La lettre juridique n°296 du 13 mars 2008 : Droit public éco.

[Jurisprudence] Nouvel assaut du droit communautaire sur les privilèges des actionnaires publics

Réf. : CJCE, 23 octobre 2007, aff. C-112/05, Commission des Communautés européennes c/ République fédérale d'Allemagne (N° Lexbase : A8228DYE)

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par Olivier Dubos, Professeur de droit public à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

La Cour de justice des Communautés européennes vient de porter, au nom des principes du marché intérieur, un coup fatal à l'un des symboles du capitalisme allemand : la "loi Volkswagen". Comme l'Avocat général Colomer l'a rappelé dans ses conclusions, l'histoire de Volkswagen a été, entre 1930 et 1960, fort mouvementée. A la fin des années 50, de lourdes tensions existaient autour de la propriété de la société. La loi du 9 mars 1960, portant réglementation de la situation juridique de la société Volskwagenwerk GmbH, a permis la distribution de 60 % des actions à des actionnaires privés, les 40 % restant ont été partagés, à égalité, entre l'Etat fédéral et le Land de Basse-Saxe. Après constitution de la société, un accord a été conclu entre les actionnaires et a été inséré dans la "loi Volkswagen". Pour cette raison, la Cour a estimé que ces mesures étaient bien imputables à l'Etat et ne constituaient pas simplement un comportement de personnes privées. En vertu de cet accord, le droit de vote de tout actionnaire qui détiendrait plus de 20 % du capital social est limité au nombre de voix conféré par la détention de 1/5ème du capital social. En outre, l'Etat fédéral et le Land de Basse-Saxe peuvent chacun désigner des membres du conseil de surveillance s'ils possèdent des actions de la société. Enfin, les décisions de l'assemblée générale qui nécessitent, en vertu de la loi sur les sociétés, une majorité d'au moins 75 % de capital social représenté, requièrent une majorité de 80 %. Ce dispositif est donc très clairement dérogatoire au regard de la loi allemande sur les sociétés.

La Commission européenne a engagé une procédure en constatation de manquement, car elle a estimé que la "loi Volkswagen" portait atteinte aux principes de la liberté d'établissement et à la libre circulation des capitaux. En effet, la jurisprudence de la Cour de justice relative aux actions spécifiques est désormais relativement riche (voir notamment, CJCE, 4 juin 2002, aff. C-483/99, Commission des Communautés européennes c/ République française N° Lexbase : A8098AYL ; CJCE, 4 juin 2002, aff. C-503/99, Commission des Communautés européennes c/ Royaume de Belgique N° Lexbase : A8099AYM ; CJCE, 13 mai 2003, aff. C-98/01, Commission des Communautés européennes c/ Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord N° Lexbase : A9198B4G ; CJCE, 28 septembre 2006, aff. jointes C-282/04 et C-283/04, Commission des Communautés européennes c/ Royaume des Pays-Bas N° Lexbase : A3213DRG). Ce type d'actions permet aux pouvoirs publics, en général après une privatisation, de conserver un pouvoir de contrôle sur l'organisation et le fonctionnement d'une société afin de sauvegarder les intérêts nationaux.

Dans la "loi Volkswagen", le droit de désignation au conseil de surveillance de l'Etat fédéral et du Land de Basse-Saxe relevait bien de la technique de l'action spécifique. Les deux autres dérogations au droit des sociétés étaient d'une autre nature, puisque formellement elles ne constituaient pas en soi un avantage réservé aux actionnaires publics, mais de facto, il s'agissait pourtant d'un privilège. Toutes trois ont été jugées contraires au principe de la libre circulation des capitaux par la Cour de justice car elles constituaient des restrictions (I), qui ne pouvaient être justifiées (II).

I - La "loi Volkswagen" constitue une entrave à la libre circulation des capitaux

La Cour de justice devait, en premier lieu, se prononcer sur le fondement au regard duquel devait être examinée la "loi Volkswagen". La Commission n'ayant invoqué aucune argumentation spécifique au regard de la liberté d'établissement, le recours a été, sur ce terrain, rejeté.

La distinction entre la liberté d'établissement et la libre circulation des capitaux, en matière de réglementation des prises de participation, demeure délicate. Les prises de participation ne sont appréhendées, au regard de la liberté d'établissement, que si elles ont une influence certaine sur la société et lui permettent d'en déterminer les activités (CJCE, 13 avril 2000, aff. C-251/98, C. Baars c/ Inspecteur der Belastingen Particulieren/Ondernemingen Gorinchem N° Lexbase : A2003AIZ).

Cette solution n'est, toutefois, pas partagée par l'Avocat général Colomer, dont les conclusions soutiennent que les pouvoirs découlant des actions spécifiques et des mécanismes comparables constituent, d'abord, une atteinte à la liberté d'établissement : "ces pouvoirs peuvent avoir une incidence sur le droit à la liberté d'établissement le rendant moins intéressant, tant directement, lorsqu'ils portent sur l'accès au capital social, qu'indirectement, en réduisant son attractivité par des restrictions portant sur la capacité de disposition ou de gestion des organes sociaux". La frontière est délicate à tracer car "libre circulation des capitaux et liberté d'établissement ne s'excluent pas l'une l'autre, dans la mesure où l'exercice de l'une dépend de l'autre" (P. Juillard, Libre circulation des capitaux. Le principe de libre circulation, J.-Cl. Europe, Fasc. 900, spéc. n° 89).

Ce débat n'a, toutefois, qu'un intérêt restreint car une même mesure peut être examinée à la fois au regard de la liberté d'établissement et de la libre circulation des capitaux. Le régime des quatre grandes libertés est désormais très homogène.

La Cour a, ensuite, examiné conjointement le plafonnement des droits de vote à 20 % et la fixation de la minorité de blocage à 20 %. Si le plafonnement des droits de vote est éventuellement possible en vertu d'un contrat de société, la loi allemande sur les sociétés l'exclut pour les sociétés cotées en bourse, ce qui est le cas de Volkswagen. L'Allemagne avait toutefois fait valoir que cette disposition de la "loi Volkswagen" était désavantageuse pour les actionnaires détenant plus de 20 % du capital, mais, au contraire, elle protégeait les actionnaires qui détiennent moins de 20 % du capital. Un tel dispositif ne semble pas en soi contraire au droit communautaire, puisque la Cour de justice l'examine en combinaison avec l'exigence d'une majorité de plus de 80 % du capital social pour l'adoption de certaines décisions de l'assemblée générale. La Cour s'intéresse, alors, non au dispositif lui-même, mais à ses effets.

Il s'agit là du principal apport de l'arrêt, car cette appréciation in concreto conduit à un alignement du principe de la libre circulation des capitaux sur le principe de la libre circulation des marchandises (mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative). En l'occurrence, tout actionnaire possédant 20 % du capital social dispose d'une minorité de blocage. Si depuis 1960, l'Etat fédéral a cédé ses actions, tel n'est pas le cas du Land de Basse-Saxe. Cette mesure est donc de nature à dissuader les investissements directs en provenance d'un autre Etat membre de la Communauté.

La portée de cette solution méritera d'être précisée. Ce raisonnement pourrait s'appliquer aux dispositifs anti-OPA (L. Idot, Europe, décembre 2007, comm. n° 335). Surtout, la compatibilité avec l'article L. 1522-1 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L9578DN3), qui impose que les actionnaires publics soient majoritaires dans le capital des sociétés d'économie mixte, apparaît douteuse (M. Bazex et S. Blazy, Droit administratif, janvier 2008, comm. n° 13).

Le droit de désignation de deux représentants pour l'Etat fédéral et pour le Land de Basse-Saxe au conseil de surveillance de Volkswagen était également dérogatoire à la loi allemande sur les sociétés. Le droit commun des sociétés limite les droits de représentation accordés à certains actionnaires à un tiers du nombre des représentants des actionnaires au conseil de surveillance. Or, le conseil de surveillance compte vingt membres, dont dix désignés par les actionnaires. Selon le droit commun, l'Etat fédéral et le Land de Basse-Saxe ne pourraient donc prétendre à plus de trois représentants. La "loi Volkswagen" leur en confère quatre. Certes, l'ampleur de la participation du Land de Basse-Saxe ne conduit pas à une représentation disproportionnée, mais avec l'Etat fédéral, il dispose de ce droit indépendamment de l'ampleur de sa participation. Donc, potentiellement, la mesure peut avoir un effet restrictif sur les investisseurs, dans la mesure où le conseil de surveillance n'a pas que des fonctions de contrôle, mais jouit, dans certaines circonstances, d'un véritable pouvoir de décision.

II - La "loi Volkswagen" n'est pas justifiée par des motifs d'intérêt général

La Cour rappelle pour finir que des mesures de restriction à la libre circulation des capitaux peuvent être justifiées, en l'absence de mesure d'harmonisation, par des motifs tirés de l'article 58 du TUE consolidé ("L'article 56 ne porte pas atteinte au droit qu'ont les Etats membres : a) d'appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis ; b) de prendre toutes les mesures indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et règlements, notamment en matière fiscale ou en matière de contrôle prudentiel des établissements financiers, de prévoir des procédures de déclaration des mouvements de capitaux à des fins d'information administrative ou statistique ou de prendre des mesures justifiées par des motifs liés à l'ordre public ou à la sécurité publique") ou par des raisons impérieuses d'intérêt général, à la condition, toutefois, de respecter le principe de proportionnalité.

L'Allemagne avait d'abord invoqué l'intérêt des travailleurs, mais l'argument semble n'avoir été soulevé que de manière très générale, et n'a donc pas convaincu la Cour. Il est vrai que le lien direct avec le dispositif pouvait apparaître fort ténu. Le souci de protection des actionnaires minoritaire n'est guère plus pertinent car la "loi Volkswagen" ne bénéficie, en pratique, qu'aux actionnaires publics. L'Allemagne avait enfin fait valoir, en raison de l'importance de Volkswagen pour l'économie allemande, le souci de protection de l'emploi. Là encore, la généralité de l'argument n'a pu retenir l'attention de la Cour.

Finalement, le raisonnement suivi par le juge communautaire est cohérent, et l'on ne peut être qu'une nouvelle fois frappé par la faiblesse de la marge de manoeuvre en termes de conduite de la politique économique. Cet arrêt doit être aussi une nouvelle leçon pour le législateur national, qui doit rester très prudent lorsqu'en procédant à une privatisation, il entend conserver un contrôle sur les entreprises concernées.

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