmation de la simple valeur informative de la mention du lieu de travail dans le contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 106 du 5 février 2004 - édition sociale N° Lexbase : N0337AB4).

Lorsque le contrat de travail n'a pas fait l'objet d'un écrit, il y a lieu de s'interroger sur le fait de savoir si le lieu de travail constitue un élément essentiel du contrat. Si tel est le cas, il n'y aura, comme précédemment, modification du contrat que si la mutation intervient à l'extérieur du secteur géographique considéré.

  • Paralysie de la théorie de la modification du contrat de travail

Dès lors que l'on considère que le lieu de travail constitue un élément essentiel du contrat de travail, toute mutation, ou à tout le moins toute mutation conduisant à faire travailler le salarié dans un autre secteur géographique, exige l'accord du salarié. Afin d'éviter cette procédure, au résultat par nature aléatoire, l'employeur peut insérer, dans le contrat, une clause de mobilité géographique par laquelle le salarié accepte, par avance, les mutations que l'employeur viendrait à décider. Dans ce cas, la mutation constitue un simple changement des conditions de travail que l'employeur peut imposer unilatéralement au salarié.

Sans doute serait-il plus juste de dire que, dans cette hypothèse, la mutation ne constitue que la mise en oeuvre des stipulations prévues au contrat, dont la force obligatoire s'impose au salarié en vertu de l'article 1134 du Code civil.

La clause de mobilité n'autorise cependant pas tout et, ici comme ailleurs, la théorie de l'abus de droit trouve à s'appliquer. En d'autres termes, la clause de mobilité ne peut être mise en oeuvre de façon abusive par l'employeur (v., par ex., Cass. soc., 22 janvier 2003, n° 00-41.935, FS-D N° Lexbase : A7382A48). Il est toutefois à souligner que la clause de mobilité est présumée mise en oeuvre de bonne foi par l'employeur. C'est donc au salarié qu'il incombe de démontrer qu'elle l'a été pour des raisons étrangères à l'intérêt de l'entreprise (Cass. soc., 23 février 2005, n° 03-42.018, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8789DGM ; Cass. soc., 23 février 2005, n° 04-45.463, F-P+B+R+I N° Lexbase : A8816DGM, et les obs. de Ch. Radé, La bonne foi de l'employeur et la mise en oeuvre de la clause de mobilité, Lexbase Hebdo n° 158 du 10 mars 2005 - édition sociale N° Lexbase : N4888ABN).

La théorie de l'abus de droit permet, ainsi, d'une certaine manière, de neutraliser les clauses de mobilité au stade de leur mise en oeuvre, c'est-à-dire lors de l'exécution du contrat de travail. S'agissant, en revanche, de leur licéité, elle était admise de manière relativement large par la Cour de cassation. L'arrêt commenté met un terme bienvenu à cette jurisprudence.

2. Licéité de la clause de mobilité géographique

  • Renforcement des conditions de validité

Jusqu'à une date relativement récente, la validité des clauses de mobilité géographique n'était pas soumise à des conditions particulières. Seule une atteinte à une liberté fondamentale du salarié pouvait entraîner la nullité de la clause (Cass. soc., 12 janvier 1999, n° 96-40.755, M. Spileers c/ Société Omni Pac, publié N° Lexbase : A4618AG7).

Un arrêt rendu le 19 mai 2004 avait, toutefois, semblé marquer un certain infléchissement de la jurisprudence, pour le moins libérale de la Cour de cassation en la matière. Par cette décision, dont on doit relever qu'elle n'avait pas été publiée, la Chambre sociale paraissait ériger la limitation de l'espace géographique à l'intérieur duquel une mutation serait possible en condition de validité de la clause de mobilité géographique (Cass. soc., 19 mai 2004, n° 02-43.252, F-D N° Lexbase : A2013DCK, lire les obs. de S. Martin-Cuenot, La fin des clauses de mobilité indéterminées, Lexbase Hebdo n° 123 du 3 juin 2004 - édition sociale N° Lexbase : N1787ABS).

L'arrêt rendu le 7 juin 2006 vient confirmer cet infléchissement, en ne laissant désormais plus de place au doute. Ainsi que l'affirme clairement la Cour de cassation, "une clause de mobilité doit définir de façon précise sa zone géographique d'application". La cause est donc désormais entendue : non seulement, la zone géographique d'application de la clause doit être définie, mais, en outre, elle doit l'être avec précision.

Cette solution doit être entièrement approuvée. S'il convient, en effet, de faire produire leur plein effet aux obligations contractuelles, encore faut-il que celles-ci soient suffisamment déterminées, au risque de mettre le débiteur à la merci de son créancier. Sans doute la Cour de cassation aurait-elle pu également viser, outre les articles L. 122-14-4 du Code du travail et 1134 du Code civil, l'article 1129 du même Code (N° Lexbase : L1229AB7). Rappelons, en effet, qu'aux termes de cette disposition, "il faut que l'obligation ait pour objet une chose au moins déterminée quant à son espèce". Or, une clause de mobilité qui ne comporte pas la définition précise de sa zone géographique d'application paraît insuffisamment déterminée quant à son objet (v., sur la question, E. Dockès, La détermination de l'objet des obligations nées du contrat de travail, Dr. soc. 1997, p. 140).

Il faut encore relever que la Cour de cassation vient affirmer que la clause de mobilité "ne peut conférer à l'employeur le pouvoir d'en étendre unilatéralement la portée". Là encore, la solution ne peut que susciter l'approbation. Admettre le contraire reviendrait, en fait, à nier la distinction précédemment évoquée entre sphère contractuelle et pouvoir de direction de l'employeur et à conférer à la clause de mobilité une singulière géométrie variable abandonnée au bon vouloir de l'employeur. A nouveau, l'exigence que l'objet de l'obligation soit déterminé donne tout son sens à la solution.

  • Conséquences

L'arrêt du 7 juin 2006 nous paraît laisser aux employeurs une certaine marge de manoeuvre, même si celle-ci est relativement limitée. En exigeant que la zone géographique d'application de la clause de mobilité soit définie de façon précise, la Cour de cassation ne semble pas véritablement rejeter les stipulations qui viendraient à faire varier la portée de la clause en fonction de critères objectifs. Mais, encore faut-il que ceux-ci soient suffisamment précis et déterminés. En l'espèce, la clause de mobilité litigieuse stipulait que la mobilité géographique du salarié pouvait "le cas échéant, être étendue en cas d'extension d'activité". Il est difficilement contestable que le critère retenu, "l'extension d'activité", était imprécis et revenait, en réalité, à conférer à l'employeur le pouvoir d'étendre unilatéralement la portée de la clause de mobilité.

En résumé, et sauf à se méprendre sur l'intention poursuivie par la Cour de cassation, celle-ci paraît exiger que le salarié connaisse, dès l'acceptation de la clause de mobilité, la zone géographique dans laquelle sa mutation pourra intervenir. C'est là chose logique, dès lors que l'on entend faire du contrat un instrument de prévisibilité au service des parties ou, encore, "un bloc de stabilité qui protège l'emploi du salarié" (Ph. Waquet, La modification du contrat de travail et les changements des conditions de travail, RJS 12/96, p. 793).

Soulignons, pour conclure, que l'employeur aura tout intérêt à respecter les prescriptions de la Cour de cassation telles qu'elles résultent de l'arrêt commenté. A défaut, le salarié pourra demander au juge de prononcer la nullité de la clause de mobilité. En outre, et la décision le démontre, le licenciement consécutif au refus d'une mutation imposée en vertu d'une telle clause illicite sera sans cause réelle et sérieuse.

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